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dimanche 16 janvier 2022

Faites du sport, qu'ils disaient...


Je suis partie courir ce matin, mue par des motivations plus ou moins discutables : tout d’abord parce que des amis ont publié leur performance sur internet. Une performance admirable, un modèle indépassable pour la piètre sportive que je suis. Mais l’envie d’essayer était là ! 

Ma deuxième motivation était encore plus fallacieuse : hier, nous avions fait bombance. Un restaurant gastronomique, entrée plat dessert, apéro et Pouilly-Fuissé. J’avais très bien digéré, ce matin : lorsqu’on mange du très bon, on digère toujours bien. Malgré tout, j’avais une petite culpabilité. 

Enfin, il faisait très beau. Le soleil inondait une nature étincelante de givre. 

Je suis partie, en forme, normal, bien couverte. Les sensations étaient bonnes, le froid était très supportable, grâce au soleil et à l'effort. Cependant, je suis revenue avec les poumons détruits. On est en plein pic de pollution. J’ai toussé la moitié de la journée. Mon petit running matinal s’est transformé en pause clope géante. Je ne suis pas sûre du bénéfice, par conséquent. 

Je ne sais pas encore si je voterai pour Jadot à la présidentielle. Mais je voterai pour quelqu’un qui porte des thématiques écolos fortes et sincères, c’est une évidence. On ne peut plus continuer comme cela, on va tous crever prématurément de toute cette pollution dégueulasse. C’est un constat, ce n’est pas une extrapolation, une vision d’avenir. Le problème n’est pas celui de la planète : il faisait beau, ce matin, et la nature gelée était parée de mille strass sous le soleil. On aurait pu croire à la pureté, à la beauté, à la propreté d’un tel paysage. Et pourtant la pollution était là, invisible et vous collait aux poumons. Quand on regardait la scène d’un peu plus haut, on voyait bien la vallée se nimber d’un voile orange-marron des plus sales. 

On est en alerte rouge depuis plusieurs jours, la moitié de la France est dans le même cas. On continue de rouler en voiture et on se pose mollement la question des moteurs hybrides. On a la chance d’avoir des centrales électriques qui nous permettent pourtant de passer à autre chose. Sauf si, au nom d’un libéralisme total, le gouvernement fait le choix de démanteler EDF. Ce qui est en train de se passer. 

Pour mieux comprendre....


Mais bon...Dormons tranquille, la fin du pic de pollution est annoncée pour demain.

 

mercredi 12 janvier 2022

Demain, c'est la grève


Il y a des jours où il n’y a pas grand chose à dire sur l’actualité. Les jours, en ces temps de pandémie, se suivent étrangement et se ressemblent tristement. J’aime l’utilisation des adverbes qui viennent souligner le vide de nos vies, inexorablement. Je les aime aussi parce qu’il me font toujours réfléchir sur les doubles consonnes, véritable calvaire de notre langue. 

Je suis réellement capable d’écrire beaucoup sur rien, pourvu qu’il y ait des adverbes. C’est un talent rare et envié de tous les politiques, hormis Taubira, qui sait faire la même chose, sans les mains et avec des citations incroyables. Je l’admire pour cela. 

Aujourd’hui, donc, rien. 

Demain, par contre, une grève historique dans l’éducation nationale. Je la ferai, même si je n’ai qu’une seule heure de cours le jeudi. Ne pensez pas que je suis une feignasse, j’ai juste une décharge qui me permet d’être élue. Ne pensez pas que c’est un privilège : je suis payée en conséquence, c'est-à-dire que je suis très mal payée. Je ne me plains pas, je n’ai pas choisi d’être prof pour m’enrichir, mais cela ne vous regarde pas. 

Donc, demain, je serai solidaire de cette grève qui sera extrêmement suivie - bien plus que lorsqu’on se bat pour nos salaires de merde, d’ailleurs. Je serai solidaire, parce que depuis deux ans, les profs encaissent durement les virements et les revirements d’un ministre méprisant et ignorant des conditions de travail, et ses prises de décisions arbitraires visant principalement le grand public par le truchement des médias. Il fait des annonces, c’est là son principal souci. Des annonces qui ne sont pas destinées aux professeurs, aux personnels de direction ou aux agents de l’éducation nationale. Il fait des annonces - dans la presse payante, en plus - à son électorat supposé, composé de riches bourgeois dont les gamins sont dans le privé, de retraités dont les enfants ne sont plus en âge d’être scolarisés ou de célibataires sans enfant. Je suppose. Parce que tout ceux qui de près ou de loin doivent subir l’école, le collège ou le lycée public pourront vous le dire : c’est la merde. Les profs ne sont pas remplacés, les protocoles sont intenables, les élèves qui se font des calins dans la cour doivent porter des masques en classe, ce qui n’est pas facile facile à faire comprendre à ses ados dont les hormones explosent, et si les profs ne s’étaient pas fait un budget spécial “masques chirurgicaux", on serait mal, avec les masques en tissus tout pourris (et même toxiques au début) fournis par l’institution. 

Il est vrai que penser que Blanquer dit vrai quand il dit que tous les profs vont être équipés en masque FFP2 alors que le reste du temps, il faut déjà pleurer pour avoir deux feutres pour le tableau, c’est croire au Père Noël. 

Et je n'enseigne pas dans le primaire, parce que c'est encore bien pire, évidemment !

Bref, on voudrait croire que le gouvernement compte sur l’école pour que l’immunité collective se fasse, qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Le problème, c’est que tout cela n’est pas dit. Si c’était le cas, on dirait OK… Nous les profs, on est des bons soldats ! On enlèverait les masques et on ramasserait les stylos que les gamins se mettent en général dans le nez pour les lécher consciencieusement. 

Allez, bon covid à tous ! Et bonne chance !

 

mardi 11 janvier 2022

Taubira, Taubira pas...


Tout d’abord, pour être tout à fait au clair avec ce que vous allez lire, je tiens à vous le dire : Taubira, je l’aime d’amour. Déjà, c’est tout à fait le genre de nana que je kiffe : intelligente en plus d’être cultivée, déterminée pour ne pas dire autoritaire, libre et résolument humaniste. Depuis la loi sur l’esclavage, depuis le débat sur le mariage sur tous, depuis que j’ai eu l’occasion de l’entendre, dans des interviews, des émissions, des discours, des diatribes, des déclamations, je l’aime. Je me suis même inscrite à un groupe de soutien depuis l’été dernier, pour l’inciter à se présenter à la présidentielle, sur Facebook. 

Elle a dit non, d’abord. Assez...clairement… Le problème, avec Taubira, c’est que l’adverbe “clairement” n’est pas celui qui convient le mieux à sa pensée. En gros, elle a d’abord dit “Lorsque la situation semble désespérée, lorsque l’embarcation, sur la mer déchaînée, semble trop fragile, lorsque l’homme qui tient la barre semble connaître les vents et les marées et que la vague le surprend, lorsqu’il pense faire face mais qu’il est submergé, il faut que les femmes et les hommes de bonne volonté prennent leur responsabilité. Je ne serai pas celle qui ajoutera de la houle là où le vent semble déjà trop fort.” 

On n’a pas tout compris. On a gardé, collectivement, l’idée qu’elle ne serait pas celle qui…Mais qu’avait-elle voulu dire ? Personne ne le sait vraiment. 

Quelques mois plus tard, elle était toujours dans le mystère nimbé de poésie qui caractérise toujours ses prises de parole. Quand au détour d’une interview, on lui demandait inévitablement si elle se présenterait, elle citait…Genre “Même le crayon de Dieu n’est pas sans gomme” comme disait l’indépassable Aimé Césaire. 

Pendant ce temps, forcément, il y a eu Jadot, puis Hidalgo, puis Mélenchon, puis Fabien Roussel, puis Philippe Poutou, puis Nathalie Arthaud, puis Pierre Larrouturou…N'en jetez plus, la cour est pleine, comme disait ma grand-mère — beauté de la langue française. 

Et à nouveau, on lui demandait, M’dame Taubira, ira, ira pas ? Et, toujours un peu mystique et absconse : “Si le moment l’exige, si la situation le veut, si je n’ajoute pas de la confusion à la confusion…Je ne voudrais pas être celle qui, par le truchement d’une candidature de trop, sera celle dont on dira iniquement qu’elle a fait perdre la gauche alors que celle-ci est déjà exsangue, piéça, dévorée et pourrie, comme l’aurait dit Villon…” Et d’être obligée de préciser, devant les journalistes un peu ébaubis “Non, pas François Fillon, mais François Villon, le plus grand poète du Moyen- Âge, mes chers petits béjaunes…” 

À sa décharge, il faut se souvenir qu’en 2002, on l’accusa d’avoir fait perdre Jospin en se présentant. Je crois que Jospin est arrivé à perdre tout seul comme un grand et qu’il n’avait besoin de personne pour ça…C’est d’ailleurs de l’histoire ancienne. 

Le temps passait et Christiane ne se déclarait toujours pas franchement. Elle prendrait ses responsabilités, elle verrait, le moment venu. Et voilà que mi-décembre, paf, coup de tonnerre dans un ciel déjà bien couvert…un peut-être, un qui sait, un pourquoi pas… Alors que l’on n’y croyait plus, qu’on se trouvait déjà des explications — qu’elle était finalement un peu âgée pour rempiler éventuellement pour 5 ans, qu’elle ne voulait pas, avec sa stature, avec son aura, avec son charisme, se prendre une tôle assez courue d’avance et que le timing n’était définitivement plus le bon…— voilà que l’incertitude était un peu moins forte. 

Et puis elle a écrit une très belle tribune dans Le Monde. Je me moque avec un peu de facilité de l’esprit quelque peu alambiqué pour ne pas dire l'élocution ampoulée, de Christiane, mais elle sait faire preuve de synthèse et être concrète quand il le faut. Cela ressemble déjà presque à un programme. C’est à gauche. C’est clair et cela fait du bien, à l’heure où toute la gauche est inaudible. 

Cependant, à l’heure où j’écris, on a eu le droit à un énième pas de fourmi vers la possibilité d’une éventuelle candidature, avec la condition de passer par une primaire populaire dont elle saurait respecter les résultats. 

On ne sait plus que penser. On n’a jamais vraiment su que penser de toute cette histoire depuis le début. 

On a bien l’impression tout de même qu’elle n’a pas tellement envie d’y aller. 

C’est dommage, on aurait eu une candidate qui avait la classe, la culture, la personnalité et les convictions que l’on attend à gauche. Mais à part un miracle — aka un désistement surprises d’au moins trois ou quatre autres candidats de gauche à son avantage —, je crains qu’il faille arrêter de rêver.


lundi 10 janvier 2022

Un peu de politique (ça nous changera du virus)

Dormons tranquille...

Fut un temps où je caracolais en tête des classements nationaux en matière de blogs politiques. C’était il y a longtemps. C’était avant Hollande. En ces temps immémoriaux (on oublie si vite, en politique), il y avait une certaine jouissance, au moins une réjouissance, à parler de politique. On s’amusait des saillies quelque peu fleuries d’un Sarkozy qui ruait dans les brancards, on s’indignait, on caricaturait, on râlait, on croyait encore, un peu, un tout petit peu, aux idées, si ce n’était aux idéaux. 

On croyait encore un peu qu’après la pluie, le beau temps, qu’après des années de droite sécuritaire et capitaliste, viendrait une gauche sociale et solidaire, pour rééquilibrer le jeu. 

On s’est vite rendu compte que la gauche avait perdu ce qui faisait son honneur, la défense des plus fragiles, au profit de combats sociétaux menés sans panache : on se souvient avec douleur de la lâcheté de Hollande pendant le débat sur le mariage pour tous, alors que l'histoire aurait dû être réglée en deux semaines. 

Il s’en suivit un long chemin de souffrance vers le macronisme, pavé de pas de deux, en avant et en arrière, le tout, sur un air de Valls. 

C’est à ce moment-là que je décidai d’un commun accord avec moi-même d’arrêter de commenter la vie politique. C’était devenu sinistre : la gauche s’évertuait à ressembler à la droite, la droite n’avait plus grand chose à dire. Que dire en effet, quand on est un Ciotti, devant la proposition de déchoir de leur nationalité les terroristes ? Rien de plus désarmant, pour une opposition, que d’être confrontée à ses propres idées dans le camp d’en face : plus de riposte possible. 

Le boulevard était tracé pour Macron et pour son fameux ni gauche ni droite, qui permet de naviguer à vue, dans le brouillard et de compter sur l’amnésie collective, ainsi que sur le manque de culture politique, pour dire tout et son contraire selon les circonstances. 

Bref, je ne suis pas la seule a avoir arrêté de parler de politique. Plus personne ne croit en rien, les anciens camps crient dans le désert…et pour finir, un virus phagocyte tout le débat… 

Et pourtant, il paraît que dans trois mois, on doit élire un président de la République et dans la foulée, des députés. 

Pour l’instant, le débat de fond est inexistant. Il y a de grande chance que le Karcher de Sarkozy que Pécresse a récupéré à la cave ait souffert de l’obsolescence programmée et la gauche est tellement inaudible qu’on dirait bien qu’elle a été dissoute au Karcher. 

Certes, les extrêmes jouent un peu le rôle poil à gratter : tout le monde joue à se faire peur, un peu, avec Zemmour. Mais personne n’y croit vraiment. On sait bien que cet olibrius ne peut pas parvenir à renverser Macron. Il ne peut sans doute même pas parvenir au second tour. Il n’a pas les épaules, l’expérience et ses idées sont beaucoup trop farfelues pour les gens raisonnables que sont les Français au moment de glisser un bulletin dans une enveloppe. Le Pen s’agite en vain, et puis Zemmour la ringardise… Et Mélenchon, même s’il a une certaine culture politique de gauche qu’il reste le seul à défendre, fait peur à tout le monde. 

Macron peut dire ce qu’il veut. Il peut emmerder tout le monde, il est le seul dans le game. Il fanfaronne à merci et il a raison car finalement, dans la morosité du paysage politique actuel, il est le seul à sortir du lot. Il sort du lot en parlant à son électorat et on ne peut pas le lui reprocher. Il ne parle pas à ceux qui ne voteront pas pour lui, quoi qu’il fasse. C’est quelque chose que la gauche de Hollande n’a jamais compris. Pour reprendre l’exemple du débat sur le mariage pour tous, souvenez-vous, Hollande louvoyait : en plein milieu de la polémique, alors que les catho extrémistes manifestaient dans les rues en déversant leur haine homophobe, il prétendait qu’il laisserait les maires choisir. Il ne donnait pas l’image d’un type sûr de ses convictions…et c’est bien ce qui peut déstabiliser un électorat. 

Macron, il parle à ceux qui votent pour lui : ceux qui réussissent, les premiers de cordées, ceux qui payent des impôts, qui veulent des résultats, ceux qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du travail, ceux qui ne sont pas rien. Ceux qui disent très probablement : “Les non-vaccinés, on les emmerde !” 

Je ne dis pas que je suis d’accord avec lui. Mais sa stratégie est évidemment la bonne. On a plutôt tendance à vouloir des winners, pour diriger le pays, non ? 

Et c’est triste, mais on n’en a pas d’autre… 

Demain, peut-être, si j’ai le courage, je vous parlerai de Taubira.

 

dimanche 9 janvier 2022

Le test que j'adore manquer !


Le virus ne veut pas de moi (mais il attaque quand même bien mon moral). Courage à ceux qui ont attrapé cette sale maladie : ils sont nombreux et ça n'a pas l'air marrant. En espérant que l'hôpital ne soit pas nécessaire et que ce ne soit pas non plus ce fameux covid long. 

Demain, je retourne au collège et j'attends de voir la situation. La semaine dernière, il y avait déjà pas mal de collègues absents, alors on verra. Pour les élèves, je suis dans un quartier où l'on ne se teste pas beaucoup et où l'on se vaccine encore moins. On verra. 

Le dimanche qui se termine a été gris et mou, une sorte d'éléphant mort. Peu de monde au marché, ce matin, des dictées que j'ai sur-notées pour ne pas déprimer mes 3e...Heureusement, il reste les plaisirs de la table. Tiens, j'ai mangé un bout de galette des rois qui était très bonne : légère, pas trop sucrée, une vraie pâte feuilletée. 

Sinon, nous avons découvert le film "Soleil vert", cet après-midi. C'est un film de 1973, mais l'intrigue se situe en 2022. Nous n'y sommes pas tout à fait, mais nous nous en approchons : la planète est tellement polluée par les activités humaines et tellement surpeuplée, que les ressources alimentaires manquent. On est donc obligé de manger nos morts. Je résume un peu vite. C'est un bon film. Mais cela ne remonte pas le moral. On court à la catastrophe et on le sait depuis longtemps, malgré cela, nous continuons...

Enfin, quelques personnes se sont inquiétées à la lecture de mon précédent billet. Il n'y a pas de quoi...Comme toujours, c'est beaucoup moins inquiétant quand j'écris que lorsque je ne parviens pas à pondre une seule ligne. Ce sont mes angoisses que je pose là, que je mets à distance, que je dissèque et que je tue. Et puis la fiction exige d'un peu forcer le trait...

Les quelques commentaires que j'ai reçus, en tout cas, étaient toujours adorables et c'est ce que je garde...Merci pour les compliments, ils me vont droit au coeur. Surtout que je doute beaucoup, en ce moment, sur ma capacité à écrire...

Haut les coeurs, la vie est belle, même si demain, nous sommes lundi...




samedi 8 janvier 2022

Dans la rivière d'hiver


La boue de l’allée collait aux godasses et le parc était presque désert. Le soir tombait tôt, en cette fin janvier. L’après-midi à peine commençait-il que l’on désirait déjà rentrer à la maison, se glisser sous un plaid, avec un thé brûlant. Le froid mordait au visage. 

Le parc était presque désert. Quelques promeneurs de chien, ça et là, divaguaient lentement, comme dans un film de zombies. Il semblait que c’était les chiens qui traînaient leur maître au bout de leur laisse. 

La nature d’hiver était d’une tristesse incroyable. Les pelouses détrempées étaient plus râpées que les vieux tapis d’un accueil de la CAF, un jour de pluie, parsemées d'étrons géants que les propriétaires de chihuahuas, de bouviers bernois, de caniches nains ne prenaient jamais le soin de ramasser. La conscience tranquille, lesdits propriétaires pensaient que la crotte Royal Canin de leur petite bête constituait un excellent engrais pour les plates bandes. Jamais ils n’avaient une pensée émue pour l’employé communal qui pulvériserait sur ses chaussures de sécurité, façon crépi, la matière organique malodorante, quand il passerait la tondeuse. Les saules du parc laissaient pendre leurs branches nues et la rivière avait des airs de torrent boueux parsemé de papier bulle, de canettes défoncées, de sacs plastiques déchiquetés. 

La nature d’hiver, — pouvait-on encore l’appeler nature ? — servait d’écrin à la crasse humaine. Même le ciel au-dessus des usines désaffectées semblait s’être mis au diapason de toute cette saleté grisâtre. 

Des psychologues et des journalistes s’étaient mis d’accord pour nommer ce lundi-là le jour le plus déprimant de l’année. Le blue monday

Les baskets que j’avais eu la mauvaise idée de porter prenaient l’eau et les flaques étaient nombreuses. La boue était glissante et bien que j’avais adopté l’allure que dictait le temps et que je me mouvais à la vitesse d’un vieillard valétudinaire, je manquais de tomber à plusieurs reprises. 

Je crois que c’est lorsque le ciel commença à m’envoyer un petit crachin froid et gluant que je touchais le fond. J’étais sur le petit pont, au-dessus de la rivière chargée des eaux tumultueuses et glaciales d’un redoux de janvier, ces eaux issues de la fonte des neiges et des pluies torrentielles de la saison, quand les terres saturées ne peuvent plus rien absorber. Je ne pouvais plus rien absorber. J’étais comme ces champs d’hiver, dégorgeant, recrachant, vomissant toute la flotte des cieux et des profondeurs. Ma nappe phréatique était à son niveau le plus critique. 

En deux ans de pandémie, j’avais bu jusqu’à la lie la misère de l’homme, sa turpitude, sa vacuité. J’étais le désespoir incarné. Le désir m’avait fui et je vivais par habitude. J’étais sur ce pont comme on est à un point de non-retour. 

Deux ans que l’on tournait en rond dans un bocal. Deux ans que l’on enchaînait les mauvaises nouvelles. Les malades et les morts, les mesures absurdes du gouvernement. On ne pouvait plus sortir la conscience tout à fait tranquille. On compatissait en permanence, on avait fait de l’empathie un sport extrême : l’empathie avec les soignants, avec les patients, avec les professions essentielles, avec les professeurs, avec les pharmaciens, les restaurateurs, les camionneurs. L’empathie poussée à ce point, au quotidien, ça vous dévorait le crâne, ça vous empoisonnait jusqu’au cœur de votre sommeil. 

Tout devenait situation complexe : une opération de la cataracte pour votre belle-mère, l’organisation du mariage de votre meilleure amie, les vacances en Ardèche, le voyage pour le travail en Belgique. Les anti-vax, les manifestations du samedi, les clivages de la société, les débats sans fin, les télés et les radios qui ne parlaient plus que de cela. C’était la vie toute entière qui devenait très compliquée. Obsessionnelle. 

J’avais absorbé comme le canard absorbe la pâtée avant Noël. Absorbé le covid du frangin, les visites rendues difficiles à la maison de retraite pour ma mère, l’isolement, les tests PCR à répétition. La solitude, les sorties qu’on annule, les concerts qu’on repousse. 

J’avais absorbé la crainte de tomber malade, les chiffres de la tension en réa, les noms grecs des variants. J’avais absorbé les trois doses de vaccin, la pollution des masques qu’on retrouvait jusqu’au sommet des arbres et dans les caniveaux. J’avais absorbé la dépression des autres, les étudiants qui voyaient leur jeunesse gâchée, les vieux qui voyaient leur mort arriver sans pouvoir profiter de leurs petits enfants durant le peu de temps qui leur restait. J’avais encaissé, encore et encore les reportages télé, les articles de journaux, les envoyés spéciaux en Inde, le manque de bouteilles d’oxygène, les complotistes qui mettaient ça sur le dos de Bill Gates, des francs-maçons ou des Juifs. J’avais tout pris en pleine gueule, j’étais une éponge saturée de toxines mauvaises, plus saturée encore que le muscle de la vache qui voit la mort de sa copine à l’abattoir. J’étais comme tout le monde, mais peut-être plus sensible et avec la peau plus fine, je ne sais pas. Les interdictions de manger debout, la permission de manger assis, sauf au ciné, le plexiglas, les ordres et les contre ordres d’un gouvernement dépassé, comme tous les gouvernements du monde, par un virus incompréhensible et insaisissable, mettaient en danger les systèmes de santé, le capitalisme et ma santé mentale. 

Ma santé mentale. C’était le sujet, ce soir-là, sur ce pont, au-dessus de ces eaux tourmentées, sombres, périlleuses. Depuis quelque temps, déjà, j’avais des idées noires, des petites phrases qui naissaient dans mon cerveau sans que je puisse les contenir “Ma vie est finie”. Des phrases dépressives, détachées de tout contexte. J’étais au travail, j’étais devant la télé. Rien ne semblait dramatique et puis je me disais “Je vais sauter la tête la première depuis le balcon”. Je n’y attachais d’abord que peu d’importance. Mon sourire était encore là et je continuais de cuisiner de bon petits plats. Je continuais de me maquiller avant de sortir. Personne ne savait rien de ces sentences morbides qui traversaient mon crâne comme un courant électrique, avant de disparaître. Je me persuadais que l’on ne se tartine pas de crème anti-rides et qu’on ne s’épile pas les mollets lorsqu’on veut réellement mettre fin à ses jours. Je me persuadais que j’étais forte et que j’allais bien. 

Devant ces eaux qui se précipitaient sous mes pieds, devant ce fracas parsemé de détritus, pourtant, j’en doutais. La nature était trop sale et le monde trop laid et je n’étais rien qu’un minuscule accident de l’univers dont le passage ici bas n’aurait pas de conséquence. “Personne ne t’aime, tu ne sers à rien, ta vie n’a pas de sens. Personne ne te regrettera…”, disait sans relâche la voix dans ma tête, lancinante et triste comme une chanson de Damien Rice. Ce n’était pas moi qui parlait, cependant. J’étais attirée par les eaux sombres, je savais qu’il s’en fallait de peu pour que je sombre. Pour que je plonge, pour que je me laisse emporter par le courant puissant, pour qu’il m’enlace dans ses bras glacés et qu’il m’entraîne dans une dernière étreinte d’éternité. 

Mais un éclair argenté zébra la surface de la rivière avant que j’enjambe la rambarde du pont. 

Et en même temps que la voix mortifère, s’éleva celle de la petite fille qui vivait toujours en moi, émerveillée par la force des fleuves, par la beauté des soleils couchants, par l’énergie de vie des forêts. Quelque chose d’autre m’appela. 

L’éclair. Tout à coup, je crus voir des poissons merveilleux, arc-en-ciel, des poissons magiques frétillant et caracolant dans les remous, des couleurs, des flashs et des reflets. Au couchant, à l’horizon, le ciel se fit violet, une lueur étrange et puissante, un espoir. Je n’étais plus dans ce parc, je ne savais plus qui j’étais. J’avais changé soudain. J’avais compris. J’avais grandi, j’avais rajeuni, j’avais retrouvé les miracles d’antan, quand on se raconte des histoires avant de dormir, quand on croit aux fées et aux sorcières. L’esprit de la rivière m’était apparu, éternel et divin. Je n’avais pas fumé et je n’avais pas bu. J’étais juste sauvé par la vie qui coulait dans mes veines. J’ai compris la lune qui s’éleva, j’ai compris la cime nue des arbres dressés vers un ciel ouvert, j’ai compris chaque brin d’herbe en hivernage, chaque branche cassée et chaque feuille retrouvant le sol pour y devenir humus et pour redonner vie, j’ai compris l’insignifiance de toute chose et son importance infinie, le puzzle dont nous faisons partie à notre insu. J’ai compris que la pandémie n’était pas un poids, que c’était une force, que c’était notre mise à l’épreuve pour mieux apprécier la beauté et la préciosité de la vie. 


En rentrant, ce soir-là, j’ai appelé ma mère à la maison de retraite. Elle ne se souvenait pas de ce qu’elle avait fait, ni de qui elle avait eu la visite. Mais elle était heureuse d’avoir eu de la visite et il lui restait le sentiment d’avoir bien mangé. Elle allait bien. Ce soir-là, j’ai écouté de la musique et j’ai cessé d’écouter les bruits stridents du monde. Ce soir-là, j’ai rouvert mon ordinateur et j’ai écrit.