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dimanche 29 novembre 2020

Déconfinement progressif d'un demi-confinement brutal


Dans cette période étrangement inexistante qui nous sépare de Noël, nous sommes donc en non-déconfinement, autrement dit en déconfinement progressif, suite à un confinement à demi, un confinement pas tout à fait confinant pour tout le monde, durant lequel on pouvait travailler et consommer dans les supermarchés et sur internet, mais où l'on ne pouvait pas acheter de culotte dans une lingerie ni même dans le rayon adéquat chez Carrefour, mais où l'on pouvait porter ses cachemires au pressing et où l'on ne pouvait pas acheter de livres, ni dans une librairie indépendante, ni à la Fnac, mais par contre, un ordinateur, une tablette, un iPhone 12, oui. 

Aujourd'hui, on peut réserver un séjour à la neige, à condition de maîtriser l'art de la peau de phoque, si l'on veut monter au sommet avant de redescendre les pistes. On ne pourra pas non plus manger de fondue dans un restaurant, naturellement, ni boire de vin chaud aux pieds des pistes, ce qui fait tout de même le charme de ces séjours coûteux et mal confortables (qui aime vraiment marcher sur du verglas avec des chaussures de ski alpin et chargé comme une mule avec ses skis à l'épaule, qui se désolidarisent et qui glissent en vous coupant les doigts, je vous le demande ! Qui aime vraiment aller faire pipi en combinaison de ski, dites-le moi !)

On pourra faire Noël, mais sa messe sera soumise à des règles strictes : ne vous passez pas la paix, ne buvez pas de ce vin, ne mangez pas de ce corps !

Et puis tout cela, ce ne sont que des recommandations, dans le fond. Personne n'y comprend plus rien : qu'en est-il du couvre-feu, de la règle des retrouvailles familiales à 6 personnes, à ces interminables attestations à remplir, à ne pas remplir (faut-il l'attestation de l'employeur et une attestation individuelle de déplacement, en plus, oui ou non ? Et savez-vous que les forces de l'ordre n'ont pas d'outil pour lire les QR codes générés par l'appli du gouvernement ?) 

On nage tellement en plein n'importe quoi qu'on ne sait plus tellement quoi faire, en vrai. 

Depuis hier, c'est déjà ça, on peut retourner dans les magasins en ville. C'est une bonne chose pour les commerçants. Je ne suis pas épidémiologiste, mais il m'apparait clair que je fais bien plus confiance à l'abus de gel hydroalcoolique qu'on y pratique plutôt qu'à la moindre poignée de caddie. 

Et j'ai pu retourner chez le coiffeur. Mais pas au restaurant, par contre. Sauf au seul resto qui marche pendant la crise sanitaire : les Restos du Coeur. Quel crève-coeur que ce soit le seul resto qui fasse le plein - et comment...- en ce moment ! Donnons, si nous pouvons : https://www.restosducoeur.org 

Et puis déconfinons-nous en douceur de ce non confinement. Pour moi, par exemple, rien ne change vraiment : je vais continuer d'aller en classe, avec mes petits 6e affreux, sales et méchants, dont le masque sert de mouchoir, de bavoir, de buvard et de cache-nez par intermittence. Je vais continuer de les voir se checker et se faire des câlins dans la cour, se refiler leurs stylos après les avoir grignotés, laisser traîner leurs mouchoirs en papier usagés partout. Je vais tenter de ne pas être parano. Je dois être immunisée, si je n'ai pas encore été contaminée. 

Protégez-vous, protégez vos proches et portez vous bien !

dimanche 22 novembre 2020

On garde le moral !


Je n'ai pas à me plaindre, je suis d'une nature optipessimiste...ou pessoptimiste, si vous préférez. Je m'explique : je suis du genre à me dire que puisque tout va mal et que ça va aller en empirant, nous n'avons pas d'autre choix que de voir le bon côté des choses. 

Je ne vais pas vous refaire le coup des petits plaisirs de la vie, quoi que le confit de canard et ses légumes d'automne, suivi d'une tarte aux pommes, ce midi, ça valaient le coup de fourchette.

Je ne vais pas vous refaire le coup des lectures revigorantes, bien que je vous conseille la lecture du 1 de cette semaine : "Comment ne pas devenir fou ?": en voilà une question, qu'elle est bonne !

Je ne vais pas vous bercer de douces mélodies anesthésiantes, bien que la musique, il n'y a que ça de vrai, croyez-moi ! L'avez-vous écouté, le dernier album de Norah Jones, Begin again ? C'est bien. Sa voix, depuis 2002, depuis Come away with me, est devenue plus profonde, plus patinée, tout en conservant sa douceur. 

Je ne vais pas occuper votre espace cérébral disponible avec des séries à n'en plus finir, mais vraiment, The Undoing dont j'ai vu les 4 premiers épisodes ce week-end, est vraiment captivante. 

Par contre, je veux vous parler de l'action du Secours populaire qui consiste à préparer des cadeaux de Noël pour les plus démunis : quelque chose de chaud, quelque chose de bon, un mot doux, un loisir, un produit de beauté. Et on emballe ça avec amour dans une boîte de chaussure. 

Par contre, je peux vous parler des collectivités qui ont mis de l'argent pour financer des bons d'achat chez les commerçants de notre coin : pensez à tout ces petits artisans, ces marchands de bonheur de notre ville, qui nous font de belles vitrines, qui nous permettent de trouver ce qu'on ne peut pas essayer sur Amazon et ce qu'on ne peut pas toucher sur Wish. Ils nous permettent d'être sûrs de ne pas être déçus en déballant un colis venant de Chine, et ça, ça n'a pas de prix ! Pensez aussi aux restaurateurs, qui nous permettent de passer des soirées sympa, entre amis ou en amoureuses. S'ils venaient à faire faillite, nous déprimerions encore plus. 

Tant qu'il y a de la solidarité, tout n'est pas perdu. Et continuons d'être prudents ! Portez-vous bien !

dimanche 15 novembre 2020

Il faut partager ses recettes


La recette du bonheur, parfois, c'est juste de partager ses recettes. Aujourd'hui, j'ai fait un rosbif au four. Une recette sans rien de particulier, je le masse avec amour avec un peu d'huile d'olive, de l'ail écrasé, du sel, du poivre de Madagascar, un peu de thym et je l'entoure d'un peu de beurre. Ensuite, on compte un quart d'heure par livre dans un four bien chaud et c'est prêt. 

J'ai accompagné cette belle pièce avec un gratin de fenouil. J'ai fait un roux brun à ma manière, c'est à dire que j'ai fait fondre du beurre avec de l'ail écrasé — je suis très ail écrasé, aujourd'hui, c'est bon pour la circulation du sang — j'ai saupoudré de farine, en pluie, en mélangeant le tout avec un fouet et quand la couleur était à ma convenance, joliment dorée, et que la consistance était lisse et pâteuse, alors j'ai incorporé du bouillon en continuant de mélanger pour éviter les grumeaux. Les fenouils avaient préalablement cuit à la vapeur et ils étaient tendres comme un bonbon à l'anis. Je les ai disposés dans un plat à gratin, j'ai parsemé du comté sur leur fesses rebondies et j'ai versé mon roux dessus. J'ai ensuite mis cela au four à côté du rosbif. 

C'était bon. 

Malheureusement, je n'ai pas la recette de gâteau de Savoie de la grand-mère d'Amandine. C'était une pâtissière extraordinaire. Elle a emporté avec elle les secrets et les tours de main merveilleux pour ses forêts noires et son fameux gâteau de Savoie parfumé au citron, tellement léger et délicat, tellement aérien...

mercredi 11 novembre 2020

Quelques moments...

Moment poétique pendant la promenade sous le pâle soleil de novembre : 

C’est un trou de verdure où chante une rivière, 
Accrochant follement aux herbes des masques jetés à terre. 

Moment insolite du jour : 

Pour pouvoir cocher la case “Sortir mon animal de compagnie” sur l’attestation dérogatoire, un couple de charmants monsieur dame a décidé de balader sa perruche, dans sa cage. Petit effet surréaliste très mignon. 

Moment émouvant : 

Cérémonie du 11 novembre avec un public clairsemé. La Marseillaise jouée sur l'orgue du Temple par Madame M. était particulièrement émouvante. Merci...

Un grand-père est venu me saluer à la fin du trop court dépôt de gerbe. “Je me souviens, les années précédentes, la foule, les militaires en grande tenue...C’est triste, cette année. Ah ! Il y a un ou deux ans, il y avait l'harmonie et ils avaient joué La Madelon...Mon petit-fils avait adoré, il avait chanté ça tout l’après-midi, ensuite…” 

Moment méthode Coué : 

Je vais bien. Il fait beau. Je me détends, sans trop me prendre la tête. Je ne crois pas être malade. Je pense que je ne suis jamais malade. J’éloigne le mal avec la superstition du mal. Avec l’hypocondrie schizophrène qui consiste à dire que je suis malade sans y croire une seconde. A la vérité, je me pense invincible. Exactement comme entre deux crises de migraine : quand cela fait quelques semaines que je n’ai pas eu de crise de migraine, je pense que je n’en aurai plus jamais. Que je suis devenue résistante, que je suis guérie. Quand elle revient, d’ailleurs, je ne crois pas en elle, je ne prends pas le médicament de crise à temps, pensant toujours que ce n’est pas possible, qu’elle ne reviendra plus. J’ai une confiance démesurée en mon corps. Je suis persuadée qu’il ne me lâchera pas. Je suis exactement dans cet état d’esprit pour le COVID. Il ne passera pas par moi. Je coche toutes les cases qui permettent de ne pas l’avoir : je suis une femme sans co-morbidité, sans symptôme agravant, sans asthme, sans diabète (je n’ai pas fait de prise de sang depuis si longtemps…), sans cholestérol, sans obésité. Je ne fume pas, je suis relativement active. Je mange sainement. Je suis du groupe sanguin O. Je n’ai aucune chance de l’attraper, sinon, ce serait déjà fait, entre les élections en mars ou le retour en classe dès le mois de mai, ou encore cette rentrée au collège dans des conditions pas sanitaires du tout...n’est-ce pas ? Je suis même un cas d’étude pour la médecine, soyons honnête. Mais mes intestins sont bel et bien patraques, mon estomac, pas terrible. J’ai pris des cachets, mais j’ai eu mal à la tête une bonne partie de la journée et je ne peux pas nier une certaine fatigue, des cernes immenses sous les yeux alors que cela fait maintenant une semaine que je suis au repos le plus strict, que j’ai plutôt bien dormi et bien mangé...Je devrais avoir une pêche d’enfer. On verra demain matin.

 

lundi 9 novembre 2020

Cultiver les petits bonheurs du jour


Ma peau a pâli déjà, l’été est si loin. Nous n’avons pas vu le temps passer. Point commun avec le premier confinement : il fait beau. Différence : le confinement ? Quel confinement ? Des voitures partout, tout le temps, des passants qui passent, tout semble continuer. 

Je le sens bien, moi, depuis jeudi dernier, le confinement, puisque je suis cas contact. J’ai été testée ce matin, j’attends les résultats avec successivement tous les symptômes de la parfaite hypocondriaque stupide que je suis : léger mal de tête qui s’estompe aussitôt que je n’y pense plus, impression d’oppression dans la poitrine, sensation d’étouffement, impossibilité de reprendre mon souffle, gorge qui soudain s’irrite. Petite panique en ayant l’impression que je n’ai plus de goût. Soudaine envie de vomir. Troubles intestinaux...mais j’en ai tout le temps. 

J’ai tenté le travail à distance avec mes élèves : deux classes de 25 sixièmes, des devoirs envoyés à chacun d’eux, une seule réponse. Sentiment d’échec. En même temps, une prof absente, c’est toujours du bonheur pour les élèves. Je me souviens de la joie que nous avions quand dans le couloir, devant la salle de classe, nous apprenions que Mme Machin, prof de maths était absente. C’était des cris de joie ! Le surveillant (qu’on appelait alors “pion”, ce petit surnom a complètement disparu, c’est un mystère de la langue française) calmait alors nos ardeurs “C’est pas sympa pour Mme Machin ! Elle est malade !” Et nous prenions un air un peu contrit et tout à fait hypocrite pour plaindre gentiment Mme Machin, parce que dans le fond, nous étions bien élevés. Mis à part le défunt mot “pion”, rien n’a vraiment changé : les élèves sont toujours ravis de l’absence d’un prof, même s’ils l’aiment bien. C’est bien naturel. Et je suis heureuse de leur faire cette joie. 

Si tout va bien, j’aurai les résultats demain, ils seront négatifs et je retournerai au collège en fin de semaine. 

En attendant, les nouvelles de Savoie sont très mauvaises. C’est le département le plus touché par l’épidémie, cette fois-ci. Ma mère a l’air d’être plus sage qu'au printemps. Mais les grands-parents d’Amandine nous inquiètent vivement. 

L’ambiance épouvantable du moment, entre menace terroriste et pandémie, nous pousse à nous centrer sur les petits bonheurs du jour, à les cultiver, à les partager, autant que possible. C’est une condition de survie.  

Partager ses lectures - moi, j’ai bien aimé Yoga d’Emmanuel Carrère et je suis en train de relire 1984, dans la nouvelle traduction. C’est bien, mais ça, je ne le conseille pas vraiment pour se remonter le moral. Pour rire un peu, préférez plutôt le dernier Fabrice Caro, Broadway. La première moitié du livre vous offre un fou rire par page, si vous êtes bon public.

Partager ses petits plats - à midi, j’ai fait un wok de boeuf au chou et aux nouilles sautées, c’était pas mal. Ce soir, j’ai fait une tarte au saumon, avec un peu d’aneth et des baies roses. C’était bon. 

Partager de la musique - la musique est idéale, pour ne pas penser. Tenter de comprendre les paroles quand elles sont en anglais. Des chansons d’amour, des chansons douces. To chill, en anglais. S’accrocher au timbre d’une voix, à son grain, à sa profondeur ou à sa fragilité. A la voix familière des chanteurs que j’aime. Les voix réconfortantes, enrobantes, thérapeutiques d’Elvis, d’Alain Souchon, de Chet Baker, de Damien Rice, de John Mayer... Ne pas se laisser atteindre par les mauvaises nouvelles. Être dans une bulle. 

Partager avec ceux qui sont loin - rester en contact permanent avec Florence qui nous envoie des vidéos du petit Rémy qui parle presque, maintenant, et qui a des tas de choses à raconter. Tellement adorable. J’ai eu ma mère, aussi, comme chaque jour. Si loin, si triste, mais quand j’arrive à l’aider pour ses mots croisés, comme si j’étais à côté d’elle, alors je suis contente. Escargot, en deux mots ? Petit gris. Et puis ce soir, Florence, ma chère Flo tellement loin de moi, tellement proche aussi : une amie avec qui on renoue le fil de la conversation comme si on s’était quittées hier, ce qui est sans doute le signe des grandes amitiés. 

La vie continue, faisons la douce.

 

dimanche 8 novembre 2020

Angoisse tenace

Continuons avec les petites angoisses à déposer ici, pour qu’elles cessent de fermenter dans les caves de mon cerveau. Je tiens par avance à m'en excuser.  

J’ai été beaucoup plus touchée que je ne pensais l’être par la mort de Samuel Paty. Je pensais que l'on s'habituait à cela, que 2015 était une sorte de vaccin. Mais non. Le traumatisme ne fait qu'empirer. 

Je veux rendre hommage à mes collègues d’histoire qui vivent depuis cette rentrée des moments très pénibles : des menaces froides, parfois anonymes ou basées sur la rumeur. Des réactions effrayantes. Des situations similaires à ce qu’a vécu Samuel Paty. Et les profs de toutes les autres matières ne sont pas loin derrière, puisque cela fait déjà quelques temps qu'il faut du courage et peut-être même de la témérité pour enseigner les textes fondateurs en français, la théorie de l'évolution en SVT ou encore le Big Bang en physique.

Les professeurs d’histoire, de lettres, de SVT, de physique-chimie...tous les professeurs font un travail essentiel. Ils disent les faits et les lois. Ce qui s’est passé et ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Ce que l'on peut croire et ce que l'on doit savoir. Mais nous sommes face à certains enfants dont le milieu social tout entier a retourné la tête depuis toujours. Leur norme n’est pas la nôtre : le quartier dans lequel j’exerce mon métier s’est ghettoisé depuis 15 ans. Les catégories sociales les plus pauvres sont les seules à y être restées. Les classes moyennes sont parties, petit à petit. Moi la première. J’y vivais il y a encore 11 ans. Pourquoi suis-je partie ? C’est un quartier qui a vu progressivement se réduire tous les services publics ou pas de proximité, qui a vu sa population s'appauvrir, qui a vu ses logements se dégrader. La politique de peuplement des bailleurs sociaux y est pour quelque chose, l’argent qu’on attribue à ceux-ci, aussi. Quand je vais porter des devoirs à des élèves dans le coeur des immeubles, je suis atterrée par l’insalubrité, par la vétusté, par l’isolation défaillante, par les façades décrépies de ces tours des années 60. On a rien fait, ou si peu, depuis, pour entretenir et moderniser le quartier. 

Aujourd’hui, non seulement seuls ceux qui n’ont pas pu partir y logent encore, mais en plus, c’est là qu’on a installé les nouveaux arrivants : parce qu’il y a des appartements pas chers. C’est donc là que s’entassent tous ceux qui arrivent, encore plus pauvres, parlant encore moins le français, ayant encore moins accès à un emploi, aux aides, à la culture du pays. Le seul point de rassemblement, hormis la misère, c’est évidemment la religion, la mosquée. C’est l’identité tout entière de ce quartier. Qu’on ne s’étonne pas de ne pas peser lourd. La République, le sentiment d'appartenance à un peuple n’existent pas, mis à part à l’école. Et l’école ne représente pas grand chose. Encore moins depuis le confinement. L’école a disparu de ce quartier pendant 6 mois. Et entre temps, à chaque fois qu’on parle d’eux, de leur religion, c’est pour évoquer les crimes commis en son nom. 

J’ai été une ado, pas plus rebelle qu’une autre, mais je comprends qu’on ressente de la colère quand ce qui nous tient le plus à coeur, ce qui fait partie intégrante de notre identité profonde est attaqué sans nuance, et s'il se trouve quelques adultes malveillants qui attisent ces colères, le pire peut arriver. Quand on met tous les musulmans dans le même sac sans distinguer religion, islamisme politique et terrorisme, c’est insupportable. Ce n’est pourtant pas ce que font les profs. Mais nous représentons de manière un peu floue pour ces ados, à la fois l’autorité, la classe dominante, les médias, les politiques. Et nous sommes à peu près les seuls à le faire dans ces quartiers, avec les pompiers et les policiers. 

Ces constats sont assez confus, mais je crois que la situation est plus dangereuse, plus explosive que ce qu’on veut bien croire. Et ce n'est pas la première fois que l'on tire la sonnette d'alarme. Mais vous savez quoi ? S'occuper de ces quartiers, ça coûte un pognon de dingue...

 

samedi 7 novembre 2020

La menace approche


La semaine dernière, j’étais cas contact de cas contact. C’est à dire que je n’étais rien pour la sécurité sociale. Mais j’ai quand même bien angoissé en attendant le résultat de mon cas contact. D’autant que je vis avec. Il s’est avéré que le test était négatif. 

Cette semaine, je suis cas contact. Le grand mal approche. J’attends donc les 7 jours après mon dernier contact avec mon cas positif. Je l’ai vu lundi pour la dernière fois. Ce lundi matin, je serai donc testée pour la première fois. J’angoisse. Et j’angoisserai en attendant le résultat. 

La semaine prochaine, peut-être serai-je positive. 

En attendant, confinement. Puisqu’il faut vivre le moment présent, intensément, alors, vivons-le. Vivons le moment historique de cette pandémie mondiale : je suis cas contact. Je vais peut-être vivre dans mon corps ce virus. Ce serait bête, peut-être (même si ce serait bien moins douloureux, sans doute) de ne pas vivre la maladie, de ne pas la ressentir, de ne pas être au diapason du monde, sur ce coup. Un peu comme si...Jean Moulin avait passé la guerre en Suisse... 

(Je sais que j’écris n’importe quoi. Pas la peine de me le dire en commentaire. Oui, cette comparaison est indigne. C’est de l’humour. Ne laissons pas le virus nous faire perdre le sens de l’autodérision et de l’humour noir. C’est peut-être bien tout ce qui nous reste.) 

Au collège, le jour de la rentrée, il y avait déjà de très nombreux absents “cas contacts” - comme moi en fin de semaine. On a eu l’information d’un cas positif. Et le lycée d’à côté a plus de cent cas positifs. Le grand-père paternel et la grand-mère maternelle de ma chère et tendre sont positifs. On connaît désormais tous de très nombreux cas positifs. Le balai des avions va reprendre à l'aérodrome, pour amener et emmener des patients en réanimation. Ce matin, il y avait trois pages pleines d’avis de décès dans le journal. En Savoie, les pompes funèbres crient au secours

La deuxième vague est plus importante que la première. 

Le gouvernement doit imposer un reconfinement total. La demi-mesure qui consiste à laisser s'entasser les élèves dans des classes, à laisser des gens s'entasser dans les transports en commun, ne confine qu'au ridicule.

Mais pas de panique, pour l'instant, je n'ai pas de fièvre. 

dimanche 1 novembre 2020

Comme un dimanche soir...

Ce confinement, au mois de novembre ressemble à une grande dépression collective. Il a plu tout le jour, les feuilles des arbres n’ont même plus les jolies teintes dorées qui faisaient du soleil suspendu aux dessus de nos têtes, au début de la semaine. Nous entrons dans la période la plus triste, la plus grise de l’année. Les jours raccourcissent. 

Nous pensons au printemps dernier. Nous nous souvenons du traumatisme lors des annonces prolongeant le confinement. Et pourtant, il faisait beau et nous allions vers l’été. Nous ne savons pas si nous pourrons supporter cela au mois de décembre. 

Et en plus, j’ai vraiment déconné : je ne suis pas allée chez le coiffeur... 

J’ai parfois l’impression que nos existences - telles que nous les avons vécues jusque là - sont terminées. Je sais que c’est stupide, que la vie réserve des surprises, qu’il y a toujours des libertés à prendre, des chemins à découvrir. Que tout ce qu’on ne connaît pas encore, nous pourrions en faire des encyclopédies en 12 volumes. Cependant, j’ai l’impression que la sensualité et l’amour vont disparaître, le plaisir, les douceurs du quotidien, que les rencontres et les voyages deviennent impossibles. Je ne sais pas ce que l’on peut encore offrir d’espoir et de perspectives d’avenir aux jeunes. Ce monde est vieux. Je ne suis pas loin de penser que l’on confine, que l’on interdit, que l’on contraint, que l’on restreint juste pour protéger les vieux. Et pourtant, j’ai envie de revoir ma mère. Vivante. J’ai encore envie de la prendre dans mes bras et de l’embrasser. La situation est terrible en Savoie. Les services de réanimation entre Aix-Les-Bains et Chambéry ne sont pas loin de la saturation. 

Je suis en permanence entre deux types de pensées totalement contradictoires. En tant que personne, en tant que fille, en tant que femme, je veux qu’on protège autant que l’on peut protéger, je veux qu’on évite à tout prix les drames, les deuils et les larmes. Et en tant qu’être doué de raison, j’ai la tentation de penser qu’il faut faire avancer le monde, vivre, donner le quitus à la jeunesse, à la vie, à l’énergie, à l’amour, à la force qui va. Je crois que c’est le paradoxe qui nous taraude tous, en ce moment. Un désir de vie, quoi que l’on en pense.

 

samedi 31 octobre 2020

Tout ça finira par mal tourner


J’ai passé la journée la tête entre deux dossiers ouverts. Je me suis débattue entre deux sujets qui m’ont empoisonnée. Et comme je suis généreuse, je vous en fais bénéficier... 

Le collège, d’abord. 

L’inquiétude de mes collègues pour cette reprise anxiogène, les questions nombreuses tant sur la pandémie que sur le contexte sécuritaire. Minute de silence, texte de Jaurès à lire à des collégiens. Je n’y serai pas puisque je ne travaille pas le matin. Et peut-être bien que je ferai grève l’après-midi. Cette impréparation, ce mépris pour mon métier qui transpire de chaque décision, de chaque non-décision prise (ou pas) par mon ministre, c’est inadmissible. Un professeur a été tué le vendredi avant les vacances. On ne nous accorde même pas une heure pour nous retrouver entre professeurs pour préparer une rentrée commune, une attitude commune à tenir face aux classes. On voudrait attiser les feux des désaccords - pour le moindre mal - et des haines qui sont pourtant à l’origine de ce tragique attentat, on ne ferait pas mieux. L’unité de la République est une vraie question dont l’Etat a décidé de se dessaisir en n’étant pas clair sur la façon de parler de ce drame aux élèves. Car nous ne sommes pas tous d’accord et pas tous très au clair avec les notions de liberté d’expression, de laïcité, de terrorisme, même, au sein des milliers de salles des profs de notre pays. Il y règne en fait la même cacophonie que sur n’importe quel réseau social. Il y a des complotistes, des gens qui trouvent que les caricatures de Mahomet devraient être interdites. Il y a des racistes, des cons, presqu’autant qu’ailleurs. Il y a aussi des gens éclairés, intelligents, raisonnables, mais qui ne se sentent pas capables de trouver les mots pour parler de ces sujets-là à des collégiens. Et on les comprend. Entre gens éclairés, éduqués, cultivés, il n’y a pas de débat sur cette caricature du prophète de la religion musulmane représenté nu, à quatre pattes avec une étoile plantée sur son séant. On peut la trouver graveleuse, on peut en débattre ouvertement, on peut parler d'agnosticisme, on peut, philosophe, sortir la phrase qui fait mouche dans les dîners en ville “Être athée, mon vieux, c’est être croyant, mais oui, mon bon ! Et comment ! C’est CROIRE que Dieu n’existe pas !”, on peut évoquer les débats sanglants entre les catho et les laïcards en 1905, on peut glousser entre sachants, évoquer le caractère, tout de même un peu homophobe du dessin, c’est un comble, on peut faire tout cela, en restant poli, parce qu’on la culture et les mots, qu’on est adultes. Mais nous devrons en parler à des enfants. On peut choisir d’éviter le sujet. On peut montrer la couverture de Charlie “C’est dur d’être aimé par des cons”. Parce qu’elle est compréhensible par tous, parce qu’elle n’est pas aussi vulgaire, parce qu’elle sous-entend qu’un dieu existe et qu’il est doux. Mais on évite le sujet : les enfants ne sont pas dupes. Ils comprennent que ce n’est pas pour cette caricature que quelqu’un peut décapiter un homme. Les enfants ne sont pas idiots. Si l’on veut vraiment aborder le sujet, on ne peut guère s’éviter les caricatures vraiment trashes de Charlie Hebdo. Mais là, forcément, il faut assumer d’être Charlie, et il faut être drôlement aguerri pédagogiquement. Et franchement, je ne suis pas sûre de l’être. Ni même d’être suffisamment considérée et payée pour risquer ma tête. Déjà que je prends des pincettes incroyables pour éviter les nus dans les tableaux classiques que j’étudie en classe, qu’il me faut beaucoup de tact et de circonvolutions pour évoquer les amours d’Achille et Patrocle, comme il me faut, de manière générale être très prudente et précise dans les termes utilisés pour présenter les textes fondateurs : la Torah, la Bible et le Coran, notamment, dans l’ordre chronologique, avec un scrupuleux respect de l’égalité de traitement. 

La crise sanitaire, ensuite. 

Le confinement va mal se passer, cette fois-ci. La première fois, la relative docilité des gens était une sorte de miracle. Mais si l’on peut confiner une fois mille personnes, on ne peut pas confiner deux fois mille personnes. Enfin, vous m’avez comprise. L’inquiétude, la peur n’est pas la même pour tous : certains sont réellement pris par la terreur du virus. Ceux qui ont eu des deuils, ceux qui sont fragiles ou qui ont autour d’eux des gens qui le sont, ceux qui ont réellement conscience des limites de notre système de santé, ceux qui savent qu’entre eux et un plus jeune, on fera un choix, dans la salle des urgences, quand les salles de réa arriveront à saturation. Ceux qui aiment la vie et qui veulent vivre encore. D’autres en ont tout simplement marre. Le masque, les restrictions, les absurdités des mesures prises, les petits commerces qui ont fait tant d’efforts pour des mesures sanitaires dignes d’un bloc opératoire, les plexiglass achetés au prix de l’or massif au moment de la pénurie mondiale de plexiglass, pour les restaurants, les masques qui avaient vu leur prix multiplié par dix au sortir du confinement, pour les coiffeurs, les fleuristes, les libraires, les jauges réduites, les vêtements mis en quarantaine, le gel poisseux qu’on se passe sur les mains à longueur de temps depuis des mois, tous ces efforts réduits à néant, puisqu’il faut à nouveau fermer, alors que tous les autres travaillent, puisque les écoles sont ouvertes, puisque les hypermarchés sont ouverts, puisqu’on peut se rassembler pour faire tourner l’économie qui a des actions dans les bourses internationales alors qu’on ne peut pas faire tourner les petites boutiques de quartier. On ne peut pas comprendre qu’on fait prendre des risques à des ouvriers pour produire dans des usines, si c’est pour fermer la boutique qui aurait pu vendre le produit en bout de chaîne. On ne peut pas comprendre qu’on mette trente élèves dans des salles de classes aux fenêtres oscillo-battantes, des salles mal aérées, avec des enfants qui ne supportent pas le masque, qui glisse sous le menton, et qui se font des câlins aux récrés parce que ce sont des ados et que les ados se font des câlins entre eux, puis ensuite rentrent en faire à leurs papys mamys en prenant le goûter. On ne peut pas comprendre ce deux poids deux mesures. Et on ne peut pas accepter ce qu’on ne comprend pas. Ce confinement va mal se passer et tout ça finira par tourner vinaigre. 

Mais on garde le moral, hein ! Et...je n'ai pas de fièvre.

dimanche 5 juillet 2020

D'où l'on vient, où l'on vit


Je viens d’un lieu extraordinaire. Je crois que je n’en ai vraiment pris conscience qu’en le quittant, qu’en vivant très loin de lui. Je l’ai quitté il y a longtemps déjà. Pour des lieux très beaux, parfois. Chambéry, Tours. Et puis maintenant, pour un lieu tellement différent, tellement banal, tellement industrieux, gris, sans noblesse. 

J’ai quitté la belle Tourangelle chargée d’histoire, traversée par la Loire majestueuse, j’ai quitté la Savoie jolie, j’ai quitté le village qui recèle sur les rives du plus beau lac de France, la nécropole des rois d’Italie, l’abbaye d’Hautecombe, le joyau de l’art néo-gothique, le petit bijou dans son écrin naturel d’eau et de forêt. Cette abbaye que j’aime tant, qui cache une riche statuaire, une pietà digne de celle de Michel-Ange, un clocher donjon qui en fait toute la grâce, qui se dresse comme un phare au bord du lac. Cette abbaye où des générations de mes ancêtres ont travaillé. C’est mon coeur et mon ADN, ce sont des racines puissantes. Et depuis que je suis partie, je prends conscience de la richesse que j’ai quittée. Mais avant, il me semblait que je quittais le trou du cul du monde, un lieu insignifiant et étroit. D’une certaine manière, c’est un peu vrai. Je suis chaque fois sidérée par le manque d’ouverture d’esprit des gens de mon village natal : dernier exemple en date avec le restaurant qui est boudé par les habitants parce qu’il est tenu par un Noir. Et pourtant, on y mange très bien. Mais cette attitude, malheureusement, se confirme à chaque élection. 

Aujourd’hui, je vis dans le pays de Montbéliard. Dans une ville agréable, au bord de la rivière, ce qui
compte beaucoup : il faut de l’eau, toujours. Mais cette terre d’accueil n’a pas de charme particulier. Je suis lente à saisir le contour des choses. J’ai mis du temps à essayer de comprendre ce qui faisait que je me sentais bien ici, tout de même : pas de paysage grandiose, une architecture austère, une histoire faite de labeur et de misère, une gastronomie de pommes de terre et de tarte à la crème banale. Je ne suis pas malheureuse, pour autant. J’ai coutume de penser que l’on est bien quelque part tant que l’on est bien dans son coeur et dans sa tête - et une faculté assez grande à voir de la beauté partout. 

Ce que j’ai compris assez vite, cependant, c’est l’immense richesse du lieu : ce sont les gens qui y vivent. C’est une terre d’accueil, une terre de mélanges, de partage, de cultures diverses qui se sont mêlées depuis des générations. Les Italiens, les Polonais, les Espagnols, les Portugais, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Turcs...Et bien d’autres nationalités encore, qui sont venues au cours de l’histoire pour travailler dans les usines. Melting pot qui enseigne la tolérance et l’ouverture à l’autre, dès l’école. Une fois, je crois, nous avions essayé de compter, au collège et nous avions trouvé une trentaine de nationalités différentes parmi nos élèves. Je ne dis pas qu’il n’y a pas des communautarismes, qu’il n’y a pas aussi des imbéciles, ici. Mais ils ont des amis différents et ils sont sans doute un peu moins racistes que dans les vallées encaissées de ma Savoie natale. Ici, l’acceptation de mon homosexualité a été facile et même si cela reste une singularité, je n’ai pas rencontré trop de réactions hostiles. On peut être différents et c’est important, c’est ce qui fait la beauté de ces contrées. Les gens possèdent une richesse dont ils n’ont pas vraiment conscience.

lundi 1 juin 2020

Demain...

J’ai arrêté d’écrire sans prévenir, sans donner d’explication. Sans doute parce qu’il me semblait que nous étions au bout d’un processus et que je n’avais plus grand chose à ajouter, que je ne risquais que la répétition et l’enlisement.

Le déconfinement progressif suit son cours, et demain, je reprends le chemin du collège, en mode “dégradé”, comme on dit en informatique, c’est à dire avec très peu d’élèves, des élèves que je ne connais pas forcément et en plus, dans des matières improbables comme les mathématiques.

Les mathématiques, j’ai moi-même arrêté en 4e. Les quatre opérations et la règle de trois me semblaient bien suffisantes pour gérer les affaires courantes, ne pas me faire arnaquer trop dans les magasins et gérer mes rentes. En quatrième, mes rentes n’étaient pas bien grosses, d’ailleurs. Je vais sans doute leur dire, à mes sixièmes : les maths, c’est très important pour compter vos sous.

Non, je ne leur dirais rien de tel. Je tenterai juste de les accompagner dans leurs devoirs. A vrai dire, l’objectif de cette reprise est moins pédagogique qu’organisationnel : il s’agit de mettre en place les conditions sanitaires, de repérer les problèmes d’organisation et de rectifier le tir avant septembre. Nous aurons sans doute à reprendre dans ces conditions étranges en septembre, un mixte de distanciel, de présentiel, de distance physique, de masques, de gel hydroalcoolique, de classes de 15 élèves, avec des tables attribuées, avec des étiquettes, avec les portes ouvertes, avec des lavages de main à n’en plus finir, avant les toilettes, après, à chaque fois qu’on se déplace…

Mes élèves sont indisciplinés, ils sont sales et bruyants, ils crachent, ils jettent leur mouchoir, leur bâton de sucette, partout, dans la cour, dans les couloirs, dans les salles de classe, ils collent leur chewing gum sous les tables. Ils n’ont pas leurs affaires, ils se servent dans la trousse de leur voisin, ils perdent leurs stylos et se les mettent dans le nez, ils oublient leurs feuilles. Dans la cour, quand ils se retrouvent après deux mois de vacances, ils se font des câlins, des bisous, ils s’attrappent, se courent après et se cherchent comme de jeunes chiots. Ils sont fougueux et joueurs, physiques.

Ce sont des enfants, ils sont ce que nous fûmes sans doute un peu tous, insouciants, malpolis, mal éduqués, ou du moins, en cours d’éducation. C’est normal. Demain, ils devront respecter les distanciations physiques, les gestes barrières, ils auront une table assignée, leurs affaires et tant pis s’ils les ont oubliées.

Comment vivront-ils cela ? Comment vivront-ils un retour après plus de deux mois enfermés devant des écrans, dans des familles plus ou moins nombreuses, dans des appartements plus ou moins grands, avec des jardins ou pas, des balcons ou pas ? Comment vivront-ils le retour à la vie, le retour au collège ? Comme des papillons de nuit soudain effrayés par la lumière du jour ?

Les reconnaîtrai-je ? Auront-ils pris du poids ? Ils auront grandi, on grandit vite à cet âge. Auront-ils mûris ? Auront-ils perdu leur insouciance ? Auront-ils désappris ? Auront-ils perdu l’usage de la langue de l’école ? Auront-ils perdu l’usage du stylo et de la graphie ?

Il est temps que j’arrête de me poser des questions. Il est temps que je dorme pour être en forme demain matin, pour les accueillir avec bienveillance. Si j’ai un rôle à tenir, c’est celui de l’adulte rassurant. La vie est belle et je suis heureuse de les revoir. Même s’ils ne seront que 4.


dimanche 24 mai 2020

Ces chansons du bon vieux temps

Êtes-vous partis, vous, pour ce long week-end de l'Ascension ? On rêve d'Italie, on rêve d'un petit voyage à l'impromptu, un voyage sur le pouce, trois jours de rêve pour se faire des souvenirs à n'en plus finir...

"Viens, fais tes bagages.
On part en voyage.
J'te donne rendez-vous
A la gare de Lyon,
Sous la grand horloge,
Près du portillon.
Nous prendrons le train
Pour Capri la belle,
Pour Capri la belle,
Avant la saison."


J'espère qu'il reviendra le temps des escapades, des départs au petit matin, pour un ailleurs qui fait du bien, pour un petit hôtel et pour les flâneries dans les villages touristiques, pour les bords de Saône, pour les bords de mer, pour les villes médiévales et les vignobles et les caves de dégustations...

"On partira de nuit, l’heure où l’on doute
Que demain revienne encore
Loin des villes soumises, on suivra l’autoroute
Ensuite on perdra tous les nords"


Les petits moments piqués en fraude, la route qui fait partie de l'aventure, les longues discussions amoureuses et les restos romantiques, dans des lieux que l'on découvre, rien qu'à deux, anonymes, et où l'on ne rencontre des gens que l'on connaît que par hasard...

"Week-end à Rome 
Afin de coincer la bulle dans ta bulle 
D'poser mon cœur bancal dans ton bocal"




samedi 23 mai 2020

Samedi 23 mai : rien.

(Pour le titre, référence à Louis XVI qui aurait écrit dans son journal, le 14 juillet 1789 "Rien". Aujourd'hui, "rien" pour la chloroquine, qui ne marche pas, finalement, paraît-il. Cela ne soignerait que les biens portants, à condition qu'ils ne meurent pas des effets secondaires.)

Un peu de fatigue, une soirée bien arrosée avec des gens biens, un moment de décompression. Une réunion ce matin, la préparation d’un conseil municipal qui aurait dû se tenir il y a deux mois. Un film, un très beau film. De la musique, beaucoup de musique.

Je suis tellement fatiguée, comme miaulent les Beatles. I’m so tiiiiired…



Comme dans la chanson, voilà des semaines que mon cerveau ne s’arrête pas.

Sept mails reçus de mes collègues, il faut penser à la reprise. Je n’en ai pas l’énergie aujourd’hui, mais l’objectif est là, obsédant, il faudra bien que je m’y mette. C’est une petite inquiétude qui va m’empêcher, encore de dormir.

Une inquiétude de moins, le conseil municipal d'installation qui va enfin se tenir lundi soir ? Pas vraiment, car ensuite les choses vont s’enchaîner. Mais nous entrerons dans une phase de perspectives et de projets, ce qui sera plus intéressant, au moins que cette gestion de crise - qui sera là quand même - qui n’en finit pas.

Passons aux doux moments de cette journée pluvieuse : la grisaille, la fraîcheur et la pluie nous donnent l’occasion de rester sans regret dans nos pénates. Alors nous avons regardé le film très sensible de Céline Sciamma, Le Portrait de la jeune fille en feu. C’est délicat, c’est esthétique, c’est romantique. C’est beau. Les actrices sont belles et bien filmées. Les paysages, les lumières et les ambiances sont magnifiques. Les références picturales, la manière de parler des femmes, de la condition des femmes, au XVIIIe siècle, l’amour, la rencontre entre deux âmes, entre deux corps, tout est parfaitement et subtilement raconté.

 De la musique. La douce voix de Damien Rice…



Bonne soirée

vendredi 22 mai 2020

Vol au-dessus d'un nid de confiné

Confinement, a-t-on dit. Confinement strict a-t-il compris. La veille du jour fatidique, il a fait partie de ceux qui firent des stocks. Il a compris quarantaine, il a compté quarante jours et il a pris plus : plus de papier toilette, plus de boîtes de conserve, de la viande congelée, des pâtes, de toutes les formes, de toutes les couleurs, du riz, 10 kilos de pommes de terre, 5 de carottes, autant de farine, 5 douzaines d’oeufs, 3 kilos de sucre, du café, beaucoup de café. Et de la bière, de la bière, de la bière. Il a fait trois allers-retours le coffre plein. Il a stocké tout ça dans son trois pièces. Des boîtes partout, jusque dans la salle de bains.

Et il a décidé de ne plus sortir du tout. Au début, il avait pris l’habitude de laisser BFM TV en permanence, en bruit de fond, histoire de se tenir informé. Mais très vite, il a trouvé cela angoissant. Il a alors passé ses journées à zapper d’un épisode de Colombo à une rediffusion de Louis de Funès. Le temps ne lui sembla pas si long. Il était tranquille, il somnolait les trois quarts du temps, il ne bougeait que pour aller à la cuisine, s’ouvrir une boîte, faire un petit frichti, manger frugalement sur un coin de table...Très vite la vaisselle s’était empilée dans l’évier. Il a donc décidé de remédier à cela en mangeant directement dans la casserole.

Il a perdu la notion du temps. Il n'aurait pas su dire quand. Mais le jour et la nuit se sont soudain enchaînés sans que cela ait désormais la moindre importance. Seul le retour régulier de la batterie déchargée de son téléphone semblait rythmer sa vie. Il faut dire qu’il jouait beaucoup, à Candy Crush, à Pet machin, à Farm truc. Il alternait les parties et puis ces applications avaient offert du temps de jeu, spécialement pour le confinement. Il pouvait y passer des heures sans même s’en rendre compte. Il finit par trouver une rallonge et laissa son portable branché en permanence.

Rapidement, il ne prit plus la peine de se laver et de s’habiller. Depuis combien de temps portait-il le même caleçon ? Cela n’avait aucune importance : personne d’autre que lui pouvait être gêné par l’odeur ou la couleur suspecte. Il dormait autant qu’il le pouvait, ne se levait que quand son estomac ou sa vessie se rappelait à lui. Il lui semblait que depuis l’adolescence, il n’avait jamais été aussi heureux. Une fois ou deux, sa fille, la quarantaine et qui habitait à l’autre bout de la France, l’appela. Elle s’inquiétait, elle semblait nerveuse. Il ne comprit pas vraiment pourquoi : il la rassura. Je vais bien, j’ai tout ce qu’il faut.

Il perdait pied, mais il ne s’en rendait pas compte.

Plus rien de rationnel dans son comportement : plus d’horaire, ni pour dormir, ni pour manger. Plus de petit-déjeuner, plus de déjeuner, plus de dîner. Non, juste des boîtes de raviolis entamées, juste des pommes de terre sautées à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Il mangeait selon ses lubies du moment : il passa une semaine à ne faire que du riz, si bien que ses intestins se détraquèrent, eux aussi, tout à fait.

Un mois passa. Le soir, parfois, désormais, à 20h, il était alerté par les applaudissements aux balcons et aux fenêtres. Alors, une fois de temps en temps, quand il ne dormait pas, quand il n’était pas complètement abruti par une partie interminable de Tetris ou de Solitaire, quand il n’était pas absorbé par les circonvolutions verbales d’un inspecteur à imperméable crado, il sortait la tête à la fenêtre pour voir les gens. Il était ravi par ces acclamations. Le premier soir, timidement, il s’autorisa quelques clap clap. Il ne se fit pas remarquer et referma bien vite la fenêtre. Puis il s’enhardit. Il cria des bravos, des hourras, des youyous. Il était enthousiaste et cela le défoulait de ses longues journées sur son canapé. Il n’avait pas fait usage de sa voix depuis des semaines, il faut se rendre compte ! Et soudain, il criait à la fenêtre, chaque soir, pendant 5 bonnes minutes. Il se mit carrément à attendre avec impatience ces moments-là. Pour ne pas les manquer, il installa une alarme sur son téléphone. Il se mit à chercher des moyens de faire plus de bruit, pour se faire remarquer, parmi ses voisins. Une gamelle, une cuillère en bois. L’ampli de sa chaîne hi-fi, pour diffuser une chanson. Un matin, il se leva avec la ferme intention de vérifier l’état de sa vieille guitare électrique pour tenter un petit solo au balcon. Le soir même, il tentait une sorte de grincement sinistre. Cela ne donna rien de très mélodique. Cela fit du bruit. Les voisins exultèrent. Il rentra heureux au bout d’un bon quart d’heure d’applaudissements.

C’est à ce moment-là que tout bascula. Il se mit à penser, du soir au matin et tout le jour que les applaudissements de 20h étaient pour lui. Que les gens l’attendaient. Il régla alors l’alarme de son téléphone une minute plus tôt pour sortir, pour se préparer. Il sortait sur le balcon dans des accoutrements improbables. La journée lui servait à trouver de vieux chapeaux à les agrémenter de ce qu’il trouvait, du papier d’alu, des couvercles ou des fourchettes. Il dégota un boubou dans le fond de son armoire, des guirlandes de Noël, des fleurs en plastique...Il passait son temps à confectionner ces costumes ridicules, il était persuadé d’être David Bowie, Elton John, Lady Gaga. Son public l’attendait, chaque soir, au balcon. Il fallait qu’il soit à la hauteur. Il fit alors des vocalises une demi-heure avant pour échauffer sa voix. A court d’idée, un matin, il se mit en tête d’apprendre une chorégraphie. Le soir, les gens riaient, criaient, applaudissaient à tout rompre. Et il saluait, il faisait de grands signes. Il était Johnny au stade de France.

Puis vint la fin du confinement. Les cloches ne sonnèrent plus à 20h. Les gens ayant repris le cours de leur vie, oublièrent subitement ce moment convivial. C'était le soir d'après et il n’avait pas réalisé. Il avait pourtant fait fort : il était en caleçon, un joli caleçon rose avec de gros coeurs rouges, un caleçon qu’on lui avait offert pour son départ en retraite, une blague de ses collègues, un accessoire de farces et attrapes, qu’il n’avait même jamais sorti de son emballage, jusqu’à ce soir. Et il était là, seul à son balcon, avec ses kilos en trop, avec son ventre de buveur de bière et avec son caleçon rose. La blague, ce qui était pour lui le clou du spectacle, c’était son masque. Il était en caleçon et en masque.

Mais personne n’était là pour le regarder. Décontenancé, démuni, soudain se sentant plus nu qu’un enfant à sa naissance, ridicule, il se jeta de son balcon.

jeudi 21 mai 2020

En suspens

Le déconfinement est achevé, j’ai l’impression, la vie a repris son cours. Hier soir, nous étions chez des amis, une soirée d’été, autour d’un feu, une belle soirée à rire, à chanter, à se raconter le confinement, le télétravail, les projets en suspens. Une soirée normale, même si on a failli se faire la bise dix fois, en arrivant, en repartant et que c’était difficile de ne pas céder à ce plaisir simple, à ce geste si naturel.

On aura peut-être un retour de bâton. En attendant, les projets sont en suspens et c’est cela qui nous rappelle que tout n’est pas absolument normal.

Pour la mairie, les travaux, les projets, l’urbanisme, toutes les belles idées de la campagne électorale sont comme gelés, confinés, pour l’instant. Ce qui signifie aussi que pour les entreprises, la reprise n’est pas encore là. Une chose est certaine, au moins, jusqu’au prochain aléa, le conseil municipal d’installation va enfin avoir lieu. Ce sera lundi prochain. De ce côté-là au moins, nous allons enfin pouvoir retrouver une certaine tranquillité.

Pour le collège, nous avons eu une réunion virtuelle hier, avec les collègues, pour préparer le retour en classe, début juin, progressivement. Ce sera frustrant, là aussi : nous n’aurons que quelques élèves présents physiquement, nous devrons les regrouper par niveau, nous ne retrouverons évidemment pas nos classes, nos élèves. Nous allons finir l’année de manière bâtarde, en laissant en suspens les séquences commencées virtuellement. Nous ne reverrons probablement pas une dernière fois tous les 3e que nous avons quittés précipitamment en mars et qui seront au lycée en septembre. Tout aura un goût d’inachevé. Nous avons tenté d’envisager la rentrée de septembre, aussi, mais là encore nous sommes dans l’incertitude la plus complète : les conditions sanitaires seront-elles encore les mêmes ? Devrons-nous maintenir des groupes de 15 élèves ? Faire des roulements, avoir des élèves en classe virtuelle et d’autres au collège ? Comment seront gérés les déplacements dans ce collège déjà trop petit en temps normal ? Et les toilettes ? Et les récrés ? Rien ne sera simple. Tout est flou.

Pour la vie, les vacances, la famille, c’est tout aussi frustrant : les réservations sont annulées pour certains. Les voyages, mêmes prévus de longue date ne pourront probablement pas se concrétiser. Je n’ai toujours pas vraiment pris la décision d’aller voir ma mère. J’ai toujours le sentiment d’être un risque pour elle. Me faire tester est une option. Avec le risque d’être positive et de contraindre les gens avec qui je vis et je travaille à une quarantaine.

Mais prenons les problèmes les uns après les autres. Si cette crise nous apprend à être un peu moins dans le contrôle et la planification, ce sera peut-être un bien pour notre santé mentale, non ? Alors ce midi, j’ai fait de la truite au four, avec du citron, du thym, de l’huile d’olive. Un beau filet de truite rose du Sundgau. Avec des tagliatelles, des tomates, des courgettes. On a mangé sur la terrasse, le temps est radieux.

Tout va bien.


mardi 19 mai 2020

Positive attitude

Est-ce que j’ai la négative attitude ? Je ne suis jamais vraiment positive, en vérité. On va tous mourir et le monde court à sa perte. Mais malgré tout, je cultive une certaine joie de vivre. Je sais voir la beauté des choses. J’adore les vanités, ces tableaux en vogue au XVIIe siècle. Une rose qui se fane, posée à côté d’un crâne, une plume, un encrier, une belle ambiance boisée d’un riche intérieur. La nature, l’art. J’aime la vie. J’aime les femmes, j’aime la beauté. Le vin et les mets raffinés. Cela suffit au bonheur. Mais peut-on être pour autant béat d’optimisme ? La tête de mort est toujours là et la rose se fane. En ce moment particulièrement, et tout au long de l’histoire, évidemment. Les hommes se foutent sur la gueule pour des motifs futiles, la société est un bordel joyeux de viols et de meurtres, de génocides, d’horreurs en tout genre. Nous vivons sans doute une des périodes les plus sereines de l’histoire, pourtant. Les plus prospères, les plus évoluées. Sérieusement. L’épidémie, c’est une chose que l’histoire a déjà vue. On s’en sortira, ce n’est qu’un aléa. Je sais que c’est un aléa malheureux, dramatique, pour beaucoup d’entre nous. Mais nous n’avons pas la guerre, la faim, nous n’avons pas les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Même si le système de santé est loin d’être parfait, nous n’avons pas les conditions sanitaires déplorables des Poilus pendant la Première Guerre Mondiale.

En réalité, nous vivons dans une société de l’abondance sans même nous en rendre compte. Nous nous plaignons toujours comme des enfants, alors que nous aurions tout pour être heureux, si seulement cette abondance était mieux partagée.

Pour ce qui est du monde tel que nous le connaissons, oui, il va devoir évoluer, il va devoir s’adapter. C’est toujours le cas. Après une guerre, le monde doit se reconstruire. La Seconde Guerre Mondiale a causé la destruction des villes sous les bombardements, une société divisée, le retour des prisonniers traumatisés à vie. Et il en est sorti la Sécurité Sociale. Un État plus protecteur, une société plus prospère et un (tout petit peu) plus juste. Rien ne s’est fait en un jour, pourtant. La reconstruction a duré des années. Il ne faut pas oublier qu’après la guerre il y a eu des tickets de rationnements plusieurs années encore, une lente reconstruction, des vies bouleversées, un exode rural massif…

Le changement le plus caractéristique, le plus “révolutionnaire”, quand on y pense, c’est l'agriculture, entre 1945 et nos jours. Nous sommes passés très vite (à l’échelle d’une vie humaine) d’une France rurale et paysanne à une France industrielle et tertiaire. 6 millions d’agriculteurs en 1940, moins de 500 000 aujourd’hui. Etait-ce une révolution qui allait dans le bon sens ? Je suis personnellement persuadée que non, parce que ce fut le début des intrants chimiques, la fin des haies, le labour qui détruit la terre, la fin de l’agriculture vivrière et locale et le début de l’agrochimie alimentaire de masse, en un mot de la malbouffe. Mais cela prouve une chose : on peut changer de modèle de société en une trentaine d’années. Si c’est possible pour le pire, ce devrait l’être pour le meilleur. 

Dans cette petite crise du corona virus, la France n’a pas vu ses infrastructures détruites, sa population décimée, et nous avons du ressort.

Si nous étions un peu malins, nous tenterions de réinventer une société plus en adéquation avec nos besoins réels. Peut-être sommes-nous allés trop loin dans cette société de consommation. Peut-être est-il temps de faire une sorte de diète collective. Nous ne serions pas moins heureux si nous allions en Ardèche en vacances plutôt qu’en Thaïlande. Plus facile à dire pour moi qui suis déjà allée en Thaïlande que pour ceux qui n’y sont encore jamais allés. C’est l’apprentissage d’une petite frustration. Et il y a tant de pays que je n’ai pas encore visités...Mais je peux y aller quand je veux avec Google Earth, finalement. Et puis le tourisme a ses limites. Que voyons-nous vraiment du monde dans nos courses folles ? Et le raisonnement doit être le même pour les technologies, les voitures qui se garent toutes seules, les téléphones qui font tout, sauf la vaisselle, mais cela ne saurait tarder...Ce qu’on prend, ce qu’on jette, c’est la question à se poser. Cela ne se fera pas en un seul jour. Il faudra du temps, de la volonté politique. Pour l’agriculture, après la guerre, il y a eu les traités européens, le Plan Marshall.

Pour nous, pour l’instant, c’est mal parti, parce que nous avons peur (et nous avons des dirigeants politiques qui ont peur). Parce qu’il est toujours plus confortable d’être conservateur : c’est-à-dire vouloir faire durer les choses telles que nous les avons toujours connues. C’est un réflexe humain, cette recherche du confort. Mais je suis une progressiste. Il faut aller de l’avant. Il faut proposer, inventer, créer des solutions nouvelles, pour que chacun puisse profiter du progrès pour vivre une vie confortable, sans nuire aux autres et à la planète. L’industrie était déjà en train d’évoluer, bien avant le COVID, le travail sera différent, la société doit donc trouver d’autres moyens pour avancer. Je crois à l’idée de revenu universel, je crois que chacun doit pouvoir trouver une place dans la société, la place qui est la sienne, la place de l’artiste, celle du créateur, celle de l’artisan, celle de l’intellectuel, celle de celui qui veut être utile aux autres, l’agriculteur, l’ouvrier, le “soignant”, l’aidant... grâce à l’assurance de pouvoir se nourrir, se loger, se soigner sans souci. Cela ressemblait à une utopie (toujours un peu, non ?), il y a à peine trois ans encore, lorsque Benoît Hamon a présenté cela dans son programme. Je crois qu’aujourd’hui, on devrait pouvoir reconsidérer la question. Sérieusement, à l’aune de cette période que nous venons de vivre. Durant le confinement, des artistes ont joué des concerts gratuitement, pourquoi ne seraient-ils par rémunérés par un revenu universel ? On a redécouvert toute l’utilité des éboueurs, des caissières, des agents d’entretien des villes et des entreprises, des professeurs, des personnels soignants, des aides à la personne de tout poil, des agents des services publics en général, des agents d’EDF qui ont continué de produire de l’électricité pour que les gens puissent continuer de vivre dans le même confort… Et j’en passe. Tout le monde a son utilité. Tout le monde devrait pouvoir s’assurer le minimum vital pour le rôle qu’il joue dans la société. Même si certains ne peuvent pas, alors, c’est la solidarité de la société entière qui doit prendre le relais, dans une société qui ne donne plus vraiment de place aux plus fragiles, aux plus vieux, aux plus malades, aux plus handicapés, aux moins chanceux à la roulette de l’intelligence ou des capacités physiques.

Et l’agriculture, dans tout ça...pourquoi y a-t-il aujourd’hui moins de 500 000 paysans pour nourrir 70 millions de Français ? C’est une aberration...vous ne trouvez pas ? On mérite de la qualité, des produits locaux, des exploitations de plus petite taille qui vivent vraiment de leur travail et respectueuses de l’environnement...

Utopie ?


lundi 18 mai 2020

Où il est question de ma boulangère, de Bioman et de dématérialisation

Au fait, je n’ai toujours pas de fièvre.

La boulangère me disait tout à l’heure que le matin, il y avait un peu plus de monde, mais que l’après-midi était encore un peu mou. Que les gens avaient gardé l’habitude de sortir moins et de faire des stocks plus importants.

Les usines n’ont pas encore repris. Les écoles ont repris en mode tout doux. Quand les élèves se rendent compte qu’ils ne sont pas avec beaucoup de copains et que ce n’est pas leur maître habituel, ils ne veulent plus y retourner. Et pas sûre que ce soit bien marrant, pour des enfants, de “respecter les gestes barrières et la distanciation physique”. Ces expressions...Je m'imagine toujours en train de prendre des poses à la Bioman, quand je les entends.



Les gens continuent de faire des stocks et leur pain à la maison. Je crois que beaucoup pensent qu’on sera reconfinés. Encore un mot nouveau. Après le déconfinement, le reconfinement. Les correcteurs orthographiques s’arrachent les cheveux.

On apprend à l’instant que la Chine va reconfiner 108 millions de personnes, après l’apparition de 34 nouveaux cas de COVID-19 dans le Nord-Est du pays. Cela me paraît complètement disproportionné, mais je ne suis pas infectiologue et encore moins Chinoise. Hier, en France, on a compté 483 morts de cette maladie. On a passé les 28 000 morts.

Le bilan repart à la hausse, mais il faut aussi que l’économie reparte à la hausse. Le commerce souffre, même des enseignes nationales comme André ou Alinéa. On peut se demander si la crise n’a pas bon dos, mais il est incontestable que ça n’arrange pas les choses. Au niveau local, la boulangère n’a jamais arrêté de travailler, mais elle a divisé par deux le nombre de clients. Qui peut-être achetaient le double...Mais beaucoup ont complètement fermé boutique. On dit beaucoup que les coiffeurs vont se faire des ciseaux en or, mais une fois les cheveux coupés, ils ne repousseront pas plus vite ensuite, ce qui veut dire qu’après une grosse semaine qui ne compensera pas 2 mois sans recette, le rythme classique va reprendre. Beaucoup ont encore des réticences à aller essayer des vêtements, beaucoup se demandent comment aller dans les grandes surfaces en toute sécurité. C’est encore les commerçants en ligne qui vont continuer de s’en mettre plein les poches. Et c’est peut-être là le vrai changement de société. On va continuer de tout dématérialiser : les achats, les réunions, le boulot, les apéros, les rapports humains.

 Est-ce un mal, un bien ? On verra bien...

dimanche 17 mai 2020

Je ne veux plus parler des masques

Nous avons marché un peu, sur la véloroute et dans les bois. La nature est belle. La pluie de ces derniers jours a fait pousser l’herbe et nous nous croirions presque en été : les grillons chantent, les trèfles sont fleuris, les lilas et les pivoines ont achevé leur courte saison et laissent déjà place aux glaïeuls dans les jardins. Il a foutu le camp, le temps du lilas, le temps de la rose offerte…

Nous avons croisé beaucoup de promeneurs, beaucoup de vélocyclistes, de familles en goguette. Pas plus, pas moins qu’un mois de mai ordinaire. Personne avec un masque.

Je ne veux plus parler des masques.

Le sujet est tellement sensible que dans le XVIIIe arrondissement de Paris, une distribution gratuite a dû se faire avec un encadrement de soldats en armes. Je comprends bien cela, parce que même à Audincourt, les gens sont tendus comme des strings sur le sujet. On a l’impression de distribuer des billets de 500 € tant les gens sont prêts à tout pour en obtenir. En plus, certains ont l’impression que c’est un dû. Sans doute parce que Macron a dit que les villes allaient en distribuer. C’est nullement une obligation pour les collectivités, cependant. Nous n’avons pas eu de subvention pour cela et c’était une belle galère pour trouver des masques dignes d’être distribués. Comme quand le monde entier veut la même chose en même temps. Et ne parlons pas des arnaques, des vols, des grèves des transporteurs. Les couacs se multiplient. Ici, ce sont des masques trop petits, là ce sont de vieux torchons ou des sortes de couches (oui, je sais, il paraît que ce sont ceux-là les plus performants), là-bas, c’est un masque FFP1 qui peut donc servir 4h et doit être jeté. Bref, quoi qu’on fasse, les mécontents sont légions. On aurait pu faire le choix de n’en donner qu’aux plus démunis, on a fait le choix d’en distribuer deux par foyer. Ce choix est contesté. On a choisi de les distribuer en boîte à lettres, certains découvrent que les facteurs ont bien du mérite pour trouver toutes toutes les boîtes. D’autres villes ont mis en place un système de drive. Difficile de contrôler ceux qui sont venus plusieurs fois et comment s’assurer que ceux qui n’ont pas de voiture en ont eu un ?

Bref, c’est un casse-tête, pour un bout de tissu. Ceux qui râlent le plus sont peut-être ceux qui ont de quoi se payer un masque tout seul. Mais c’est le lot des élus que de faire face aux “haters” de tout poil. Ceux qui croient savoir. Ceux qui pensent que tout est un immense complot contre leur petite personne. Ceux qui pense que tout leur est dû parce qu’ils payent des impôts. Ceux qui pensent qu’on sert en premier ceux qui ont voté pour nous, parce qu’on sait exactement qui a voté pour nous dans une ville de 15 000 habitants…

Tout cela n’a pas d’importance et sera vite oublié.

Aujourd’hui, c’est aussi la journée de lutte contre l’homophobie et contre la transphobie. C’est plus important que cette histoire de masques. Dans le monde entier, il y a encore 70 pays qui pénalisent l’homosexualité, parfois jusqu’à la peine de mort. En France, on risque les agressions, les insultes et la violence intra-familiale. Durant le confinement, ce fut pour certains un enfer que d’être enfermés avec leurs bourreaux. L’association le Refuge fait un travail colossal pour permettre aux jeunes victimes de s’extraire d’un milieu familial hostile. Pour avoir moi-même vécu un coming-out difficile, je sais combien cela laisse des traces pour la vie. Le rapport au corps, au désir, à l’autre, la crainte qui est toujours là, le manque de confiance en soi. Et parfois, ce sont les coups, les humiliations, la violence physique qui s’ajoutent à la violence psychologique. Simplement parce qu’on veut être soi-même et qu’on n’a pas le choix. La lutte contre l’homophobie commence en chacun de nous, au plus intime. C’est tout d’abord poser la question de la norme et surtout la capacité d’interroger ses propres désirs.

Qui, parmi vous, a décidé de quoi que ce soit par rapport à ses désirs et à ses sentiments ?

Bonne soirée !

samedi 16 mai 2020

Fashion victime ou pas ?

Je me souviens que lors de mon oral de stage, en 3e, j’avais 15 ans, que le temps passe, nous devions nous présenter en quelques mots, dire ce que nous voulions faire dans la vie, un peu comme pour un entretien d’embauche, présenter nos principaux traits de caractère.

J’avais fait mon stage à la poste et dans les petits matins froids, il m’était apparu que l’on se gelait bien les doigts pour distribuer des lettres qui souvent causaient de la déception lors de leur réception. Je n’avais pas vraiment caressé le rêve d’être postière, mais je l’abandonnais tout à fait à l’issue de cette période d’essai d’une semaine.

Lors de mon oral, donc, j’avais dû expliquer pourquoi ce stage ne n’avait pas ouvert les perspectives attendues. J’avais dit, notamment que j’étais casanière. Et que je voulais être professeur d’histoire. La professeur d’histoire géographie qui présidait le jury avait failli s’étouffer. Je ne sais pas encore vraiment pourquoi, aujourd’hui. Mais elle m’avait demandé si je savais ce que voulait dire “casanière” et je lui avais répondu que j’aimais rester chez moi, pour lire, pour écouter de la musique, pour écrire, pour travailler. Elle était peut-être surprise que je connaisse le sens de ce mot de vocabulaire, à 15 ans. Et avec le recul, je suis étonnée avec elle, puisqu’aucun de mes 3e n’en connaît le sens, je pourrais le parier. Mais elle était peut-être surprise parce que je voulais être professeur d’histoire géographie sans sortir de chez moi. Depuis, je suis devenue professeur de lettres, et j'ai vu un peu autre chose que les murs de ma chambrette d'adolescente.

Mais alors que le confinement est terminé et que je pourrais aller comme bon me semble acheter des jeans ou des chaussures, je reste sur mon canapé à écrire des sornettes. Il y a sans doute une part de ma nature profonde, qui aime son canapé à en mourir - les muscles atrophiés, le coeur confit dans sa graisse. Mais il y a aussi cette petite crainte de retourner dans le monde, au contact des vivants, dans les magasins pour toucher potentiellement des articles que d’autres auront tripotés, pour risquer de tomber nez à nez avec la grande faucheuse dans les plis d’une robe dont je n’ai pas besoin, dans une cabine d’essayage mal désinfectée. Bref, d’être une fashion victime, mais au sens propre.

Et vous, vous avez franchi le pas ?

vendredi 15 mai 2020

Saints de glace et autres préoccupations météorologiques

Les saints de glace semblent avoir pris leurs aises, toute la semaine a été traversée d’une bise glaciale qui a rafraîchi les ardeurs des déconfinés. Elle était programmée, sans doute, cette petite froidure qui vous glace les doigts et qui fait durcir le bout des seins. De glace.

Le soleil reviendra ce week-end et avec lui, des températures plus agréables. Fin du point météo. 

Quand on parle de météo, c’est quand on n’a pas grand chose à dire. C’est tellement 2019, ce genre de conversation d’ascenseur. “- Bonjour Madame Machin, il fait frisquet, ce matin. - Oui, ça ira mieux demain, qu’ils ont dit à la télé…” Et bonne journée.

Tellement anté COVID-19. Aujourd’hui, on ne prend plus l’ascenseur, dans la mesure du possible, pour ne pas provoquer une promiscuité fortuite, et dans l’escalier, quand on se croise, on se fait des politesses gênées à n’en plus finir pour savoir qui passera devant, tout en réajustant son masque pour ne pas postillonner sur son contemporain. La vie est devenue un peu plus compliquée.

Toujours est-il que ce soir, je suis tellement épuisée que je n’ai pas grand chose à raconter. Je peux pourtant vous dire que j’ai eu une belle journée : le marché du développement durable qu’on a tenu à organiser malgré la crise sanitaire s’est bien passé. C’était pour lutter contre la morosité, pour mettre des fleurs, du miel et du vin dans le quotidien des habitants, c’était pour mettre un peu d’oseille dans les caisses des exposants et pour qu’ils puissent écouler leurs productions. Il y a eu du monde et des sourires dans les yeux. De la chaleur, malgré le froid.

Et j’ai vu du monde. Cela est suffisant au bonheur, malgré les masques qui les barrent, de voir des visages aimables. Pourtant, j’ai eu un confinement tout relatif, puisque j’ai vu du monde et du beau monde chaque jour. Mais revoir des amis après deux mois et demi d’absence, c’est simple et c’est bon. Pourvu que l’on s’en souvienne quand on sera à nouveau blasés de tout.

jeudi 14 mai 2020

Reprise

Sans conteste, il est une chose qui a repris, c’est le rythme effréné, les bouchons dans la rue aux heures de pointe, les klaxons. Les ambulances hurlantes. Le bruit, la vie.

Nous sommes déjà jeudi, je n’ai pas vu le temps passer, j’ai eu une semaine comme avant. Cours, mairie, famille, soucis...Tout s’est enchaîné avec un sommeil chaotique et des milliers de choses à faire en même temps. Trois heures par jour sur l’iPhone et près de huit heures par jour sur l’ordinateur. Mon Dieu ! Mes yeux !

J’ai passé du temps avec mes élèves : sur tous les réseaux, pour essayer de leur parler, juste pour avoir un contact. Certains sont complètement perdus. En début de semaine dernière, nous reprenions après deux semaines de vacances. Une petite que je capte essentiellement sur WhatsApp m’interpelle pour me demander s’il faut revenir au collège. Ses parents étaient inquiets et ne savaient pas quoi faire. Ils n’avaient donc même pas regardé un peu les infos pour savoir ce qui se passaient et ne se doutaient pas que s’il avait fallu reprendre, le collège les en aurait avertis.

Depuis je suis rassurée : elle est chez sa grand-mère, qui l’aide à travailler, qui la prépare pour la 5e. 

Aujourd’hui, un autre sur WhatsApp aussi m’explique que c’est le portable de son père et qu’il vaudrait mieux pour lui que je lui envoie les devoirs sur SnapChat. Je vais sur cette appli pourrie (il faut dire ce qui est, c’est pourri, SnapChat). Et là, l’élève me dit je vous envoie mon travail par SnapChat. J’ai à peine le temps de voir la photo d’un cahier ouvert prise de loin, que le truc s’efface (c’est le principe de SnapChat) En fait, le gamin a essayé de m’entuber, c’est clair ! Mais il ne s’en tirera pas comme ça.

Ensuite, il y a Discord. C’est le logiciel de gamers qui s’adapte le mieux à ce que nous pouvons faire : classe audio, serveurs qu'on peut organiser en différents salons, messagerie privée, ouverte ou pas à tous... C’est performant. Est-ce fiable ? On ne sait pas, mais c’est mieux que tout ce qu’on peut avoir ailleurs. Et surtout c’est là qu’on capte le mieux les classes entières, où l’on a instauré un mode de fonctionnement depuis 7 semaines.

Et puis on a eu un mail de l’éducation nationale, 6 semaines (sans compter les vacances) après le début du confinement, qui nous a gentiment proposé une application joliment nommée BlaBlaClasse (l'uberisation de notre société passe aussi par l’éducation nationale). C’est un service de chat (so 1998) peu convivial (moche, pour tout dire) et complexe, avec un règlement à approuver qui te passe l’envie immédiatement de chercher à t’en servir.

Dans la lettre de présentation de ce service de chat, on nous écrit qu’il est interdit de se servir de Discord. Noir sur blanc. Nous sommes des bons élèves, en général, dans l’éducation nationale. Cependant, quand une administration met 6 semaines (sans compter les vacances) pour trouver un substitut pas performant à une appli qui a été prise en main par le plus grand nombre, on ne peut pas suivre.

En fait, depuis le début de la crise, la #NationApprenante et ses enseignants ont dû tout inventer dans l’urgence. En une semaine, on a créé des solutions, avec ce qu’on pouvait. Avec nos ordinateurs personnels, avec nos connexions, avec nos abonnements 4G ou wifi, avec nos imprimantes...On a l’habitude, puisqu’on fait partie de cette grande maison où l’on pique du matériel chez nous pour l’apporter au boulot, à longueur de temps : même des stylos, notre employeur est infoutu de nous en fournir, même du papier, même des ordinateurs. Ah ! Si, dans la salle des profs, il y a 6 ordinateurs pour 70 profs ! Ouf !

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il nous faudrait nous aussi une prime, une médaille, du matériel, des embauches, des locaux assez grands. Mais déjà que ce n’est pas gagné pour les soignants qui le méritent évidemment encore plus, alors pour nous, petits fonctionnaires (les moins bien payés d’Europe), toujours en vacances et aux fraises pendant le confinement, nous pouvons toujours rêver.


mercredi 13 mai 2020

Ce que masquent les masques

Il pleut sur la ville comme il pleure sur mon coeur, comme disait à peu près Verlaine.

Encore Verlaine, cela fait au moins trois fois que je le cite depuis le début du confinement, non ? C’est approprié, sans doute, cette douce mélancolie.

J’ai eu ma mère au téléphone, trois minutes en deux jours, même pas. Depuis le déconfinement, c’est la liberté : véto, Darty, garage...Elle n'arrête plus de sortir, malgré nos récriminations. J’aurais bien du mal à lui en vouloir mais ce n’est évidemment pas prudent (elle a les poumons fragiles). J’ai eu le temps de lui crier dans le téléphone (ma mère a de sérieux problèmes d’audition) “Sois prudente” et “Mets un masque”.

Pas sûre qu’elle m’ait entendue, et de toute façon, à quoi bon, elle n’en fait qu’à sa tête. Comme la plupart des gens, d’ailleurs. Le masque est le must have, le It-accessoire de la saison printemps-été 2020, pourvu qu’il soit assorti à vos escarpins, mais de là à le mettre correctement, à ne pas l’enlever quand on tousse, parce que bon sang, on s’étouffe dans ses miasmes, ce n’est guère commode…

Moi la première...Je ne sais pas vous ? Sibeth avait raison. En plus, on est toujours en train de réajuster le bout de tissu avec ses doigts. Bref. C’est joli, mais ce n’est pas pratique.

Joli, si, si ! Moi qui ai un grand nez, je dois dire que ça m'arrange bien. Sans compter qu’on peut négliger un peu l’épilation de la moustache. D’autant qu’on ne s’admire désormais plus que de loin. A la fin de tout cela, ce sera le retour des moches. Mais si l’on soigne un peu le maquillage des yeux, c’est notre moment, c’est notre créneau : le masque masque bien les petites imperfections qui nous gâchent la vie d’ordinaire !  Mais c’est la mort des marchands de rouge à lèvres. Encore des victimes collatérales.

"Votre âme est un paysage choisi 
Que vont charmant masques et bergamasques 
Jouant du luth et dansant et quasi 
 Tristes sous leurs déguisements fantasques." 

Diantre, encore du Verlaine !

Belle soirée !

mardi 12 mai 2020

Sombre printemps



Hier soir, soudain, il m'est apparu qu'il y avait de belles correspondances entre la Sicilienne de Gabriel Fauré et la magnifique chanson d'Emily Loizeau Sombre printemps. 

En concert, je me souviens qu'Emily Loizeau avait expliqué que le texte de cette chanson était inspiré des lettres écrites par son grand-père à sa grand-mère, alors qu'ils étaient séparés par la guerre.

"Cela me prendrait toute une lettre pour te conter les jeux du soleil sur la Crête avant l'été..."





lundi 11 mai 2020

Alors, ce jour d'après ?

Est-ce comme un jour d'avant ? Avant quoi ? Avant le gel hydroalcoolique, avant les masques, avant les fucking gestes barrières, avant le plexi dans les bureaux, avant la boulangère avec un casque de jardinage ? Non, ce n'est pas du tout comme le jour d'avant le COVID. Peut-être bien que nous ne retrouverons jamais le monde d'avant.

Je suis trop jeune pour mourir socialement. Je n'ai pas assez vécu pour me passer à jamais de contacts humains. Je veux encore tripoter de la chair tendre, je veux encore caresser de la peau douce, je veux encore frissonner en frôlant la main d'une inconnue dans un bus (je dis n'importe quoi, je ne prends jamais le bus), je veux encore me trémousser collés-serrés sur des pistes de danses bondées, je veux encore du contact, du câlin, du bisou baveux.

Je veux encore du vrai contact humain. Comment faire cours en audio, avec des élèves qui peinent à se connecter ? Comment savoir s'ils ont compris, sans voir leurs yeux ? Et même en visio : leurs yeux ne rencontrent pas les miens, les réactions sont désynchronisées, les gestes sont saccadés à cause de la wifi chancelante et les réactions des enfants sont incontrôlables. Une élève m'a dit tout à l'heure, "Oui madame, ça fait du bruit, vous êtes dans ma trousse." J'étais dans sa trousse, elle était dans mon salon. Je n'avais pas du tout envie qu'elle soit dans mon salon, je suis trop vieille pour que les élèves envahissent mon salon.

Je suis trop vieille pour ces contacts de robots déshumanisés, je suis trop vieille pour vivre dans un film de science-fiction.

Si l'on ne retrouve jamais le jour d'avant, il va pourtant falloir que ma mère se mette à WhatsApp et je ne la reverrai plus qu'ainsi, tout comme mon petit neveu, que je verrai faire ses premiers pas, sa première rentrée à l'école à la maison, son premier anniversaire avec des copains par écrans interposés.

Je suis trop jeune et trop vieille pour ce monde d'après le COVID, si c'est pour toujours. Alors il serait temps que le monde médical fasse preuve d'un peu de talent pour terrasser cette petite bête, qu'on puisse recommencer à se rouler des pelles et qu'on abandonne à tout jamais WhatsApp, Skype, Zoom, Teams, GoToMeeting, Meet.jit.si, Messenger et toutes ces autres saloperies dévoreuses de vie privée.

Il y a tout de même des choses qui sont redevenues comme avant : j'ai failli me faire écraser par des voitures à chaque passage piéton, les coiffeurs vont bien dormir ce soir et il pleut. Mais il pleut vraiment, pas seulement trois petites gouttes. Et c'est la seule vraie bonne nouvelle de la journée.