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mardi 12 avril 2022

Tu vois, Marine Le Pen...


“Tu vois, Marine Le Pen, maintenant, elle récite une petite bible CGTiste. Et que je te défends les petits salaires et la retraite à 60 ans. Marine, elle parle aux petites gens. Tu vois ce que je veux dire ? C’est nouveau, non ? Et les petites gens, ils se disent, peut-être qu’elle a changé, peut-être qu’elle est vraiment peuple, cette mémère aux chats, avec sa voix de fumeuse de gitane ? Peut-être qu’elle n’a rien à voir avec son père, vraiment. Mais tu vois, on ne peut pas effacer comme ça des décennies de mépris du pauvre, de mépris de “l’assisté”, de celui qui mange le pain blanc des Français. C’est quand même un peu facile, non, entre les deux tours d’une élection présidentielle, d’enfiler le costume d’un Méluche et de venir faire tribune sur la France qu’on exploite et sur le travailleur pauvre. Pour un peu, elle enfilerait un gilet jaune et on la retrouverait sur un rond point. Et vous trouvez ça crédible ? Mais attention, une fois que j’ai dit ça, je n’oublie pas que le costume de gauchiste ne va pas mieux à Macron ! Non, lui, c’est plutôt Smuggler…Pour te donner une idée, un RSA ne suffit pas pour une veste de cette marque. Macron, pour l’instant, il est beaucoup plus mou que Le Pen pour capter les voix de gauche. D’abord, il pense que le front républicain marchera encore cette fois. Ensuite, il a fait encore plus de voix au premier tour qu’en 2017. Plus d’un million de voix de plus. Alors qu’il a mené une politique ultra-libérale, que les prix ont augmenté comme jamais depuis qu’il est au pouvoir, que les services publics ont souffert et qu’il promet encore pire cette fois-ci. Alors à quoi bon s’en faire. Non, il va être réélu, malgré les gilets jaunes, malgré la baisse du pouvoir d’achat, malgré la précarité galopante, l’industrie fragilisée, les hopitaux au bord de l’asphyxie…Il va être réélu, peut-être à cause de ses jolis costumes, mais surtout parce que ceux qui votent fort pour lui sont les boomers qui ont peur pour leurs privilèges. Ceux qui ont tout intérêt de voir le système des retraites consolidés pour longtemps, ceux qui ont fini leur vie, ceux qui n’ont plus d’enfants à l’école ou qui leur paye une école privée. Ce sont ceux qui ont de l’argent et qui ont décidé de ne pas se soucier de ceux qui n’en ont pas. Macron n’a absolument aucun intérêt à faire semblant d’être de gauche. On ne peut pas lui reprocher d’être insincère, sur ce coup-là. Mais tu vois, si c’est ce que les gens veulent, est-ce que ce n’est pas ce qu’on appelle la démocratie ?”

lundi 11 avril 2022

Tu vois, les élections...


"Tu vois, ça fait 20 ans que je vote pour les présidentielles…eh ben, l’effet que ça me fait, c’est que les élections, c’est un coup de chapeau à un âne, comme disait mon grand-père. Depuis hier, tiens, j’ai l’impression d’être dans le film Un Jour sans fin, tu sais. On revit encore une fois ce fameux second tour piège…Depuis 2002, c’est comme ça. Et nous, on plonge, à chaque fois dans la fameuse dialectique du front républicain...Mais la démocratie et la République, si ce n'est pas l'expression d'un véritable choix, ça n'a pas tellement d'intérêt. En parlant de mon grand-père, je crois que le 24 avril, je vais lui rendre hommage. En 2002, il n’avait pas voté pour Chirac. Il n’était pas allé voter du tout, en fait. Pour un peu, je crois qu’il aurait presque préféré aller à la messe comme ma grand-mère, ce jour-là. Et pourtant, mon grand-père, c’était le pire bouffeur de curés que je connaissais. Mais finalement, il n’avait pas tort. C’est un peu comme si au resto, si la carte des desserts se résume à une Danette ou un petit-suisse et que tu n’as envie ni de l’un, ni de l’autre, tu te forçais quand même à prendre le petit suisse parce que c’est dans la formule et que tu te sens obligé de choisir…ça n’a ni goût ni grâce, le petit suisse, c’est trop gras, le petit suisse, oui, mais la Danette, c’est carrément gerbant…Alors tant pis pour la formule, ce n’est pas parce que c’est écrit qu’il faut que je me force. Ce sera un café et l’addition, pour moi. Et surtout, il faudrait maintenant qu’on évite de retourner dans ce resto pourri, parce que la carte des desserts est vraiment naze…"

dimanche 10 avril 2022

Tu vois, tout respire le printemps...


“Tu vois, tout respire le printemps. Ce que je préfère, ce sont les trèfles…et l’herbe aussi, bien verte, bien drue, bien touffue. Ce vert si vigoureux, tellement plein de chlorophylle, tellement…je ne sais pas, c’est cette idée de sève, de vie, de vitalité…Ce vert, ça me met en joie, ça me donne de l’énergie. Et puis ça me fait penser à mon père. Mon père n’aimait cette couleur que dans la nature. Il n’aurait jamais porté une chemise verte. Par contre, il aimait tellement les centaines de nuances de la forêt au printemps…La forêt qui étale son manteau au flanc de la montagne…Son manteau où le tendre des jeunes feuilles de châtaigniers contraste avec le vert profond des sapins qui font des tâches plus sombres à côté des cerisiers sauvages au vert léger nuancé par le blanc des fleurs. Cette saison, c’est la promesse de la vie, de la jeunesse, de l'allégresse. Je m’emballe, mais tu vois, quand je contemple la rivière qui scintille au soleil, qui coule vraiment, maintenant qu’il a plu un peu, enfin, je sens monter en moi cette énergie. Je ne sais pas l’expliquer bien. Je n’ai pas les mots exacts. Je me sens vivante, partie prenante de cette nature revigorante. Je me sens traversée par cette force, la force de la rivière qui trimballe les pollens, la boue, la neige qui a fondu, les bois que le vent a cassés. La rivière et ses alevins, ses poissons en devenir, la rivière pleine de vie. La nature, parfois, dans nos vies de fous, on oublie de la regarder, de l’écouter. Pourtant, tout respire le printemps et c’est cela qui nous permet de respirer. De vivre. Je suis une citadine, maintenant, j’aime les trottoirs, les voitures, les magasins, les êtres humains qui vont et qui viennent, j'aime cette vie là, mais rien ne m’émeut autant que le chant des oiseaux dans le petit matin. C’est un bonheur sans fin, cela. Dès la fin de l’hiver, si tu te lèves tôt, avant le lever du soleil, tu les entends, c’est une joie, c’est…Je ne sais pas l’expliquer. C’est de l’ordre de la sensation, de l’émotion. Je pense que ça touche à…notre cerveau le plus archaïque, notre part animale. On fait partie de ce monde, de ce renouveau, de…cette abondance de la nature. Je dis ça parce que c’est le printemps, mais…je ressens la même chose quand l’été bat son plein et que dans les aubes tièdes du mois de juillet, on entend le raffut des martinets dans le ciel clair, je ressens la même chose lors des beaux crépuscules d’automne, quand l’air s’embrasse à l’horizon, quand la lumière vient illuminer la cime jaune orangée des arbres. Toute cette chaleur, toute cette douceur. J’adore. J’aime l’hiver aussi, surtout quand ils sont scintillants de froid, les grands ciels bleus translucides et glaciaux. J’aime les soleils d’hiver givrés. Et je te parle d’ici, je te parle de ce que je vois de ma fenêtre, mais, la nature, je l’ai aimée partout où je suis allée : les canyons américains, les plaines du nord, l’incroyable terre noire et fertile des plaines du nord, la luxuriance de l’Asie, la vie grouillante des marécages de Louisiane…Partout…C’est la force, c’est l’incroyable force de la nature. Celle devant laquelle on se sent tout petit, mais…à sa place. A sa place dans le cosmos, partie prenante, vraiment, de l’univers. On ne sait pas si c’est Dieu ou juste le hasard qui a créé ces beautés là, mais quelle réussite…On ne sait pas qui on doit remercier pour tout ça, mais bon sang…quelle chance on a d’en faire partie…”


samedi 9 avril 2022

Tu vois, les pigeons...


“Tu vois, les pigeons qui s’engouffrent dans cette maison, par dizaines, même peut-être par centaines…Ce ne sont pas vraiment des pigeons. Tu as vu leur côté mécanique, régulier…Si, si ! Je suis resté là à les observer un petit moment, j’ai noté les heures, les flux. C’est troublant. J’ai fini par comprendre : on a à faire à des drônes, des robots téléguidés. C’est la mairie ou le gouvernement, la police…Ou pire. Comment ça, je délire ? Mais non ! Les caméras de vidéo surveillance, ça suffisait plus, je te jure : il faut des moyens bien plus mobiles, bien plus agiles, si tu veux vraiment fliquer tout le monde. Les pigeons, c’est l’idéal : ça passe complètement inaperçu, ça fait partie du paysage, comme…je sais pas, les poubelles, les crottes de chien…D’ailleurs, un jour, je t’en parlerai, des crottes de chien ! Mais revenons à nos pigeons…Alors…tu vois leur manège : ça rentre, ça sort. Il y a deux escouades. Ceux qui rentrent ne sont pas les mêmes que ceux qui ressortent, pour la simple et bonne raison que cette vieille baraque abandonnée, au toit défoncé, c’est en fait là qu’il y a les bornes de rechargement pour ces trucs. Hop, ceux qui rentrent se posent près de la prise et comme ton aspirateur robot, ils se rechargent la batterie. J’ai observé : ceux qui rentrent sont gris et ceux qui ressortent sont un peu moins gris ! Je te jure. Bon, le résultat, c’est qu’ensuite, toi, tu te poses tranquillement sur un banc dans le square, tu parles de tout et de rien avec ta copine et pendant ce temps-là, t’as des pigeons qui viennent picorer, l’air de rien sur la pelouse, à tes pieds. Et leurs yeux, c’est l’objectif de la caméra et le petit micro. J’ai cherché sur internet, la technologie peut faire des choses miniatures comme ça. L’intérêt ? Tu me demandes l’intérêt ? Mais quelle naïveté ! Tu ne vois pas dans quelle société on vit, ou quoi ? Tu n’as pas remarqué que quand tu parles…je sais pas…d’une paire de godasses que tu trouves sympa, hop, deux minutes après, tu as les pubs pour ces godasses partout sur internet, rien que pour toi ? Tu n’as pas l’impression d’être fliquée, poursuivie, espionnée ? Partout, tout le temps ? Et puis alors depuis le passe vaccinal et toutes leurs conneries de virus, de pandémie, de masques…c’est encore pire. C’est l'État qui est derrière tout ça, les États du monde entier. Il faut qu’ils contrôlent tout, qu’ils nous contrôlent. Tu rigoles, mais tu verras. Et puis les drônes pigeons, ils ont d’autres fonctions et en cas de problème, crois-moi, on fera pas le poids. Des fléchettes empoisonnées, ça peut te tuer en deux secondes et sans laisser de traces…Non, mais arrête de te marrer. L’autre jour, tu sais, on a trouvé ce vieux, dans le parc, tu sais, le Jacquot, oui, il passait sa vie sur les bancs, avec sa bière à la main. On l'a retrouvé étendu dans la pelouse, mort. Pas de doute pour moi : c’est un drône pigeon qui l’a rectifié. Je suis sûr que pour l’instant, ils en sont à la phase de tests, ils attendent de voir si on se rend compte de quelque chose ou pas, et ça va être un carnage ! Mais oui, mais bien sûr, il était vieux, le Jacquot, mais c’est pas une raison. Mais non, c’est pas “juste son coeur qui a lâché à force de boire”, ça faisait des années qu’il picolait, son coeur avait l’habitude. Non, j’en suis sûr : le parc, les pigeons, les pigeons tueurs. Tu as vu le film Soleil vert ? Un jour, crois-moi, des vieux comme le vieux Jacquot, on en retrouvera dans les raviolis…Allez, bon appétit !”

vendredi 8 avril 2022

Alors, tu vois...

 


“Alors tu vois, j’étais nue au milieu d’une salle remplie de cochons d’Inde. Mais ce n’était pas vraiment des cochons d’Inde. Moi, en fait, je savais que c’était des chirurgiens dentistes. En congrès, un truc comme ça. Mais je les voyais comme des cochons d’Inde. Bon. Avec des masques. Et moi, j’étais toute nue, plantée là, les mains vaguement sur mes nichons, vaguement sur mon sexe, essayant de planquer ce qu’il y a à planquer, mais sans grands espoirs. Et puis surtout, j’étais dans une grande salle qui ressemblait…je sais pas…à une usine désaffectée, tu sais. C’était plein de lumière, un grand soleil qui passait à travers les carreaux cassés…et c’est bien pour ça qu’en fait, moi, je savais que j’étais dans ma salle de bains. Tu sais ce que c’est, les rêves. Bon. Justement, j’étais dans ma salle de bains et tout à coup, j’étais une brosse à dents. Me demande pas comment, mais en tout cas, pour moi, rien de plus normal. Une brosse à dents géante. Et j’étais enceinte. Alors forcément, les cochons d’Inde commençaient à me bouffer les pieds et à pousser des petits cris très angoissants. C’est à ce moment-là que j’ai abandonné la position de repli, les bras croisés pour me planquer et que j’ai levé les bras au ciel. J’avais les poils de la brosse à dents qui frissonnaient et l’impression qu’on me grignotait vraiment les pieds, comme des fourmis dans les orteils. Et ça m’a réveillée. Mais pas tout à fait. Juste pour me rendre compte que j’avais réellement les bras en l’air et que j’essayais vraiment de m’exprimer en poussant des petits cris. Mais tu sais, dans un demi-sommeil, alors les petits cris me demandaient un effort surhumain, ça voulait pas sortir, c’était ridicule, ça faisait “hi, hi, hi”. Et Jérôme, à côté de moi, ça l’a réveillé. Mais complètement, lui…alors il m’a secouée un peu, en disant “oh, oh, tu te calmes…” Et ça m’a réveillée complètement aussi. C’est con, j’aurais bien voulu poursuivre ce rêve. Mais comme j’étais encore un peu dedans, dans le coltard, même, carrément, j’ai dit à Jérôme, tu vas rire, je suis enceinte. Il a pas ri.”

jeudi 7 avril 2022

Tu vois...

(début d'une série, peut-être...)



“Tu vois, tu pourrais dire des banalités, tu pourrais prendre ce verre entre tes doigts, délicatement, le faire tourner et dire ce qui a été dit mille fois sur le vin vermeille, le vin merveille, sur le vin rubis ou sur le sang de la terre…Tu pourrais te faire poète pourri, un peu ivre déjà, lyrique. Tu pourrais t’emporter. C’est bon pour faire rêver le visiteur de base d’un salon des vins, ça, c’est bon pour faire croire à l’ivrogne qu’il ne boit pas, mais qu’il déguste, qu’il goûte une part de culture et d’histoire, qu’il touche à l’exception. Mais non. Ce n’est pas ce que tu vas faire. Tu vas boire. Et tant pis si c’est une piquette, tant pis c’est dégueu. Tu vas boire pour être ivre. On ne va pas se mentir là-dessus. On s’en fout du vin et de ce que ça véhicule, la plupart du temps, les gens boivent pour se murger. Pour se purger, pour faire en sorte d’oublier la putain de vie qu’ils mènent. Le vin, c’est fait pour ça…Il faut être ivre, comme disait Baudelaire, toujours ivre. Pour ne pas sentir le monde, pour ne pas douter de Dieu, pour ne pas douter des hommes. As-tu remarqué comme tout le monde est plus sympa quand il a bu, tout le monde est plus beau, quand t’as bu. Alors ce soir, tu ne vas pas me la jouer esthète, connaisseur. En plus, tu n’y connais rien. En vrai, avec un bandeau sur les yeux, tu ne sais même pas faire la différence entre un rouge et un blanc. Alors même avec les yeux grands ouverts, crois-moi, tu ne feras pas de différence entre la Bourgogne et les Hautes-Côtes de Blaye. Non, et puis dans trois ou quatre verres, tu ne sentiras même plus ta bouche. Tu ne sentiras plus rien. Tu auras le feu aux joues, tu auras le rire aux larmes. Tu dormiras peut-être, parce qu’il y en a qui dorment, au bout de quatre ou cinq verres, mais tu ne sentiras plus rien. Plus d’arôme de violette, plus de longueur en bouche, plus de tanins puissants. Juste la soif de boire encore plus. Et alors tu ne penseras même plus au petit matin pas frais que tu te prépares. Oubliée la future gueule de bois. Tu diras “Ouh ! Là ! Je suis pompette.” et en fait, tu auras déjà trois grammes. C’est à ce moment-là qu'un copain un peu lucide devrait pouvoir prendre tes clés pour t’empêcher de rentrer en voiture. Mais ce n’est pas comme cela que ça se passera. Tu boiras encore. À un moment déjà tardif, tu diras “Y’a rien à manger ? Parce qu’il faut que je mette un peu de solide dans tout ce liquide…” et puis il n’y aura rien à manger. La soirée va s’emballer, les bouteilles vont s’enchaîner. Tout va se mettre à tourner et à tourner encore. “Y’a rien de plus fort ?” Si c’est pas toi qui le gueule, ce sera quelqu’un d’autre. Et on trouvera d’autres breuvages, des vrais activateurs d’estomac qui se retournent. Des Get 27, des Labell 5, des trucs tellement dégueulasses qu’on ne peut pas les boire à jeun. La vie est comme ça. On s’emballe. On croit qu’on est une exception. Et puis on se retrouve dans une soirée où on picole pour picoler. On se dit, il est déjà tard, on regarde sa montre et il n’est que 22h. On se dit qu’il y a erreur, qu’on ne peut pas avoir bu autant en si peu de temps et que si on s’écoutait, on dormirait. Mais on ne dort pas, on met la musique plus fort et on délire, on danse vaguement, on croit qu’on danse, mais en fait, on titube, on tombe dans les bras des filles qui nous repoussent, on est déjà un déchet, une épave, une loque. On n’a pas vu venir le coup. On croit qu’on est un homme et on avait fait des efforts pour cela, on avait mis une jolie chemise, repassée, on avait mis du parfum en sortant de la douche, on avait mis du gel, parce que c’était samedi. Mais on pue, maintenant. L’alcool empeste tout, pourri tout. Le foie et la sueur, l’haleine et les cheveux. Jusque dans ta montre, tu pues l’alcool. Et toi, tu ne t’en rends même pas compte. Ce soir, c’est ça qui va t’arriver. Et demain, si tu n’es pas mort, si ton coeur a tenu, si ton cerveau n’a pas failli, si ta voiture n’a pas fini dans un fossé, tu vomiras et tu te haïras. Mais pour l’instant, tu ne penses pas. Tu bois. Tu avales, tu savoures la brûlure du vin rouge dans ta gorge, tu lèves ton verre en braillant des hommages à la santé de tes copains ivrognes, tous voués comme toi à la cirrhose, à l’accident tragique de bagnole, à la déchéance et à la ruine. En plus, tu as de la chance si tu échappes aux drogues, au petit joint du milieu de la nuit, celui du moment où l’on se croit philosophe et où l’on décide de refaire le monde, celui où l’on pense que l’on a tout compris. Et après, il suffit qu’un clampin ait ramené un peu de coke pour qu’on se dise que tout ça est un peu mou et qu’on va relancer la soirée en se faisant une ligne. Il suffit de pas grand chose et alors on se sentira tout puissant et on voudra ouvrir les fenêtres, même s’il fait moins trois dehors, on aura chaud et on se sentira vivant, bon dieu. Tellement vivant qu’on se promettra qu’on recommencera.”

mercredi 6 avril 2022

Dimanche, on vote ?

Dimanche, on vote ! Si, je vous jure. Au début, je pensais que c’était une blague. 

On a déjà voté pour les présidentielles…il y a…si peu de temps. Juste le temps…d’une pandémie, d’une guerre, de 4 ou 5 rapports alarmistes du Giec…Bref, juste le temps de voir passer un avion rafale dans le ciel d’Ukraine, à peine le temps de vie d’un masque sur un nez qui coule, juste le temps d’attraper quelques rides au coin de
l’oeil. Mais pour qui voter ? Il me reste un peu de temps pour consulter les programmes et voir les bobines des impétrants sur les affiches, mais je n’ai pas reçu les professions de foi. C’est un peu juste, à 5 jours du scrutin. Pour un peu, on oublierait d’aller faire son devoir de citoyen. 

Alors voyons, de gauche à droite, les propositions qui nous sont faites. Non, ne voyons pas. Il n’y a rien à voir. 

On a la gauche révolutionnaire, avec les mêmes discours que dans les années 80, par le clone d’Arlette en moins souriante, on a Poutou qui s’en fout de tout et qui se sent obligé de mettre des tee-shirts pourris pour faire peuple, on a Roussel qui a une belle gueule de gendre idéal (je dis ça parce qu’il plaît à ma belle-mère qui est plutôt gaulliste d’habitude…on est en pleine perte de repères, je vous le dis) et puis on a Mélenchon qui parle doucement et qui cherche à se faire passer pour un gars sympa. On a Hidalgo aussi, de plus en plus livide à mesure que la campagne avance, à qui on promet un score pire que celui de Hamon la dernière fois, c’est dire si c’est bas. 

La gauche mise sur Mélenchon pour sauver les meubles, mais les huissiers sont à la porte et cette ultime campagne électorale ruinera ce qui reste du PS et des autres. Pourtant, moi aussi, je compte sur Mélenchon…C’est dire si mon moral est bas. 

A droite, ce n’est guère mieux. Il faut dire que Macron occupe le créneau et laisse bien peu de place à Pécresse. Pour exister, évidemment, elle fait du Ciotti, du Dupont-Aignan, du Le Pen, presque du Zemmour. Et ces quatre là se tiennent la main pour un monde plus blanc, pour un monde avec plus de police et moins de fonctionnaires, plus de caméras de vidéo surveillance et moins de services publics, plus de peines de prison et moins de culture, plus d’étrangers reconduits à la frontière et moins d’humanité. Sauf pour les Ukrainien, émotion oblige, et puis eux ont l’avantage d’être blanc et chrétien. 

Reste Lassalle. L’inclassable. Le typique. Le rigolo. Celui qui parle un dialecte chantant et dont on ne sait pas s’il est de droite ou de gauche. 

Reste Macron. L’inclassable. Le pas drôle. Le libéral mondialiste. Celui dont on ne sait pas s’il est de gauche ou de droite. Celui qui nous fera une retraite courte mais - espérons - heureuse, qui nous évitera la maison de retraite, puisque nous mourrons avant d’y aller, épuisé par le travail et par le manque de médecins dans les hôpitaux exsangues. Qu’il soit béni, le petit, de nous éviter Orphéa qui ne change pas les couches. 

Je ne sais pas si je ne préfère pas Lassalle. Il a un joli béret. 

Bon vote, les amis, bonne chance ! Ne vous inquiétez pas, de toute façon, le Giec dit que la planète n’en a plus que pour trois ans. Trois ans de Lassalle, c’est pile ce qu’on peut supporter en termes d’humour régional, non ? Rire avant de mourir, c’est le programme.

lundi 14 mars 2022

Paysages de nos visages

 



Et puis nous avons retiré les masques. En deux ans, nos visages avaient pris les inévitables marques du temps. Nous ne savions plus vraiment à quoi nous ressemblions. Les connaissances proches, les amis, la famille, passe encore. Nous les avions revus, quelques fois, en quelque occasion furtivement, avec le visage nu. Mais les collègues de bureau, les voisins que l’on croisait quotidiennement dans la rue, les commerçants, la boulangère, le conseiller bancaire, le tenancier de bistrot, même si on avait eu parfois le privilège de voir son nez, un quart de seconde, le temps de renifler et de replonger le visage dans un mouchoir, le temps de boire une gorgée d’eau à la bouteille avant de remettre consciencieusement les élastiques derrière les oreilles, non, vraiment, on n'avait plus eu le bonheur de les voir in extenso, ces minois familiers. 

Ce qui manquait le plus à tout le monde, c’était le sourire et les yeux fatigués, parfois, n’exprimaient rien. On se disait que le monde était devenu triste, à cause de ces sourires occultés. 

Et puis nous avons retiré les masques. Certains les ont gardés, toutefois, parce qu’ils étaient pris d’une soudaine pudeur, parce qu’ils trouvaient désormais que c’était dégoutant, toutes ces bouches et toutes ces dents, que c’était insupportable à regarder, ces commissures pas nettes, ces lèvres gercées, ces chicots entartrés. Certains trouvaient cela pratique, finalement, de ne plus se laver les dents, de ne plus craindre pour les autres que l'on remarque une haleine fétide, un retour de repas trop arrosé ou des problèmes d’acidité gastrique gênants. 

Mais la plupart cependant a retiré le masque. Les premiers jours, il y eut des picotements dans les joues : on ne savait plus sourire, on avait perdu l’usage des muscles zygomatiques, on avait perdu le réflexe. On ne savait pas qu’on pouvait avoir des courbatures dans les joues, on ne savait pas que le visage était une mécanique complexe et qu’à force de ne pas s’en servir à plein, on risquait l’affaissement. C’était un nouveau créneau pour les chirurgiens plastiques : repulper les joues, remonter les bajoues, retendre les mentons effondrés. Le masque masquait si bien les doubles mentons, les épilations approximatives des lèvres supérieures, les boutons de fièvre, les acnées galopantes… Il fallait réapprivoiser toute une partie de son visage, à nouveau l’aimer et en prendre soin. Les ventes de pinces à épiler repartirent à la hausse, les rendez-vous chez l’esthéticienne connurent un boom sans pareil. 

Durant tout ce temps, nous fûmes oublieux de nos nez, aussi. Les points noirs s’étaient installés, en même temps que les vilains poils. Mais ces petits désagréments sont de ceux que l’on règle facilement. Ce qui nous frappa plus agréablement, c’est le retour de cet angle, de ce trait fort de caractère au milieu du visage. Nous avions oublié combien une femme est belle, lorsque l’arrête de son nez se busque et vient souligner la force de sa conviction. On avait oublié combien un homme est sympathique lorsque l'empattement couperosé de son nez nous fait songer au vin et à la vigne, aux fins de banquets arrosés et à la bonté de la vie. 

Nous avions été trop longtemps oublieux des merveilleux paysages de nos visages et nous respirions soudain à nouveau.

mercredi 16 février 2022

Au bal, au bal masqué, ohé, ohé !

Suite du feuilleton. 

Ce matin, dans le canard local, voilà le défilé du carnaval – c’est la saison – des Macronistes masqués, démasqués. En ces temps de crise sanitaire, il est vrai qu’il est délicat de tomber le masque sans garder encore quelques distance de sécurité. Ainsi, on a Carole Thouesny qui réussit ce numéro d’équilibriste incroyable : soutenir un candidat sans prendre parti. C’est plus clownesque que carnavalesque ! 

Les masques, parfois, ça fait peur, cependant. Si l’on y prend garde, on se retrouvera vite dans Ça, le film d’horreur avec un clown tueur. Le deuxième tour de l’élection présidentielle, par exemple, avec à l’affiche un Zemmour d’extrême droite, raciste, misogyne, aux idées rances et aux nostalgies pétainistes et un Macron, ultra-libéral, qui nous fera payer son “quoi qu’il en coûte” jusqu’à ce que nous rendions gorge. 

Comment peut-on soutenir Macron quand les professionnels de santé sont exsangues, quand des lits ont été détruits dans les hôpitaux publics durant la pandémie ? 

Comment, intellectuellement, on peut encore défendre cette politique libérale abjecte qui détricote tranquillement le service public, qui poignarde EDF, à plusieurs reprises ? 

Comment honnêtement peut-on dire que Macron est celui qui permet une République apaisée, après les Gilets Jaunes, après le mépris affiché pour les profs, les chômeurs, pour ceux “qui ne sont rien”, après les restrictions de liberté, après les déclarations haineuses de ce président manquant de dignité qui cherche à “emmerder” tellement de Français ? 

Comment peut-on, particulièrement dans notre région, cautionner la politique industrielle absurde de ce gouvernement ? 

Comment peut-on faire campagne pour celui qui a tué le débat, qui a annihilé toute possibilité de nuances sur l’échiquier politique, entre Zemmour et lui ? 

Son “ni gauche, ni droite” est un danger pour la démocratie. Il dit clairement qu’il n’y a pas d’alternative possible. Qu’on est obligé de voter pour lui. C’est un piège qui divise et qui radicalise. Il est urgent que nous ne tombions pas dans ce piège. Pour cela, il faudra une gauche locale unie et forte de ses convictions. 


Meilleure qu’au niveau national…

mardi 15 février 2022

À Gauche, rien ?


Tout s’agite dans le microcosme montbéliardais, à l’occasion des futures élections. Tout ? Non. Un camp résiste encore et toujours à l’envie de s’engager. La gauche. Parce que la droite, ça y est, c’est parti, ça fuse de tous côtés. Les candidatures sont si nombreuses que ça se déchire et que ça se quitte, en claquant la porte, à grand renfort de déclarations enflammées, un véritable vaudeville pour la Saint Valentin. 

Hier encore, Valère Nedey consommait sa rupture avec Charles Demouge et le journal s’en faisait des choux gras, en mettant dans le coup tous les candidats potentiels à droite : Christophe Froppier, Didier Klein, Philippe Gautier, Matthieu Bloch. Que des mecs, au passage, mais c’est un autre débat. 

Ce qui en ressort, c’est qu’à droite, ça se bouscule au portillon. 

A gauche, pendant ce temps, rien. 

Comme si on attendait la présidentielle en se disant que c’était perdu d’avance. Aucun doute là-dessus, d’ailleurs, pour la présidentielle, c’est perdu d’avance. Même pas la peine de prendre parti pour un candidat, même pas la peine de s’engager plus pour l’un que pour l’autre : on sait déjà qu’on fera tout juste 5%, qu’on sera ridicule et qu’on pleurera le soir de l’élection. 

Mais pour les législatives, cependant, les enjeux sont différents. Plus locaux. 

Dans les 3e et 4e circonscriptions, les plus expérimentés ne veulent pas s’engager et les plus jeunes semblent absents. Que se passe-t-il vraiment ? N’y aura-t-il personne pour défendre les idées de gauche ? Va-t-on les laisser complètement à Marine Le Pen ? Elle est presque la seule à parler à l’électorat populaire. 

Je crois à quelques valeurs fortes : le partage, la coopération, la solidarité. Des valeurs profondément de gauche. Je sais que ces valeurs sont attendues, espérées par beaucoup. Ces idées ne peuvent pas rester sans voix à l’assemblée nationale. 

Je fais de la politique un peu par hasard et sans ambition. Ce qui ne veut pas dire sans convictions. Mais je n'ai ma carte nulle part et je ne ferai jamais carrière (sauf par hasard, il ne faut pas insulter l'avenir). J’essaye juste au quotidien de trouver des solutions pour mes voisins qui ont repéré une plaque d’égout qui fait du bruit ou un lampadaire qui ne marche pas. Je milite pour qu’on plante des arbres, pour qu’on isole les bâtiments publics. J’essaye juste de participer au débat à l’agglomération pour qu’on ait enfin des poubelles jaunes pour le tri des déchets. Des trucs très concrets et très prosaïques. Je me rends compte chaque jour de la difficulté de faire de la politique : il faut être multicompétents, connaître le droit, les lois, les règles d’urbanisme, être capable de devenir spécialiste de plein de sujets, dans tellement de domaines différents. Il faut travailler beaucoup pour être au niveau et ceux qui disent le contraire sont des menteurs ou des inconscients. J’y passe beaucoup de temps, à mon échelle — tout en restant une professeur de collège et vaguement romancière — pour faire cela le plus sérieusement du monde. 

Cependant, je sais que j’ai des camarades valeureux, bien plus aguerris que moi, compétents, prêts à s’engager. 

J’aimerais leur passer un message : on a besoin de vous, pour espérer encore, pour croire au progrès, pour savoir pour qui voter. Le Pays de Montbéliard n’a jamais eu autant besoin de gauche sociale. Alors, Magali, Damien, Myriam, Mathieu, Sidonie, Eric…et les autres…Quand est-ce qu’on y va ? (Et vu le bazar à droite, il y a peut-être un créneau, non ?)

dimanche 16 janvier 2022

Faites du sport, qu'ils disaient...


Je suis partie courir ce matin, mue par des motivations plus ou moins discutables : tout d’abord parce que des amis ont publié leur performance sur internet. Une performance admirable, un modèle indépassable pour la piètre sportive que je suis. Mais l’envie d’essayer était là ! 

Ma deuxième motivation était encore plus fallacieuse : hier, nous avions fait bombance. Un restaurant gastronomique, entrée plat dessert, apéro et Pouilly-Fuissé. J’avais très bien digéré, ce matin : lorsqu’on mange du très bon, on digère toujours bien. Malgré tout, j’avais une petite culpabilité. 

Enfin, il faisait très beau. Le soleil inondait une nature étincelante de givre. 

Je suis partie, en forme, normal, bien couverte. Les sensations étaient bonnes, le froid était très supportable, grâce au soleil et à l'effort. Cependant, je suis revenue avec les poumons détruits. On est en plein pic de pollution. J’ai toussé la moitié de la journée. Mon petit running matinal s’est transformé en pause clope géante. Je ne suis pas sûre du bénéfice, par conséquent. 

Je ne sais pas encore si je voterai pour Jadot à la présidentielle. Mais je voterai pour quelqu’un qui porte des thématiques écolos fortes et sincères, c’est une évidence. On ne peut plus continuer comme cela, on va tous crever prématurément de toute cette pollution dégueulasse. C’est un constat, ce n’est pas une extrapolation, une vision d’avenir. Le problème n’est pas celui de la planète : il faisait beau, ce matin, et la nature gelée était parée de mille strass sous le soleil. On aurait pu croire à la pureté, à la beauté, à la propreté d’un tel paysage. Et pourtant la pollution était là, invisible et vous collait aux poumons. Quand on regardait la scène d’un peu plus haut, on voyait bien la vallée se nimber d’un voile orange-marron des plus sales. 

On est en alerte rouge depuis plusieurs jours, la moitié de la France est dans le même cas. On continue de rouler en voiture et on se pose mollement la question des moteurs hybrides. On a la chance d’avoir des centrales électriques qui nous permettent pourtant de passer à autre chose. Sauf si, au nom d’un libéralisme total, le gouvernement fait le choix de démanteler EDF. Ce qui est en train de se passer. 

Pour mieux comprendre....


Mais bon...Dormons tranquille, la fin du pic de pollution est annoncée pour demain.

 

mercredi 12 janvier 2022

Demain, c'est la grève


Il y a des jours où il n’y a pas grand chose à dire sur l’actualité. Les jours, en ces temps de pandémie, se suivent étrangement et se ressemblent tristement. J’aime l’utilisation des adverbes qui viennent souligner le vide de nos vies, inexorablement. Je les aime aussi parce qu’il me font toujours réfléchir sur les doubles consonnes, véritable calvaire de notre langue. 

Je suis réellement capable d’écrire beaucoup sur rien, pourvu qu’il y ait des adverbes. C’est un talent rare et envié de tous les politiques, hormis Taubira, qui sait faire la même chose, sans les mains et avec des citations incroyables. Je l’admire pour cela. 

Aujourd’hui, donc, rien. 

Demain, par contre, une grève historique dans l’éducation nationale. Je la ferai, même si je n’ai qu’une seule heure de cours le jeudi. Ne pensez pas que je suis une feignasse, j’ai juste une décharge qui me permet d’être élue. Ne pensez pas que c’est un privilège : je suis payée en conséquence, c'est-à-dire que je suis très mal payée. Je ne me plains pas, je n’ai pas choisi d’être prof pour m’enrichir, mais cela ne vous regarde pas. 

Donc, demain, je serai solidaire de cette grève qui sera extrêmement suivie - bien plus que lorsqu’on se bat pour nos salaires de merde, d’ailleurs. Je serai solidaire, parce que depuis deux ans, les profs encaissent durement les virements et les revirements d’un ministre méprisant et ignorant des conditions de travail, et ses prises de décisions arbitraires visant principalement le grand public par le truchement des médias. Il fait des annonces, c’est là son principal souci. Des annonces qui ne sont pas destinées aux professeurs, aux personnels de direction ou aux agents de l’éducation nationale. Il fait des annonces - dans la presse payante, en plus - à son électorat supposé, composé de riches bourgeois dont les gamins sont dans le privé, de retraités dont les enfants ne sont plus en âge d’être scolarisés ou de célibataires sans enfant. Je suppose. Parce que tout ceux qui de près ou de loin doivent subir l’école, le collège ou le lycée public pourront vous le dire : c’est la merde. Les profs ne sont pas remplacés, les protocoles sont intenables, les élèves qui se font des calins dans la cour doivent porter des masques en classe, ce qui n’est pas facile facile à faire comprendre à ses ados dont les hormones explosent, et si les profs ne s’étaient pas fait un budget spécial “masques chirurgicaux", on serait mal, avec les masques en tissus tout pourris (et même toxiques au début) fournis par l’institution. 

Il est vrai que penser que Blanquer dit vrai quand il dit que tous les profs vont être équipés en masque FFP2 alors que le reste du temps, il faut déjà pleurer pour avoir deux feutres pour le tableau, c’est croire au Père Noël. 

Et je n'enseigne pas dans le primaire, parce que c'est encore bien pire, évidemment !

Bref, on voudrait croire que le gouvernement compte sur l’école pour que l’immunité collective se fasse, qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Le problème, c’est que tout cela n’est pas dit. Si c’était le cas, on dirait OK… Nous les profs, on est des bons soldats ! On enlèverait les masques et on ramasserait les stylos que les gamins se mettent en général dans le nez pour les lécher consciencieusement. 

Allez, bon covid à tous ! Et bonne chance !

 

mardi 11 janvier 2022

Taubira, Taubira pas...


Tout d’abord, pour être tout à fait au clair avec ce que vous allez lire, je tiens à vous le dire : Taubira, je l’aime d’amour. Déjà, c’est tout à fait le genre de nana que je kiffe : intelligente en plus d’être cultivée, déterminée pour ne pas dire autoritaire, libre et résolument humaniste. Depuis la loi sur l’esclavage, depuis le débat sur le mariage sur tous, depuis que j’ai eu l’occasion de l’entendre, dans des interviews, des émissions, des discours, des diatribes, des déclamations, je l’aime. Je me suis même inscrite à un groupe de soutien depuis l’été dernier, pour l’inciter à se présenter à la présidentielle, sur Facebook. 

Elle a dit non, d’abord. Assez...clairement… Le problème, avec Taubira, c’est que l’adverbe “clairement” n’est pas celui qui convient le mieux à sa pensée. En gros, elle a d’abord dit “Lorsque la situation semble désespérée, lorsque l’embarcation, sur la mer déchaînée, semble trop fragile, lorsque l’homme qui tient la barre semble connaître les vents et les marées et que la vague le surprend, lorsqu’il pense faire face mais qu’il est submergé, il faut que les femmes et les hommes de bonne volonté prennent leur responsabilité. Je ne serai pas celle qui ajoutera de la houle là où le vent semble déjà trop fort.” 

On n’a pas tout compris. On a gardé, collectivement, l’idée qu’elle ne serait pas celle qui…Mais qu’avait-elle voulu dire ? Personne ne le sait vraiment. 

Quelques mois plus tard, elle était toujours dans le mystère nimbé de poésie qui caractérise toujours ses prises de parole. Quand au détour d’une interview, on lui demandait inévitablement si elle se présenterait, elle citait…Genre “Même le crayon de Dieu n’est pas sans gomme” comme disait l’indépassable Aimé Césaire. 

Pendant ce temps, forcément, il y a eu Jadot, puis Hidalgo, puis Mélenchon, puis Fabien Roussel, puis Philippe Poutou, puis Nathalie Arthaud, puis Pierre Larrouturou…N'en jetez plus, la cour est pleine, comme disait ma grand-mère — beauté de la langue française. 

Et à nouveau, on lui demandait, M’dame Taubira, ira, ira pas ? Et, toujours un peu mystique et absconse : “Si le moment l’exige, si la situation le veut, si je n’ajoute pas de la confusion à la confusion…Je ne voudrais pas être celle qui, par le truchement d’une candidature de trop, sera celle dont on dira iniquement qu’elle a fait perdre la gauche alors que celle-ci est déjà exsangue, piéça, dévorée et pourrie, comme l’aurait dit Villon…” Et d’être obligée de préciser, devant les journalistes un peu ébaubis “Non, pas François Fillon, mais François Villon, le plus grand poète du Moyen- Âge, mes chers petits béjaunes…” 

À sa décharge, il faut se souvenir qu’en 2002, on l’accusa d’avoir fait perdre Jospin en se présentant. Je crois que Jospin est arrivé à perdre tout seul comme un grand et qu’il n’avait besoin de personne pour ça…C’est d’ailleurs de l’histoire ancienne. 

Le temps passait et Christiane ne se déclarait toujours pas franchement. Elle prendrait ses responsabilités, elle verrait, le moment venu. Et voilà que mi-décembre, paf, coup de tonnerre dans un ciel déjà bien couvert…un peut-être, un qui sait, un pourquoi pas… Alors que l’on n’y croyait plus, qu’on se trouvait déjà des explications — qu’elle était finalement un peu âgée pour rempiler éventuellement pour 5 ans, qu’elle ne voulait pas, avec sa stature, avec son aura, avec son charisme, se prendre une tôle assez courue d’avance et que le timing n’était définitivement plus le bon…— voilà que l’incertitude était un peu moins forte. 

Et puis elle a écrit une très belle tribune dans Le Monde. Je me moque avec un peu de facilité de l’esprit quelque peu alambiqué pour ne pas dire l'élocution ampoulée, de Christiane, mais elle sait faire preuve de synthèse et être concrète quand il le faut. Cela ressemble déjà presque à un programme. C’est à gauche. C’est clair et cela fait du bien, à l’heure où toute la gauche est inaudible. 

Cependant, à l’heure où j’écris, on a eu le droit à un énième pas de fourmi vers la possibilité d’une éventuelle candidature, avec la condition de passer par une primaire populaire dont elle saurait respecter les résultats. 

On ne sait plus que penser. On n’a jamais vraiment su que penser de toute cette histoire depuis le début. 

On a bien l’impression tout de même qu’elle n’a pas tellement envie d’y aller. 

C’est dommage, on aurait eu une candidate qui avait la classe, la culture, la personnalité et les convictions que l’on attend à gauche. Mais à part un miracle — aka un désistement surprises d’au moins trois ou quatre autres candidats de gauche à son avantage —, je crains qu’il faille arrêter de rêver.


lundi 10 janvier 2022

Un peu de politique (ça nous changera du virus)

Dormons tranquille...

Fut un temps où je caracolais en tête des classements nationaux en matière de blogs politiques. C’était il y a longtemps. C’était avant Hollande. En ces temps immémoriaux (on oublie si vite, en politique), il y avait une certaine jouissance, au moins une réjouissance, à parler de politique. On s’amusait des saillies quelque peu fleuries d’un Sarkozy qui ruait dans les brancards, on s’indignait, on caricaturait, on râlait, on croyait encore, un peu, un tout petit peu, aux idées, si ce n’était aux idéaux. 

On croyait encore un peu qu’après la pluie, le beau temps, qu’après des années de droite sécuritaire et capitaliste, viendrait une gauche sociale et solidaire, pour rééquilibrer le jeu. 

On s’est vite rendu compte que la gauche avait perdu ce qui faisait son honneur, la défense des plus fragiles, au profit de combats sociétaux menés sans panache : on se souvient avec douleur de la lâcheté de Hollande pendant le débat sur le mariage pour tous, alors que l'histoire aurait dû être réglée en deux semaines. 

Il s’en suivit un long chemin de souffrance vers le macronisme, pavé de pas de deux, en avant et en arrière, le tout, sur un air de Valls. 

C’est à ce moment-là que je décidai d’un commun accord avec moi-même d’arrêter de commenter la vie politique. C’était devenu sinistre : la gauche s’évertuait à ressembler à la droite, la droite n’avait plus grand chose à dire. Que dire en effet, quand on est un Ciotti, devant la proposition de déchoir de leur nationalité les terroristes ? Rien de plus désarmant, pour une opposition, que d’être confrontée à ses propres idées dans le camp d’en face : plus de riposte possible. 

Le boulevard était tracé pour Macron et pour son fameux ni gauche ni droite, qui permet de naviguer à vue, dans le brouillard et de compter sur l’amnésie collective, ainsi que sur le manque de culture politique, pour dire tout et son contraire selon les circonstances. 

Bref, je ne suis pas la seule a avoir arrêté de parler de politique. Plus personne ne croit en rien, les anciens camps crient dans le désert…et pour finir, un virus phagocyte tout le débat… 

Et pourtant, il paraît que dans trois mois, on doit élire un président de la République et dans la foulée, des députés. 

Pour l’instant, le débat de fond est inexistant. Il y a de grande chance que le Karcher de Sarkozy que Pécresse a récupéré à la cave ait souffert de l’obsolescence programmée et la gauche est tellement inaudible qu’on dirait bien qu’elle a été dissoute au Karcher. 

Certes, les extrêmes jouent un peu le rôle poil à gratter : tout le monde joue à se faire peur, un peu, avec Zemmour. Mais personne n’y croit vraiment. On sait bien que cet olibrius ne peut pas parvenir à renverser Macron. Il ne peut sans doute même pas parvenir au second tour. Il n’a pas les épaules, l’expérience et ses idées sont beaucoup trop farfelues pour les gens raisonnables que sont les Français au moment de glisser un bulletin dans une enveloppe. Le Pen s’agite en vain, et puis Zemmour la ringardise… Et Mélenchon, même s’il a une certaine culture politique de gauche qu’il reste le seul à défendre, fait peur à tout le monde. 

Macron peut dire ce qu’il veut. Il peut emmerder tout le monde, il est le seul dans le game. Il fanfaronne à merci et il a raison car finalement, dans la morosité du paysage politique actuel, il est le seul à sortir du lot. Il sort du lot en parlant à son électorat et on ne peut pas le lui reprocher. Il ne parle pas à ceux qui ne voteront pas pour lui, quoi qu’il fasse. C’est quelque chose que la gauche de Hollande n’a jamais compris. Pour reprendre l’exemple du débat sur le mariage pour tous, souvenez-vous, Hollande louvoyait : en plein milieu de la polémique, alors que les catho extrémistes manifestaient dans les rues en déversant leur haine homophobe, il prétendait qu’il laisserait les maires choisir. Il ne donnait pas l’image d’un type sûr de ses convictions…et c’est bien ce qui peut déstabiliser un électorat. 

Macron, il parle à ceux qui votent pour lui : ceux qui réussissent, les premiers de cordées, ceux qui payent des impôts, qui veulent des résultats, ceux qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du travail, ceux qui ne sont pas rien. Ceux qui disent très probablement : “Les non-vaccinés, on les emmerde !” 

Je ne dis pas que je suis d’accord avec lui. Mais sa stratégie est évidemment la bonne. On a plutôt tendance à vouloir des winners, pour diriger le pays, non ? 

Et c’est triste, mais on n’en a pas d’autre… 

Demain, peut-être, si j’ai le courage, je vous parlerai de Taubira.

 

dimanche 9 janvier 2022

Le test que j'adore manquer !


Le virus ne veut pas de moi (mais il attaque quand même bien mon moral). Courage à ceux qui ont attrapé cette sale maladie : ils sont nombreux et ça n'a pas l'air marrant. En espérant que l'hôpital ne soit pas nécessaire et que ce ne soit pas non plus ce fameux covid long. 

Demain, je retourne au collège et j'attends de voir la situation. La semaine dernière, il y avait déjà pas mal de collègues absents, alors on verra. Pour les élèves, je suis dans un quartier où l'on ne se teste pas beaucoup et où l'on se vaccine encore moins. On verra. 

Le dimanche qui se termine a été gris et mou, une sorte d'éléphant mort. Peu de monde au marché, ce matin, des dictées que j'ai sur-notées pour ne pas déprimer mes 3e...Heureusement, il reste les plaisirs de la table. Tiens, j'ai mangé un bout de galette des rois qui était très bonne : légère, pas trop sucrée, une vraie pâte feuilletée. 

Sinon, nous avons découvert le film "Soleil vert", cet après-midi. C'est un film de 1973, mais l'intrigue se situe en 2022. Nous n'y sommes pas tout à fait, mais nous nous en approchons : la planète est tellement polluée par les activités humaines et tellement surpeuplée, que les ressources alimentaires manquent. On est donc obligé de manger nos morts. Je résume un peu vite. C'est un bon film. Mais cela ne remonte pas le moral. On court à la catastrophe et on le sait depuis longtemps, malgré cela, nous continuons...

Enfin, quelques personnes se sont inquiétées à la lecture de mon précédent billet. Il n'y a pas de quoi...Comme toujours, c'est beaucoup moins inquiétant quand j'écris que lorsque je ne parviens pas à pondre une seule ligne. Ce sont mes angoisses que je pose là, que je mets à distance, que je dissèque et que je tue. Et puis la fiction exige d'un peu forcer le trait...

Les quelques commentaires que j'ai reçus, en tout cas, étaient toujours adorables et c'est ce que je garde...Merci pour les compliments, ils me vont droit au coeur. Surtout que je doute beaucoup, en ce moment, sur ma capacité à écrire...

Haut les coeurs, la vie est belle, même si demain, nous sommes lundi...




samedi 8 janvier 2022

Dans la rivière d'hiver


La boue de l’allée collait aux godasses et le parc était presque désert. Le soir tombait tôt, en cette fin janvier. L’après-midi à peine commençait-il que l’on désirait déjà rentrer à la maison, se glisser sous un plaid, avec un thé brûlant. Le froid mordait au visage. 

Le parc était presque désert. Quelques promeneurs de chien, ça et là, divaguaient lentement, comme dans un film de zombies. Il semblait que c’était les chiens qui traînaient leur maître au bout de leur laisse. 

La nature d’hiver était d’une tristesse incroyable. Les pelouses détrempées étaient plus râpées que les vieux tapis d’un accueil de la CAF, un jour de pluie, parsemées d'étrons géants que les propriétaires de chihuahuas, de bouviers bernois, de caniches nains ne prenaient jamais le soin de ramasser. La conscience tranquille, lesdits propriétaires pensaient que la crotte Royal Canin de leur petite bête constituait un excellent engrais pour les plates bandes. Jamais ils n’avaient une pensée émue pour l’employé communal qui pulvériserait sur ses chaussures de sécurité, façon crépi, la matière organique malodorante, quand il passerait la tondeuse. Les saules du parc laissaient pendre leurs branches nues et la rivière avait des airs de torrent boueux parsemé de papier bulle, de canettes défoncées, de sacs plastiques déchiquetés. 

La nature d’hiver, — pouvait-on encore l’appeler nature ? — servait d’écrin à la crasse humaine. Même le ciel au-dessus des usines désaffectées semblait s’être mis au diapason de toute cette saleté grisâtre. 

Des psychologues et des journalistes s’étaient mis d’accord pour nommer ce lundi-là le jour le plus déprimant de l’année. Le blue monday

Les baskets que j’avais eu la mauvaise idée de porter prenaient l’eau et les flaques étaient nombreuses. La boue était glissante et bien que j’avais adopté l’allure que dictait le temps et que je me mouvais à la vitesse d’un vieillard valétudinaire, je manquais de tomber à plusieurs reprises. 

Je crois que c’est lorsque le ciel commença à m’envoyer un petit crachin froid et gluant que je touchais le fond. J’étais sur le petit pont, au-dessus de la rivière chargée des eaux tumultueuses et glaciales d’un redoux de janvier, ces eaux issues de la fonte des neiges et des pluies torrentielles de la saison, quand les terres saturées ne peuvent plus rien absorber. Je ne pouvais plus rien absorber. J’étais comme ces champs d’hiver, dégorgeant, recrachant, vomissant toute la flotte des cieux et des profondeurs. Ma nappe phréatique était à son niveau le plus critique. 

En deux ans de pandémie, j’avais bu jusqu’à la lie la misère de l’homme, sa turpitude, sa vacuité. J’étais le désespoir incarné. Le désir m’avait fui et je vivais par habitude. J’étais sur ce pont comme on est à un point de non-retour. 

Deux ans que l’on tournait en rond dans un bocal. Deux ans que l’on enchaînait les mauvaises nouvelles. Les malades et les morts, les mesures absurdes du gouvernement. On ne pouvait plus sortir la conscience tout à fait tranquille. On compatissait en permanence, on avait fait de l’empathie un sport extrême : l’empathie avec les soignants, avec les patients, avec les professions essentielles, avec les professeurs, avec les pharmaciens, les restaurateurs, les camionneurs. L’empathie poussée à ce point, au quotidien, ça vous dévorait le crâne, ça vous empoisonnait jusqu’au cœur de votre sommeil. 

Tout devenait situation complexe : une opération de la cataracte pour votre belle-mère, l’organisation du mariage de votre meilleure amie, les vacances en Ardèche, le voyage pour le travail en Belgique. Les anti-vax, les manifestations du samedi, les clivages de la société, les débats sans fin, les télés et les radios qui ne parlaient plus que de cela. C’était la vie toute entière qui devenait très compliquée. Obsessionnelle. 

J’avais absorbé comme le canard absorbe la pâtée avant Noël. Absorbé le covid du frangin, les visites rendues difficiles à la maison de retraite pour ma mère, l’isolement, les tests PCR à répétition. La solitude, les sorties qu’on annule, les concerts qu’on repousse. 

J’avais absorbé la crainte de tomber malade, les chiffres de la tension en réa, les noms grecs des variants. J’avais absorbé les trois doses de vaccin, la pollution des masques qu’on retrouvait jusqu’au sommet des arbres et dans les caniveaux. J’avais absorbé la dépression des autres, les étudiants qui voyaient leur jeunesse gâchée, les vieux qui voyaient leur mort arriver sans pouvoir profiter de leurs petits enfants durant le peu de temps qui leur restait. J’avais encaissé, encore et encore les reportages télé, les articles de journaux, les envoyés spéciaux en Inde, le manque de bouteilles d’oxygène, les complotistes qui mettaient ça sur le dos de Bill Gates, des francs-maçons ou des Juifs. J’avais tout pris en pleine gueule, j’étais une éponge saturée de toxines mauvaises, plus saturée encore que le muscle de la vache qui voit la mort de sa copine à l’abattoir. J’étais comme tout le monde, mais peut-être plus sensible et avec la peau plus fine, je ne sais pas. Les interdictions de manger debout, la permission de manger assis, sauf au ciné, le plexiglas, les ordres et les contre ordres d’un gouvernement dépassé, comme tous les gouvernements du monde, par un virus incompréhensible et insaisissable, mettaient en danger les systèmes de santé, le capitalisme et ma santé mentale. 

Ma santé mentale. C’était le sujet, ce soir-là, sur ce pont, au-dessus de ces eaux tourmentées, sombres, périlleuses. Depuis quelque temps, déjà, j’avais des idées noires, des petites phrases qui naissaient dans mon cerveau sans que je puisse les contenir “Ma vie est finie”. Des phrases dépressives, détachées de tout contexte. J’étais au travail, j’étais devant la télé. Rien ne semblait dramatique et puis je me disais “Je vais sauter la tête la première depuis le balcon”. Je n’y attachais d’abord que peu d’importance. Mon sourire était encore là et je continuais de cuisiner de bon petits plats. Je continuais de me maquiller avant de sortir. Personne ne savait rien de ces sentences morbides qui traversaient mon crâne comme un courant électrique, avant de disparaître. Je me persuadais que l’on ne se tartine pas de crème anti-rides et qu’on ne s’épile pas les mollets lorsqu’on veut réellement mettre fin à ses jours. Je me persuadais que j’étais forte et que j’allais bien. 

Devant ces eaux qui se précipitaient sous mes pieds, devant ce fracas parsemé de détritus, pourtant, j’en doutais. La nature était trop sale et le monde trop laid et je n’étais rien qu’un minuscule accident de l’univers dont le passage ici bas n’aurait pas de conséquence. “Personne ne t’aime, tu ne sers à rien, ta vie n’a pas de sens. Personne ne te regrettera…”, disait sans relâche la voix dans ma tête, lancinante et triste comme une chanson de Damien Rice. Ce n’était pas moi qui parlait, cependant. J’étais attirée par les eaux sombres, je savais qu’il s’en fallait de peu pour que je sombre. Pour que je plonge, pour que je me laisse emporter par le courant puissant, pour qu’il m’enlace dans ses bras glacés et qu’il m’entraîne dans une dernière étreinte d’éternité. 

Mais un éclair argenté zébra la surface de la rivière avant que j’enjambe la rambarde du pont. 

Et en même temps que la voix mortifère, s’éleva celle de la petite fille qui vivait toujours en moi, émerveillée par la force des fleuves, par la beauté des soleils couchants, par l’énergie de vie des forêts. Quelque chose d’autre m’appela. 

L’éclair. Tout à coup, je crus voir des poissons merveilleux, arc-en-ciel, des poissons magiques frétillant et caracolant dans les remous, des couleurs, des flashs et des reflets. Au couchant, à l’horizon, le ciel se fit violet, une lueur étrange et puissante, un espoir. Je n’étais plus dans ce parc, je ne savais plus qui j’étais. J’avais changé soudain. J’avais compris. J’avais grandi, j’avais rajeuni, j’avais retrouvé les miracles d’antan, quand on se raconte des histoires avant de dormir, quand on croit aux fées et aux sorcières. L’esprit de la rivière m’était apparu, éternel et divin. Je n’avais pas fumé et je n’avais pas bu. J’étais juste sauvé par la vie qui coulait dans mes veines. J’ai compris la lune qui s’éleva, j’ai compris la cime nue des arbres dressés vers un ciel ouvert, j’ai compris chaque brin d’herbe en hivernage, chaque branche cassée et chaque feuille retrouvant le sol pour y devenir humus et pour redonner vie, j’ai compris l’insignifiance de toute chose et son importance infinie, le puzzle dont nous faisons partie à notre insu. J’ai compris que la pandémie n’était pas un poids, que c’était une force, que c’était notre mise à l’épreuve pour mieux apprécier la beauté et la préciosité de la vie. 


En rentrant, ce soir-là, j’ai appelé ma mère à la maison de retraite. Elle ne se souvenait pas de ce qu’elle avait fait, ni de qui elle avait eu la visite. Mais elle était heureuse d’avoir eu de la visite et il lui restait le sentiment d’avoir bien mangé. Elle allait bien. Ce soir-là, j’ai écouté de la musique et j’ai cessé d’écouter les bruits stridents du monde. Ce soir-là, j’ai rouvert mon ordinateur et j’ai écrit.