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dimanche 24 mai 2020

Ces chansons du bon vieux temps

Êtes-vous partis, vous, pour ce long week-end de l'Ascension ? On rêve d'Italie, on rêve d'un petit voyage à l'impromptu, un voyage sur le pouce, trois jours de rêve pour se faire des souvenirs à n'en plus finir...

"Viens, fais tes bagages.
On part en voyage.
J'te donne rendez-vous
A la gare de Lyon,
Sous la grand horloge,
Près du portillon.
Nous prendrons le train
Pour Capri la belle,
Pour Capri la belle,
Avant la saison."


J'espère qu'il reviendra le temps des escapades, des départs au petit matin, pour un ailleurs qui fait du bien, pour un petit hôtel et pour les flâneries dans les villages touristiques, pour les bords de Saône, pour les bords de mer, pour les villes médiévales et les vignobles et les caves de dégustations...

"On partira de nuit, l’heure où l’on doute
Que demain revienne encore
Loin des villes soumises, on suivra l’autoroute
Ensuite on perdra tous les nords"


Les petits moments piqués en fraude, la route qui fait partie de l'aventure, les longues discussions amoureuses et les restos romantiques, dans des lieux que l'on découvre, rien qu'à deux, anonymes, et où l'on ne rencontre des gens que l'on connaît que par hasard...

"Week-end à Rome 
Afin de coincer la bulle dans ta bulle 
D'poser mon cœur bancal dans ton bocal"




samedi 23 mai 2020

Samedi 23 mai : rien.

(Pour le titre, référence à Louis XVI qui aurait écrit dans son journal, le 14 juillet 1789 "Rien". Aujourd'hui, "rien" pour la chloroquine, qui ne marche pas, finalement, paraît-il. Cela ne soignerait que les biens portants, à condition qu'ils ne meurent pas des effets secondaires.)

Un peu de fatigue, une soirée bien arrosée avec des gens biens, un moment de décompression. Une réunion ce matin, la préparation d’un conseil municipal qui aurait dû se tenir il y a deux mois. Un film, un très beau film. De la musique, beaucoup de musique.

Je suis tellement fatiguée, comme miaulent les Beatles. I’m so tiiiiired…



Comme dans la chanson, voilà des semaines que mon cerveau ne s’arrête pas.

Sept mails reçus de mes collègues, il faut penser à la reprise. Je n’en ai pas l’énergie aujourd’hui, mais l’objectif est là, obsédant, il faudra bien que je m’y mette. C’est une petite inquiétude qui va m’empêcher, encore de dormir.

Une inquiétude de moins, le conseil municipal d'installation qui va enfin se tenir lundi soir ? Pas vraiment, car ensuite les choses vont s’enchaîner. Mais nous entrerons dans une phase de perspectives et de projets, ce qui sera plus intéressant, au moins que cette gestion de crise - qui sera là quand même - qui n’en finit pas.

Passons aux doux moments de cette journée pluvieuse : la grisaille, la fraîcheur et la pluie nous donnent l’occasion de rester sans regret dans nos pénates. Alors nous avons regardé le film très sensible de Céline Sciamma, Le Portrait de la jeune fille en feu. C’est délicat, c’est esthétique, c’est romantique. C’est beau. Les actrices sont belles et bien filmées. Les paysages, les lumières et les ambiances sont magnifiques. Les références picturales, la manière de parler des femmes, de la condition des femmes, au XVIIIe siècle, l’amour, la rencontre entre deux âmes, entre deux corps, tout est parfaitement et subtilement raconté.

 De la musique. La douce voix de Damien Rice…



Bonne soirée

vendredi 22 mai 2020

Vol au-dessus d'un nid de confiné

Confinement, a-t-on dit. Confinement strict a-t-il compris. La veille du jour fatidique, il a fait partie de ceux qui firent des stocks. Il a compris quarantaine, il a compté quarante jours et il a pris plus : plus de papier toilette, plus de boîtes de conserve, de la viande congelée, des pâtes, de toutes les formes, de toutes les couleurs, du riz, 10 kilos de pommes de terre, 5 de carottes, autant de farine, 5 douzaines d’oeufs, 3 kilos de sucre, du café, beaucoup de café. Et de la bière, de la bière, de la bière. Il a fait trois allers-retours le coffre plein. Il a stocké tout ça dans son trois pièces. Des boîtes partout, jusque dans la salle de bains.

Et il a décidé de ne plus sortir du tout. Au début, il avait pris l’habitude de laisser BFM TV en permanence, en bruit de fond, histoire de se tenir informé. Mais très vite, il a trouvé cela angoissant. Il a alors passé ses journées à zapper d’un épisode de Colombo à une rediffusion de Louis de Funès. Le temps ne lui sembla pas si long. Il était tranquille, il somnolait les trois quarts du temps, il ne bougeait que pour aller à la cuisine, s’ouvrir une boîte, faire un petit frichti, manger frugalement sur un coin de table...Très vite la vaisselle s’était empilée dans l’évier. Il a donc décidé de remédier à cela en mangeant directement dans la casserole.

Il a perdu la notion du temps. Il n'aurait pas su dire quand. Mais le jour et la nuit se sont soudain enchaînés sans que cela ait désormais la moindre importance. Seul le retour régulier de la batterie déchargée de son téléphone semblait rythmer sa vie. Il faut dire qu’il jouait beaucoup, à Candy Crush, à Pet machin, à Farm truc. Il alternait les parties et puis ces applications avaient offert du temps de jeu, spécialement pour le confinement. Il pouvait y passer des heures sans même s’en rendre compte. Il finit par trouver une rallonge et laissa son portable branché en permanence.

Rapidement, il ne prit plus la peine de se laver et de s’habiller. Depuis combien de temps portait-il le même caleçon ? Cela n’avait aucune importance : personne d’autre que lui pouvait être gêné par l’odeur ou la couleur suspecte. Il dormait autant qu’il le pouvait, ne se levait que quand son estomac ou sa vessie se rappelait à lui. Il lui semblait que depuis l’adolescence, il n’avait jamais été aussi heureux. Une fois ou deux, sa fille, la quarantaine et qui habitait à l’autre bout de la France, l’appela. Elle s’inquiétait, elle semblait nerveuse. Il ne comprit pas vraiment pourquoi : il la rassura. Je vais bien, j’ai tout ce qu’il faut.

Il perdait pied, mais il ne s’en rendait pas compte.

Plus rien de rationnel dans son comportement : plus d’horaire, ni pour dormir, ni pour manger. Plus de petit-déjeuner, plus de déjeuner, plus de dîner. Non, juste des boîtes de raviolis entamées, juste des pommes de terre sautées à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Il mangeait selon ses lubies du moment : il passa une semaine à ne faire que du riz, si bien que ses intestins se détraquèrent, eux aussi, tout à fait.

Un mois passa. Le soir, parfois, désormais, à 20h, il était alerté par les applaudissements aux balcons et aux fenêtres. Alors, une fois de temps en temps, quand il ne dormait pas, quand il n’était pas complètement abruti par une partie interminable de Tetris ou de Solitaire, quand il n’était pas absorbé par les circonvolutions verbales d’un inspecteur à imperméable crado, il sortait la tête à la fenêtre pour voir les gens. Il était ravi par ces acclamations. Le premier soir, timidement, il s’autorisa quelques clap clap. Il ne se fit pas remarquer et referma bien vite la fenêtre. Puis il s’enhardit. Il cria des bravos, des hourras, des youyous. Il était enthousiaste et cela le défoulait de ses longues journées sur son canapé. Il n’avait pas fait usage de sa voix depuis des semaines, il faut se rendre compte ! Et soudain, il criait à la fenêtre, chaque soir, pendant 5 bonnes minutes. Il se mit carrément à attendre avec impatience ces moments-là. Pour ne pas les manquer, il installa une alarme sur son téléphone. Il se mit à chercher des moyens de faire plus de bruit, pour se faire remarquer, parmi ses voisins. Une gamelle, une cuillère en bois. L’ampli de sa chaîne hi-fi, pour diffuser une chanson. Un matin, il se leva avec la ferme intention de vérifier l’état de sa vieille guitare électrique pour tenter un petit solo au balcon. Le soir même, il tentait une sorte de grincement sinistre. Cela ne donna rien de très mélodique. Cela fit du bruit. Les voisins exultèrent. Il rentra heureux au bout d’un bon quart d’heure d’applaudissements.

C’est à ce moment-là que tout bascula. Il se mit à penser, du soir au matin et tout le jour que les applaudissements de 20h étaient pour lui. Que les gens l’attendaient. Il régla alors l’alarme de son téléphone une minute plus tôt pour sortir, pour se préparer. Il sortait sur le balcon dans des accoutrements improbables. La journée lui servait à trouver de vieux chapeaux à les agrémenter de ce qu’il trouvait, du papier d’alu, des couvercles ou des fourchettes. Il dégota un boubou dans le fond de son armoire, des guirlandes de Noël, des fleurs en plastique...Il passait son temps à confectionner ces costumes ridicules, il était persuadé d’être David Bowie, Elton John, Lady Gaga. Son public l’attendait, chaque soir, au balcon. Il fallait qu’il soit à la hauteur. Il fit alors des vocalises une demi-heure avant pour échauffer sa voix. A court d’idée, un matin, il se mit en tête d’apprendre une chorégraphie. Le soir, les gens riaient, criaient, applaudissaient à tout rompre. Et il saluait, il faisait de grands signes. Il était Johnny au stade de France.

Puis vint la fin du confinement. Les cloches ne sonnèrent plus à 20h. Les gens ayant repris le cours de leur vie, oublièrent subitement ce moment convivial. C'était le soir d'après et il n’avait pas réalisé. Il avait pourtant fait fort : il était en caleçon, un joli caleçon rose avec de gros coeurs rouges, un caleçon qu’on lui avait offert pour son départ en retraite, une blague de ses collègues, un accessoire de farces et attrapes, qu’il n’avait même jamais sorti de son emballage, jusqu’à ce soir. Et il était là, seul à son balcon, avec ses kilos en trop, avec son ventre de buveur de bière et avec son caleçon rose. La blague, ce qui était pour lui le clou du spectacle, c’était son masque. Il était en caleçon et en masque.

Mais personne n’était là pour le regarder. Décontenancé, démuni, soudain se sentant plus nu qu’un enfant à sa naissance, ridicule, il se jeta de son balcon.

jeudi 21 mai 2020

En suspens

Le déconfinement est achevé, j’ai l’impression, la vie a repris son cours. Hier soir, nous étions chez des amis, une soirée d’été, autour d’un feu, une belle soirée à rire, à chanter, à se raconter le confinement, le télétravail, les projets en suspens. Une soirée normale, même si on a failli se faire la bise dix fois, en arrivant, en repartant et que c’était difficile de ne pas céder à ce plaisir simple, à ce geste si naturel.

On aura peut-être un retour de bâton. En attendant, les projets sont en suspens et c’est cela qui nous rappelle que tout n’est pas absolument normal.

Pour la mairie, les travaux, les projets, l’urbanisme, toutes les belles idées de la campagne électorale sont comme gelés, confinés, pour l’instant. Ce qui signifie aussi que pour les entreprises, la reprise n’est pas encore là. Une chose est certaine, au moins, jusqu’au prochain aléa, le conseil municipal d’installation va enfin avoir lieu. Ce sera lundi prochain. De ce côté-là au moins, nous allons enfin pouvoir retrouver une certaine tranquillité.

Pour le collège, nous avons eu une réunion virtuelle hier, avec les collègues, pour préparer le retour en classe, début juin, progressivement. Ce sera frustrant, là aussi : nous n’aurons que quelques élèves présents physiquement, nous devrons les regrouper par niveau, nous ne retrouverons évidemment pas nos classes, nos élèves. Nous allons finir l’année de manière bâtarde, en laissant en suspens les séquences commencées virtuellement. Nous ne reverrons probablement pas une dernière fois tous les 3e que nous avons quittés précipitamment en mars et qui seront au lycée en septembre. Tout aura un goût d’inachevé. Nous avons tenté d’envisager la rentrée de septembre, aussi, mais là encore nous sommes dans l’incertitude la plus complète : les conditions sanitaires seront-elles encore les mêmes ? Devrons-nous maintenir des groupes de 15 élèves ? Faire des roulements, avoir des élèves en classe virtuelle et d’autres au collège ? Comment seront gérés les déplacements dans ce collège déjà trop petit en temps normal ? Et les toilettes ? Et les récrés ? Rien ne sera simple. Tout est flou.

Pour la vie, les vacances, la famille, c’est tout aussi frustrant : les réservations sont annulées pour certains. Les voyages, mêmes prévus de longue date ne pourront probablement pas se concrétiser. Je n’ai toujours pas vraiment pris la décision d’aller voir ma mère. J’ai toujours le sentiment d’être un risque pour elle. Me faire tester est une option. Avec le risque d’être positive et de contraindre les gens avec qui je vis et je travaille à une quarantaine.

Mais prenons les problèmes les uns après les autres. Si cette crise nous apprend à être un peu moins dans le contrôle et la planification, ce sera peut-être un bien pour notre santé mentale, non ? Alors ce midi, j’ai fait de la truite au four, avec du citron, du thym, de l’huile d’olive. Un beau filet de truite rose du Sundgau. Avec des tagliatelles, des tomates, des courgettes. On a mangé sur la terrasse, le temps est radieux.

Tout va bien.


mardi 19 mai 2020

Positive attitude

Est-ce que j’ai la négative attitude ? Je ne suis jamais vraiment positive, en vérité. On va tous mourir et le monde court à sa perte. Mais malgré tout, je cultive une certaine joie de vivre. Je sais voir la beauté des choses. J’adore les vanités, ces tableaux en vogue au XVIIe siècle. Une rose qui se fane, posée à côté d’un crâne, une plume, un encrier, une belle ambiance boisée d’un riche intérieur. La nature, l’art. J’aime la vie. J’aime les femmes, j’aime la beauté. Le vin et les mets raffinés. Cela suffit au bonheur. Mais peut-on être pour autant béat d’optimisme ? La tête de mort est toujours là et la rose se fane. En ce moment particulièrement, et tout au long de l’histoire, évidemment. Les hommes se foutent sur la gueule pour des motifs futiles, la société est un bordel joyeux de viols et de meurtres, de génocides, d’horreurs en tout genre. Nous vivons sans doute une des périodes les plus sereines de l’histoire, pourtant. Les plus prospères, les plus évoluées. Sérieusement. L’épidémie, c’est une chose que l’histoire a déjà vue. On s’en sortira, ce n’est qu’un aléa. Je sais que c’est un aléa malheureux, dramatique, pour beaucoup d’entre nous. Mais nous n’avons pas la guerre, la faim, nous n’avons pas les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Même si le système de santé est loin d’être parfait, nous n’avons pas les conditions sanitaires déplorables des Poilus pendant la Première Guerre Mondiale.

En réalité, nous vivons dans une société de l’abondance sans même nous en rendre compte. Nous nous plaignons toujours comme des enfants, alors que nous aurions tout pour être heureux, si seulement cette abondance était mieux partagée.

Pour ce qui est du monde tel que nous le connaissons, oui, il va devoir évoluer, il va devoir s’adapter. C’est toujours le cas. Après une guerre, le monde doit se reconstruire. La Seconde Guerre Mondiale a causé la destruction des villes sous les bombardements, une société divisée, le retour des prisonniers traumatisés à vie. Et il en est sorti la Sécurité Sociale. Un État plus protecteur, une société plus prospère et un (tout petit peu) plus juste. Rien ne s’est fait en un jour, pourtant. La reconstruction a duré des années. Il ne faut pas oublier qu’après la guerre il y a eu des tickets de rationnements plusieurs années encore, une lente reconstruction, des vies bouleversées, un exode rural massif…

Le changement le plus caractéristique, le plus “révolutionnaire”, quand on y pense, c’est l'agriculture, entre 1945 et nos jours. Nous sommes passés très vite (à l’échelle d’une vie humaine) d’une France rurale et paysanne à une France industrielle et tertiaire. 6 millions d’agriculteurs en 1940, moins de 500 000 aujourd’hui. Etait-ce une révolution qui allait dans le bon sens ? Je suis personnellement persuadée que non, parce que ce fut le début des intrants chimiques, la fin des haies, le labour qui détruit la terre, la fin de l’agriculture vivrière et locale et le début de l’agrochimie alimentaire de masse, en un mot de la malbouffe. Mais cela prouve une chose : on peut changer de modèle de société en une trentaine d’années. Si c’est possible pour le pire, ce devrait l’être pour le meilleur. 

Dans cette petite crise du corona virus, la France n’a pas vu ses infrastructures détruites, sa population décimée, et nous avons du ressort.

Si nous étions un peu malins, nous tenterions de réinventer une société plus en adéquation avec nos besoins réels. Peut-être sommes-nous allés trop loin dans cette société de consommation. Peut-être est-il temps de faire une sorte de diète collective. Nous ne serions pas moins heureux si nous allions en Ardèche en vacances plutôt qu’en Thaïlande. Plus facile à dire pour moi qui suis déjà allée en Thaïlande que pour ceux qui n’y sont encore jamais allés. C’est l’apprentissage d’une petite frustration. Et il y a tant de pays que je n’ai pas encore visités...Mais je peux y aller quand je veux avec Google Earth, finalement. Et puis le tourisme a ses limites. Que voyons-nous vraiment du monde dans nos courses folles ? Et le raisonnement doit être le même pour les technologies, les voitures qui se garent toutes seules, les téléphones qui font tout, sauf la vaisselle, mais cela ne saurait tarder...Ce qu’on prend, ce qu’on jette, c’est la question à se poser. Cela ne se fera pas en un seul jour. Il faudra du temps, de la volonté politique. Pour l’agriculture, après la guerre, il y a eu les traités européens, le Plan Marshall.

Pour nous, pour l’instant, c’est mal parti, parce que nous avons peur (et nous avons des dirigeants politiques qui ont peur). Parce qu’il est toujours plus confortable d’être conservateur : c’est-à-dire vouloir faire durer les choses telles que nous les avons toujours connues. C’est un réflexe humain, cette recherche du confort. Mais je suis une progressiste. Il faut aller de l’avant. Il faut proposer, inventer, créer des solutions nouvelles, pour que chacun puisse profiter du progrès pour vivre une vie confortable, sans nuire aux autres et à la planète. L’industrie était déjà en train d’évoluer, bien avant le COVID, le travail sera différent, la société doit donc trouver d’autres moyens pour avancer. Je crois à l’idée de revenu universel, je crois que chacun doit pouvoir trouver une place dans la société, la place qui est la sienne, la place de l’artiste, celle du créateur, celle de l’artisan, celle de l’intellectuel, celle de celui qui veut être utile aux autres, l’agriculteur, l’ouvrier, le “soignant”, l’aidant... grâce à l’assurance de pouvoir se nourrir, se loger, se soigner sans souci. Cela ressemblait à une utopie (toujours un peu, non ?), il y a à peine trois ans encore, lorsque Benoît Hamon a présenté cela dans son programme. Je crois qu’aujourd’hui, on devrait pouvoir reconsidérer la question. Sérieusement, à l’aune de cette période que nous venons de vivre. Durant le confinement, des artistes ont joué des concerts gratuitement, pourquoi ne seraient-ils par rémunérés par un revenu universel ? On a redécouvert toute l’utilité des éboueurs, des caissières, des agents d’entretien des villes et des entreprises, des professeurs, des personnels soignants, des aides à la personne de tout poil, des agents des services publics en général, des agents d’EDF qui ont continué de produire de l’électricité pour que les gens puissent continuer de vivre dans le même confort… Et j’en passe. Tout le monde a son utilité. Tout le monde devrait pouvoir s’assurer le minimum vital pour le rôle qu’il joue dans la société. Même si certains ne peuvent pas, alors, c’est la solidarité de la société entière qui doit prendre le relais, dans une société qui ne donne plus vraiment de place aux plus fragiles, aux plus vieux, aux plus malades, aux plus handicapés, aux moins chanceux à la roulette de l’intelligence ou des capacités physiques.

Et l’agriculture, dans tout ça...pourquoi y a-t-il aujourd’hui moins de 500 000 paysans pour nourrir 70 millions de Français ? C’est une aberration...vous ne trouvez pas ? On mérite de la qualité, des produits locaux, des exploitations de plus petite taille qui vivent vraiment de leur travail et respectueuses de l’environnement...

Utopie ?


lundi 18 mai 2020

Où il est question de ma boulangère, de Bioman et de dématérialisation

Au fait, je n’ai toujours pas de fièvre.

La boulangère me disait tout à l’heure que le matin, il y avait un peu plus de monde, mais que l’après-midi était encore un peu mou. Que les gens avaient gardé l’habitude de sortir moins et de faire des stocks plus importants.

Les usines n’ont pas encore repris. Les écoles ont repris en mode tout doux. Quand les élèves se rendent compte qu’ils ne sont pas avec beaucoup de copains et que ce n’est pas leur maître habituel, ils ne veulent plus y retourner. Et pas sûre que ce soit bien marrant, pour des enfants, de “respecter les gestes barrières et la distanciation physique”. Ces expressions...Je m'imagine toujours en train de prendre des poses à la Bioman, quand je les entends.



Les gens continuent de faire des stocks et leur pain à la maison. Je crois que beaucoup pensent qu’on sera reconfinés. Encore un mot nouveau. Après le déconfinement, le reconfinement. Les correcteurs orthographiques s’arrachent les cheveux.

On apprend à l’instant que la Chine va reconfiner 108 millions de personnes, après l’apparition de 34 nouveaux cas de COVID-19 dans le Nord-Est du pays. Cela me paraît complètement disproportionné, mais je ne suis pas infectiologue et encore moins Chinoise. Hier, en France, on a compté 483 morts de cette maladie. On a passé les 28 000 morts.

Le bilan repart à la hausse, mais il faut aussi que l’économie reparte à la hausse. Le commerce souffre, même des enseignes nationales comme André ou Alinéa. On peut se demander si la crise n’a pas bon dos, mais il est incontestable que ça n’arrange pas les choses. Au niveau local, la boulangère n’a jamais arrêté de travailler, mais elle a divisé par deux le nombre de clients. Qui peut-être achetaient le double...Mais beaucoup ont complètement fermé boutique. On dit beaucoup que les coiffeurs vont se faire des ciseaux en or, mais une fois les cheveux coupés, ils ne repousseront pas plus vite ensuite, ce qui veut dire qu’après une grosse semaine qui ne compensera pas 2 mois sans recette, le rythme classique va reprendre. Beaucoup ont encore des réticences à aller essayer des vêtements, beaucoup se demandent comment aller dans les grandes surfaces en toute sécurité. C’est encore les commerçants en ligne qui vont continuer de s’en mettre plein les poches. Et c’est peut-être là le vrai changement de société. On va continuer de tout dématérialiser : les achats, les réunions, le boulot, les apéros, les rapports humains.

 Est-ce un mal, un bien ? On verra bien...

dimanche 17 mai 2020

Je ne veux plus parler des masques

Nous avons marché un peu, sur la véloroute et dans les bois. La nature est belle. La pluie de ces derniers jours a fait pousser l’herbe et nous nous croirions presque en été : les grillons chantent, les trèfles sont fleuris, les lilas et les pivoines ont achevé leur courte saison et laissent déjà place aux glaïeuls dans les jardins. Il a foutu le camp, le temps du lilas, le temps de la rose offerte…

Nous avons croisé beaucoup de promeneurs, beaucoup de vélocyclistes, de familles en goguette. Pas plus, pas moins qu’un mois de mai ordinaire. Personne avec un masque.

Je ne veux plus parler des masques.

Le sujet est tellement sensible que dans le XVIIIe arrondissement de Paris, une distribution gratuite a dû se faire avec un encadrement de soldats en armes. Je comprends bien cela, parce que même à Audincourt, les gens sont tendus comme des strings sur le sujet. On a l’impression de distribuer des billets de 500 € tant les gens sont prêts à tout pour en obtenir. En plus, certains ont l’impression que c’est un dû. Sans doute parce que Macron a dit que les villes allaient en distribuer. C’est nullement une obligation pour les collectivités, cependant. Nous n’avons pas eu de subvention pour cela et c’était une belle galère pour trouver des masques dignes d’être distribués. Comme quand le monde entier veut la même chose en même temps. Et ne parlons pas des arnaques, des vols, des grèves des transporteurs. Les couacs se multiplient. Ici, ce sont des masques trop petits, là ce sont de vieux torchons ou des sortes de couches (oui, je sais, il paraît que ce sont ceux-là les plus performants), là-bas, c’est un masque FFP1 qui peut donc servir 4h et doit être jeté. Bref, quoi qu’on fasse, les mécontents sont légions. On aurait pu faire le choix de n’en donner qu’aux plus démunis, on a fait le choix d’en distribuer deux par foyer. Ce choix est contesté. On a choisi de les distribuer en boîte à lettres, certains découvrent que les facteurs ont bien du mérite pour trouver toutes toutes les boîtes. D’autres villes ont mis en place un système de drive. Difficile de contrôler ceux qui sont venus plusieurs fois et comment s’assurer que ceux qui n’ont pas de voiture en ont eu un ?

Bref, c’est un casse-tête, pour un bout de tissu. Ceux qui râlent le plus sont peut-être ceux qui ont de quoi se payer un masque tout seul. Mais c’est le lot des élus que de faire face aux “haters” de tout poil. Ceux qui croient savoir. Ceux qui pensent que tout est un immense complot contre leur petite personne. Ceux qui pense que tout leur est dû parce qu’ils payent des impôts. Ceux qui pensent qu’on sert en premier ceux qui ont voté pour nous, parce qu’on sait exactement qui a voté pour nous dans une ville de 15 000 habitants…

Tout cela n’a pas d’importance et sera vite oublié.

Aujourd’hui, c’est aussi la journée de lutte contre l’homophobie et contre la transphobie. C’est plus important que cette histoire de masques. Dans le monde entier, il y a encore 70 pays qui pénalisent l’homosexualité, parfois jusqu’à la peine de mort. En France, on risque les agressions, les insultes et la violence intra-familiale. Durant le confinement, ce fut pour certains un enfer que d’être enfermés avec leurs bourreaux. L’association le Refuge fait un travail colossal pour permettre aux jeunes victimes de s’extraire d’un milieu familial hostile. Pour avoir moi-même vécu un coming-out difficile, je sais combien cela laisse des traces pour la vie. Le rapport au corps, au désir, à l’autre, la crainte qui est toujours là, le manque de confiance en soi. Et parfois, ce sont les coups, les humiliations, la violence physique qui s’ajoutent à la violence psychologique. Simplement parce qu’on veut être soi-même et qu’on n’a pas le choix. La lutte contre l’homophobie commence en chacun de nous, au plus intime. C’est tout d’abord poser la question de la norme et surtout la capacité d’interroger ses propres désirs.

Qui, parmi vous, a décidé de quoi que ce soit par rapport à ses désirs et à ses sentiments ?

Bonne soirée !

samedi 16 mai 2020

Fashion victime ou pas ?

Je me souviens que lors de mon oral de stage, en 3e, j’avais 15 ans, que le temps passe, nous devions nous présenter en quelques mots, dire ce que nous voulions faire dans la vie, un peu comme pour un entretien d’embauche, présenter nos principaux traits de caractère.

J’avais fait mon stage à la poste et dans les petits matins froids, il m’était apparu que l’on se gelait bien les doigts pour distribuer des lettres qui souvent causaient de la déception lors de leur réception. Je n’avais pas vraiment caressé le rêve d’être postière, mais je l’abandonnais tout à fait à l’issue de cette période d’essai d’une semaine.

Lors de mon oral, donc, j’avais dû expliquer pourquoi ce stage ne n’avait pas ouvert les perspectives attendues. J’avais dit, notamment que j’étais casanière. Et que je voulais être professeur d’histoire. La professeur d’histoire géographie qui présidait le jury avait failli s’étouffer. Je ne sais pas encore vraiment pourquoi, aujourd’hui. Mais elle m’avait demandé si je savais ce que voulait dire “casanière” et je lui avais répondu que j’aimais rester chez moi, pour lire, pour écouter de la musique, pour écrire, pour travailler. Elle était peut-être surprise que je connaisse le sens de ce mot de vocabulaire, à 15 ans. Et avec le recul, je suis étonnée avec elle, puisqu’aucun de mes 3e n’en connaît le sens, je pourrais le parier. Mais elle était peut-être surprise parce que je voulais être professeur d’histoire géographie sans sortir de chez moi. Depuis, je suis devenue professeur de lettres, et j'ai vu un peu autre chose que les murs de ma chambrette d'adolescente.

Mais alors que le confinement est terminé et que je pourrais aller comme bon me semble acheter des jeans ou des chaussures, je reste sur mon canapé à écrire des sornettes. Il y a sans doute une part de ma nature profonde, qui aime son canapé à en mourir - les muscles atrophiés, le coeur confit dans sa graisse. Mais il y a aussi cette petite crainte de retourner dans le monde, au contact des vivants, dans les magasins pour toucher potentiellement des articles que d’autres auront tripotés, pour risquer de tomber nez à nez avec la grande faucheuse dans les plis d’une robe dont je n’ai pas besoin, dans une cabine d’essayage mal désinfectée. Bref, d’être une fashion victime, mais au sens propre.

Et vous, vous avez franchi le pas ?

vendredi 15 mai 2020

Saints de glace et autres préoccupations météorologiques

Les saints de glace semblent avoir pris leurs aises, toute la semaine a été traversée d’une bise glaciale qui a rafraîchi les ardeurs des déconfinés. Elle était programmée, sans doute, cette petite froidure qui vous glace les doigts et qui fait durcir le bout des seins. De glace.

Le soleil reviendra ce week-end et avec lui, des températures plus agréables. Fin du point météo. 

Quand on parle de météo, c’est quand on n’a pas grand chose à dire. C’est tellement 2019, ce genre de conversation d’ascenseur. “- Bonjour Madame Machin, il fait frisquet, ce matin. - Oui, ça ira mieux demain, qu’ils ont dit à la télé…” Et bonne journée.

Tellement anté COVID-19. Aujourd’hui, on ne prend plus l’ascenseur, dans la mesure du possible, pour ne pas provoquer une promiscuité fortuite, et dans l’escalier, quand on se croise, on se fait des politesses gênées à n’en plus finir pour savoir qui passera devant, tout en réajustant son masque pour ne pas postillonner sur son contemporain. La vie est devenue un peu plus compliquée.

Toujours est-il que ce soir, je suis tellement épuisée que je n’ai pas grand chose à raconter. Je peux pourtant vous dire que j’ai eu une belle journée : le marché du développement durable qu’on a tenu à organiser malgré la crise sanitaire s’est bien passé. C’était pour lutter contre la morosité, pour mettre des fleurs, du miel et du vin dans le quotidien des habitants, c’était pour mettre un peu d’oseille dans les caisses des exposants et pour qu’ils puissent écouler leurs productions. Il y a eu du monde et des sourires dans les yeux. De la chaleur, malgré le froid.

Et j’ai vu du monde. Cela est suffisant au bonheur, malgré les masques qui les barrent, de voir des visages aimables. Pourtant, j’ai eu un confinement tout relatif, puisque j’ai vu du monde et du beau monde chaque jour. Mais revoir des amis après deux mois et demi d’absence, c’est simple et c’est bon. Pourvu que l’on s’en souvienne quand on sera à nouveau blasés de tout.

jeudi 14 mai 2020

Reprise

Sans conteste, il est une chose qui a repris, c’est le rythme effréné, les bouchons dans la rue aux heures de pointe, les klaxons. Les ambulances hurlantes. Le bruit, la vie.

Nous sommes déjà jeudi, je n’ai pas vu le temps passer, j’ai eu une semaine comme avant. Cours, mairie, famille, soucis...Tout s’est enchaîné avec un sommeil chaotique et des milliers de choses à faire en même temps. Trois heures par jour sur l’iPhone et près de huit heures par jour sur l’ordinateur. Mon Dieu ! Mes yeux !

J’ai passé du temps avec mes élèves : sur tous les réseaux, pour essayer de leur parler, juste pour avoir un contact. Certains sont complètement perdus. En début de semaine dernière, nous reprenions après deux semaines de vacances. Une petite que je capte essentiellement sur WhatsApp m’interpelle pour me demander s’il faut revenir au collège. Ses parents étaient inquiets et ne savaient pas quoi faire. Ils n’avaient donc même pas regardé un peu les infos pour savoir ce qui se passaient et ne se doutaient pas que s’il avait fallu reprendre, le collège les en aurait avertis.

Depuis je suis rassurée : elle est chez sa grand-mère, qui l’aide à travailler, qui la prépare pour la 5e. 

Aujourd’hui, un autre sur WhatsApp aussi m’explique que c’est le portable de son père et qu’il vaudrait mieux pour lui que je lui envoie les devoirs sur SnapChat. Je vais sur cette appli pourrie (il faut dire ce qui est, c’est pourri, SnapChat). Et là, l’élève me dit je vous envoie mon travail par SnapChat. J’ai à peine le temps de voir la photo d’un cahier ouvert prise de loin, que le truc s’efface (c’est le principe de SnapChat) En fait, le gamin a essayé de m’entuber, c’est clair ! Mais il ne s’en tirera pas comme ça.

Ensuite, il y a Discord. C’est le logiciel de gamers qui s’adapte le mieux à ce que nous pouvons faire : classe audio, serveurs qu'on peut organiser en différents salons, messagerie privée, ouverte ou pas à tous... C’est performant. Est-ce fiable ? On ne sait pas, mais c’est mieux que tout ce qu’on peut avoir ailleurs. Et surtout c’est là qu’on capte le mieux les classes entières, où l’on a instauré un mode de fonctionnement depuis 7 semaines.

Et puis on a eu un mail de l’éducation nationale, 6 semaines (sans compter les vacances) après le début du confinement, qui nous a gentiment proposé une application joliment nommée BlaBlaClasse (l'uberisation de notre société passe aussi par l’éducation nationale). C’est un service de chat (so 1998) peu convivial (moche, pour tout dire) et complexe, avec un règlement à approuver qui te passe l’envie immédiatement de chercher à t’en servir.

Dans la lettre de présentation de ce service de chat, on nous écrit qu’il est interdit de se servir de Discord. Noir sur blanc. Nous sommes des bons élèves, en général, dans l’éducation nationale. Cependant, quand une administration met 6 semaines (sans compter les vacances) pour trouver un substitut pas performant à une appli qui a été prise en main par le plus grand nombre, on ne peut pas suivre.

En fait, depuis le début de la crise, la #NationApprenante et ses enseignants ont dû tout inventer dans l’urgence. En une semaine, on a créé des solutions, avec ce qu’on pouvait. Avec nos ordinateurs personnels, avec nos connexions, avec nos abonnements 4G ou wifi, avec nos imprimantes...On a l’habitude, puisqu’on fait partie de cette grande maison où l’on pique du matériel chez nous pour l’apporter au boulot, à longueur de temps : même des stylos, notre employeur est infoutu de nous en fournir, même du papier, même des ordinateurs. Ah ! Si, dans la salle des profs, il y a 6 ordinateurs pour 70 profs ! Ouf !

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il nous faudrait nous aussi une prime, une médaille, du matériel, des embauches, des locaux assez grands. Mais déjà que ce n’est pas gagné pour les soignants qui le méritent évidemment encore plus, alors pour nous, petits fonctionnaires (les moins bien payés d’Europe), toujours en vacances et aux fraises pendant le confinement, nous pouvons toujours rêver.


mercredi 13 mai 2020

Ce que masquent les masques

Il pleut sur la ville comme il pleure sur mon coeur, comme disait à peu près Verlaine.

Encore Verlaine, cela fait au moins trois fois que je le cite depuis le début du confinement, non ? C’est approprié, sans doute, cette douce mélancolie.

J’ai eu ma mère au téléphone, trois minutes en deux jours, même pas. Depuis le déconfinement, c’est la liberté : véto, Darty, garage...Elle n'arrête plus de sortir, malgré nos récriminations. J’aurais bien du mal à lui en vouloir mais ce n’est évidemment pas prudent (elle a les poumons fragiles). J’ai eu le temps de lui crier dans le téléphone (ma mère a de sérieux problèmes d’audition) “Sois prudente” et “Mets un masque”.

Pas sûre qu’elle m’ait entendue, et de toute façon, à quoi bon, elle n’en fait qu’à sa tête. Comme la plupart des gens, d’ailleurs. Le masque est le must have, le It-accessoire de la saison printemps-été 2020, pourvu qu’il soit assorti à vos escarpins, mais de là à le mettre correctement, à ne pas l’enlever quand on tousse, parce que bon sang, on s’étouffe dans ses miasmes, ce n’est guère commode…

Moi la première...Je ne sais pas vous ? Sibeth avait raison. En plus, on est toujours en train de réajuster le bout de tissu avec ses doigts. Bref. C’est joli, mais ce n’est pas pratique.

Joli, si, si ! Moi qui ai un grand nez, je dois dire que ça m'arrange bien. Sans compter qu’on peut négliger un peu l’épilation de la moustache. D’autant qu’on ne s’admire désormais plus que de loin. A la fin de tout cela, ce sera le retour des moches. Mais si l’on soigne un peu le maquillage des yeux, c’est notre moment, c’est notre créneau : le masque masque bien les petites imperfections qui nous gâchent la vie d’ordinaire !  Mais c’est la mort des marchands de rouge à lèvres. Encore des victimes collatérales.

"Votre âme est un paysage choisi 
Que vont charmant masques et bergamasques 
Jouant du luth et dansant et quasi 
 Tristes sous leurs déguisements fantasques." 

Diantre, encore du Verlaine !

Belle soirée !

mardi 12 mai 2020

Sombre printemps



Hier soir, soudain, il m'est apparu qu'il y avait de belles correspondances entre la Sicilienne de Gabriel Fauré et la magnifique chanson d'Emily Loizeau Sombre printemps. 

En concert, je me souviens qu'Emily Loizeau avait expliqué que le texte de cette chanson était inspiré des lettres écrites par son grand-père à sa grand-mère, alors qu'ils étaient séparés par la guerre.

"Cela me prendrait toute une lettre pour te conter les jeux du soleil sur la Crête avant l'été..."





lundi 11 mai 2020

Alors, ce jour d'après ?

Est-ce comme un jour d'avant ? Avant quoi ? Avant le gel hydroalcoolique, avant les masques, avant les fucking gestes barrières, avant le plexi dans les bureaux, avant la boulangère avec un casque de jardinage ? Non, ce n'est pas du tout comme le jour d'avant le COVID. Peut-être bien que nous ne retrouverons jamais le monde d'avant.

Je suis trop jeune pour mourir socialement. Je n'ai pas assez vécu pour me passer à jamais de contacts humains. Je veux encore tripoter de la chair tendre, je veux encore caresser de la peau douce, je veux encore frissonner en frôlant la main d'une inconnue dans un bus (je dis n'importe quoi, je ne prends jamais le bus), je veux encore me trémousser collés-serrés sur des pistes de danses bondées, je veux encore du contact, du câlin, du bisou baveux.

Je veux encore du vrai contact humain. Comment faire cours en audio, avec des élèves qui peinent à se connecter ? Comment savoir s'ils ont compris, sans voir leurs yeux ? Et même en visio : leurs yeux ne rencontrent pas les miens, les réactions sont désynchronisées, les gestes sont saccadés à cause de la wifi chancelante et les réactions des enfants sont incontrôlables. Une élève m'a dit tout à l'heure, "Oui madame, ça fait du bruit, vous êtes dans ma trousse." J'étais dans sa trousse, elle était dans mon salon. Je n'avais pas du tout envie qu'elle soit dans mon salon, je suis trop vieille pour que les élèves envahissent mon salon.

Je suis trop vieille pour ces contacts de robots déshumanisés, je suis trop vieille pour vivre dans un film de science-fiction.

Si l'on ne retrouve jamais le jour d'avant, il va pourtant falloir que ma mère se mette à WhatsApp et je ne la reverrai plus qu'ainsi, tout comme mon petit neveu, que je verrai faire ses premiers pas, sa première rentrée à l'école à la maison, son premier anniversaire avec des copains par écrans interposés.

Je suis trop jeune et trop vieille pour ce monde d'après le COVID, si c'est pour toujours. Alors il serait temps que le monde médical fasse preuve d'un peu de talent pour terrasser cette petite bête, qu'on puisse recommencer à se rouler des pelles et qu'on abandonne à tout jamais WhatsApp, Skype, Zoom, Teams, GoToMeeting, Meet.jit.si, Messenger et toutes ces autres saloperies dévoreuses de vie privée.

Il y a tout de même des choses qui sont redevenues comme avant : j'ai failli me faire écraser par des voitures à chaque passage piéton, les coiffeurs vont bien dormir ce soir et il pleut. Mais il pleut vraiment, pas seulement trois petites gouttes. Et c'est la seule vraie bonne nouvelle de la journée.


dimanche 10 mai 2020

La veille au soir d'un jour d'après

Cela me manque un peu, de ne pas écrire !

Mais que dire. Je n'ai toujours pas fièvre, tout d'abord.

Mon billet d'hier m'a valu des témoignages très émouvants. Merci pour votre présence et vos mots très touchants : je n'avais pas vraiment conscience que mes petites chroniques étaient aussi attendues.

Michèle, ma voisine, m'a dit que j'avais l'air fatigué et Jacky que j'avais maigri. Même si Amandine dit que ça me va bien, j'ajoute les cheveux blancs et j'ai bien peur d'avoir pris dix ans dans la tronche, avec cette histoire.

Ce dimanche est-il différent ? J'aimerais bien ressentir ce petit blues du dimanche soir, en fait, la petite angoisse de la reprise, du retour au boulot. J'aimerais bien me dire que demain, c'est une semaine comme avant qui débute. Mais ce ne sera pas cela.

Ce sera de l'angoisse, parce qu'on va avoir peur que les gens fassent n'importe quoi. Et la tentation de faire n'importe quoi est grande, et je la comprends. On va avoir trois jours de mauvais temps et de froid, ce qui va bloquer un peu le processus, mais dès qu'il fera beau, les gens reprendront la vie, les balades, le shopping, les affaires, les rendez-vous, les fêtes, les barbecues autour des piscines, les repas de familles, les repas entre amis. Comme cette famille qui s'est réunie pour un enterrement en Dordogne. Est-ce qu'on peut vraiment les blâmer ? C'est tellement humain de vouloir se retrouver. Et on ne pourra pas l'empêcher. Ou alors, si on se met à l'empêcher, c'est qu'on rentre dans une société autoritaire et sécuritaire. Je vais peut-être passer pour une irresponsable, mais ce n'est pas ce que je souhaite. Je ne souhaite pas que la police vienne verbaliser à tour de bras pour des comportements simplement humains.

Mais nous sommes conditionnés pour cela, par la peur, et il y aura des dénonciations entre voisins, je peux le parier.

Si seulement il y avait des masques et des tests pour tout le monde, on pourrait être efficace et le déconfinement se ferait de manière rationnelle. Mais cela fait des semaines qu'on le dit et comme c'est le monde entier qui veut en même temps des masques et des tests, nous ne sommes pas prêts d'être servis.

En attendant, soyez prudents, ne prenez pas de risques pour votre santé et celle de vos proches.


samedi 9 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #55

Je n’ai pas de fièvre.

J’ai juste mal à la tête et je suis juste exténuée. Beaucoup trop de préoccupations et d’émotions négatives depuis trop longtemps. Pas assez de vacances. Beaucoup trop de pages noircies. J’écris ces chroniques d’abord dans un traitement de texte et j’en suis à 105 pages A4, police Arial taille 11, dont deux sonnets, trois nouvelles et beaucoup de conneries : des conneries révoltées, attristées, insouciantes, politiques, masquées, fleuries, gastronomiques, sentimentales, vides de sens. C’est beaucoup trop. Il est temps que ça s’arrête.

C’est peut-être le dernier week-end, sauf que lundi, rien ne va changer : toujours la classe à distance, sans savoir jusqu’à quand. Toujours la mairie, les milliers de questions à propos des masques. Je serai juste plus détendue si j’oublie de valider mon autorisation avant de sortir. Et peut-être pourrai-je avoir un rendez-vous chez le coiffeur dans un délai raisonnable.

Si je fais le bilan du confinement, je trouve quelques aspects positifs : je n’ai pas conduit depuis plus de 50 jours, je n’ai pas mis les pieds dans un supermarché non plus depuis aussi longtemps. Merci Amandine, merci Place du Local. Je n’ai pas fait de shopping depuis tout ce temps : je fais partie de ceux qui ont cumulé un pouvoir d’achat de malade. Je ne suis pas allée chez le coiffeur depuis encore plus longtemps. Mes cheveux grisonnent, je n’ai pas tellement envie de ce vieillissement subi et désespérant. Mais Amandine, gentiment, me dit que ça me va bien. J’ai perdu quelques kilos, je dois être la seule dans ce cas durant cette période. Il faut dire qu’on a stoppé subitement les restaurants. Et même si on fait bonne chère à la maison, je cuisine plutôt très équilibré, je crois.

J’ai commencé à regarder deux séries, j’ai lu deux livres dont un que je n’ai pas encore terminé mais je n’ai pas pu voir un seul film en entier. Il faut dire que le cinéma n’est pas spécialement ma tasse de thé. J’ai écouté beaucoup de musique, par contre. Cela collait mieux à ma mélancolie ou à ma fatigue. Et j’ai donc écrit, écrit, écrit. Ce qui est un signe de bonne santé, chez moi. Merci à tous mes lecteurs et aux nombreux commentateurs sur Facebook et ici. Merci infiniment pour votre présence chaque soir !

La personne qui partage ma vie n’a pas eu l’air de trop souffrir de ma compagnie. Malgré les petits coups de blues, elle a l’air ravie de ma bonne humeur et de ma cuisine. Merci de sa présence sans faille, malgré la tarte à la choucroute.

J’ai l’impression d’avoir fait de mon mieux en tant qu’élue. Nous avons trouvé des masques dès le début pour ceux qui en avaient le plus besoin et ceux pour toute la population ont commencé d’être distribués. Nous avons géré les affaires courantes, nous avons été autant que possible des facilitateurs pour la population, pour les commerçants, pour les entrepreneurs durant cette période si compliquée pour tout le monde. J’ai eu la chance de faire cela avec des élus et des agents intelligents, humains, solidaires. Nous nous sommes vus chaque jour, nous avons appris à mieux nous connaître et nous avons traversé ensemble des drames et des moments joyeux qui renforcent les liens. Merci à eux.

J’ai l’impression d’avoir assuré comme je pouvais pour mes élèves. Pas autant que j’aurais voulu, parce que j’ai eu l’impression de faire un nouveau métier auquel je n’étais pas prête. Parce qu’il a fallu apprendre à adapter le travail, écrire à destination des élèves pour être comprise, sur différents canaux, sur les réseaux sociaux qui ne sont pas prévus pour cet usage. J’ai découvert certains élèves différemment, aussi : plus concernés par leur travail, plus soucieux de leur réussite. Sans doute plus inquiets encore, pour leur avenir dans ce monde soudain tellement incertain. Enfin, j’ai pu compter sur des collègues formidables et bienveillants. Un merci tout particulier à Caroline et à Julie…

Enfin, je tiens à me dire merci. On n’est jamais si bien servi que par moi-même. Merci à mon imagination pour me permettre d’écrire toutes ces bêtises. Merci à mes stratégies de feignasse. Je n’ai toujours pas rangé mon linge sur cette chaise qui se prend pour une armoire dans la chambre, ce qui me permet de croire que je suis tellement occupée que je ne peux pas m’en occuper. Merci à mon imagination, encore une fois qui m’a permis de préparer des repas variés chaque jour. Jamais deux fois la même chose, je crois, ou presque. De toute façon, je n’aime pas les recettes. Merci à mes capacités contemplatives qui m’ont permis de rester sur le balcon à ne rien faire. Juste observer mes contemporains. Merci à mes guitares. Je crois que j’ai progressé un peu et que je réussis pas trop mal Hallelujah de Cohen, au moins une fois sur deux. Amandine n’est pas forcément d’accord, surtout quand je chante pendant ses heures de bureau. Merci à moi-même d’être ce que je suis : je ne me suis pas si mal supportée, même si souvent, j’ai envie de sortir en claquant la porte, surtout quand je m’entends dire pour la centième fois “Toutefois, si vous toussez et que vous avez de la fièvre, vous êtes PEUT-ÊTRE malade”, en ajoutant “Non, pas PEUT-ÊTRE : quand on tousse et qu’on a de la fièvre, on EST malade !”

Bonne soirée !


vendredi 8 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #54

Je n’ai pas de fièvre.

Heureusement. Je suis sortie aujourd’hui et je ne suis pas sûre d’avoir pu échapper aux drones qui sillonnent désormais notre ciel. Je ne suis pas sûre d’avoir pu échapper à la caméra thermique à l’entrée de chaque magasin. Je suis sûre d’avoir un traceur dans mon téléphone qui permet de connaître ma température, entier et décimale, à chaque seconde.

Au début je me disais, toutes ces données, toutes ces informations, toutes ces datas, qui les lit, qui les analyse, qui peut bien en avoir quelque chose à faire de savoir si je suis bien allée à la selle ce matin et si la couleur ou la consistance en était conforme à ce qu’on attend d’un citoyen honnête ?

Au début, j’ai même joué le jeu innocemment. J’ai trouvé ça amusant de rentrer mes données médicales dans l’appli de mon téléphone. J’ai trouvé formidable de savoir combien de pas je faisais chaque jour, combien de calories j’avais consommées, combien d’étage j’avais montés. Et je me suis éclatée en battant mes propres records, en cherchant à améliorer mes moyennes, à me réjouir d’effectuer plus de pas que 65% du reste de la population.

J’ai téléchargé une appli qui me permettait de tenir le calendrier précis de mes migraines, puis une autre qui me disais quand j’aurais mes prochaines règles et qui m’incitait à préciser la nature de ma glaire cervicale ainsi que le nombre de mes rapports sexuels.

Là, j’ai trouvé que ça allait un peu loin. Mais c’était tellement pratique, cette petite alerte avec un smiley qui faisait la tête pour me dire “Vos règles vont bientôt débuter.”

Je n’avais même pas remarqué que tout cela était synchronisé dans le téléphone, que l’appli “coeur” recensait le tout. Un jour, j’ai eu une alerte qui m’avertissait que je ne bougeait pas assez. Un autre jour, le portable a vibré pour me dire que mon IMC, mon indice de masse corporelle, frôlait dangereusement la catastrophe et que l’analyse de mon taux de graisse et de ma masse musculaire était une mise en danger de ma santé.

Le téléphone m’a proposé une nouvelle application qui permettait de déposer une goutte de sang sur la caméra avant de l’appareil pour une analyse complète. Suspicion de diabète, voilà le message qui s’afficha aussitôt par SMS. Consultez votre médecin.

J’étais à la fois ébahie et effrayée. Je suis allée consulter aussi sec. Et l’appli n’avait pas menti. J’avais un peu trop de sucre dans le sang. Depuis j’ai changé mon mode de vie et je vais mieux. J’étais assez enthousiaste, dans le fond, à propos de toutes ces nouvelles technologies.

Et puis il y a eu le COVID. L’Etat s’en est mêlé. En choisissant une appli fabriquée par le ministère des Armées, dans le plus grand secret, on ne savait pas trop à quoi s’en tenir. Cela pouvait être un bide, digne du porte-avions Charles De Gaulle ou alors le pire outil d'espionnage pervers jamais imaginé.

Il y a eu des tractations avec les GAFA, pour récupérer les données existantes. Les GAFA étaient réticents, mais les promesses à propos des impôts, les garanties financières pour protéger les monopoles de ces géants mondiaux de l’informatique, des communications et du commerce suffirent à les faire plier.

A partir de 2020, donc, l’Etat connaissait tout de l’état de mes glaires cervicales et de la durée de mes règles et j’avoue que cela me faisait beaucoup rire. Je ne comprenais pas vraiment le problème. Je me disais que cela n’avait pas d’impact sur ma vie, que je n’avais finalement rien à cacher de ce côté là et que si l’on pouvait pister le virus efficacement, cela pouvait valoir le coup de divulguer chaque mois mon niveau de tension mammaire.

Et le temps a passé. On a trouvé un vaccin contre le COVID-19 et on a complètement oublié cette appli installée dans le fin fond des réglages obscures de notre smartphone. On a complètement omis l’idée de désactiver ce truc. On n'y a pas plus pensé qu’à nos données de localisation, notre partage de connexion, ou à l’accès par Facebook et à toutes ses applications connexes, à notre date d’anniversaire, à la liste de nos amis, à l’ensemble de nos statuts, à ce qu’on avait mangé la veille, à nos états d’âme à propos de la politique ou de notre belle-mère, à nos petites faiblesses populistes, à nos mauvaises plaisanteries et à nos amours secrètes.

On s’est endormi dans un bien-être sûr, ravis de ces outils sociaux, accoutumés aux gestes barrières, mais prêts à livrer nos âmes à des machines.

Et puis en 2027, un virus est revenu. Bien plus virulent. Bien plus inquiétant. Bien plus mortel. Le gouvernement d’alors venait d’être élu d’une courte tête. Le 2e mandat de Macron avait été désespérant de médiocrité, le peuple ne croyait ni en lui, ni en rien et avait finalement donné son quitus à un homme qui ressemblait assez à Trump, mais en plus charmeur, parce qu’en France, on aime le charme. L’homme était un vil populiste, bête comme statut Facebook de fin de soirée arrosée. Il était taillé pour l’époque qui avait vu le QI de la population se rapprocher dangereusement de celui de Nabilla.

Quand l’épidémie se déclencha, nous n’étions pas plus prêts qu’en 2020. Les hôpitaux publics avaient été désossés, la Sécurité Sociale avait été réduite à peau de chagrin, la misère de près de deux tiers de la population était telle que la débrouille et l’absence d’assurance privée était la règle. Les ravages de l’alcool et de la malbouffe étaient tels que c’était dans les mêmes proportions que les alertes “Diabète” et “Obésité” tombaient sur les téléphones portables des citoyens. Tout le monde était gros, gras, malades de pauvreté, mais nourris d’écran comme jamais.

L’appli fut réactivée. Et il fut décrété que pour protéger les gens sains, il fallait isoler les malades au premier signe de fièvre. On a réquisitionné des gymnases, des stades, des salles des fêtes. On dit que les conditions sanitaires y sont déplorables. On dit que les gens y tombent comme des mouches. On dit que chaque jour, des hommes vêtus de combinaisons plastiques et masqués autant qu’on peut l’être, viennent ramasser les cadavres, qu’ils les enferment dans de grands sacs poubelle. On dit qu’ils n’apportent jamais de nourriture, ni de bonne nouvelle. On dit que les râles des malades y sont terrifiants. On dit qu’il y a aussi des enfants qui meurent là.

Quand je suis sortie ce matin, je n’avais pas de fièvre. Cependant, en rentrant chez moi, j’ai reçu une alerte provenant de la caméra thermique de la boulangerie. Peut-être qu’elle était déréglée. Je n’ai pas de fièvre, mais on vient de tambouriner à ma porte.

Les hommes en combinaison viennent me chercher.


jeudi 7 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #53

Je n’ai pas de fièvre.

Je me souviens de longues soirées d’été en Savoie, quand j’étais enfant. L’arrivée des Parisiens était toujours un événement. Les cousines sont là, c’est la fête ! Rolande, Michèle, Martine débarquaient et tout était différent. Martine avait un accent parisien qui nous amusait follement, quand on était petits, avec mon frère. Elle racontait toujours les choses avec tellement de verve, mêlant de l’argot et un sens de l’humour et de l’autodérision. Nous étions fascinés. Parfois, nous allions la voir à Paris. J’admirais sa conduite dans les rues embouteillées de la capitale, là aussi accompagnée d’un langage fleuri qui m’enchantait.

Et puis suite à une mutation, suite à une envie d’être un peu plus au vert, sans doute, elle avait déménagé à Niort. C’est là-bas que je l'ai vue pour la dernière fois, c’était il y a 6 ans déjà, que le temps passe vite. J’avais emmené ma mère pour quelques jours dans la région du marais poitevin et nous avions passé une après-midi à Châtelaillon-Plage, au bord de l’océan.

Nous nous téléphonions de temps en temps, nous échangions régulièrement sur Facebook. J’aimais parler avec elle. Elle rêvait de revenir en Savoie, elle nourrissait une nostalgie immense pour le pays de ses ancêtres. Elle était la mémoire de la famille de ma mère, elle avait fait un travail de recherches généalogiques colossal pour débrouiller un héritage compliqué depuis des tas de générations.

J’adorais l’entendre raconter la légende de notre oncle capitaine en Indochine, revenu riche et ayant fait bâtir un domaine dans son village de Savoie...et les querelles de famille qui s’en suivirent pour profiter du pactole. Les portraits qu’elle dressait de nos illustres ancêtres, des personnages de notre famille étaient si haut en couleur qu’elle aurait pu en faire des romans. Mais elle avait le don de la parole. 

Elle avait lu mes romans et les avait appréciés, nous avions eu l’occasion d’en parler souvent au téléphone. C’était toujours des échanges passionnants. Elle me parlait alors de ma grand-mère maternelle, qui aimait écrire, elle aussi, qui avait longtemps caressé le rêve d’être romancière, sans franchir le pas, mais dont la légende familiale dit qu’elle avait souvent écrit des nouvelles pour des magazines.

J’ai eu des nouvelles de Martine pour la dernière fois fin mars. Fin avril, je me suis dit plusieurs fois qu’il fallait que je l’appelle, vaguement inquiète de ne plus voir de post sur Facebook, mais la vie étant ce qu’elle est, je ne l’ai pas fait...

Aujourd’hui, Martine est morte. Elle était affaiblie depuis quelques mois par un cancer du poumon. Elle luttait, la chimio avait bien fonctionné et les dernières fois que je lui avais parlé, elle était optimiste. A vrai dire, Martine était toujours optimiste. Une politesse du désespoir, pour ne pas inquiéter les gens qui l’aiment, peut-être. C’était une belle vivante, une amoureuse de la vie.

Je ne sais pas si c’est le virus qui a finalement eu raison de ses poumons déjà affaiblis. Elle avait perdu sa mère Rolande il y a quelques mois, elle vivait seule dans une ville éloignée du reste de sa famille, de son fils, de sa petite-fille, de sa sœur et de ses cousins, et le confinement a dû être très pénible pour elle. L’isolement n’a sans doute pas amélioré sa santé, physique et morale.

Aujourd’hui, sa sœur qui vit en région parisienne, donc dans une région “rouge”, a obtenu une autorisation pour aller la voir. Trop tard pour la voir une dernière fois vivante, trop tard pour lui parler une dernière fois.

L’enterrement, dans une région verte, se fera avec une vingtaine de personnes. Ce sera à 750 km de chez moi. Mais je serai avec elle par la pensée et par le coeur.


mercredi 6 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #52

Je n’ai pas de fièvre.

J’ai la rage. J’ai une colère immense qui ne cesse de monter en moi depuis des semaines. La colère est pourtant un sentiment très éloigné de ce que je suis. Je suis calme, posée, discrète, vous dirons les gens qui me connaissent un peu. Ils sont rares, ceux qui me connaissent vraiment, parce que je ne me dévoile pas. Mais une colère sourd en moi depuis quelques temps.

Les masques, je vous en ai déjà parlé. Des dizaines de fois sur ce blog. Je vous ai fait le récit des heures passées, au niveau local, pour en trouver pour les médecins, les infirmières, les ambulanciers, les Ehpad, les aides à domicile. Je ne vous refais pas le sketch. Pendant ce temps-là, l’Etat et les guignols qui le dirigent ne cessaient de dire que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Qu’il y avait des masques pour les professionnels de la santé et que les masques étaient inutiles, pour nous, pauvres citoyens de seconde zone. Et pendant ce temps-là, les médecins de ville avaient 6 masques par semaine, gracieusement accordés par l'ARS, et beaucoup sont tombés malades.

Aujourd’hui, le discours a changé, même Macron met un masque, il faut que tout le monde en ait un, illico presto. Et que tout va bien puisque tout le monde va en avoir, il y en a, partout sur le territoire, on va en distribuer, dans les villes, dans les communes (qui n'ont jamais eu de dotation pour cela), on va en avoir dans les supermarchés et dans les bureaux de tabac. On sait que c’est faux, il n’y en a toujours pas assez, pas assez pour les enseignants sensés reprendre le chemin de l'école lundi prochain, pas assez pour les salariés dans les entreprises, pas assez dans les administrations.

Et puis il y a les scandales des prix, de la grande distribution qui en dégotent par magie...Et puis il y a la comparaison facile mais néanmoins stupéfiante entre les 7 milliards d’Euros filés à Air France pour les avions à l’arrêt, pour les avions qu’on voulait privatiser il y a encore quelques semaines, les 7 milliards balancés sans contrepartie, quand on fait payer les masques aux Français (qui sont parfois en PQ avec trois agrafes et un élastique marron). Les Français payent-ils leurs impôts pour qu’on leur fassent payer des masques ? Les Français n’ont-ils pas légitimement le droit d’avoir un système de santé qui les protège, avec des médecins et des infirmières protégés ? Les Français n’ont-ils pas le droit, en période de crise sanitaire, d’être la priorité devant les avions d’Air France ?

La colère, c’est l’indécence de l’ARS qui envoie des tutos pour faire des blouses avec des sacs poubelles. Et qui n’a même pas encore eu l’idée d’envoyer le tuto pour faire des charlottes en sac plastiques.

Savez-vous qu’en ce moment, il y a des tas de personnels soignants qui sont malades parce qu’ils n’ont pas été protégés dès le début de la crise ? Des masques, des charlottes et des blouses en plastique à quelques centimes d’Euros auraient suffit et on n’a pas pu les fournir.

Vous savez comment on meurt du COVID ? Vous savez qu’on meurt en s’étouffant, qu’on se noie soi-même ? Qu’on agonise ainsi pendant des heures, des jours ? Que c’est ce qui se passe dans les Ehpad ? Parce que là aussi, il y a des motifs pour être en colère. Une colère pire encore. Parce que ce qu’on fait à nos vieux dit tellement sur notre vision de la société. Nous - collectivement, par notre silence et notre soumission - nous avons décidé qu’en Ehpad, on ne soignait pas les êtres humains comme dans le reste du pays. On a décidé d’une médecine à deux vitesses. Pas d’intubation, pas de respirateur, souvent, même pas de médecin. Du doliprane et de la morphine pour amener à la mort sans fièvre et en toute inconscience. Et sans pouvoir même avoir sa famille près de soi. On achève bien les chevaux.

La colère, c’est aussi les chiffres qu’on nous balance chaque jour des chiffres froids et impersonnels : moins de décès aujourd’hui qu’hier, plus que demain, espérons. Des chiffres qui ne disent pas la réalité de la mort, en Ehpad, à l’hôpital ou chez soi. Parce qu’on meurt aussi chez soi, mais ces chiffres-là, on ne les a pas. Comme ça, on ne bat pas le record de l’Angleterre. La colère, c’est que derrière ces chiffres, ces courbes, ces graphiques et ces cartes colorées, on ne dit pas la réalité de la mort, des souffrances, des familles qui ne peuvent pas faire leur deuil. On ne dit pas les semaines de coma, les patients qui mettront des mois à s’en remettre, on ne dit pas l’affaiblissement, les conséquences, les séquelles. On cache la mort derrière des infographies.

La colère, c’est aussi la soumission de notre société, l’administration tatillonne, lourde, frileuse, qui ne prend pas de décision, pas de responsabilité. La lenteur pour tout, le maire qui doit demander au Préfet, le Préfet qui renvoie à l’éducation nationale, l’inspecteur qui ne sait pas, le recteur qui ne répond pas et qui finit par renvoyer au Préfet qui se tourne vers la mairie en disant : “Si ça merde, ce sera de votre faute.”

Et puis nous, qui nous sommes laissé enfermer, gaiment, à coup de #RéussirSonConfinement et de recettes de cuisine partagées, d'extases sur les petites fleurs et les oiseaux qui chantent, et d'apéro Skype. Moi la première.

Mais on a changé les lois, on a restreint nos libertés. En quelques semaines, le code du travail, les libertés fondamentales, le droit d’aller et de venir, le droit de réunion, les instances démocratiques...les droits de protections des données médicales, des données personnelles…Nous avons tout accepté sans broncher. Nous avons bradé notre conscience, notre jugement et notre raison, nous avons fait confiance à des imbéciles qui ne seraient pas capables d’organiser proprement une kermesse d’école, pour gérer une crise et un pays de 70 millions de personnes.

Cette soumission est de mauvais augure. Nous laisserons notre société se morceler, s’atomiser, s’individualiser encore plus. Nous travaillerons sur zoom, nous resterons dans notre chambre, nous ne ferons plus société. Le rêve ultime de celui qui veut diviser pour mieux régner, diviser au plus petit dénominateur. Mais pas commun. Ne nous unissons pas, soyons des unités désunies, des êtres pétrifiés par le choc, recroquevillés sur notre peur au point d’en oublier de vivre.



mardi 5 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #51

Je n’ai pas de fièvre.

Je ne sais plus quoi écrire ici. Je vais juste essayer de laisser courir mes doigts sur le clavier et nous verrons bien. Au fil de mes pensées chaotiques.

Ce midi, j’ai fait une sorte d’ersatz de couscous confiné : merguez, tomates au four, à l’orientale, c’est à dire avec un peu de cumin, du sel, de l’origan et un peu de panure, et de la semoule au bouillon. Ce qui est formidable, dans ce plat, c’est quand tu coupes la tomate juteuse dans la semoule...

Amandine qui d’ordinaire s’inquiète toujours de ce que je mange à midi, qui pense toujours que je ne me nourris pas correctement, commence à changer d’avis. Elle va finir par abandonner sa cantine, quand nous reviendrons à la normale.

C’est-à-dire dans un avenir proche mais encore incertain, un horizon qui recule à mesure que l’on avance, comme tout horizon qui se respecte.

Pour nous gâcher ce festin, à la télévision, nous avons vu Macron dans une école. Notre président y tenait des propos "masqués-pas masqués", sur le fait que les élèves pourraient revenir en classe, le 12, le 14 ou même après, en toute sécurité autant que possible, ou du moins avec autant de sécurité que possible ou même un peu de sécurité, ce qui serait déjà pas mal.

Les professeurs, en tout cas, c’est sûr, auront peut-être bien une pré-rentrée le 11, comme en septembre, mais en mai, pour s’organiser entre eux, mais de loin. Ils auront ordre de bien se laver les mains, surtout, avant que les élèves arrivent le 12, sans doute voire plus tard, selon les cas.

Comme c’est un homme qui a un projet pour la France, il a affirmé qu’on pourrait peut-être partir en vacances, en juillet au plus tôt, en août au plus tard, en réinventant les vacances, par exemple en restant chez soi.

Il a affirmé que tout était bien dans le meilleur des mondes possibles, sans conteste et que tout était prévu pour que tout ne se passe pas trop mal, dans la mesure du probable, éventuellement.

Il avait un slip français sur le visage, ce qui a fait peur aux enfants. On leur dit souvent de se méfier des hommes en slip, à l’école. C’était un slip français, mais tout de même, dans une école, c’est suspect. Comme il a vu la crainte sur les petits visages nus de ses jeunes interlocuteurs, il a ôté son masque avec ses mains sans gants - les avait-il lavé ? On ne sait pas ! - puis il a réexpliqué les gestes barrières aux enfants qui avaient été briefés et qui les connaissaient par coeur. Répétez après moi :
“Il ne faut pas toucher son visage, 
Il ne faut pas ôter son masque”. 

D’ailleurs, c’est probablement pour éviter de l’enlever avec leurs grosses mains pleines de doigts que les enseignants n’en auront pas à la rentrée. C’est un autre problème. Mais comme tout problème qui n’a pas de solution, ce n’est pas un problème.

Vous savez quoi ? Je crois que comme moi, Macron n’avait absolument rien à dire aujourd’hui. Et dans ces cas-là, il vaut mieux se taire !

Bonne soirée !


lundi 4 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #50

Je n’ai pas de fièvre.

Jour de reprise, donc. Battre le rappel des élèves. Pas envie de me confronter à ça. Ceux qui ne savent même pas quel jour on est et que l’école reprend. Ceux qui n’ont pas bossé pendant 15 jours et qui envoient un message stupide “J’ai pas compris, madame.”

Je n’ai plus du tout envie de continuer comme ça. Je ne me sens pas du tout à la hauteur, je ne sais pas faire mon métier dans ces conditions. Il faut que nous reprenions les choses normalement et il faut que nous cessions d’avoir peur de ce virus. D’avoir peur de la mort.

Je suis au bord du craquage complet, en fait.

Aahaaa !!!! Crions, exultons, allons boire des coups dans des bars. On ne peut pas. Tapons dans nos mains, chantons à tue tête, sautons en l’air, allons à un concert. Ah, non, on ne peut pas. Plongeons nous dans la fiction, échappons nous avec une grande histoire d’amour dans des paysages sublimes, avec des acteurs géniaux, allons au ciné. Putain, on ne peut pas. Une petite terrasse, un spritz et une assiette de pasta aux fruits de mer, faisons nous un petit resto sympa. Argh. Alors réfugions-nous auprès de ceux qu’on aime, la famille, les amis...et si on invitait tout le monde à la maison...Non ?

Et si je sortais et que je me mettais à rouler des pelles aux gens ? Hein ? Ah ah ! Attentat d’un nouveau genre ! Pire que l’attentat à la pudeur ! Pas pratique, les masques, cependant !

Je n’en peux plus. Voilà, je deviens folle, j’ai atteint le point de non retour, je vais me jeter du balcon, ça fera une tache sanglante en bas et personne ne pourra la nettoyer avant longtemps à cause du risque. Tout le monde se souviendra de moi comme de la folle qui a craqué au soir du 49e jour de confinement et puis la vie continuera, toute petite, sans importance et sans moi.

Ecrire me fait du bien. Je m’imagine déjà, enjambant la barrière du balcon. Ce n’est pas si haut, je crois que je pourrais me louper, gourde comme je suis. J’aurais l’air fine à terminer mon confinement comme le mec de Fenêtre sur cour, avec des béquilles et des jumelles, sans même pouvoir sortir de mon trois pièces.

Allez, voyons le bon côté des choses, puisque c’est la seule solution pour survivre encore un peu. Beaucoup d’élèves m’ont renvoyé leurs travaux de vacances. Beaucoup sont très sympa dans leur mail “J’espère que vous allez bien ?”...Et beaucoup, finalement ont pris contact. Allez ! Haut les coeurs ! Le chef d’établissement ne sait pas plus que toi et moi quand est-ce qu’on reprendra le chemin de l’école. Personne ne sait rien. Personne ne prend de décision. Je vais donc prendre l'initiative, toute seule, comme une grande, la ferme décision d’aller prendre l’apéro sur le balcon.

Bonsoir...et au fait, je vous aime.

dimanche 3 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #49

Je n’ai pas de fièvre.

Notable, aujourd'hui, j'ai vu ma mère, pour la première fois depuis Noël. Par WhatsApp. Ce n'était pas encore arrivé, parce qu'elle ne sait pas se servir de ces trucs-là et qu'on n'avait pas encore trouvé le moyen de l'organiser. Cela m'a fait plaisir et m'a émue...

J’ai sérieusement repris le travail. Non, en fait. Mes élèves ont sérieusement repris le travail. La tendance s’est affirmée depuis hier après-midi et le phénomène s’est carrément accéléré depuis 4 ou 5 heures. Normal de se mettre à travailler les deux derniers jours avant la rentrée : des élèves restent des élèves, même en temps de crise mondiale du COVID. C’est rassurant, cette permanence du travail à l’arrache du dimanche soir. Réconfortant. Touchant.

Moi, je n’avais pas vraiment lâché, parce que les vacances des profs n’en sont jamais à 100 %, même en confinement. Les messages, les questions sont arrivées, au fil des 15 derniers jours, en nombre réduit, mais tout de même, un peu. Et puis il faut toujours penser à la suite, prévoir les cours pour la dernière période, tellement incertaine, avant les grandes vacances.

Avec les 6e, ce sera un peu de théâtre, Le Médecin Volant, de Molière. En travail à distance, cela présente quelques avantages : le texte est disponible en ligne ainsi que des vidéos. Le théâtre est un art vivant.

Pour les 3e, nous travaillerons la poésie lyrique puis la poésie engagée. Je vais les faire écrire. Parce que même à distance, c’est facile à organiser, l’écriture. Avec les poèmes engagés, je vais en faire de petits révolutionnaires, des résistants contre le virus. Ou un truc comme ça. Enfin, sans avoir de souci avec le rectorat, si possible.

Cela ne nous ferait pas de mal de relire ces poèmes de la 2e guerre mondiale. De définir ce que c’était que le courage, l’engagement, la liberté.

La liberté ? Les brigades de santé, le secret médical ? Les autorisations dérogatoires, la liberté d’aller et venir ? La liberté d’exercer son métier ? De gagner sa vie ?

J’essaie de me dire que l’important, c’est d’être comme Diego, libre dans sa tête, mais je me demande si l’on pas déjà morts, peut-être.

L’espèce humaine, ce chiendent de la planète, s’en sortira. Mais notre civilisation, non. Quand on se tire une balle dans le pied de la sorte, point de salut, je le crains.

Et pas un poète, pas un révolté pour dire “laissez-nous notre liberté de juger, laissez-nous le droit d’être responsable de nos actes. Si nous savons ce qui est dangereux, nous sommes capables de nous protéger sans que vous nous verbalisiez. Sans que vous nous punissiez comme des enfants.”

C’est peut-être le résultat de décennies d’individualisme. De réunions publiques durant laquelle les gens dénoncent tellement facilement “ceux qui roulent comme des fous”, mais qui sont les premiers à être verbalisés si jamais on met un radar dans leur rue. Peut-être que c’est juste la nature humaine qui est désespérante. Peut-être que c’est le résultat d’années de Cyril Hanouna (mais avant cela, de Christophe Dechavanne et de Patrick Sébastien) à la télé. De cette espèce d’abêtissement général. On s’est mis à ne plus penser, d’une manière globale.

Qui pense encore un peu à ce qu’est vraiment la liberté ? Je suis parfois effarée par les réponses simplistes qu’on nous serine, même sur les radios de service public, à ce sujet. Pour moi, la liberté, c’est avant tout penser en dehors de toute contrainte. C’est un défi permanent, c’est une recherche, c’est quelque chose qui n’est jamais complètement terminé. J’ai dû apprendre à penser en dehors des contraintes familiales, par exemple, quand j’ai pris conscience de mon homosexualité. En dehors des contraintes de la société dont j’étais issue. Il a fallu que je me forge ma liberté, pour être fidèle à moi-même.

Est-ce qu’en ce moment, nous sommes capables, collectivement, de penser en dehors des contraintes externes, des contraintes de l’Etat, des grosses macroneries dont on nous abreuve, des "les masques sont inutiles" puis "les masques sont obligatoires", des trumperies grotesques, des "injectons nous du savon en intraveineuse" et des "c'est la faute aux Chinois, faisons la 3e Guerre Mondiale" ?

Est-ce que nous serions capables de penser uniquement en fonction des contraintes de la raison ? C’est un peu trop kantien, peut-être, pour un dimanche soir. 

Bah !


samedi 2 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #48

Paye ton look de black bloc !
Je n’ai pas de fièvre.

Dans notre quart nord est tout infecté et de rouge repeint sur la carte de France, je note que les gens prennent au sérieux le petit microbe. Il n’y pas de doute sur son existence, parce qu’on connait tous des victimes, des malades et des morts. Ce n’est pas le cas partout, notamment, dans les régions en vert, en Savoie, par exemple, quand j’appelle ma famille ou en Normandie ou en Aveyron, c’est un peu moins concret, un peu plus lointain, comme menace, et le confinement ressemble à des vacances. 

Ici, les gens sont devenus complètement obsédés par les masques. Ils veulent des masques, coûte que coûte. Ce matin, au marché, principal sujet de conversation : le masque, en avoir ou pas, le masque, on a l’air fin, avec ce machin, le masque et la buée sur les lunettes (j’ai un truc, pour la buée, c’est le savon de Marseille. Tu vois flou comme quand tu laves tes lunettes avec une tranche de jambon, mais plus de buée, c’est magique).

Des masques, est-ce que la mairie va en donner, combien ? Et moi, je suis diabétique, obèse, asthmatique, j'y ai droit ? Oui, à la pharmacie, sur ordonnance de ton docteur, renseigne-toi !

Ton masque, est-ce que tu l’as cousu ? Masques, mode printemps été 2020, quelles sont les couleurs tendances ? Ah, non, hein, pas celui en bec de canard ! Alors qu'on peut en faire de très jolis avec des bonnets de soutif ! C'est quand même plus charmant, la dentelle !

Ce masque, alors, dis-moi tout, triple couche ? Bi-couche ? AFNOR ? Me dis pas que tu as une machine à coudre ? Et les élastiques, tu les as trouvés où, c’est la rupture de stock partout? Ah ! Tu découds les élastocs de tes slips ? C’est une idée, même si c’est un peu large. Prends celui de ton string, alors ! (sinon, ça décolle les oreilles !) Ah, mais ça fait une semaine que j’ai abandonné l’élastique derrière l’oreille, ça me sciait ! J’ai opté pour l’attache à l’arrière de la tête.

Et il est certifié, celui-là ? Par l’Etat ou norme CE ? FFP1, FFP2, FFP3 ? Filtration à 98,9 %, t’es sûre ? T’arrives quand même à respirer ? Non, il n’est pas conseillé pour faire du sport, en effet. Je connais un type qui a essayé : il est rentré chez lui après son footing, il était tout bleu.

On est tous devenu des spécialistes des masques en trois semaines. Pour une année où tous les carnavals ont été supprimés, on est servis !

Et toi, tu l’as eu où ? C’est la filière marocaine, je l’ai eu sous le manteau derrière l’église. C’est le pasteur qui m’a filé le tuyau. Il se lave 20 fois. Le problème, c’est qu’au troisième lavage, l’élastique pète. Pour l’élastique, ceci dit, tu peux rafistoler ça avec un vieux bas. Mais la filière marocaine, crois-moi, c'est mieux que la filière de la Loire : on en a commandé chez Jacquard, c'est entre le vieux torchon et la couche de bébé, version années 50. La honte de vendre des trucs pareils pour ce prix là...

Moi, j’en voulais un customisé, un truc joli, tu vois ! J’adore la moto et j’ai vu que Kawasaki en faisait des cools, par internet. 80€, par contre. Je vais le faire faire à ma femme et j’écrirai Kawasaki dessus. Euh...Kawasaki, t’es sûr ?

Il va falloir s’y habituer, encore deux mois (pour l’instant) d’état d’urgence sanitaire. Jusqu’au 24 juillet. Moi je prends de ces suées sous ce machin, cet été, ça va être l’enfer. Est-ce que c’est bon pour la peau, cette espèce de sauna du visage, tous les jours ? ça fait peeling, ça élimine les points noirs, tu crois ? Il vaudrait mieux que ce soit du coton, non ? Le mien est en polyester, c’est bon pour la peau, ça, le polyester ? Non et puis ça donne une mauvaise haleine, en plus.

Qu’est-ce qu’on a l’air ridicule, mes amis. Oui, mais le ridicule ne tue pas, le virus, oui.


vendredi 1 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #47

Je n’ai pas de fièvre.

Comme rien n’a de sens, après le mois de mai sous un soleil d’une chaleur douce et paisible, vient le gris, le pluvieux, le froid mois d’avril. Pourvu que ça dure.

Comme rien n’a de sens, on découvre que les masques chirurgicaux qu’on attendait légitimement pour les chirurgiens et autres professions de santé, depuis le début du mois de mars, seront désormais en vente dans les supermarchés pour des prix faramineux : plus du double de ce que nous les trouvions il y a un mois.

Comme rien n’a de sens, le président Macron fait désormais des allocutions sur le pire réseau social - aka Twitter, le réseau des haters - pour dire que le 1er mai est la fête de ceux qui aiment le travail, qui le chérissent. La fête des masos, on est beau ! Il oublie complètement l’aspect “droit du travail”, tellement moins festif, tellement moins sexy, tellement moins “chamailleur” (mais où va-t-il chercher des idées pareilles ?) que les “1er mai heureux” que le président appelle de ses voeux…

En tout cas, il est bronzé comme un petit pain “maison” de confinement sortant du four, Manu, c’est plaisant à regarder. Pour lui, je suis sûre que c’est un 1er mai heureux : ne pas être obligé d’accueillir à l’Elysée des syndicalistes barbus et moustachus, chantonnant du Jean Ferrat et fleurant bon le vin rouge et la merguez. Il jubile sur sa vidéo, je vous jure.

Sinon, ce midi, j’ai fait un rôti de porc au thym, à l’ail, à l’huile d’olive et au miel. Le miel, juste pour que le rôti caramélise doucement au four. Cela forme une petite croûte très croustillante sur la viande...Un délice. Amandine avait trouvé des pommes de terre nouvelles au marché et cela était parfait.

Allez, j’ai assez travaillé pour aujourd’hui. Il est temps que je me consacre entièrement au repos imposé par ce 1er mai chamailleur et joyeux, comme dit l’autre !

Ciao...Bella, ciao !