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vendredi 3 avril 2020

Journal de guerre contre un virus #19

Je n’ai pas de fièvre.

Je vous dis ça depuis 3 semaines, mais à part le premier jour, je n’ai pas pris ma température. Ne faites pas confiance à la tenancière de ce blog, elle raconte n’importe quoi...mais franchement, vous aimez ça, prendre votre température ?

Prenons la température du pays.

Les collégiens, les lycéens, pour la première fois de leur vie ont écouté avec attention une intervention ministérielle. Ils ont perdu des cours, mais je veux croire que derrière leurs écrans, entre quatre murs, ils apprennent autrement, autre chose. Ils apprennent la solitude, l’isolement, la promiscuité, l’ennui. L’autonomie, on l’espère. Ils apprennent sûrement la colère, la frustration, l’énervement. Ils apprennent que la politique est importante et a des répercussions concrètes sur leur vie. Un élève de 3e qui me rend parfois des copies écrites avec les pieds, mais qui est loin d’être idiot, malgré son profil si peu scolaire, a été le premier à retranscrire les propos de Blanquer sur Discord, tout à l’heure. Ils apprennent à écouter un discours, à l’analyser, à en tirer un avis nuancé. Au format SMS. Mais les échanges étaient intéressants : est-ce que les notes comptent depuis le début de l’année ? Oui. Est-ce que les notes obtenues pendant le confinement compteront ? Non. Et pendant le confinement, ce qu’on fait ne sert à rien ? Mais non, ça sert à préparer la seconde et puis si tu n’es pas absent, que tu fais preuve de sérieux, tout ça, ce sera pris en compte. D’accord, d’accord. N’empêche qu’on est “les élus” ! Pas de brevet, les gars, la classe ! Ouais, tu parles, toute notre vie, on sera les secondes qui n’ont pas le brevet…

Bref. J’ai trouvé qu’ils avaient mûri, en trois semaines.

Le constat, je crois, c’est que nous apprenons chaque jour un peu plus sur nous-même et sur ceux qui nous entourent. C’est dans les moments difficiles que certains se révèlent particulièrement. Particulièrement pénibles ou particulièrement brillants. Je ne balancerai personne. On découvre les hypocondriaques au bord du gouffre qui palissent et qui suent au moindre énoncé d’un symptôme du coronavirus : ça, c’est moi. On découvre les amoureux des grands espaces qui deviennent des lions dépressifs en cage, qui sont incapables de vivre juste l’instant et de prendre les problèmes tels qu’ils arrivent, au jour le jour. Qui se projettent systématiquement dans un futur trop incertain pour être rassurant. Ceux qui paniquent, qui sont pas logiques, du moins pas comme il faut, qui cherchent des solutions frénétiquement, le cerveau embrouillé par la peur et le doute. Et puis on découvre les calmes, les froids, les pragmatiques. Ceux qui gèrent, avec optimisme et énergie les dossiers quand ils se présentent. Ceux qui se noient dans le travail, dans les tâches à réaliser, dans le concret, parce que ça empêche de penser, de mettre les mains dans le cambouis.

On découvre surtout que chacun est capable de prendre l’un de ces rôles, au fil du temps.

J’aime les gens. Et ça, ce n’est pas près de s’arrêter.

J'aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J'aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J'aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger
J'aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté

J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons

J'aime ceux qui paniquent, ceux qui sont pas logiques, enfin, pas "comme il faut"
Ceux qui, avec leurs chaînes pour pas que ça nous gêne font un bruit de grelot
Ceux qui n'auront pas honte de n'être au bout du compte que des ratés du cœur
Pour n'avoir pas su dire "délivrez-nous du pire et gardez le meilleur"

J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons

J'aime les gens qui n'osent s'approprier les choses, encore moins les gens
Ceux qui veulent bien n'être, qu'une simple fenêtre pour les yeux des enfants
Ceux qui sans oriflamme et daltoniens de l'âme ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires pour que jamais l'histoire leur rende les honneurs

J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons

J'aime les gens qui doutent mais voudraient qu'on leur foute la paix de temps en temps
Et qu'on ne les malmène jamais quand ils promènent leurs automnes au printemps
Qu'on leur dise que l'âme fait de plus belles flammes que tous ces tristes culs
Et qu'on les remercie qu'on leur dise, on leur crie "merci d'avoir vécu!"

Merci pour la tendresse
 Et tant pis pour vos fesses
  Qui ont fait ce qu'elles ont pu

 Anne Sylvestre (Spéciale dédicace aux Gallezot, qui sauront...)


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