Je n’ai pas de fièvre.
En décembre, j’ai eu une semaine de vacances, en Savoie.
Depuis, j’ai enchaîné le boulot, la campagne des municipales et la crise du COVID-19 avec la cellule de crise tous les matins, et le travail à distance avec le collège le reste du temps.
De ma vie de feignasse de prof, c’est la première fois que je n’ai pas de vacances durant 4 mois et je tiens un peu sur les nerfs, je crois !
Mais je me surprends, quand même : ça ne va pas si mal, si l’on considère la situation. Je n’ai même pas eu un rhume. Le corps tient. Même si j’ai perdu 5 kilos, ce qui est plutôt sympa pour l’été...Comment ça, nous n’irons pas à la plage ?
Pour l’instant, sur la carte officielle du gouvernement, on est toujours en rouge, ce qui veut dire qu’on va continuer à ce rythme encore quelques semaines : cellule de crise, préparation d’une rentrée des classes dans notre ville pour - peut-être - le 1er juin, ou avant, ou pas du tout. Et télétravail, WhatApps, mail, pronote, Discord, SnapChat, avec les élèves.
Pour une ville de 15 000 habitants, avec 8 écoles maternelles et 6 écoles élémentaires, on va se préparer éventuellement à tout, on va bosser comme des malades pour des procédures de cinglés. Je te la fais courte : il faut désinfecter les classes plusieurs fois par jour, avant et après que les enfants iront aux toilettes, des litres de désinfectants et de gel hydroalcoolique qu’il faudra éviter de laisser à la portée des enfants pour ne pas qu’ils en boivent, et tout ça pour qu’ils choppent peut-être la maladie de Kawasaki et que cela retombe sur la responsabilité des maires.
Tout ça pour une dizaine de jour de classe au maximum, si on doit faire des groupes de 15 élèves et des roulements. Autant dire tout ça pour rien, pédagogiquement, au point où on en est pour l’année scolaire 2019-2020.
Mais il faut bien que quelqu’un garde les enfants pendant que leurs parents iront fabriquer des voitures à l’usine. Des voitures que pour l’instant, personne n’achète, surtout pas les gens qui ont perdu 20% de leur salaire pendant 2 mois. Ou pire.
Bref. La société continue de marcher sur la tête. On aurait pu poser un peu les valises durant ce temps offert par le virus. Penser sereinement. Se dire, tiens, on va réfléchir à une société différente : par exemple, durant la crise, on a remarqué que l’agriculture bio et locale a bien tenu le choc, à bien mieux résisté que l’agriculture traditionnelle. On a même vu des boites qui vendent des produits bio et locaux qui ont triplé leur clientèle et qui ont besoin de plus de producteurs. Donc, ce qu’on va faire dès que la crise sera finie, c’est de réquisitionner des terres arables pour installer des maraîchers, des producteurs, des agriculteurs bio, en permaculture, en aquaponie...pour produire des bons produits sains pour les citadins.
En tout cas, à Audincourt, c’est ce qu’on va faire. On va aussi planter des arbres, des fleurs mellifères, on va mettre des ruches dans le parc, on va faire des vergers partagés. On peut le faire, on peut changer de paradigme, on peut se recentrer sur l’essentiel. C’est à dire, pas le papier toilette, pas l’hyper consommation.
Ce serait bien, d’ailleurs que les commerçants locaux rebondissent de la même manière face à la crise : ne plus vendre les mêmes cochonneries chinoises qu’on trouve sur amazon, mais des choses produites dans notre zone. C’est possible ! Et toutes ces petites usines de textiles qu’on redécouvre en ce moment parce qu’elles se sont mises à fabriquer des masques : après la crise, il faut qu’elles produisent des vêtements français, des vêtements de prêt à porter made in France, qu’elles soient aidées par l’État pour qu’on puisse avoir des prix concurrentiels et qu’on arrête d’exporter des fringues moches d’Asie, des fringues qui ont voyagé plus que toi et moi, des fringues fabriquées par des gamins mal nourris, des fringues à 2 balles (mais qu’on paye beaucoup plus selon le petit logo sur l’étiquette) et qu’on jette à la poubelle au bout d’une saison…
Allez, je suis fatiguée. Pour rêver comme ça, c’est certain, je dors déjà !
Bonne nuit !
jeudi 30 avril 2020
mercredi 29 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #45
Je n’ai pas de fièvre.
Ce soir, j’aimerais écrire quelque chose de beau, évoquer des souvenirs d’enfance et la délicatesse des roses ployant sous la pluie, luisantes dans le soleil qui est revenu et qui a balayé le ciel.
Quelque chose de beau, comme la lettre de Gaël Faye, l’autre matin, sur France Inter :
Je me souviens des longs étés d’ennuis, des journées interminables de chaleur qui nous confinaient à l’intérieur pour des après-midis de siestes, de lecture, de jeux et de télé. Mon père au travail, les mois de juillet, le foin à couper, mon père qui revenaient sentant le soleil, l’herbe sèche et la sueur du travailleur, ma mère aux confitures, les pots qu’il fallait laver et essuyer, la corvée des fruits à préparer, mais le jus sucré sur nos doigts gourmands.
Je me souviens de l’ennui infini, pour moi qui n’aimais pas les vacances, qui n’aimais pas l’été, moi qui avais toujours froid, même au plein soleil, moi qui avais l’impression de perdre mon temps, à ne rien faire, à ne rien apprendre, à ne voir personne.
C’est surtout de ne voir personne qui me déplaisait. Je n’étais pourtant pas la plus sociable des enfants, mais j’aimais observer les autres, être avec eux, malgré eux. A l’école, j’étais seule, au coin de la cour. L’école primaire fut une sorte d’enfer. Mais je préférais quand même cet enfer bruyant, peuplé d’enfants hostiles, à la solitude mornes des longs jours de vacances.
J’aime les gens, même ceux qui sont peu aimables. J’aime l’humanité dans toute sa grandeur et dans toute sa misère. Je trouvais Séverine jolie, je trouvais Laurence belle et tellement forte, je trouvais Sandrine insupportable, mais j’aimais débattre avec elle. J'aimais la créativité infinie de Laetitia. Je me méfiais de Norbert et de Thierry, mais j’observais en secret leur stratagème d’intimidation, leur fourberie, la tricherie, la duperie dont ils étaient capables. C’était infiniment plus intéressant que les dessins animés. C’était des romans grandeur nature.
Aujourd’hui, il y a toujours cette petite fille en moi. Quand je suis seule trop longtemps, je sombre doucement vers la neurasthénie, vers un spleen insondable. Même si j’écoute de la musique, même si je lis, même si j’écris. Je suis un vampire et j’ai besoin de me nourrir des autres.
Je ne vois pas assez de monde, en ce moment. Mes élèves me manquent. Souvent en classe, je me mets dans un coin, je reste au fond de la classe et je les observe, ces petits êtres en devenir : la coquette, l'espiègle, le sympa qui aide les autres, le laborieux, leurs interactions, leur façon d'être en société. C'est fascinant.
Ce confinement me place parfois devant mes démons. Il me revient en mémoires ces moments d’oublis de moi-même de l’enfance, durant lesquels j’allais jusqu’à douter de ma propre existence. Est-ce que l’on existe vraiment si l’on ne s’inscrit pas dans une société ?
Comme Gaël Faye, je ne crois pas aux vertus de ces jours désemplis. La misanthropie n'est pas ma philosophie. Et je veux retrouver le sourire des gens, sous les masques.
Ce soir, j’aimerais écrire quelque chose de beau, évoquer des souvenirs d’enfance et la délicatesse des roses ployant sous la pluie, luisantes dans le soleil qui est revenu et qui a balayé le ciel.
Quelque chose de beau, comme la lettre de Gaël Faye, l’autre matin, sur France Inter :
Je me souviens des longs étés d’ennuis, des journées interminables de chaleur qui nous confinaient à l’intérieur pour des après-midis de siestes, de lecture, de jeux et de télé. Mon père au travail, les mois de juillet, le foin à couper, mon père qui revenaient sentant le soleil, l’herbe sèche et la sueur du travailleur, ma mère aux confitures, les pots qu’il fallait laver et essuyer, la corvée des fruits à préparer, mais le jus sucré sur nos doigts gourmands.
Je me souviens de l’ennui infini, pour moi qui n’aimais pas les vacances, qui n’aimais pas l’été, moi qui avais toujours froid, même au plein soleil, moi qui avais l’impression de perdre mon temps, à ne rien faire, à ne rien apprendre, à ne voir personne.
C’est surtout de ne voir personne qui me déplaisait. Je n’étais pourtant pas la plus sociable des enfants, mais j’aimais observer les autres, être avec eux, malgré eux. A l’école, j’étais seule, au coin de la cour. L’école primaire fut une sorte d’enfer. Mais je préférais quand même cet enfer bruyant, peuplé d’enfants hostiles, à la solitude mornes des longs jours de vacances.
J’aime les gens, même ceux qui sont peu aimables. J’aime l’humanité dans toute sa grandeur et dans toute sa misère. Je trouvais Séverine jolie, je trouvais Laurence belle et tellement forte, je trouvais Sandrine insupportable, mais j’aimais débattre avec elle. J'aimais la créativité infinie de Laetitia. Je me méfiais de Norbert et de Thierry, mais j’observais en secret leur stratagème d’intimidation, leur fourberie, la tricherie, la duperie dont ils étaient capables. C’était infiniment plus intéressant que les dessins animés. C’était des romans grandeur nature.
Aujourd’hui, il y a toujours cette petite fille en moi. Quand je suis seule trop longtemps, je sombre doucement vers la neurasthénie, vers un spleen insondable. Même si j’écoute de la musique, même si je lis, même si j’écris. Je suis un vampire et j’ai besoin de me nourrir des autres.
Je ne vois pas assez de monde, en ce moment. Mes élèves me manquent. Souvent en classe, je me mets dans un coin, je reste au fond de la classe et je les observe, ces petits êtres en devenir : la coquette, l'espiègle, le sympa qui aide les autres, le laborieux, leurs interactions, leur façon d'être en société. C'est fascinant.
Ce confinement me place parfois devant mes démons. Il me revient en mémoires ces moments d’oublis de moi-même de l’enfance, durant lesquels j’allais jusqu’à douter de ma propre existence. Est-ce que l’on existe vraiment si l’on ne s’inscrit pas dans une société ?
Comme Gaël Faye, je ne crois pas aux vertus de ces jours désemplis. La misanthropie n'est pas ma philosophie. Et je veux retrouver le sourire des gens, sous les masques.
mardi 28 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #44
Je n’ai pas de fièvre.
Edouard Philippe a parlé. Il a dit, en gros que tout se déciderait le 7 mai pour le 11, puis le 11 pour le 30, puis le 30 pour le 2 juin. Et ensuite ? Inch Allah. Par contre les mosquées ne seront pas ouvertes pour la fin du Ramadan, les écoles seront parfois ouvertes, parfois fermées, selon la région et la volonté des autorités territoriales.
Même si cela semble confus, je ne l’ai pas trouvé trop mauvais. A vrai dire, je le trouve meilleur que Macron. Plus proche de ce qu’on attend d’un homme politique responsable. Même ce qu’il a annoncé de concret semble bien improbable à décliner quand on est au plus près du terrain.
Je suis dans une zone rouge, a priori, les choses devraient se passer différemment ici. On devrait se déconfiner avec plus de prudence. Je ne sais pas si c’était le rôle du 1er ministre d’en donner les modalités précises, mais ce sera plutôt de l’ordre du démerdez-vous, si j’ai bien compris. Faites comme bon vous semble, plutôt. Et s’il y a des morts, ce sera de votre faute. Un peu comme pour ce qu’on nous dira le 7 mai. Le discours ressemblait à “Soyez sages, petits chenapans, si vous faites des bêtises, vous serez encore punis pour 3 semaines. Mais ce sera de votre faute !”
Sinon, sauf si mon département n’est pas déconfiné, je retrouverai mes élèves de 6e le 18 mai. Mais pas les 3e. C’est ce que j’avais cru comprendre, pourtant. Pour l’orientation, pourtant, cela m’aurait paru judicieux. Ou logique. Mais rien n’est logique dans tout cela. La réouverture des écoles n’est pas logique. D’autant que les Allemands, qui ne sont pas des cons, ont décidé de faire machine arrière après quelques jours et que la plupart des pays européens a décidé de ne pas rouvrir les lieux de brassage des enfants d’ici septembre. Rien n’a été dit sur les cantines.
On s’en fout, non, de ce qui a été dit ou pas. On finira par faire ce qu’on veut et on entendra bientôt des tas de discours contradictoires, dès avant le 7 mai, prenons le pari.
Je n’ai pas tellement la tête à tout cela, à vrai dire.
Si j’ai bien compris, je ne pourrais toujours pas vraiment aller voir ma mère en Savoie avant un bon bout de temps, avec ou sans une attestation, sauf si je considère qu’il s’agit d’un motif impérieux. Elle vit seule, elle a plus de 70 ans et fait de la fibrose pulmonaire. Je pense que c’est un motif impérieux. On verra bien ce que nous ferons.
Je n’ai pas vraiment la tête à la politique, à ces règles et à ces interdits qui ressemblent à ceux que j’essayais d’instaurer dans mes classes tout au début de ma carrière. J’ai arrêté de vouloir faire des règlements intérieurs de la classe, il y a très longtemps. Il y a toujours un cas particulier, un oui, mais...La ligne directrice doit être simple, claire et compréhensible par tous. Pas besoin de multiplier les interdits pour que les élèves cherchent à les contourner.
Je n’ai pas tellement la tête à tout cela, parce que je pense à une amie qui vit un deuil dans ce contexte et que je repense à la mort de mon père, au fait qu'à ce moment-là, il me semblait évident, normal, naturel, humain de pouvoir lui tenir la main jusqu’à son dernier souffle, d’avoir toute ma famille autour de moi…
C'est de plus d'humanité que nous avons besoin, pas de plus de règles absurdes.
lundi 27 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #43
Je n’ai pas de fièvre.
Il a plu une heure hier. Une pluie fine de rien du tout, séchée presque immédiatement par un radieux soleil. Le sol est sec, les arbres pompent tout ce qu’ils peuvent dans le Doubs qui présente son miroir immobile aux canards et aux cygnes.
Il paraît qu’il pleuvra cette semaine. C’est souhaitable. (Fin du point météo)
Sinon, je n’ai absolument pas envie de commenter la politique. Je n’écoute plus rien. A peine si je lis les milliers d’injonctions contradictoires dont on nous abreuve. J’espère que je suis immunisée, que j’ai eu le truc sans m’en apercevoir et que tout ira bien quand je me retrouverai en classe, exposée aux miasmes des collégiens.
En attendant, je n’ai pas grand chose de plus à dire sur la gestion lamentable de cette crise.
Sauf que je ne veux plus, à l’issue de cette histoire, entendre parler de masques, de FFP1, de FFP2, de norme AFNOR, de masques grand public, de masque qui servent à rien, mais qui sont jolis. Plus jamais. Les masques, je les hais, je les vomis, je les exècre. (c’est la première raison qui fait que je ne suis pas à l’heure pour ma publication !)
Allez, il est l’heure de l’apéro visio ! (c’est la deuxième raison pour laquelle je ne suis pas à l’heure pour ma publication !)
Alors, comment vous le vivez, vous, ce confinement : il y a eu des hauts, il y a eu des bas. Au début, on était angoissés, inquiets. On s’est ennuyés, on a trouvé le temps long et puis on s’est occupés, on a fait de la cuisine, du ménage, on s’est mis au yoga, on a commencé à apprendre le Polonais, l’Arabe littéraire et le Mandarin et puis on a arrêté, parce qu’on a commencé à regarder la saison 3 de The Handmaid’s Tale (en VO, pour poursuivre sur notre lancée linguistique)...
J’ai découvert que certains voulaient à tout prix “réussir leur confinement”. Comme si c’était encore une compétition. Un challenge.
Alors que c’est justement le temps de rester à la maison, en pyjama, sans que personne ne vous en veuille. Les réseaux sociaux viennent nous gâcher l’opportunité de faire la sieste trois fois par jour, de manger des chips et de boire de la bière, tranquille. Non. Il faut aller faire du jogging, il faut à tout prix tirer quelque chose de productif de ce moment, se mettre à la poterie, à la musique, à la boulangerie.
Il faut qu’on arrête de se mettre la pression.
Et puis peut-être qu’un tournant est amorcé, après plus de 40 jours d'enfermement.
Ce matin, Mme Crelier, ma boulangère, d’ordinaire si souriante, était grise, morose. Elle avait peut-être mal dormi, elle avait sans doute eu une grosse matinée. Elle avait peut-être eu quelques uns des habitants bizarres qui peuplent mon quartier : celle qui fait pipi dans la pelouse juste entre le Doubs et le Temple, celui qui passe pieds nus et en pyjama, en hurlant, sur notre place, celui qui porte son masque sur la tête, “Bob man”, le petit vendeur de shit ?
Il n’empêche qu’elle était désespérée, ma boulangère. Et ses réflexions m’ont semblé intéressantes : “Vous pensez que les gens vont revenir ? Qu’ils vont reprendre le boulot, après tout ce temps ? Croyez-vous qu’ils reviendront ? Je ne comprends plus les gens, aujourd’hui.”
Non, je lui ai répondu, les gens veulent voir du monde...
Mais peut-être que la phase qui nous attend, c’est l’accoutumance à la fainéantise, au farniente, au confinement à vie. Ne plus rien faire. Jamais. Tant qu’on a à manger et du PQ…
Pour moi, pour ma boulangère, qui n’avons jamais arrêté de travailler, cela peut sembler bizarre...Mais qui sait…
Il a plu une heure hier. Une pluie fine de rien du tout, séchée presque immédiatement par un radieux soleil. Le sol est sec, les arbres pompent tout ce qu’ils peuvent dans le Doubs qui présente son miroir immobile aux canards et aux cygnes.
Il paraît qu’il pleuvra cette semaine. C’est souhaitable. (Fin du point météo)
Sinon, je n’ai absolument pas envie de commenter la politique. Je n’écoute plus rien. A peine si je lis les milliers d’injonctions contradictoires dont on nous abreuve. J’espère que je suis immunisée, que j’ai eu le truc sans m’en apercevoir et que tout ira bien quand je me retrouverai en classe, exposée aux miasmes des collégiens.
En attendant, je n’ai pas grand chose de plus à dire sur la gestion lamentable de cette crise.
Sauf que je ne veux plus, à l’issue de cette histoire, entendre parler de masques, de FFP1, de FFP2, de norme AFNOR, de masques grand public, de masque qui servent à rien, mais qui sont jolis. Plus jamais. Les masques, je les hais, je les vomis, je les exècre. (c’est la première raison qui fait que je ne suis pas à l’heure pour ma publication !)
Allez, il est l’heure de l’apéro visio ! (c’est la deuxième raison pour laquelle je ne suis pas à l’heure pour ma publication !)
Alors, comment vous le vivez, vous, ce confinement : il y a eu des hauts, il y a eu des bas. Au début, on était angoissés, inquiets. On s’est ennuyés, on a trouvé le temps long et puis on s’est occupés, on a fait de la cuisine, du ménage, on s’est mis au yoga, on a commencé à apprendre le Polonais, l’Arabe littéraire et le Mandarin et puis on a arrêté, parce qu’on a commencé à regarder la saison 3 de The Handmaid’s Tale (en VO, pour poursuivre sur notre lancée linguistique)...
J’ai découvert que certains voulaient à tout prix “réussir leur confinement”. Comme si c’était encore une compétition. Un challenge.
Alors que c’est justement le temps de rester à la maison, en pyjama, sans que personne ne vous en veuille. Les réseaux sociaux viennent nous gâcher l’opportunité de faire la sieste trois fois par jour, de manger des chips et de boire de la bière, tranquille. Non. Il faut aller faire du jogging, il faut à tout prix tirer quelque chose de productif de ce moment, se mettre à la poterie, à la musique, à la boulangerie.
Il faut qu’on arrête de se mettre la pression.
Et puis peut-être qu’un tournant est amorcé, après plus de 40 jours d'enfermement.
Ce matin, Mme Crelier, ma boulangère, d’ordinaire si souriante, était grise, morose. Elle avait peut-être mal dormi, elle avait sans doute eu une grosse matinée. Elle avait peut-être eu quelques uns des habitants bizarres qui peuplent mon quartier : celle qui fait pipi dans la pelouse juste entre le Doubs et le Temple, celui qui passe pieds nus et en pyjama, en hurlant, sur notre place, celui qui porte son masque sur la tête, “Bob man”, le petit vendeur de shit ?
Il n’empêche qu’elle était désespérée, ma boulangère. Et ses réflexions m’ont semblé intéressantes : “Vous pensez que les gens vont revenir ? Qu’ils vont reprendre le boulot, après tout ce temps ? Croyez-vous qu’ils reviendront ? Je ne comprends plus les gens, aujourd’hui.”
Non, je lui ai répondu, les gens veulent voir du monde...
Mais peut-être que la phase qui nous attend, c’est l’accoutumance à la fainéantise, au farniente, au confinement à vie. Ne plus rien faire. Jamais. Tant qu’on a à manger et du PQ…
Pour moi, pour ma boulangère, qui n’avons jamais arrêté de travailler, cela peut sembler bizarre...Mais qui sait…
dimanche 26 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #42
“- Je n’ai pas de fièvre ? Vous êtes sûre ?”
C’était fin janvier dernier chez le médecin. Marion allait chez son docteur chaque fin de mois pour un contrôle de routine. Elle était hypocondriaque, cela va sans dire. Elle aimait bien le docteur Guerraz, un docteur à l’ancienne, à l’écoute, rassurant, toujours raisonnable dans ses conseils et ses ordonnances. “Quand vous entendez le bruit du galop, vous ne pensez pas immédiatement à un zèbre”, avait-il coutume de répliquer, calmement à Marion, quand elle venait pour se plaindre d’une petite boule qui lui était poussée au creux du poignet (c’est une tumeur, j’en suis sûre !), pour un petit mal de gorge qui persistait (c’est un cancer de la gorge !) ou pour une remarque qu’un collègue lui aurait fait sur son bronzage (je suis à peine sortie au soleil, c’est une hépatite, c’est certain !)
Alors ce matin, elle n’était pas rassurée : c’était un petit jeune qui officiait. Prise de tension, pesée, examen des oreilles et de la gorge, tout semblait normal.
“ - Vous ne prenez pas ma température ?” Elle insistait. Le docteur Guerraz était là : il était resté derrière le bureau et sur son visage, se dessinait un petit sourire amusé. Il connaissait Marion depuis sa plus tendre enfance. Le médecin de toute la famille. Et depuis toujours, il avait une tendresse particulière pour cette inquiète-là. Celle qui lisait des tas d’articles sur internet, qui voulait comprendre tout ce que lui prescrivait le généraliste, l’action des médicaments, la posologie, la différence entre anti-inflammatoire, antalgiques, analgésiques. C’était les mots, qu’elle aimait. Marion, à 12 ans, aurait pu réussir sa première année de médecine.
Quand le vieux docteur avait vu son nom pour un rendez-vous, sur son agenda, il avait jubilé d’avance : il savait que ce serait une expérience enrichissante et une rencontre, une vraie rencontre, avec Paul, son interne en stage.
Paul entamait sa troisième année. Il n’était pas vraiment un stagiaire comme les autres. Guerraz en avait pratiqué un certain nombre : ils étaient en général coulés dans le même moule, avec leur petit pantalon à pinces et leur pull en V, sur un col de chemise impeccable. Paul avait le crâne rasé, un sourire d’une blancheur étincelante venait barrer son visage au détour de chacune de ses phrases. Il portait des tee-shirts improbables et des jeans serrés. Même la secrétaire avait remarqué un afflux de rendez-vous, les jours où il était là. Les vieilles patientes du bon docteur en étaient folles.
Marion insistait donc pour qu’on vérifie sa température. Le docteur Guerraz écoutait attentivement. On n’était jamais au bout de ses surprises, avec elle !
“ - Je me suis fait piquer par un moustique tigre, avant hier.” déclara-t-elle avec aplomb.
Paul éclata de rire ! Devant l’air très sérieux de la demoiselle, cependant, il s’arrêta net. “- Vous étiez en Afrique ? - Non, pas du tout, mais le réchauffement climatique…- En plein mois de janvier, en Franche-Comté, rassurez-vous, pour l’instant, c’est impossible.”
Elle eut l’air rassuré, un quart de seconde. Puis elle reprit : “Prenez quand même ma température.” Le ton était sans réplique. Il s’exécuta. 37,2°C. Ne vous inquiétez pas. Et à nouveau, ce sourire de tombeur.
Elle sortit du cabinet un peu plus perturbée qu’à l’ordinaire. C’est-à-dire, bouleversée. Elle ne savait plus. Elle aurait bien demandé une contre visite au docteur Guerraz, mais elle n’avait pas osé. Elle s’était réellement sentie rassurée, sereine soudain. Plus apaisée que jamais.
Le soir, elle s’endormit rapidement et sans cauchemar. Elle rêva à Paul et à son sourire ravageur. En se réveillant, elle décida de prendre rendez-vous à nouveau la semaine suivante. Le manège dura trois semaines. Marion était amoureuse, c’était une évidence.
La dernière semaine, le Docteur Guerraz, en raccompagnant Marion à la porte de son cabinet, lui glissa le numéro de téléphone de Paul. Marion rougit comme une enfant et embrassa son vieux médecin sur la joue.
S’ensuivit de longues soirée à échanger par SMS. Tout commençait par des questions médicales. À quoi servent les émétiques ? Je ne suis pas sûre de l’omelette aux champignons que j’ai mangée ce soir. Comment distingue-t-on une angine ? J’ai toujours l’impression que mes amygdales sont de trop, faut-il que je les fasse retirer ? Quels sont les symptômes d’un cancer des intestins ? J’ai mal au ventre. L’imagination de Marion semblait infinie. Cela faisait tellement rire Paul. Il trouvait les mots pour la rassurer, pour lui apprendre quelque chose qu’elle ignorait. Il avait un humour fou.
Et puis très vite, ils décidèrent de se voir. Ciné, resto, le début d’une belle relation, pleine de joie, de bonheur, de tendresse. Nous étions fin février et l’un et l’autre avait déjà l’impression de se connaître depuis toujours, de se deviner, de se compléter.
A chaque instant, ils s’espéraient, ils s’attendaient, ils se désiraient. Ils envisageaient déjà secrètement de passer le restant de leurs jours ensemble.
Et puis mi-mars, vint le confinement. Ils n’avaient pas encore emménagé ensemble, évidemment, même s’ils avaient fait ensemble quelques plans sur la comète. Ils étaient pourtant sur le même canapé pour regarder l’allocution de Macron qui annonça la première période de confinement. Ils se regardèrent dans les yeux, ils se promirent qu’ils tiendraient le coup, que ce n’était que l’affaire de quelques semaines.
Mais ils firent l’amour un peu comme si c’était la dernière fois.
Elle vivait à la campagne, il habitait à la ville, ils n’étaient pas dans le fameux périmètre d’un kilomètre qui leur aurait permis de voir un peu.
Commença alors le long tunnel de la séparation forcée, les rendez-vous vidéos, les textos enflammés, les longues conversations au téléphone, des délicates attentions, des photos de fleurs, de paysages, de coucher de soleil. Des petits plats qu'ils ne partageaient pas pour de vrai.
Marion s’émerveillait devant les chardons et les lilas du jardin. Paul adorait photographier le centre ville déserté.
Mais voilà...Le temps s’étire, le manque s’installe.
Au début, une fois tous les trois jours, ils décidèrent d’aller faire leurs courses dans le même supermarché, à la même heure. Ils se retrouvaient pour leur rendez-vous amoureux, tout parfumés de gel hydroalcoolique, gantés et masqués de près, à se regarder les yeux dans les yeux dans la file d’attente, à deux mètres l’un de l’autre. “Tu m’as manquée”, chuchotait-il, chuintant dans son masque fait maison. “Quoi ?” répondait-elle, entre rire et larmes. Leurs yeux parlaient pour eux. Ils se dévoraient du regard, ils n’avaient plus que cela. Leurs mains, leur corps tout entier étaient au supplice de ne pouvoir s’étreindre. Ils firent ainsi leurs courses trois fois. Et puis d’un commun accord, ils jugèrent cela trop difficile, trop cruel, de ne pouvoir s’approcher, de ne pouvoir se sentir et se caresser. Ils abandonnèrent cette idée.
Et le temps devint si long. Ils se demandaient chaque jour quand ils pourraient se revoir et s’ils s’aimeraient encore.
Au bout de la 4e semaine, les angoisses de Marion prirent le dessus. Jusque là, elle avait un peu psychoté, comme tout le monde, mais toujours dans des proportions raisonnables et Paul arrivait à la rassurer. Désormais, elle se réveillait chaque matin en s’auto-auscultant, en scrutant le moindre soupçon de symptôme de la maladie.
Elle pensait sincèrement, à 8h, qu’elle était porteuse saine. Puis à 8h10, elle estimait qu’elle avait perdu le goût, après avoir bu son café qui lui semblait plus fade qu’à l’accoutumée. A 8h13, elle appelait Paul en panique totale, n’arrivant plus à reprendre son souffle, persuadée qu’elle allait mourir dans l’heure.
Elle recommençait chaque matin, chaque après-midi.
Elle lisait tout ce qu’on trouvait sur internet.
“Accroche-toi, disait-elle, il paraît que c’est une maladie du sang, qui ressemble au SIDA. Qui empêche aux globules rouges de transporter l’oxygène. C’est pour ça qu’on étouffe. C’est pour cela que j’étouffe. Je vais mourir, Paul, sans jamais te revoir.”
Paul était un grand calme, il connaissait maintenant le dossier médical de Marion. Mais il eut vraiment peur, le lundi matin de la 6e semaine, lorsqu’il eut l’impression que Marion ne parviendrait pas à reprendre sa respiration. Il eut vraiment le sentiment qu’elle mourait au téléphone.
Il appela les pompiers et essaya de se rendre à l’hôpital pour retrouver sa bien-aimée. Mais il se fit arrêter à l’entrée de l’autoroute par la maréchaussée et écopa d’une contravention de 135 € avec l’obligation de rentrer chez lui. Paul s’énerva, il argua qu’il devait aller à l’hôpital, que l’amour de sa vie était entre la vie et la mort, qu’il fallait qu’il soit avec elle.
L’agent ne voulut rien entendre et menaça de doubler le PV d’un outrage à agent bien mérité.
Il fut effaré, mais seulement après coup, de constater que le policier n’avait pas de masque, qu’il s’était penché pour le voir de près par la portière de la voiture, qu’il avait pris ses papiers sans gants, avait tourné les pages du passeport après s’être léché le bout du doigt, machinalement.
Il se dit que c’était probablement là qu’il avait attrapé le virus, qui se déclara 3 jours plus tard. La forme dure de la maladie : l’impression d’avoir les poumons broyés par un rouleau-compresseur. En catastrophe, il appela les pompiers.
Lors de la première alerte, Marion avait eu la chance d’avoir un test. Ce n’était rien d’autre qu’une crise d’angoisse...ce qu’elle refit aussitôt qu’elle apprit que Paul était bel et bien contaminé. Elle appela les pompiers, elle aussi. Bien qu’elle ait déjà fait une fausse alerte, ils la conduisirent aux urgences.
C’est là que les tourtereaux, se retrouvèrent enfin, couchés sur deux brancards, côte à côte, dans un couloir sombre des Urgences.
Dans un demi-délire dû tout autant à l’amour qu’à la fièvre, ce qui est parfois la même chose, ils se promirent de s’épouser dès que les feuilles des arbres tomberaient, dès que cette période grise serait terminée. Qu’ils se promettraient un amour éternel, que sa robe de mariée serait entièrement faite en masques chirurgicaux, qu’il revêtirait une surblouse en plastique, avec un noeud papillon et que le cocktail de l’apéro serait dans des seringues. Qu’ils feraient une chorégraphie de la distanciation sociale très marrante pour ouvrir le bal, avec les gestes barrières, sur la musique U can’t touch this, de MC Hammer.
Qu’ils réapprendraient à se toucher, à se caresser quand ils seraient immunisés et que ce serait comme une chanson de Madonna : Like a virgin, touched for the very first time...
C’était fin janvier dernier chez le médecin. Marion allait chez son docteur chaque fin de mois pour un contrôle de routine. Elle était hypocondriaque, cela va sans dire. Elle aimait bien le docteur Guerraz, un docteur à l’ancienne, à l’écoute, rassurant, toujours raisonnable dans ses conseils et ses ordonnances. “Quand vous entendez le bruit du galop, vous ne pensez pas immédiatement à un zèbre”, avait-il coutume de répliquer, calmement à Marion, quand elle venait pour se plaindre d’une petite boule qui lui était poussée au creux du poignet (c’est une tumeur, j’en suis sûre !), pour un petit mal de gorge qui persistait (c’est un cancer de la gorge !) ou pour une remarque qu’un collègue lui aurait fait sur son bronzage (je suis à peine sortie au soleil, c’est une hépatite, c’est certain !)
Alors ce matin, elle n’était pas rassurée : c’était un petit jeune qui officiait. Prise de tension, pesée, examen des oreilles et de la gorge, tout semblait normal.
“ - Vous ne prenez pas ma température ?” Elle insistait. Le docteur Guerraz était là : il était resté derrière le bureau et sur son visage, se dessinait un petit sourire amusé. Il connaissait Marion depuis sa plus tendre enfance. Le médecin de toute la famille. Et depuis toujours, il avait une tendresse particulière pour cette inquiète-là. Celle qui lisait des tas d’articles sur internet, qui voulait comprendre tout ce que lui prescrivait le généraliste, l’action des médicaments, la posologie, la différence entre anti-inflammatoire, antalgiques, analgésiques. C’était les mots, qu’elle aimait. Marion, à 12 ans, aurait pu réussir sa première année de médecine.
Quand le vieux docteur avait vu son nom pour un rendez-vous, sur son agenda, il avait jubilé d’avance : il savait que ce serait une expérience enrichissante et une rencontre, une vraie rencontre, avec Paul, son interne en stage.
Paul entamait sa troisième année. Il n’était pas vraiment un stagiaire comme les autres. Guerraz en avait pratiqué un certain nombre : ils étaient en général coulés dans le même moule, avec leur petit pantalon à pinces et leur pull en V, sur un col de chemise impeccable. Paul avait le crâne rasé, un sourire d’une blancheur étincelante venait barrer son visage au détour de chacune de ses phrases. Il portait des tee-shirts improbables et des jeans serrés. Même la secrétaire avait remarqué un afflux de rendez-vous, les jours où il était là. Les vieilles patientes du bon docteur en étaient folles.
Marion insistait donc pour qu’on vérifie sa température. Le docteur Guerraz écoutait attentivement. On n’était jamais au bout de ses surprises, avec elle !
“ - Je me suis fait piquer par un moustique tigre, avant hier.” déclara-t-elle avec aplomb.
Paul éclata de rire ! Devant l’air très sérieux de la demoiselle, cependant, il s’arrêta net. “- Vous étiez en Afrique ? - Non, pas du tout, mais le réchauffement climatique…- En plein mois de janvier, en Franche-Comté, rassurez-vous, pour l’instant, c’est impossible.”
Elle eut l’air rassuré, un quart de seconde. Puis elle reprit : “Prenez quand même ma température.” Le ton était sans réplique. Il s’exécuta. 37,2°C. Ne vous inquiétez pas. Et à nouveau, ce sourire de tombeur.
Elle sortit du cabinet un peu plus perturbée qu’à l’ordinaire. C’est-à-dire, bouleversée. Elle ne savait plus. Elle aurait bien demandé une contre visite au docteur Guerraz, mais elle n’avait pas osé. Elle s’était réellement sentie rassurée, sereine soudain. Plus apaisée que jamais.
Le soir, elle s’endormit rapidement et sans cauchemar. Elle rêva à Paul et à son sourire ravageur. En se réveillant, elle décida de prendre rendez-vous à nouveau la semaine suivante. Le manège dura trois semaines. Marion était amoureuse, c’était une évidence.
La dernière semaine, le Docteur Guerraz, en raccompagnant Marion à la porte de son cabinet, lui glissa le numéro de téléphone de Paul. Marion rougit comme une enfant et embrassa son vieux médecin sur la joue.
S’ensuivit de longues soirée à échanger par SMS. Tout commençait par des questions médicales. À quoi servent les émétiques ? Je ne suis pas sûre de l’omelette aux champignons que j’ai mangée ce soir. Comment distingue-t-on une angine ? J’ai toujours l’impression que mes amygdales sont de trop, faut-il que je les fasse retirer ? Quels sont les symptômes d’un cancer des intestins ? J’ai mal au ventre. L’imagination de Marion semblait infinie. Cela faisait tellement rire Paul. Il trouvait les mots pour la rassurer, pour lui apprendre quelque chose qu’elle ignorait. Il avait un humour fou.
Et puis très vite, ils décidèrent de se voir. Ciné, resto, le début d’une belle relation, pleine de joie, de bonheur, de tendresse. Nous étions fin février et l’un et l’autre avait déjà l’impression de se connaître depuis toujours, de se deviner, de se compléter.
A chaque instant, ils s’espéraient, ils s’attendaient, ils se désiraient. Ils envisageaient déjà secrètement de passer le restant de leurs jours ensemble.
Et puis mi-mars, vint le confinement. Ils n’avaient pas encore emménagé ensemble, évidemment, même s’ils avaient fait ensemble quelques plans sur la comète. Ils étaient pourtant sur le même canapé pour regarder l’allocution de Macron qui annonça la première période de confinement. Ils se regardèrent dans les yeux, ils se promirent qu’ils tiendraient le coup, que ce n’était que l’affaire de quelques semaines.
Mais ils firent l’amour un peu comme si c’était la dernière fois.
Elle vivait à la campagne, il habitait à la ville, ils n’étaient pas dans le fameux périmètre d’un kilomètre qui leur aurait permis de voir un peu.
Commença alors le long tunnel de la séparation forcée, les rendez-vous vidéos, les textos enflammés, les longues conversations au téléphone, des délicates attentions, des photos de fleurs, de paysages, de coucher de soleil. Des petits plats qu'ils ne partageaient pas pour de vrai.
Marion s’émerveillait devant les chardons et les lilas du jardin. Paul adorait photographier le centre ville déserté.
Mais voilà...Le temps s’étire, le manque s’installe.
Au début, une fois tous les trois jours, ils décidèrent d’aller faire leurs courses dans le même supermarché, à la même heure. Ils se retrouvaient pour leur rendez-vous amoureux, tout parfumés de gel hydroalcoolique, gantés et masqués de près, à se regarder les yeux dans les yeux dans la file d’attente, à deux mètres l’un de l’autre. “Tu m’as manquée”, chuchotait-il, chuintant dans son masque fait maison. “Quoi ?” répondait-elle, entre rire et larmes. Leurs yeux parlaient pour eux. Ils se dévoraient du regard, ils n’avaient plus que cela. Leurs mains, leur corps tout entier étaient au supplice de ne pouvoir s’étreindre. Ils firent ainsi leurs courses trois fois. Et puis d’un commun accord, ils jugèrent cela trop difficile, trop cruel, de ne pouvoir s’approcher, de ne pouvoir se sentir et se caresser. Ils abandonnèrent cette idée.
Et le temps devint si long. Ils se demandaient chaque jour quand ils pourraient se revoir et s’ils s’aimeraient encore.
Au bout de la 4e semaine, les angoisses de Marion prirent le dessus. Jusque là, elle avait un peu psychoté, comme tout le monde, mais toujours dans des proportions raisonnables et Paul arrivait à la rassurer. Désormais, elle se réveillait chaque matin en s’auto-auscultant, en scrutant le moindre soupçon de symptôme de la maladie.
Elle pensait sincèrement, à 8h, qu’elle était porteuse saine. Puis à 8h10, elle estimait qu’elle avait perdu le goût, après avoir bu son café qui lui semblait plus fade qu’à l’accoutumée. A 8h13, elle appelait Paul en panique totale, n’arrivant plus à reprendre son souffle, persuadée qu’elle allait mourir dans l’heure.
Elle recommençait chaque matin, chaque après-midi.
Elle lisait tout ce qu’on trouvait sur internet.
“Accroche-toi, disait-elle, il paraît que c’est une maladie du sang, qui ressemble au SIDA. Qui empêche aux globules rouges de transporter l’oxygène. C’est pour ça qu’on étouffe. C’est pour cela que j’étouffe. Je vais mourir, Paul, sans jamais te revoir.”
Paul était un grand calme, il connaissait maintenant le dossier médical de Marion. Mais il eut vraiment peur, le lundi matin de la 6e semaine, lorsqu’il eut l’impression que Marion ne parviendrait pas à reprendre sa respiration. Il eut vraiment le sentiment qu’elle mourait au téléphone.
Il appela les pompiers et essaya de se rendre à l’hôpital pour retrouver sa bien-aimée. Mais il se fit arrêter à l’entrée de l’autoroute par la maréchaussée et écopa d’une contravention de 135 € avec l’obligation de rentrer chez lui. Paul s’énerva, il argua qu’il devait aller à l’hôpital, que l’amour de sa vie était entre la vie et la mort, qu’il fallait qu’il soit avec elle.
L’agent ne voulut rien entendre et menaça de doubler le PV d’un outrage à agent bien mérité.
Il fut effaré, mais seulement après coup, de constater que le policier n’avait pas de masque, qu’il s’était penché pour le voir de près par la portière de la voiture, qu’il avait pris ses papiers sans gants, avait tourné les pages du passeport après s’être léché le bout du doigt, machinalement.
Il se dit que c’était probablement là qu’il avait attrapé le virus, qui se déclara 3 jours plus tard. La forme dure de la maladie : l’impression d’avoir les poumons broyés par un rouleau-compresseur. En catastrophe, il appela les pompiers.
Lors de la première alerte, Marion avait eu la chance d’avoir un test. Ce n’était rien d’autre qu’une crise d’angoisse...ce qu’elle refit aussitôt qu’elle apprit que Paul était bel et bien contaminé. Elle appela les pompiers, elle aussi. Bien qu’elle ait déjà fait une fausse alerte, ils la conduisirent aux urgences.
C’est là que les tourtereaux, se retrouvèrent enfin, couchés sur deux brancards, côte à côte, dans un couloir sombre des Urgences.
Dans un demi-délire dû tout autant à l’amour qu’à la fièvre, ce qui est parfois la même chose, ils se promirent de s’épouser dès que les feuilles des arbres tomberaient, dès que cette période grise serait terminée. Qu’ils se promettraient un amour éternel, que sa robe de mariée serait entièrement faite en masques chirurgicaux, qu’il revêtirait une surblouse en plastique, avec un noeud papillon et que le cocktail de l’apéro serait dans des seringues. Qu’ils feraient une chorégraphie de la distanciation sociale très marrante pour ouvrir le bal, avec les gestes barrières, sur la musique U can’t touch this, de MC Hammer.
Qu’ils réapprendraient à se toucher, à se caresser quand ils seraient immunisés et que ce serait comme une chanson de Madonna : Like a virgin, touched for the very first time...
samedi 25 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #41
Je n’ai pas de fièvre.
J’ai eu mal à la tête, hier, un peu. Je me suis dit que c’était peut-être à cause du soleil. Mais c’est passé. J’ai pris le médicament que je prends d’habitude, finalement, à base d’ibuprophène, même si c’est déconseillé par les autorités de médecine. On verra bien ce que ça donnera. Il n’empêche que j’ai bien dormi et que je ne me suis pas réveillée avec la migraine. Depuis le début du confinement, je m’étais contrainte à ne pas prendre ce médicament. Je m’étais dit que je prendrai de l’aspirine - le Doliprane est inopérant chez moi - et puis Brigitte m’a dit que l’aspirine non plus n’était pas recommandé. On ne sait pas à quel saint se vouer.
J’ai fait le tour, définitivement, de facebook et de tous les autres réseaux sociaux. Aujourd’hui quand un copain m’envoie une photo marrante, je suis capable de l’horodater et de dire combien de fois je l’ai déjà vue. Le lapin de Pâques qui dit qu’il a mal au cul à l’autre qui n’entend rien, je l’ai vu pour la première fois en 2005 sur un skyblog, par exemple. Pâques 2005.
Il faut donc tout de suite arrêter de consulter frénétiquement facebook. Cela n’a plus de sens et plus d’intérêt. J’exagère à peine. J’ai l’impression qu’on y recycle éternellement les mêmes blagues, les mêmes ressorts comiques. Remarquez bien que des ressorts comiques, il n’y en a pas cent et que ce sont les mêmes depuis les débuts de l’humanité.
Arrivés là, dans votre lecture, vous avez remarqué, peut-être, que je n’ai rien à dire. Il faut dire qu’on se morfond sévèrement, tout de même. Ce week-end, peut-être qu’en temps ordinaire, j’aurais eu une expo de photo ou de peinture à vernir, un cinéma à partager, un ou deux resto, en couple ou entre amis. Un beau week-end comme celui-là, on aurait pu faire tellement de choses. Et peut-être qu’on aurait eu envie de ne rien faire. Oui, mais on l’aurait choisi.
Bon. Cette quarantaine a assez duré, puisqu’elle a duré 40 jours.
Pour dire la vérité, tout va bien.
Pandémie mondiale, morts par milliers, le drame des Ehpad, les gens seuls, tristes à mourir, la pandémie qui gagne l'Afrique, les commerçants, les artisans qui ont peur pour leur commerce et leur artisanat, les femmes battues, le nombre de chômeurs qui va exploser après tout ça...Mais honnêtement, en tout égoïsme, ça va.
J’ai fait un coquelet printanier, avec des pleurotes, un peu de ciboulette, des jeunes oignons, un peu d’huile d’olive. Du vin blanc au mi-temps de la cuisson et un peu de crème à la fin. Des tagliatelles pour accompagner.
Et puis, j’ai passé une partie de l’après-midi à lire (ça y est, j’y arrive à nouveau) sur la terrasse.
Quand le soleil fut trop fort, je suis rentrée et j’ai regardé le deuxième épisode de Miss America. C’est l’histoire de Phyllis Shlafly, une conservatrice américaine, activiste dans les années 70. Un aveu ? J’aime Cate Blanchett d’amour. Cette actrice a une beauté magnétique, un talent rare. Cependant le personnage me semble tellement improbable dans ses contradictions tellement complexe que je me demande où cette série nous emmène. Elle est à la fois glaçante, manipulatrice, séductrice…(tout ce que j’aime, en fait !).
Mais quelles peuvent être les motivations pour une femme brillante, une intellectuelle, de défendre l’inégalité des droits entre les hommes et les femmes ? On dit parfois que les femmes sont les pires ennemies de leurs congénères...Le but, c’est de comprendre pourquoi : pourquoi cette femme refuse d’admettre que son mari coupe les ailes de ses ambitions, que le fait d’avoir eu six enfants ne lui a pas permis d’avoir la carrière brillante qu’elle aurait dû avoir, que les femmes sont plus souvent reléguées au rôle de potiche décorative, par les médias, la politique, leur époux ?
Il y a de beaux personnages de féministes : Gloria Steinem, notamment, interprétée par la ravissante Rose Byrne. Complexe, elle aussi.
Cela reflète les années 70, une époque durant laquelle les droits des femmes avaient progressé, mais où la société présentait encore de nombreuses contradictions. Et puis on sent planer au-dessus de la fresque historique (les décors, les costumes sont remarquables), l’odeur désagréable de l’Amérique de Trump, des Tea Party, de ce mouvement conservateur qui ne meurt jamais.
Bref, c’est intéressant.
#ConseilSérie #RéussisTonConfinement #NeMeRemerciePas
J’ai eu mal à la tête, hier, un peu. Je me suis dit que c’était peut-être à cause du soleil. Mais c’est passé. J’ai pris le médicament que je prends d’habitude, finalement, à base d’ibuprophène, même si c’est déconseillé par les autorités de médecine. On verra bien ce que ça donnera. Il n’empêche que j’ai bien dormi et que je ne me suis pas réveillée avec la migraine. Depuis le début du confinement, je m’étais contrainte à ne pas prendre ce médicament. Je m’étais dit que je prendrai de l’aspirine - le Doliprane est inopérant chez moi - et puis Brigitte m’a dit que l’aspirine non plus n’était pas recommandé. On ne sait pas à quel saint se vouer.
J’ai fait le tour, définitivement, de facebook et de tous les autres réseaux sociaux. Aujourd’hui quand un copain m’envoie une photo marrante, je suis capable de l’horodater et de dire combien de fois je l’ai déjà vue. Le lapin de Pâques qui dit qu’il a mal au cul à l’autre qui n’entend rien, je l’ai vu pour la première fois en 2005 sur un skyblog, par exemple. Pâques 2005.
Il faut donc tout de suite arrêter de consulter frénétiquement facebook. Cela n’a plus de sens et plus d’intérêt. J’exagère à peine. J’ai l’impression qu’on y recycle éternellement les mêmes blagues, les mêmes ressorts comiques. Remarquez bien que des ressorts comiques, il n’y en a pas cent et que ce sont les mêmes depuis les débuts de l’humanité.
Arrivés là, dans votre lecture, vous avez remarqué, peut-être, que je n’ai rien à dire. Il faut dire qu’on se morfond sévèrement, tout de même. Ce week-end, peut-être qu’en temps ordinaire, j’aurais eu une expo de photo ou de peinture à vernir, un cinéma à partager, un ou deux resto, en couple ou entre amis. Un beau week-end comme celui-là, on aurait pu faire tellement de choses. Et peut-être qu’on aurait eu envie de ne rien faire. Oui, mais on l’aurait choisi.
Bon. Cette quarantaine a assez duré, puisqu’elle a duré 40 jours.
Pour dire la vérité, tout va bien.
Pandémie mondiale, morts par milliers, le drame des Ehpad, les gens seuls, tristes à mourir, la pandémie qui gagne l'Afrique, les commerçants, les artisans qui ont peur pour leur commerce et leur artisanat, les femmes battues, le nombre de chômeurs qui va exploser après tout ça...Mais honnêtement, en tout égoïsme, ça va.
J’ai fait un coquelet printanier, avec des pleurotes, un peu de ciboulette, des jeunes oignons, un peu d’huile d’olive. Du vin blanc au mi-temps de la cuisson et un peu de crème à la fin. Des tagliatelles pour accompagner.
Et puis, j’ai passé une partie de l’après-midi à lire (ça y est, j’y arrive à nouveau) sur la terrasse.
Quand le soleil fut trop fort, je suis rentrée et j’ai regardé le deuxième épisode de Miss America. C’est l’histoire de Phyllis Shlafly, une conservatrice américaine, activiste dans les années 70. Un aveu ? J’aime Cate Blanchett d’amour. Cette actrice a une beauté magnétique, un talent rare. Cependant le personnage me semble tellement improbable dans ses contradictions tellement complexe que je me demande où cette série nous emmène. Elle est à la fois glaçante, manipulatrice, séductrice…(tout ce que j’aime, en fait !).
Mais quelles peuvent être les motivations pour une femme brillante, une intellectuelle, de défendre l’inégalité des droits entre les hommes et les femmes ? On dit parfois que les femmes sont les pires ennemies de leurs congénères...Le but, c’est de comprendre pourquoi : pourquoi cette femme refuse d’admettre que son mari coupe les ailes de ses ambitions, que le fait d’avoir eu six enfants ne lui a pas permis d’avoir la carrière brillante qu’elle aurait dû avoir, que les femmes sont plus souvent reléguées au rôle de potiche décorative, par les médias, la politique, leur époux ?
Il y a de beaux personnages de féministes : Gloria Steinem, notamment, interprétée par la ravissante Rose Byrne. Complexe, elle aussi.
Cela reflète les années 70, une époque durant laquelle les droits des femmes avaient progressé, mais où la société présentait encore de nombreuses contradictions. Et puis on sent planer au-dessus de la fresque historique (les décors, les costumes sont remarquables), l’odeur désagréable de l’Amérique de Trump, des Tea Party, de ce mouvement conservateur qui ne meurt jamais.
Bref, c’est intéressant.
#ConseilSérie #RéussisTonConfinement #NeMeRemerciePas
vendredi 24 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #40
Je n’ai pas de fièvre.
On m’a appelée ce soir en me disant “es-tu déjà en week-end ?”. Je suis en confinement et en vacances. Alors pour le week-end, je passe mon tour. Fuck le week-end !
Je ne suis pas sûre d’apprécier vraiment cette atmosphère ressemblant à un mois d’août caniculaire : les rues vides, l’ennui qui s’étire, qui s’allonge, qui s’éternise, qui ressemble un tunnel infini. Les mêmes balades qui tournent en rond, ce père avec sa fille sur sa draisienne, cet homme avec son chien, qu’ils ont l’air las !
Et ce printemps trop chaud et trop sec, à quoi ressemble-t-il ? Les lilas commencent déjà à faner, le temps a fui. Je ne l’ai pas vu passer et il m’a semblé long. Drôle de sensation, comme l’écrit Nicolas.
Nous sommes dans une parenthèse qui nous paraîtra peut-être, plus tard, un moment suspendu, un entre-deux mondes. Un basculement. Certains l’espèrent heureux. Plus de solidarité, plus d’humanité, plus de soin pour notre environnement. Certains ne souhaitent que le retour à l’avant rassurant, celui de la grande consommation, du MacDo, du voyage pas cher sur paquebot surdimensionné, du tee-shirt chinois à 2€, de la caissière sous-payée et à temps partiel…
Cela me rappelle la très bonne série Years and Years, une série anglaise dans laquelle on saute dans un futur proche d’année en année...Le gouvernement populiste, capable de dire n’importe quoi pourvu que ce soit retweeté...Comme par exemple que faire une injection de désinfectant et des UV pourrait nous guérir du covid ? Ah ben oui...Bonne idée ! Trump a été élu par des millions d’Américains dans un pays démocratique. Nous n’avons peut-être bien que ce que nous méritons.
Isn’t it our fault ?
Je ne suis pas sûre d’apprécier vraiment cette atmosphère ressemblant à un mois d’août caniculaire : les rues vides, l’ennui qui s’étire, qui s’allonge, qui s’éternise, qui ressemble un tunnel infini. Les mêmes balades qui tournent en rond, ce père avec sa fille sur sa draisienne, cet homme avec son chien, qu’ils ont l’air las !
Et ce printemps trop chaud et trop sec, à quoi ressemble-t-il ? Les lilas commencent déjà à faner, le temps a fui. Je ne l’ai pas vu passer et il m’a semblé long. Drôle de sensation, comme l’écrit Nicolas.
Nous sommes dans une parenthèse qui nous paraîtra peut-être, plus tard, un moment suspendu, un entre-deux mondes. Un basculement. Certains l’espèrent heureux. Plus de solidarité, plus d’humanité, plus de soin pour notre environnement. Certains ne souhaitent que le retour à l’avant rassurant, celui de la grande consommation, du MacDo, du voyage pas cher sur paquebot surdimensionné, du tee-shirt chinois à 2€, de la caissière sous-payée et à temps partiel…
Cela me rappelle la très bonne série Years and Years, une série anglaise dans laquelle on saute dans un futur proche d’année en année...Le gouvernement populiste, capable de dire n’importe quoi pourvu que ce soit retweeté...Comme par exemple que faire une injection de désinfectant et des UV pourrait nous guérir du covid ? Ah ben oui...Bonne idée ! Trump a été élu par des millions d’Américains dans un pays démocratique. Nous n’avons peut-être bien que ce que nous méritons.
Isn’t it our fault ?
jeudi 23 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #39
Je n’ai pas de fièvre.
On ne peut pas toujours être cynique et désabusé. J’inquiète ma famille inutilement. Certes, ce que l’on vit en ce moment n’est guère réjouissant.
Essayons cependant de relativiser. Toujours. C’est ce que fait toujours l’être humain.
Hier soir, on a regardé le dernier spectacle d’Alex Lutz. J’aime beaucoup cet artiste. Dans un de ses sketchs, il faisait très justement remarquer que l’être humain était le seul, dans le règne animal à commettre les pires horreurs et puis, immédiatement après, les plus grandes oeuvres…
Il prenait l’exemple de la seconde guerre mondiale : l’humanité a passé 6 ans à se flinguer, à se balancer des bombes sur la tronche. Puis immédiatement après, Saint-Germain-des-Prés, le jazz...Tanks, camps de concentration, et hop ! Trompette ! Le lion, ajoutait-il, quand il a zigouillé une antilope, ne fait pas la fête, juste après.
C’est beau, cette capacité, ce don pour le bonheur.
C’est souvent sur ces contrastes propres à la vie que les oeuvres d’art un peu intéressantes fonctionnent.
Un Nocturne de Chopin peut commencer par quelques notes guillerettes, sur un accord majeur, puis continuer par des passages beaucoup plus sombres. La vie est ainsi faite, de ses hauts et de ses bas.
La mort se cache toujours dans les plis de l’oreiller qui accueillit le plus grand des bonheurs.
Comme je n’ai pas grand chose à dire aujourd’hui, mis à part ces banalités, je vous offre un poème de Rimbaud, qui nous suggère ce que nous pourrions faire à la fin du confinement :
Et une chanson de Juliette, qui tient un peu du Nocturne de Chopin...et qui dit si bien les contrastes de la vie.
On ne peut pas toujours être cynique et désabusé. J’inquiète ma famille inutilement. Certes, ce que l’on vit en ce moment n’est guère réjouissant.
Essayons cependant de relativiser. Toujours. C’est ce que fait toujours l’être humain.
Hier soir, on a regardé le dernier spectacle d’Alex Lutz. J’aime beaucoup cet artiste. Dans un de ses sketchs, il faisait très justement remarquer que l’être humain était le seul, dans le règne animal à commettre les pires horreurs et puis, immédiatement après, les plus grandes oeuvres…
Il prenait l’exemple de la seconde guerre mondiale : l’humanité a passé 6 ans à se flinguer, à se balancer des bombes sur la tronche. Puis immédiatement après, Saint-Germain-des-Prés, le jazz...Tanks, camps de concentration, et hop ! Trompette ! Le lion, ajoutait-il, quand il a zigouillé une antilope, ne fait pas la fête, juste après.
C’est beau, cette capacité, ce don pour le bonheur.
C’est souvent sur ces contrastes propres à la vie que les oeuvres d’art un peu intéressantes fonctionnent.
Un Nocturne de Chopin peut commencer par quelques notes guillerettes, sur un accord majeur, puis continuer par des passages beaucoup plus sombres. La vie est ainsi faite, de ses hauts et de ses bas.
La mort se cache toujours dans les plis de l’oreiller qui accueillit le plus grand des bonheurs.
Comme je n’ai pas grand chose à dire aujourd’hui, mis à part ces banalités, je vous offre un poème de Rimbaud, qui nous suggère ce que nous pourrions faire à la fin du confinement :
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Mars 1870
Arthur Rimbaud
Et une chanson de Juliette, qui tient un peu du Nocturne de Chopin...et qui dit si bien les contrastes de la vie.
Sur l'oreiller
J'aurai beaucoup trop chaud peut-être
Il fera sombre, que m'importe
Je n'ouvrirai pas la fenêtre
Et laisserai fermée ma porte
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Votre parfum Sur l'oreiller
Laissez-moi deviner
Ces subtiles odeurs
Et promener mon nez
Parfait inquisiteur
Il y a des fleurs en vous
Que je ne connais pas
Et que gardent jaloux
Les replis de mes draps
Oh, la si fragile prison!
Il suffirait d'un peu de vent
Pour que les chères émanations
Quittent ma vie et mon divan
Tenez, voici, j'ai découvert
Dissimulées sous l'évidence
De votre Chanel ordinaire
De plus secrètes fulgurances
Il me faudrait les retenir
Pour donner corps à l'éphémère
Recomposer votre élixir
Pour en habiller mes chimères
Sans doute il y eut des rois
Pour vous fêter enfant
En vous disant
"Reçois
Et la myrrhe et l'encens"
Les fées de la légende
Penchées sur le berceau
Ont fleuri de lavande
Vos yeux et votre peau
J'ai deviné tous vos effets
Ici l'empreinte du jasmin
Par là la trace de l'oeillet
Et là le soupçon de benjoin
Je pourrais dire ton enfance
Elle est dans l'essence des choses
Je sais le parfum des vacances
Dans les jardins couverts de roses
Une grand-mère aux confitures
Un bon goûter dans la besace
Piquantes ronces, douces mûres
L'enfance est un parfum tenace
Tout ce sucre c'est vous
Tout ce sucre et ce miel
Le doux du roudoudou
L'amande au caramel
Les filles à la vanille
Les garçons au citron
L'été sous la charmille
Et l'hiver aux marrons
Je reprendrais bien volontiers
Des mignardises que tu recèles
Pour retrouver dans mon soulier
Ma mandarine de Noël
Voici qu'au milieu des bouquets
De douces fleurs et de bonbons
S'offre à mon nez soudain inquiet
Une troublante exhalaison
C'est l'odeur animale
De l'humaine condition
De la sueur et du sale
Et du mauvais coton
Et voici qu'ils affleurent
L'effluve du trépas
L'odeur d'un corps qui meurt
Entre ses derniers draps
Avant que le Temps souverain
Et sa cruelle taquinerie
N'emportent votre amour ou le mien
Vers d'autres cieux ou d'autres lits
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Toute votre âme sur l'oreiller.
Juliette Noureddine
mercredi 22 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #38
Je n’ai pas de fièvre.
Dans les premières semaines du confinement, la poste a eu à traiter plus de colis qu’en période de Noël.
Hier, un MacDo a rouvert son drive. La file d’attente faisait plusieurs kilomètres.
Nous n’allons pas changer, pour faire suite à ce que j’écrivais hier.
Au début, j’ai commencé ce journal un peu comme une plaisanterie. Un peu comme un roman. J’ai choisi un titre ironiquement, pour souligner l’attitude outrancière de notre chef d’Etat, face un petit microbe, pour mettre en exergue la vacuité de notre époque qui sort l’artillerie lourde du vocabulaire et de la rhétorique pour nous dire de rester dans notre canapé pour vaincre un ennemi invisible.
J’ai commencé de manière dramatique, je me suis dit avec beaucoup de vanité, tiens, je vais parler de la mort. De ma mort. Comme ça, on a immédiatement une tension dramatique, on est in medias res, et même un plus loin qu’au milieu, carrément à la fin des choses, hop, tour de passe-passe génial de la faiseuse de littérature. Prétentieuse, oui, j’assume. Bon, cela a juste effrayé ma mère, qui ne lit plus ce journal depuis.
Et puis je me suis dit, je vais commencer chaque jour avec cette même phrase “Je n’ai pas de fièvre.” Leitmotiv, anaphore...Bref, caricature de professeur de lettres en manque de commentaire composé. Lamentable. Mais au fond de moi, je me disais : “Il y aura bien un jour où j’aurais de la fièvre, et là, patatra, coup de théâtre, retournement de situation, deus ex machina, tension dramatique à son comble, arriverai-je à la fin de ce journal, vivante, diminuée, exsangue, pâle copie de moi-même, tirant de mes lecteurs des larmes de compassion, servant de catharsis à la nation toute entière, martyre du Covid, morte pour la cause ?”
Et puis je n’ai toujours pas de fièvre. Pas la moindre toux, pas le plus petit signe. C’est décevant, ça ne sert pas du tout la littérature.
Au début donc, j’ai commencé à écrire ce journal comme une plaisanterie. Mais la plaisanterie s’éternise. Ce qui était un peu drôle au début - la pénurie de papier toilette, les coiffeurs fermés et nos cheveux hirsutes, ces petits détails du quotidien - ne nous fait plus vraiment rire. La gravité de la situation a carrément pris le dessus : les morts, mais surtout la solitude, l’isolement, l’impression de ne plus vraiment vivre. Ma mère que je n’ai pas vue depuis trop longtemps, ma mère qui ne voit plus son petit fils qu’à travers une fenêtre. Les gens seuls encore plus seuls que d’habitude, ne plus parler à personne, ne plus voir de figure humaine. Les morts de solitude, morts seuls et sans sépulture digne de ce nom. C’est cette déshumanisation brutale qui finira par nous rendre fous.
La plaisanterie, finalement, celle qui nous fait rire jaune, chaque jour, c’est l’incurie de ce gouvernement : incapable de tenir un discours clair, incapable d’expliquer qu’ils ne savent rien, de manière humble et compréhensible par tous. Incapables de ne pas faire d’annonces qui seront contredites dans la journée. Incapables d’avoir une colonne vertébrale, une seule stratégie, un objectif et de s’y tenir.
Si on refait le match, en effet, on a eu un président qui nous a dit, successivement : “On ferme les écoles, c’est le lieu le plus dangereux : les enfants vont ramener le virus à la maison et tuer leurs grands-parents.” Puis “La santé d’abord, tous confinés, on fait confiance aux scientifiques”, puis “On reprend le travail, enfin surtout les ouvriers pauvres, parce que la nation doit tourner.” Et enfin, “Par conséquent, il faut que les gamins soient gardés à l’école pour que les parents puissent aller trimer en toute sécurité, avec des masques en sopalin.”
Dans les livres d’histoire du futur, on pensera sans doute que durant cette période étrange, l’humanité est devenue folle. Et mon roman dans tout ça ? Il manquera de cohérence. C’est juste l’histoire d’une catastrophe annoncée, digne d’une pièce absurde de Samuel Beckett : En attendant les masques…
Rien a de sens et rien ne va...comme dit Mylène !
Dans les premières semaines du confinement, la poste a eu à traiter plus de colis qu’en période de Noël.
Hier, un MacDo a rouvert son drive. La file d’attente faisait plusieurs kilomètres.
Nous n’allons pas changer, pour faire suite à ce que j’écrivais hier.
Au début, j’ai commencé ce journal un peu comme une plaisanterie. Un peu comme un roman. J’ai choisi un titre ironiquement, pour souligner l’attitude outrancière de notre chef d’Etat, face un petit microbe, pour mettre en exergue la vacuité de notre époque qui sort l’artillerie lourde du vocabulaire et de la rhétorique pour nous dire de rester dans notre canapé pour vaincre un ennemi invisible.
J’ai commencé de manière dramatique, je me suis dit avec beaucoup de vanité, tiens, je vais parler de la mort. De ma mort. Comme ça, on a immédiatement une tension dramatique, on est in medias res, et même un plus loin qu’au milieu, carrément à la fin des choses, hop, tour de passe-passe génial de la faiseuse de littérature. Prétentieuse, oui, j’assume. Bon, cela a juste effrayé ma mère, qui ne lit plus ce journal depuis.
Et puis je me suis dit, je vais commencer chaque jour avec cette même phrase “Je n’ai pas de fièvre.” Leitmotiv, anaphore...Bref, caricature de professeur de lettres en manque de commentaire composé. Lamentable. Mais au fond de moi, je me disais : “Il y aura bien un jour où j’aurais de la fièvre, et là, patatra, coup de théâtre, retournement de situation, deus ex machina, tension dramatique à son comble, arriverai-je à la fin de ce journal, vivante, diminuée, exsangue, pâle copie de moi-même, tirant de mes lecteurs des larmes de compassion, servant de catharsis à la nation toute entière, martyre du Covid, morte pour la cause ?”
Et puis je n’ai toujours pas de fièvre. Pas la moindre toux, pas le plus petit signe. C’est décevant, ça ne sert pas du tout la littérature.
Au début donc, j’ai commencé à écrire ce journal comme une plaisanterie. Mais la plaisanterie s’éternise. Ce qui était un peu drôle au début - la pénurie de papier toilette, les coiffeurs fermés et nos cheveux hirsutes, ces petits détails du quotidien - ne nous fait plus vraiment rire. La gravité de la situation a carrément pris le dessus : les morts, mais surtout la solitude, l’isolement, l’impression de ne plus vraiment vivre. Ma mère que je n’ai pas vue depuis trop longtemps, ma mère qui ne voit plus son petit fils qu’à travers une fenêtre. Les gens seuls encore plus seuls que d’habitude, ne plus parler à personne, ne plus voir de figure humaine. Les morts de solitude, morts seuls et sans sépulture digne de ce nom. C’est cette déshumanisation brutale qui finira par nous rendre fous.
La plaisanterie, finalement, celle qui nous fait rire jaune, chaque jour, c’est l’incurie de ce gouvernement : incapable de tenir un discours clair, incapable d’expliquer qu’ils ne savent rien, de manière humble et compréhensible par tous. Incapables de ne pas faire d’annonces qui seront contredites dans la journée. Incapables d’avoir une colonne vertébrale, une seule stratégie, un objectif et de s’y tenir.
Si on refait le match, en effet, on a eu un président qui nous a dit, successivement : “On ferme les écoles, c’est le lieu le plus dangereux : les enfants vont ramener le virus à la maison et tuer leurs grands-parents.” Puis “La santé d’abord, tous confinés, on fait confiance aux scientifiques”, puis “On reprend le travail, enfin surtout les ouvriers pauvres, parce que la nation doit tourner.” Et enfin, “Par conséquent, il faut que les gamins soient gardés à l’école pour que les parents puissent aller trimer en toute sécurité, avec des masques en sopalin.”
Dans les livres d’histoire du futur, on pensera sans doute que durant cette période étrange, l’humanité est devenue folle. Et mon roman dans tout ça ? Il manquera de cohérence. C’est juste l’histoire d’une catastrophe annoncée, digne d’une pièce absurde de Samuel Beckett : En attendant les masques…
Rien a de sens et rien ne va...comme dit Mylène !
mardi 21 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #37
Je n’ai pas de fièvre.
[Aujourd'hui, j'ai une pensée toute particulière pour une amie qui vit des moments difficiles.]
Un virus, je suppose - je ne suis pas virologue - ça change à la vitesse de la lumière : les générations se succèdent rapidement, ça se reproduit très vite, ça peut donc se modifier génétiquement pour s’adapter à la situation.
C’est notre problème, à nous, pauvres humains. Nous mettons des dizaines d’années à changer, à comprendre ce qu’il faudrait changer pour s’adapter mieux. Par exemple, voilà environ 40 ans, peut-être même 50 ans, que les premiers scientifiques s’occupant de l’environnement ont remarqué qu’il y avait péril en la demeure, que la maison brûlait, que les glaciers fondaient, que la couche d’ozone était trouée de tous côtés, que les cours d’eau s’assèchaient sérieusement.
Et nous n’avons pas changé. Nous avons continué de brûler du pétrole, de plus en plus de pétrole, dans des voitures toujours plus grosses. Aujourd’hui, ce pétrole, nous serions même prêt à payer les gens pour qu’ils s’en servent. Nous avons continué avec les mêmes réflexes, les mêmes stupides dépenses d’énergie, d’eau, de pollution partout où la main de l’homme met le pied. Pour toujours plus de profit.
C’est un peu comme quand un type qui vient de se planter sa dernière seringue d’héro dans le bras vous jure que demain, il arrête. Un homme ne change jamais vraiment. On a des défauts à vie. Moi je suis paresseuse et ce n’est pas près de s’arrêter, par exemple.
En ce moment, certains nous jurent, main sur le coeur, que l’on va arrêter les conneries, après cette crise. Qu’on va changer de paradigme. On peut toujours y croire. Après la première guerre mondiale, on a dit, c’est la der des der. On a dit “Tiens, les femmes ont bien bossé, on va les récompenser.” Il a fallu attendre une deuxième guerre mondiale pour leur filer le droit de vote : c’était justement le 21 avril 1944.
Tout ça pour dire que pour que l’on change, comme ça, presque par magie, il va falloir le vouloir, le réclamer, l’exiger. Est-ce qu’on va vraiment arrêter l’agriculture intensive ? Est-ce qu’on va arrêter de polluer la planète à coup de kérosène pour en envoyant des avions partout, livrer des conneries en plastique depuis la Chine ? Est-ce qu’on va se recentrer sur l’essentiel : une alimentation saine et des rapports plus humains entre les gens ? Les gens plutôt que l’argent. On a tout pour être heureux : la connaissance, la technologie, l’abondance. On pourrait juste trouver des solutions pour gérer cela plus harmonieusement et arrêter de vouloir la lune pour soi, contre tous les autres.
Mais pour changer, il faut des années, des générations entières. Et finalement, ce n’est pas certains que l’homme en soi capable. L’homme a toujours voulu plus dans un monde fini, depuis toujours. C’est sa nature. Pourtant, il suffirait qu’il veuille plus d’amour, plus de fraternité, plus de solidarité. Nous serions heureux. Imaginons.
[Aujourd'hui, j'ai une pensée toute particulière pour une amie qui vit des moments difficiles.]
Un virus, je suppose - je ne suis pas virologue - ça change à la vitesse de la lumière : les générations se succèdent rapidement, ça se reproduit très vite, ça peut donc se modifier génétiquement pour s’adapter à la situation.
C’est notre problème, à nous, pauvres humains. Nous mettons des dizaines d’années à changer, à comprendre ce qu’il faudrait changer pour s’adapter mieux. Par exemple, voilà environ 40 ans, peut-être même 50 ans, que les premiers scientifiques s’occupant de l’environnement ont remarqué qu’il y avait péril en la demeure, que la maison brûlait, que les glaciers fondaient, que la couche d’ozone était trouée de tous côtés, que les cours d’eau s’assèchaient sérieusement.
Et nous n’avons pas changé. Nous avons continué de brûler du pétrole, de plus en plus de pétrole, dans des voitures toujours plus grosses. Aujourd’hui, ce pétrole, nous serions même prêt à payer les gens pour qu’ils s’en servent. Nous avons continué avec les mêmes réflexes, les mêmes stupides dépenses d’énergie, d’eau, de pollution partout où la main de l’homme met le pied. Pour toujours plus de profit.
C’est un peu comme quand un type qui vient de se planter sa dernière seringue d’héro dans le bras vous jure que demain, il arrête. Un homme ne change jamais vraiment. On a des défauts à vie. Moi je suis paresseuse et ce n’est pas près de s’arrêter, par exemple.
En ce moment, certains nous jurent, main sur le coeur, que l’on va arrêter les conneries, après cette crise. Qu’on va changer de paradigme. On peut toujours y croire. Après la première guerre mondiale, on a dit, c’est la der des der. On a dit “Tiens, les femmes ont bien bossé, on va les récompenser.” Il a fallu attendre une deuxième guerre mondiale pour leur filer le droit de vote : c’était justement le 21 avril 1944.
Tout ça pour dire que pour que l’on change, comme ça, presque par magie, il va falloir le vouloir, le réclamer, l’exiger. Est-ce qu’on va vraiment arrêter l’agriculture intensive ? Est-ce qu’on va arrêter de polluer la planète à coup de kérosène pour en envoyant des avions partout, livrer des conneries en plastique depuis la Chine ? Est-ce qu’on va se recentrer sur l’essentiel : une alimentation saine et des rapports plus humains entre les gens ? Les gens plutôt que l’argent. On a tout pour être heureux : la connaissance, la technologie, l’abondance. On pourrait juste trouver des solutions pour gérer cela plus harmonieusement et arrêter de vouloir la lune pour soi, contre tous les autres.
Mais pour changer, il faut des années, des générations entières. Et finalement, ce n’est pas certains que l’homme en soi capable. L’homme a toujours voulu plus dans un monde fini, depuis toujours. C’est sa nature. Pourtant, il suffirait qu’il veuille plus d’amour, plus de fraternité, plus de solidarité. Nous serions heureux. Imaginons.
lundi 20 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #36
Je n’ai pas de fièvre.
9h30
C’est ce matin que cela s’est produit. Soudain le temps m’a semblé ralentir. Jusque là, j’avais compensé, je crois. J’étais parvenue à occuper, à combler, à distraire le vide. J’avais les cours à préparer, j’avais les cellules de crise de la mairie, j’avais les repas à imaginer.
Ce matin, sous la douche, déjà, j’avais prévu le repas. J’étais en vacances, je n’avais pas à penser à mes élèves. La cellule de crise me semblerait sans doute longue et inutile. Je le présentais. En une douche de 5 minutes, j’avais bouclé la journée. J’avais aussi déjà l’idée de ce que j’écrirai ici. Alors la journée me semblait une perspective interminable qu’il faudrait meubler d’une manière ou d’une autre. Une perspective sans fin. Peut-être serait-ce le déclic pour enfin lire un peu. Pour écrire plus, pour me promener (mais cela n’occupe qu’une heure). Pour téléphoner à la terre entière. Mais ce week-end, déjà j’avais passé une heure avec ma meilleure amie au téléphone, j’avais eu toute la famille. Je passerai évidemment 20 bonnes minutes avec ma mère. Il me semblait que je ne verrai jamais le bout de ce tunnel de 24 heures et que cela recommencerait demain, puis après-demain et cela jusqu’au 11 mai.
Ensuite, j’irai au collège pour retrouver mes élèves névrosés, changés irrémédiablement par ce qu’ils avaient vécu. En craignant qu’ils soient bien plus “vecteurs” de la maladie qu’on ne le dit aujourd’hui. Ce matin, au petit déjeuner, j’ai entendu deux virologues qui n’étaient pas d’accord sur le sujet : la première affirmait que les enfants étaient porteurs de toute petite quantité de virus. Je ne suis pas virologue. Cela me semble étrange. Et puis on a quand même entendu que certains enfants mourraient. Elle disait que cela ne risquait pas grand chose de renvoyer les enfants à l’école. Elle me semblait oublier que les enfants ne sont pas seuls dans une école : qu’il y a des adultes qui les amènent et qui les reprennent le soir et qu’il y a des enseignants toute la journée avec eux. Le deuxième virologue émettait des doutes bien plus grands.
15h34
Est-ce que ça va mieux ? Non (même si la cellule de crise était bien, finalement). Mais, je ne peux pas m’empêcher de faire des remarques acides à chaque fois que j’entends les infos. Un cynisme total. Sur le mode “on nous ment”. Mais mon regard est faussé par ce que je constate sur le terrain. Je sais que les annonces du gouvernement ne correspondent pas à la réalité. Qu’il n’y a pas de masques ou trop peu pour les aides-soignants, les aides à domicile, pour les Ehpad, et qu’il n’y aura probablement pas non plus de masques “grand public” pour tout le monde le 11 mai. Tout simplement parce que quand on fait le tour des entreprises françaises qui peuvent en fabriquer (essentiellement la bonneterie, les petits pulls marins, les fabriques de textiles de luxe, de robes de mariée, de lin, de percale et de satin…), on a vite fait le tour et on se rend compte que leur capacité de production est limitée. Normal. On ne sait pas fabriquer du tee-shirt chinois à 2€ main d’oeuvre et transport compris, à des centaines de millier d’exemplaires jour. Donc, on ne sait pas non plus fabriquer des masques en tissus trois plis lavables en machine 20 fois à moins de 5€ (oui, c’est à peu près le tarif, tu te rends compte ? C’est le moment de se lancer : découpe tes vieux draps, il y a du pognon à se faire) dans des délais courts.
De toute façon, ne nous leurrons pas : les masques “grand public”, ça ou rien c’est à peu près pareil. Ils portent tous la mention “A utiliser tout en respectant les gestes barrières”. Donc tu vas t’étouffer et suer dans un masque “grand public”, tout l’été, tout ça sans pouvoir pour autant faire des papouilles à ceux que tu aimes.
Bref. Cet après-midi aussi je suis d’une humeur de chien.
J’ai lu une interview d’André Comte-Sponville, qui remet bien les idées en place, je trouve. Je vous la conseille : CLIC
Et comme cela fait plusieurs jours que je me plains sur ce blog que ce qui m’angoisse le plus, c’est l'incertitude, le philosophe me rappelle justement que l’incertitude, c’est depuis toujours notre destin.
Il y a des évidences qu’il faut parfois rappeler, dans notre monde écrasé de certitudes…
9h30
C’est ce matin que cela s’est produit. Soudain le temps m’a semblé ralentir. Jusque là, j’avais compensé, je crois. J’étais parvenue à occuper, à combler, à distraire le vide. J’avais les cours à préparer, j’avais les cellules de crise de la mairie, j’avais les repas à imaginer.
Ce matin, sous la douche, déjà, j’avais prévu le repas. J’étais en vacances, je n’avais pas à penser à mes élèves. La cellule de crise me semblerait sans doute longue et inutile. Je le présentais. En une douche de 5 minutes, j’avais bouclé la journée. J’avais aussi déjà l’idée de ce que j’écrirai ici. Alors la journée me semblait une perspective interminable qu’il faudrait meubler d’une manière ou d’une autre. Une perspective sans fin. Peut-être serait-ce le déclic pour enfin lire un peu. Pour écrire plus, pour me promener (mais cela n’occupe qu’une heure). Pour téléphoner à la terre entière. Mais ce week-end, déjà j’avais passé une heure avec ma meilleure amie au téléphone, j’avais eu toute la famille. Je passerai évidemment 20 bonnes minutes avec ma mère. Il me semblait que je ne verrai jamais le bout de ce tunnel de 24 heures et que cela recommencerait demain, puis après-demain et cela jusqu’au 11 mai.
Ensuite, j’irai au collège pour retrouver mes élèves névrosés, changés irrémédiablement par ce qu’ils avaient vécu. En craignant qu’ils soient bien plus “vecteurs” de la maladie qu’on ne le dit aujourd’hui. Ce matin, au petit déjeuner, j’ai entendu deux virologues qui n’étaient pas d’accord sur le sujet : la première affirmait que les enfants étaient porteurs de toute petite quantité de virus. Je ne suis pas virologue. Cela me semble étrange. Et puis on a quand même entendu que certains enfants mourraient. Elle disait que cela ne risquait pas grand chose de renvoyer les enfants à l’école. Elle me semblait oublier que les enfants ne sont pas seuls dans une école : qu’il y a des adultes qui les amènent et qui les reprennent le soir et qu’il y a des enseignants toute la journée avec eux. Le deuxième virologue émettait des doutes bien plus grands.
15h34
Est-ce que ça va mieux ? Non (même si la cellule de crise était bien, finalement). Mais, je ne peux pas m’empêcher de faire des remarques acides à chaque fois que j’entends les infos. Un cynisme total. Sur le mode “on nous ment”. Mais mon regard est faussé par ce que je constate sur le terrain. Je sais que les annonces du gouvernement ne correspondent pas à la réalité. Qu’il n’y a pas de masques ou trop peu pour les aides-soignants, les aides à domicile, pour les Ehpad, et qu’il n’y aura probablement pas non plus de masques “grand public” pour tout le monde le 11 mai. Tout simplement parce que quand on fait le tour des entreprises françaises qui peuvent en fabriquer (essentiellement la bonneterie, les petits pulls marins, les fabriques de textiles de luxe, de robes de mariée, de lin, de percale et de satin…), on a vite fait le tour et on se rend compte que leur capacité de production est limitée. Normal. On ne sait pas fabriquer du tee-shirt chinois à 2€ main d’oeuvre et transport compris, à des centaines de millier d’exemplaires jour. Donc, on ne sait pas non plus fabriquer des masques en tissus trois plis lavables en machine 20 fois à moins de 5€ (oui, c’est à peu près le tarif, tu te rends compte ? C’est le moment de se lancer : découpe tes vieux draps, il y a du pognon à se faire) dans des délais courts.
De toute façon, ne nous leurrons pas : les masques “grand public”, ça ou rien c’est à peu près pareil. Ils portent tous la mention “A utiliser tout en respectant les gestes barrières”. Donc tu vas t’étouffer et suer dans un masque “grand public”, tout l’été, tout ça sans pouvoir pour autant faire des papouilles à ceux que tu aimes.
Bref. Cet après-midi aussi je suis d’une humeur de chien.
J’ai lu une interview d’André Comte-Sponville, qui remet bien les idées en place, je trouve. Je vous la conseille : CLIC
Et comme cela fait plusieurs jours que je me plains sur ce blog que ce qui m’angoisse le plus, c’est l'incertitude, le philosophe me rappelle justement que l’incertitude, c’est depuis toujours notre destin.
Il y a des évidences qu’il faut parfois rappeler, dans notre monde écrasé de certitudes…
dimanche 19 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #35
Je n’ai pas de fièvre.
Nous aurions pris la route, hier matin. Pas trop tôt. Nous aurions même râlé un peu, pour la forme, pas envie de faire tous ces kilomètres. Nous aurions dit, on ne peut jamais profiter de notre appartement. Nous aurions peut-être même décidé de ne partir que ce matin, histoire de reprendre un peu notre souffle, de nous autoriser une grasse matinée samedi, de faire une lessive ou deux.
Et puis nous aurions dit, on mangera en route, nous arriverons dans l’après-midi. Tranquillement. Le long de l’autoroute, nous aurions admiré la nature verdoyante, nous aurions apprécié le printemps, de plus en plus avancé à mesure que nous serions descendues vers le sud.
Les arbres plus feuillus, les marronniers plus en fleurs, les prairies verdoyantes dans lesquelles des vaches heureuses et grasses doivent paître tranquillement sans le bruit incessant des voitures et des avions. Des vaches qui n’ont plus personne pour les regarder paître, aujourd'hui.
Amandine n’aurait pas voulu faire de pause, mais j’aurais insisté, juste pour acheter des cochonneries, des M&M’s, une boisson nouvelle de l’industrie chimico-alimentaire. Juste pour dire hum, ce concentré de fraise et noix de coco est suspect. On ne peut pas dire que ce soit bon, mais la bouteille est réussie.
Et puis nous serions reparties, musique de vacances, doublant les camions polonais aux flocages improbables de photos géantes de jeunes filles dégustant des glaces, cheveux au vent.
Après le petit village de la Burbanche, nous aurions commencé à apercevoir les sommets des contreforts des Alpes, la Dent du Chat, dans le lointain, notre coeur se serait pris de tendresse, nous aurions accroché sur notre visage un sourire mièvre. Qu’il est bon de rentrer chez soi, nous serions nous dit, béates de nostalgie, dégoulinantes de bonheur comme des chamallows à la broche.
Le long de l’Albarine nous aurait paru idyllique et nous aurions admiré les cascades chutant de la montagne.
Et en traversant le Rhône, enfin, nous aurions eu l’impression de retrouver la terre de nos ancêtres.
Comme toujours quand je rentre, j’aurais regardé chaque coin familier, chaque méandre du ruisseau, chaque coteau planté de vignes, chaque falaise de calcaire comme un terrain conquis, comme une seconde maison, comme une propriété personnelle. Comme si je ne les avais jamais quittés, comme si je les connaissais par coeur.
J’aurais sans doute dit à Amandine - je lui dis toujours -, des choses absurdes et banales. Le paradis, c’est ici. Et cette lumière. La lumière est différente, plus douce et plus vive. J’aurais dit crois-tu que nous reviendrons vivre ici, un jour. On trouverait une maison, même petite. Tu sais, je suis propriétaire, ici. Oui. On pourrait vendre, acheter, construire…
Le premier matin, nous serions allées aux morilles, nous aurions fait une balade dans la forêt, je me serais vantée, encore, en disant que j’étais une riche propriétaire que, tout ce que tu vois, là, jusqu'à l'horizon, c’est à moi. Oui madame. Tu as épousé une héritière. Amandine aurait ri et nous n’aurions pas trouvé beaucoup de morilles, mais j’aurais fait des photos et nous aurions humé dans l’air l’inimitable odeur de printemps qui inspire l’amour.
Et puis les lacs, l'interminable discussion pour savoir si le plus beau est celui du Bourget ou celui d'Aiguebelette. (Et pourtant, le débat est inutile ! Mais nous ne le trancherons pas, pour la paix de notre couple !) Conjux. Aix-les-Bains. La fontaine des quatre sans cul, à Chambéry. Le pélérinage, sur les traces des années lycée, des années d'étudiante. La famille, Rémy, Alyssa et Enora. Solène et Clémence. Les repas trop copieux.
Et puis au bout de quelques jours avec nos vieux parents, nous aurions voulu repartir, j’aurais regretté déjà le bruit et la fureur de la ville, je me serais ennuyée déjà de ma vie habituelle, de mes ustensiles de cuisine, de ma bibliothèque, de ma connexion internet, de notre matelas, parce que l’on n’est jamais mieux que chez soi, finalement.
Amandine aurait eu soudain envie de revenir pour s’occuper de ses abeilles qui ont commencé de pondre sur le balcon et pour terminer de repeindre les piliers.
Nous aurions eu quelques jours de vacances et d’enfance.
Et sur l’autoroute du retour, nous aurions dit des choses banales et absurdes, qu’il est bon de rentrer chez soi, j’ai hâte de retrouver l’appartement, comme j’aime regarder couler le Doubs depuis la terrasse.
Bon dimanche.
Nous aurions pris la route, hier matin. Pas trop tôt. Nous aurions même râlé un peu, pour la forme, pas envie de faire tous ces kilomètres. Nous aurions dit, on ne peut jamais profiter de notre appartement. Nous aurions peut-être même décidé de ne partir que ce matin, histoire de reprendre un peu notre souffle, de nous autoriser une grasse matinée samedi, de faire une lessive ou deux.
Et puis nous aurions dit, on mangera en route, nous arriverons dans l’après-midi. Tranquillement. Le long de l’autoroute, nous aurions admiré la nature verdoyante, nous aurions apprécié le printemps, de plus en plus avancé à mesure que nous serions descendues vers le sud.
Les arbres plus feuillus, les marronniers plus en fleurs, les prairies verdoyantes dans lesquelles des vaches heureuses et grasses doivent paître tranquillement sans le bruit incessant des voitures et des avions. Des vaches qui n’ont plus personne pour les regarder paître, aujourd'hui.
Amandine n’aurait pas voulu faire de pause, mais j’aurais insisté, juste pour acheter des cochonneries, des M&M’s, une boisson nouvelle de l’industrie chimico-alimentaire. Juste pour dire hum, ce concentré de fraise et noix de coco est suspect. On ne peut pas dire que ce soit bon, mais la bouteille est réussie.
Et puis nous serions reparties, musique de vacances, doublant les camions polonais aux flocages improbables de photos géantes de jeunes filles dégustant des glaces, cheveux au vent.
Après le petit village de la Burbanche, nous aurions commencé à apercevoir les sommets des contreforts des Alpes, la Dent du Chat, dans le lointain, notre coeur se serait pris de tendresse, nous aurions accroché sur notre visage un sourire mièvre. Qu’il est bon de rentrer chez soi, nous serions nous dit, béates de nostalgie, dégoulinantes de bonheur comme des chamallows à la broche.
Le long de l’Albarine nous aurait paru idyllique et nous aurions admiré les cascades chutant de la montagne.
Et en traversant le Rhône, enfin, nous aurions eu l’impression de retrouver la terre de nos ancêtres.
Comme toujours quand je rentre, j’aurais regardé chaque coin familier, chaque méandre du ruisseau, chaque coteau planté de vignes, chaque falaise de calcaire comme un terrain conquis, comme une seconde maison, comme une propriété personnelle. Comme si je ne les avais jamais quittés, comme si je les connaissais par coeur.
J’aurais sans doute dit à Amandine - je lui dis toujours -, des choses absurdes et banales. Le paradis, c’est ici. Et cette lumière. La lumière est différente, plus douce et plus vive. J’aurais dit crois-tu que nous reviendrons vivre ici, un jour. On trouverait une maison, même petite. Tu sais, je suis propriétaire, ici. Oui. On pourrait vendre, acheter, construire…
Le premier matin, nous serions allées aux morilles, nous aurions fait une balade dans la forêt, je me serais vantée, encore, en disant que j’étais une riche propriétaire que, tout ce que tu vois, là, jusqu'à l'horizon, c’est à moi. Oui madame. Tu as épousé une héritière. Amandine aurait ri et nous n’aurions pas trouvé beaucoup de morilles, mais j’aurais fait des photos et nous aurions humé dans l’air l’inimitable odeur de printemps qui inspire l’amour.
Et puis les lacs, l'interminable discussion pour savoir si le plus beau est celui du Bourget ou celui d'Aiguebelette. (Et pourtant, le débat est inutile ! Mais nous ne le trancherons pas, pour la paix de notre couple !) Conjux. Aix-les-Bains. La fontaine des quatre sans cul, à Chambéry. Le pélérinage, sur les traces des années lycée, des années d'étudiante. La famille, Rémy, Alyssa et Enora. Solène et Clémence. Les repas trop copieux.
Et puis au bout de quelques jours avec nos vieux parents, nous aurions voulu repartir, j’aurais regretté déjà le bruit et la fureur de la ville, je me serais ennuyée déjà de ma vie habituelle, de mes ustensiles de cuisine, de ma bibliothèque, de ma connexion internet, de notre matelas, parce que l’on n’est jamais mieux que chez soi, finalement.
Amandine aurait eu soudain envie de revenir pour s’occuper de ses abeilles qui ont commencé de pondre sur le balcon et pour terminer de repeindre les piliers.
Nous aurions eu quelques jours de vacances et d’enfance.
Et sur l’autoroute du retour, nous aurions dit des choses banales et absurdes, qu’il est bon de rentrer chez soi, j’ai hâte de retrouver l’appartement, comme j’aime regarder couler le Doubs depuis la terrasse.
Bon dimanche.
samedi 18 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #34
Je n’ai pas de fièvre.
Rien ne vaut la douceur du foyer, les plaisirs minuscules, la conquête d’un intérieur qu’on ignore d’ordinaire, l’aventure confinée. J’ai redécouvert la blancheur des joints de mon carrelage ! Nul besoin de lointains voyages. J’ai redécouvert le design de mon mobilier ! Rien ne vaut un décor familier.
Puisque rien a de sens, j’essaie de me créer des micro tâches, indispensables, mais qui me permettent de procrastiner, pour me donner l’impression d’avoir plein de choses à faire. Je dois absolument trier les facturettes qui encombrent mon portefeuille. Mais je le ferai demain, peut-être. Je dois absolument trier le linge qui s’entasse sur cette chaise qui se prend pour une armoire, dans ma chambre. Mais je le ferai, oui, je le ferai, promis, pas la peine de le rappeler toutes les semaines.
Moi qui remets toujours au lendemain, déjà, en temps normal, pour ces micro tâches du quotidien, j’ai l’impression que c’est devenu vital en période de confinement : avoir des perspectives, avoir des objectifs.
Je remets à demain mon envie d’aller courir. Est-ce vraiment une envie ? J’en mourrais, si je me mettais à courir, mon coeur ne tiendrait pas le choc.
Je remets à demain l’envie d’écrire un nouveau roman, d’en lire quelques uns. Je remets à demain le point inévitable qu’il faut que je fasse sur ma vie, à quarante ans passés. Je remets à demain l’envie de m'apitoyer sur mon sort.
Pour aujourd’hui, mon transit intestinal est parfait, les nuages, les merveilleux nuages, offrent à ma vue un tableau charmant dans le ciel toujours bleu de ce début de printemps et un couple de faucons crécerelles habite le quartier et nous ne l’avions jamais remarqué auparavant.
Comme chaque année, les marronniers sont en fleurs.
Ils tendent leurs belles grappes coniques vers l'azur,
Ces arbres pointent leurs fières fleurs comme des phallus vers le ciel...
C'en est presque érotique.
(Ne vous inquiétez pas, j'écris ça chaque année dans mes blogs, c'est une tradition)
La vie est douce à qui veut de la douceur et ça ne coûte pas grand chose. Si l’on sait regarder, si l’on sait écouter, tout, depuis les joints du carrelage, jusqu’aux faucons nichant dans les toits du voisinage, tout est beauté, tout est amour et tout est harmonie. Tout parle à l’âme en secret, pour qui sait entendre.
Au loin la cloche de l’église sonne à 14h24, ce qui est inhabituel. Ce doit être un enterrement.
Rien ne vaut la douceur du foyer, les plaisirs minuscules, la conquête d’un intérieur qu’on ignore d’ordinaire, l’aventure confinée. J’ai redécouvert la blancheur des joints de mon carrelage ! Nul besoin de lointains voyages. J’ai redécouvert le design de mon mobilier ! Rien ne vaut un décor familier.
Puisque rien a de sens, j’essaie de me créer des micro tâches, indispensables, mais qui me permettent de procrastiner, pour me donner l’impression d’avoir plein de choses à faire. Je dois absolument trier les facturettes qui encombrent mon portefeuille. Mais je le ferai demain, peut-être. Je dois absolument trier le linge qui s’entasse sur cette chaise qui se prend pour une armoire, dans ma chambre. Mais je le ferai, oui, je le ferai, promis, pas la peine de le rappeler toutes les semaines.
Moi qui remets toujours au lendemain, déjà, en temps normal, pour ces micro tâches du quotidien, j’ai l’impression que c’est devenu vital en période de confinement : avoir des perspectives, avoir des objectifs.
Je remets à demain mon envie d’aller courir. Est-ce vraiment une envie ? J’en mourrais, si je me mettais à courir, mon coeur ne tiendrait pas le choc.
Je remets à demain l’envie d’écrire un nouveau roman, d’en lire quelques uns. Je remets à demain le point inévitable qu’il faut que je fasse sur ma vie, à quarante ans passés. Je remets à demain l’envie de m'apitoyer sur mon sort.
Pour aujourd’hui, mon transit intestinal est parfait, les nuages, les merveilleux nuages, offrent à ma vue un tableau charmant dans le ciel toujours bleu de ce début de printemps et un couple de faucons crécerelles habite le quartier et nous ne l’avions jamais remarqué auparavant.
Comme chaque année, les marronniers sont en fleurs.
Ils tendent leurs belles grappes coniques vers l'azur,
Ces arbres pointent leurs fières fleurs comme des phallus vers le ciel...
C'en est presque érotique.
(Ne vous inquiétez pas, j'écris ça chaque année dans mes blogs, c'est une tradition)
La vie est douce à qui veut de la douceur et ça ne coûte pas grand chose. Si l’on sait regarder, si l’on sait écouter, tout, depuis les joints du carrelage, jusqu’aux faucons nichant dans les toits du voisinage, tout est beauté, tout est amour et tout est harmonie. Tout parle à l’âme en secret, pour qui sait entendre.
Au loin la cloche de l’église sonne à 14h24, ce qui est inhabituel. Ce doit être un enterrement.
vendredi 17 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #33
Le sonnet du soignant
Je n’ai pas de fièvre mais j’ai de grands frissons,
Je n’ai pas de masques et je n’ai pas de gants,
Ni gel hydroalcoolique, à peine un peu de savon
J’ai ma foi, mon courage et je vais de l’avant.
Mon métier, ma passion, de ma vie, la raison
De gardes en urgences, de bobos en onguent
En équipe, nuit et jour, pour vous, nous trimons
Nous n’avons pas le choix, c’est la vie des soignants.
Chaque soir, aux balcons, vous nous applaudissez,
Chaque fois Macron vous exhorte : “Ô ! Bénissez
Les valeureux, les courageux, les beaux héros !”
Mais avant le virus, chaque petite grève,
Chaque demande pour réclamer la relève,
Ne recevait qu’une seule réponse : “Zéro !”
Le sonnet du patient en Ehpad
Je n’ai pas de fièvre, je n’ai pas de visite
Bientôt six semaines que seule à en crever
Je n’ai pas vu ma fille, mon fils et ses petites ;
Et je tourne dans cette chambre, mal attifée.
J’ai la visite du docteur et il hésite
Entre compassion et l’idée d’abandonner ;
Visite des infirmières, pauvres petites
J’ai peur d’elles, mais tout autant, je les effraie.
Le virus est entré et dans la résidence,
C’est buffet à volonté ; commence la danse,
Sur les corps usés des vieux à la chair tendre !
Je mourrai bien seule et si ce n’est le covid
Qui a ma peau, qui a ma vieille tête vide,
Ce sera le manque, le vide ; vous attendre.
jeudi 16 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #32
Je n’ai pas de fièvre.
La pizza était délicieuse.
Je n’ai pas perdu le goût.
Quand je me promène dans le cadre de mon heure quotidienne autorisée dans mon kilomètre périphérique à vol d’oiseau, je respire à nouveau les délicats parfums des fleurs de printemps. Les lilas sont magnifiques.
Je n’ai pas perdu l’odorat.
J’évite les lieux confinés où l’on peut rencontrer fortuitement la promiscuité. J’ignore l’ascenseur et je prends les escaliers, systématiquement. Je les monte quatre à quatre sans souffler comme un boeuf.
Je n’ai pas perdu le souffle.
Ma chère et tendre m’a confectionné des masques magnifiques que je porte consciencieusement dans la rue.
Je me mouche plusieurs fois dans des mouchoirs à usage unique et je les jette à la poubelle quand j’ai envie.
Je me lave les mains aussi souvent que je peux et je suis droguée au gel hydroalcoolique. Ma chère et tendre m’appelle ma poule, parce que j’en ai désormais la peau.
J’éternue dans mon coude, même si au sortir de l’hiver, je trouvais un peu répugnant de le faire dans ma manche et même si à l’aube de la saison estivale, je trouve encore plus dégoûtant de le faire sur ma peau.
Quand je vais à la pharmacie, à la boulangerie, au marché, je tiens les deux ou trois mètres de sécurité avec les autres clients.
Je respecte les gestes barrières.
Je bois de l’eau, je me lave le nez à l’eau de mer, je fais des étirements et au moins 3000 pas par jour.
Je mange 5 fruits et légumes par jour.
Je ne mange ni trop gras, ni trop salé, ni trop sucré. Sauf la pizza. Mais elle était délicieuse.
Je respecte scrupuleusement les conseils de mon médecin généraliste qui me dit aussi qu’il faut se faire plaisir de temps en temps.
Mais la vie d’une hypocondriaque en période de pandémie mortelle et mondiale n’est pas drôle. C’est quand même une maladie qui fait mourir d’étouffement. Qui plonge dans un coma qui vous fait entrapercevoir la mort. Qui vous donne l’impression que vos poumons sont écrasés par un rouleau compresseur.
Et moi, j’ai des palpitations. Parfois. Le soir, devant la télé.
J’ai le souffle court. Avant de m’endormir. Je n’arrive pas à reprendre totalement mon souffle.
Parfois même, j’ai l’impression que je vais oublier de respirer durant la nuit et dans ces cas-là, je n’arrive plus du tout à reprendre mon souffle, comme si j’étais au fond d’une piscine.
J’ai froid. Aux pieds. Surtout le soir.
J’ai trop chaud. Surtout le matin. Je transpire. C’est la fièvre ?
Est-ce vraiment le gel hydroalcoolique qui provoque cette peau sèche ? Car ils ont dit que le virus provoque des engelures, ça ressemblerait pas à ça ? Tu es sûre ?
Bon sang ? Ils ont dit toux sèche ou toux grasse ? Est-ce que j’ai toussé sec ou gras, là ? Comment ça, tu n’as pas entendu ?
Et si ça se trouve, je l’ai eu sans le savoir. Je l’ai eu sans symptômes. C’est possible. J’ai été confrontée à une population à risque : les élèves, les élections…
C’est combien de temps, déjà le temps d’incubation ? 14 jours ? Un mois ?
Et quand on l’a eu, on peut le ravoir ? Oui, oui, ils l’ont dit...Je vous jure qu’ils l’ont dit.
Si ça se trouve, je l’ai eu sans le savoir et je vais le ravoir.
Le saurai-je ?
La pizza était délicieuse.
Je n’ai pas perdu le goût.
Quand je me promène dans le cadre de mon heure quotidienne autorisée dans mon kilomètre périphérique à vol d’oiseau, je respire à nouveau les délicats parfums des fleurs de printemps. Les lilas sont magnifiques.
Je n’ai pas perdu l’odorat.
J’évite les lieux confinés où l’on peut rencontrer fortuitement la promiscuité. J’ignore l’ascenseur et je prends les escaliers, systématiquement. Je les monte quatre à quatre sans souffler comme un boeuf.
Je n’ai pas perdu le souffle.
Ma chère et tendre m’a confectionné des masques magnifiques que je porte consciencieusement dans la rue.
Je me mouche plusieurs fois dans des mouchoirs à usage unique et je les jette à la poubelle quand j’ai envie.
Je me lave les mains aussi souvent que je peux et je suis droguée au gel hydroalcoolique. Ma chère et tendre m’appelle ma poule, parce que j’en ai désormais la peau.
J’éternue dans mon coude, même si au sortir de l’hiver, je trouvais un peu répugnant de le faire dans ma manche et même si à l’aube de la saison estivale, je trouve encore plus dégoûtant de le faire sur ma peau.
Quand je vais à la pharmacie, à la boulangerie, au marché, je tiens les deux ou trois mètres de sécurité avec les autres clients.
Je respecte les gestes barrières.
Je bois de l’eau, je me lave le nez à l’eau de mer, je fais des étirements et au moins 3000 pas par jour.
Je mange 5 fruits et légumes par jour.
Je ne mange ni trop gras, ni trop salé, ni trop sucré. Sauf la pizza. Mais elle était délicieuse.
Je respecte scrupuleusement les conseils de mon médecin généraliste qui me dit aussi qu’il faut se faire plaisir de temps en temps.
Mais la vie d’une hypocondriaque en période de pandémie mortelle et mondiale n’est pas drôle. C’est quand même une maladie qui fait mourir d’étouffement. Qui plonge dans un coma qui vous fait entrapercevoir la mort. Qui vous donne l’impression que vos poumons sont écrasés par un rouleau compresseur.
Et moi, j’ai des palpitations. Parfois. Le soir, devant la télé.
J’ai le souffle court. Avant de m’endormir. Je n’arrive pas à reprendre totalement mon souffle.
Parfois même, j’ai l’impression que je vais oublier de respirer durant la nuit et dans ces cas-là, je n’arrive plus du tout à reprendre mon souffle, comme si j’étais au fond d’une piscine.
J’ai froid. Aux pieds. Surtout le soir.
J’ai trop chaud. Surtout le matin. Je transpire. C’est la fièvre ?
Est-ce vraiment le gel hydroalcoolique qui provoque cette peau sèche ? Car ils ont dit que le virus provoque des engelures, ça ressemblerait pas à ça ? Tu es sûre ?
Bon sang ? Ils ont dit toux sèche ou toux grasse ? Est-ce que j’ai toussé sec ou gras, là ? Comment ça, tu n’as pas entendu ?
Et si ça se trouve, je l’ai eu sans le savoir. Je l’ai eu sans symptômes. C’est possible. J’ai été confrontée à une population à risque : les élèves, les élections…
C’est combien de temps, déjà le temps d’incubation ? 14 jours ? Un mois ?
Et quand on l’a eu, on peut le ravoir ? Oui, oui, ils l’ont dit...Je vous jure qu’ils l’ont dit.
Si ça se trouve, je l’ai eu sans le savoir et je vais le ravoir.
Le saurai-je ?
mercredi 15 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #31
Je n’ai pas de fièvre.
Ce soir, j’ai prévu de faire une pizza. J’en fais de très bonnes, selon la personne qui partage mes repas ! Mais en général, le mercredi soir, mais aussi parfois le jeudi, voir le mardi quand la semaine commence très fort, on va chercher une pizza chez Jacky, juste en bas de chez nous. Les pizzas de Jacky sont délicieuses, au feu de bois...J’aime bien la Toscane, avec des tomates cerises, de la mozzarella, du jambon cru et du mesclun.
Jacky habite au-dessus de son restaurant et je vois combien il tourne comme un lion en cage en attendant de pouvoir rouvrir son restaurant. Il a installé les parasols de sa terrasse le week-end dernier. Et je suis sûre que cela a fait du bien au moral de tout le quartier...
Mais j’imagine l’angoisse de tous les commerçants, de tous les restaurateurs, de tous les artisans à l’arrêt pour une durée qu’on ne connaît pas vraiment. Et qui écoutent, dubitatifs, des promesses d’aides du président de la République, plus que vagues.
Mon coiffeur, qui est aussi juste en bas de chez moi, a annoncé sur les réseaux sociaux qu’a priori, il pourrait peut-être rouvrir le 11 mai. On n’en sait rien, en fait. Mais qu’il sache que je l’espère ardemment et que j’aimerais avoir un rendez-vous assez rapidement ! (comme tout le monde, je suppose)
Le moment est terrible. On ignore tout de la sauce à laquelle on va être mangés. Ma mère n'en peut plus. L'annonce de Macron l'a mise à plat. Comme nous tous. Mais tout devient une galère pour elle. Un verre de ses lunettes est tombé et il semble que c'est sa vie qui s'écroule. Même si elle a une paire de lunettes de rechange. Et j'essaie de ne pas craquer avec elle quand je l'ai au téléphone.
L’après sera terrible et j’espère que les gens consommeront en bas de chez eux, qu’ils n’auront pas dépensé tous leurs sous sur les sites internet, pendant le confinement.
Donc, je fais une pizza, pour ce soir et comme j’en fais régulièrement, il se trouve que je n’avais plus de levure de boulanger. Heureusement, en ces temps de drôle de guerre, la solidarité joue à plein. Et c’est Sylvana, qui sait que je cuisine (pas autant qu’elle et pas aussi bien…) qui m’a filé une recette de levain : 100 ml de bière (ça, on en a toujours), 1 cuillère à café de sucre, 1 cuillère à soupe de farine. Et on laisse à température ambiante pendant une nuit. Je ne suis pas sûre du résultat, mais cela vaut le coup d’essayer. D’autant que les magasins sont en rupture de stock, pour la levure de boulanger. Tout le monde s’est mis à faire du pain à la maison, paraît-il.
La pâte est jolie, elle sent bon, la recette a l'air bonne, même si elle n'est pas hyper levée. Mais il ne fait pas très chaud, ce soir, il y a cette petite bise...
La pâte, c’est simple : en temps ordinaire, 150 grammes d’eau tiède, un sachet de levure de boulanger. Là, deux cuillères à soupe de ce mélange suspect qui ne ressemble pas du tout à de la levure fraîche de boulanger... 250 grammes de farine, une cuillère à café de sel, deux cuillères à soupe d’huile d’olive. Et un bon pétrissage. Puis on laisse lever une bonne heure.
Je fais la sauce tomates, aussi. Quand ce n’est pas la saison des tomates, comme actuellement, je prends toujours des tomates pelées bio en boîtes. Un oignon qu’on fait revenir dans un peu d’huile d’olive, les tomates, du sel, du poivre, du piment d’espelette et du thym. Et on laisse mijoter tranquillement au coin du feu...l’air s’embaume d’un parfum d’Italie.
Vivement tout de même, que l’on puisse déguster les merveilleuses pizzas de Jacky.
Bon appétit !
mardi 14 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #30
Je n’ai pas de fièvre.
Hier soir, un mec tout bronzé a parlé à la télé. Son maquilleur devait être en télétravail. Ou alors il est allé au ski. C’est assez suspect.
Ce sera donc au début des Saints de Glace que nous nous dégèlerons. Peut-être.
« Attention, le premier des saints de glace, souvent tu en gardes la trace. » nous dit la tradition proverbiale fort riche pour le mois de mai. Cependant, je pense que l’on peut oublier le plus connu des aphorismes de ce joli mai : en mai, fais ce qu’il te plait. Non. Tu restes à la maison. Comme au mois d’avril et comme au mois de mars.
Le soleil nous fera de l’oeil derrière les carreaux…
Encore un mois à savourer la douceur du foyer, les longues soirées télé, les rêves de ciné, coincé devant les navets multidiffusés avec Louis de Funès. Nous ne sommes pas obligés de regarder.
Nous pouvons aussi lire de la poésie, faire de la musique, dessiner, dormir. Rattraper des heures de sommeil perdues. Souvenez-vous de l’époque d’avant, celle où l’on était si fatigués. Tellement épuisés que les journaux féminins nous donnaient des conseils pour mieux dormir, pour faire de la méditation. Ces unes, ces gros titres, nous les regardions avec un haussement d’épaule “Si j’avais le temps…”
Et maintenant que nous l’avons, nous nous lamentons. Nous n’apprécions jamais ce que nous avons.
Carpe diem.
Profitons deux fois plus de l’or du soir qui tombe, regardons se balancer les branches dans le doux zéphyr du printemps. Admirons les camaïeux gris, bleu et mauve des levers de soleil.
Devenons contemplatifs, devenons des moines bénédictins, et dans nos foyers, ces petites abbayes intimes, faisons des confitures et des gâteaux. Distillons des liqueurs enivrantes. Cultivons la douceur de vivre. Si nous ne savons pas méditer, prions et si nous ne savons pas prier, chantons. Pas forcément des chants grégoriens, tout le monde n’a pas la voix grave qu’il faut pour cela, mais chantons pour les fraises et pour les fleurs, chantons pour l’amour et pour la vie, chantons pour oublier.
Pour oublier que Macron a dit qu’il fallait que plus de gens soient contaminés pour qu’on puisse sortir du confinement, tout en restant confinés pour éviter de se contaminer.
Pour oublier que les profs et les élèves seront sacrifiés pour la cause le 11 mai, pour se contaminer tous en choeur, pour que les parents puissent retourner travailler. Mais qu’on pourra même pas se faire un resto pour fêter ça.
En attendant, buvons…avec celui dont Macron est le sosie, mais qui était quand même beaucoup plus intéressant que notre président.
Bonne soirée !
Hier soir, un mec tout bronzé a parlé à la télé. Son maquilleur devait être en télétravail. Ou alors il est allé au ski. C’est assez suspect.
Ce sera donc au début des Saints de Glace que nous nous dégèlerons. Peut-être.
« Attention, le premier des saints de glace, souvent tu en gardes la trace. » nous dit la tradition proverbiale fort riche pour le mois de mai. Cependant, je pense que l’on peut oublier le plus connu des aphorismes de ce joli mai : en mai, fais ce qu’il te plait. Non. Tu restes à la maison. Comme au mois d’avril et comme au mois de mars.
Le soleil nous fera de l’oeil derrière les carreaux…
Encore un mois à savourer la douceur du foyer, les longues soirées télé, les rêves de ciné, coincé devant les navets multidiffusés avec Louis de Funès. Nous ne sommes pas obligés de regarder.
Nous pouvons aussi lire de la poésie, faire de la musique, dessiner, dormir. Rattraper des heures de sommeil perdues. Souvenez-vous de l’époque d’avant, celle où l’on était si fatigués. Tellement épuisés que les journaux féminins nous donnaient des conseils pour mieux dormir, pour faire de la méditation. Ces unes, ces gros titres, nous les regardions avec un haussement d’épaule “Si j’avais le temps…”
Et maintenant que nous l’avons, nous nous lamentons. Nous n’apprécions jamais ce que nous avons.
Carpe diem.
Profitons deux fois plus de l’or du soir qui tombe, regardons se balancer les branches dans le doux zéphyr du printemps. Admirons les camaïeux gris, bleu et mauve des levers de soleil.
Devenons contemplatifs, devenons des moines bénédictins, et dans nos foyers, ces petites abbayes intimes, faisons des confitures et des gâteaux. Distillons des liqueurs enivrantes. Cultivons la douceur de vivre. Si nous ne savons pas méditer, prions et si nous ne savons pas prier, chantons. Pas forcément des chants grégoriens, tout le monde n’a pas la voix grave qu’il faut pour cela, mais chantons pour les fraises et pour les fleurs, chantons pour l’amour et pour la vie, chantons pour oublier.
Pour oublier que Macron a dit qu’il fallait que plus de gens soient contaminés pour qu’on puisse sortir du confinement, tout en restant confinés pour éviter de se contaminer.
Pour oublier que les profs et les élèves seront sacrifiés pour la cause le 11 mai, pour se contaminer tous en choeur, pour que les parents puissent retourner travailler. Mais qu’on pourra même pas se faire un resto pour fêter ça.
En attendant, buvons…avec celui dont Macron est le sosie, mais qui était quand même beaucoup plus intéressant que notre président.
Bonne soirée !
lundi 13 avril 2020
Journal de guerre contre un virus #29
Je n’ai pas de fièvre.
Je ne sais pas si c’est vraiment un bien de ne pas avoir de fièvre. Il vaudrait sans doute mieux y passer une bonne fois pour toute, en avoir le coeur net, y rester ou s’en sortir. Et puis le cimetière ou le boulot.
“Monotonie”
Monotone, une journée succède l'autre,
toujours pareille à celle d'avant.
Les mêmes gestes qui se répètent,
les mêmes moments viennent et nous quittent.
Un mois succède à l'autre;
l'ennui d'hier, qui nous revient.
Et ce demain que l'on espère
finit par ne plus être demain.
C’est un poème de Constantin Cavafis. C’était un poète grec du début du XXe siècle. Il n’était pas marrant, marrant. Il a commencé à écrire à la cinquantaine ou du moins, il n’a publié ce qu’il écrivait qu’à partir de cet âge. Et il parlait souvent avec nostalgie de sa jeunesse, de ses regrets, de ce qu’il avait perdu, notamment des plaisirs sensuels perdus. C’est une poésie très belle et très sensible. Et cela colle assez bien à notre période.
Fin de l’interlude culturel.
“Et ce demain que l’on espère
finit par ne plus être demain.”
C’est l’incertitude qui nous plombe. On a beau dire, le monde tel que nous le connaissions avant ce confinement était plutôt rassurant : nous le connaissions. Nous en connaissions les travers, les défauts, les bons côtés. Nous n’avions pas de surprises. Nous essayions de le rendre supportable, avec des femmes et des hommes de bonne volonté, d’en apaiser les querelles, d’en réduire les inégalités.
Mais ce confinement ne fait que révéler ses failles, ses absurdités, ses injustices criantes. Les inégalités sociales, l’isolement des vieux, la précarité toujours plus grande, la solitude des grandes villes, la misère humaine dans toute sa splendeur, dans toute sa décadence.
J’ai déjà évoqué ici et là, les paumés, les perdus, les fous sous mes fenêtres. J’ai déjà parlé de mes élèves aux conditions de vie sommaire. Je sais les placards vides, j’imagine les angoisses. Je pourrais parler des questions qu’on me pose en tant qu’élue, les incompréhensions, les peurs irrationnelles de ceux qui n’osent même pas sortir de chez eux pour aller faire des courses ou pour prendre l’air quelques minutes. Je comprends la détresse que ce doit être pour eux de ne plus avoir de contact avec d’autres êtres humains.
Mais qui suis-je pour en parler, dans le fond, du haut du balcon de ma petite vie bourgeoise ?
Je n’ai jamais pensé que l’empathie était un défaut. Et mes angoisses valent bien celles des autres. En fait, l’absurdité de ce confinement commence sérieusement à attaquer ma raison. Mais comprenez-vous vraiment ce qui se passe, vous ? Comprenez-vous pourquoi soudain, ma mère qui vit seule ne peut plus voir personne, ne peut plus embrasser son petit-fils ? Comprenez-vous pourquoi la voisine du dessus ne voit plus sa fille, se sent seule à pleurer, pourquoi, elle qui était déjà affaiblie, ces derniers temps, a, en trois semaines perdu toute envie de vivre, isolée, triste, sans espoir de revoir ceux qu’elle aime ? Comprenez-vous pourquoi on ne peut plus rendre visite aux vieux dans les Ehpad ? Le comprenez-vous vraiment ?
Comprenez-vous vraiment pourquoi, du jour au lendemain, on a agité une grande peur, la peur de la mort, pour réduire soudain nos libertés, pour fermer tout, pour contraindre les gens au chômage et à la mort sociale ?
Tous ces efforts pour recommencer ensuite les mêmes erreurs. La même surconsommation, la même croissance à tout crin, les mêmes pots de yaourts emballés par seize dans du plastique et du carton. Les mêmes avions qui décolleront pour les mêmes piscines et les mêmes hôtels standardisés aux quatre coins du monde. Les mêmes touristes absurdes qui diront “cet été, nous avons fait la Tunisie”, Tunisie qui aurait pu être la Turquie, un paquebot géant sur n’importe quelle flaque d’eau du monde entier ou la Thaïlande sans que cela ne change rien au “all inclusive” et à la piscine bleue turquoise, qu’on aurait pu avoir à 50 mètres de chez soi.
Pourquoi cela changerait, par un coup de virus magique ? C’est le standard que l’on nous impose comme idéal de vie depuis des décennies et que nous avons tous décidé d’accepter.
Allez...un autre poème de Cavafis. Pas plus drôle. Mais tellement en adéquation avec mon esprit du jour…
“Les fenêtres”
Dans ces chambres obscures où les journées me pèsent
je rôde ça et là pour trouver les fenêtres. -
Qu'une seule
soit ouverte pourrait me consoler. -
Mais les fenêtres sont introuvables
ou bien est-ce moi qui ne sait les trouver.
Peut-être vaut-il mieux ainsi,
la lumière pourrait être un nouveau supplice.
Sait-on
ce qu'elle peut amener avec elle?
Je ne sais pas si c’est vraiment un bien de ne pas avoir de fièvre. Il vaudrait sans doute mieux y passer une bonne fois pour toute, en avoir le coeur net, y rester ou s’en sortir. Et puis le cimetière ou le boulot.
“Monotonie”
Monotone, une journée succède l'autre,
toujours pareille à celle d'avant.
Les mêmes gestes qui se répètent,
les mêmes moments viennent et nous quittent.
Un mois succède à l'autre;
l'ennui d'hier, qui nous revient.
Et ce demain que l'on espère
finit par ne plus être demain.
C’est un poème de Constantin Cavafis. C’était un poète grec du début du XXe siècle. Il n’était pas marrant, marrant. Il a commencé à écrire à la cinquantaine ou du moins, il n’a publié ce qu’il écrivait qu’à partir de cet âge. Et il parlait souvent avec nostalgie de sa jeunesse, de ses regrets, de ce qu’il avait perdu, notamment des plaisirs sensuels perdus. C’est une poésie très belle et très sensible. Et cela colle assez bien à notre période.
Fin de l’interlude culturel.
“Et ce demain que l’on espère
finit par ne plus être demain.”
C’est l’incertitude qui nous plombe. On a beau dire, le monde tel que nous le connaissions avant ce confinement était plutôt rassurant : nous le connaissions. Nous en connaissions les travers, les défauts, les bons côtés. Nous n’avions pas de surprises. Nous essayions de le rendre supportable, avec des femmes et des hommes de bonne volonté, d’en apaiser les querelles, d’en réduire les inégalités.
Mais ce confinement ne fait que révéler ses failles, ses absurdités, ses injustices criantes. Les inégalités sociales, l’isolement des vieux, la précarité toujours plus grande, la solitude des grandes villes, la misère humaine dans toute sa splendeur, dans toute sa décadence.
J’ai déjà évoqué ici et là, les paumés, les perdus, les fous sous mes fenêtres. J’ai déjà parlé de mes élèves aux conditions de vie sommaire. Je sais les placards vides, j’imagine les angoisses. Je pourrais parler des questions qu’on me pose en tant qu’élue, les incompréhensions, les peurs irrationnelles de ceux qui n’osent même pas sortir de chez eux pour aller faire des courses ou pour prendre l’air quelques minutes. Je comprends la détresse que ce doit être pour eux de ne plus avoir de contact avec d’autres êtres humains.
Mais qui suis-je pour en parler, dans le fond, du haut du balcon de ma petite vie bourgeoise ?
Je n’ai jamais pensé que l’empathie était un défaut. Et mes angoisses valent bien celles des autres. En fait, l’absurdité de ce confinement commence sérieusement à attaquer ma raison. Mais comprenez-vous vraiment ce qui se passe, vous ? Comprenez-vous pourquoi soudain, ma mère qui vit seule ne peut plus voir personne, ne peut plus embrasser son petit-fils ? Comprenez-vous pourquoi la voisine du dessus ne voit plus sa fille, se sent seule à pleurer, pourquoi, elle qui était déjà affaiblie, ces derniers temps, a, en trois semaines perdu toute envie de vivre, isolée, triste, sans espoir de revoir ceux qu’elle aime ? Comprenez-vous pourquoi on ne peut plus rendre visite aux vieux dans les Ehpad ? Le comprenez-vous vraiment ?
Comprenez-vous vraiment pourquoi, du jour au lendemain, on a agité une grande peur, la peur de la mort, pour réduire soudain nos libertés, pour fermer tout, pour contraindre les gens au chômage et à la mort sociale ?
Tous ces efforts pour recommencer ensuite les mêmes erreurs. La même surconsommation, la même croissance à tout crin, les mêmes pots de yaourts emballés par seize dans du plastique et du carton. Les mêmes avions qui décolleront pour les mêmes piscines et les mêmes hôtels standardisés aux quatre coins du monde. Les mêmes touristes absurdes qui diront “cet été, nous avons fait la Tunisie”, Tunisie qui aurait pu être la Turquie, un paquebot géant sur n’importe quelle flaque d’eau du monde entier ou la Thaïlande sans que cela ne change rien au “all inclusive” et à la piscine bleue turquoise, qu’on aurait pu avoir à 50 mètres de chez soi.
Pourquoi cela changerait, par un coup de virus magique ? C’est le standard que l’on nous impose comme idéal de vie depuis des décennies et que nous avons tous décidé d’accepter.
Allez...un autre poème de Cavafis. Pas plus drôle. Mais tellement en adéquation avec mon esprit du jour…
“Les fenêtres”
Dans ces chambres obscures où les journées me pèsent
je rôde ça et là pour trouver les fenêtres. -
Qu'une seule
soit ouverte pourrait me consoler. -
Mais les fenêtres sont introuvables
ou bien est-ce moi qui ne sait les trouver.
Peut-être vaut-il mieux ainsi,
la lumière pourrait être un nouveau supplice.
Sait-on
ce qu'elle peut amener avec elle?
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