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mardi 31 août 2010

"Va, je ne te hais point."

Dire "je" me paraît toujours prétentieux. Je suis une catholique pervertie, mais je subis toujours cet affreux carcan fait d'hypocrisie et de fausse modestie.

Franchement, quoi de plus agréable que de parler de soi ? Ne pas parler de soi. Jusque là, en tout cas, c'est ce que je crois. D'ailleurs, ça n'intéresse personne. Même pas moi. Vraiment ?

"Tu ne t'aimes pas" disait Sarraute.
 Pas Claude. J'ai des lettres, un peu...

Pas beaucoup. J'ai un gros complexe d'infériorité.

Je suis mauvaise en orthographe. Je ne comprends pas rapidement. J'ai le cerveau lent.

Depuis toujours : imaginez. Je suis née à la campagne, enfant solitaire et sauvage. Je suis entrée à l'école l'année de sa réouverture, dans ce petit village frappé par la désertification rurale. J'étais la seule de mon âge, l'instituteur me donnait vaguement des trucs à colorier en début de matinée et m'abandonnait à mon sort.

Quand je rentrais, certes ma mère était étonnée : elle ne pensait pas qu'on étudiait l'histoire de France dès la maternelle. Mais je préférais écouter ce qui se disait dans les cours de "grands".

Livrée à moi même, j'ai appris à lire toute seule, aidée de maman, qui, Dieu merci, a utilisé la méthode du B.A BA, alors que  l'instituteur était un fanatique de la méthode globale.

J'ai lu tout le manuel de CP, j'ai dévoré celui de CE1 et celui de CE2 durant la même année. L'année suivante, malheureusement, j'ai changé de maîtresse. Celle-ci n'a rien voulu entendre : j'ai dû relire ce que j'avais déjà lu. C'est là que ma régression intellectuelle a commencé. Avant même que je commence à progresser.

A partir du CE1, donc, j'ai changé d'enseignant plusieurs fois par an. Personne ne voulait rester dans ce trou paumé de Savoie, où les routes étaient mauvaises en hiver, sans que l'on puisse pour autant faire du ski. Chacun de ces jeunes remplaçants avait sa lubie. Je me souviens d'un passionné de biologie. Durant son passage, nous n'avons fait que des herbiers et des ballades en forêts. Une autre ne jurait que par le sport et une troisième était la spécialiste de la présence en pointillé.

Et durant tout ce temps, j'étais seule. Première et dernière de la classe.

L'école primaire a été un vrai calvaire. Un purgatoire interminable.

Et puis, je suis allée au collège. J'ai redoublé ma sixième. J'ai découvert que je n'avais pas fait une seule fois de la grammaire sérieusement, en primaire. Je savais à peine mes tables de multiplication. J'étais une enfant-sauvage. En plus, j'étais maigre comme un clou et je me suis mise à somatiser à la moindre interrogation écrite. J'étais plus souvent absente que mon ancienne institutrice.

Après ce redoublement plutôt profitable, car une fois sur les rails, j'ai compris ce que l'on me voulait, j'ai fait une scolarité correcte. Jamais je n'ai pu rattraper les bases qui me manquaient dans les matières scientifiques, mais mon expression était claire, en lettres et j'avais un goût prononcé pour la lecture et l'histoire.

Dans le fond, je me suis toujours vue comme médiocre, alors qu'objectivement, je suis revenue de loin. Complexe d'infériorité absolu. En plus, je suis une fille de la glèbe. Ma culture, c'est l'agriculture. J'ai pourtant étudié Flaubert, j'ai fait une maîtrise et un DEA. Je me suis même lancée (sans conviction) dans une thèse. Mais je sais, je sens qu'il me manque une base solide à mon savoir. J'ai construit vite, mais mal. Sur du sable.

J'aime assez parler de moi, en fait. Je vais peut-être y prendre goût.

Oh ! Et si on me lisait ? Non. Je ne peux l'imaginer.

CC