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jeudi 28 septembre 2017

Carte mère - Prologue - Chapitre 1

Savez-vous que la plupart des éditeurs exigent qu'on leur envoie nos manuscrits par la poste ? C'est un gâchis de papier énorme, puisqu'en plus, la plupart du temps, ils les refusent.

C'est ce que je me suis dit, après deux envois numériques (un copain éditeur et le seul éditeur en ligne que j'ai trouvé qui accepte les mails). Deux refus, évidemment.

Alors comme je n'ai pas de grandes prétentions littéraires, je me suis dit que j'allais publier mon truc sur le net, comme je le fais depuis 2003. Since 2003.

Lira qui lira, peu m'importe. J'ai pris mon pied en écrivant. Ce sera un peu long, mais les feuilletons, c'est bon ! Premier chapitre ? C'est parti !

Bises !

Quand je veux me jeter du pont du Carroussel 
Je me dis finalement non la vie est belle 
Quand quelqu'un me dit, "Dieu que la vie est belle" 
Je voudrais me jeter du pont du Carroussel 

Emily Loizeau, Je ne sais pas choisir

Prologue.
Carte mère (gr.nom.fem.) (D’après Wikipédia ou presque) : c’est le cœur de l’ordinateur qui assure les connexions entre les composants, la mémoire centrale et la mémoire vive.

La carte mère, souvent, se sent très seule.

Première partie
Mémoire vive. 


Alors que le monde semblait courir à sa perte, que la Syrie brûlait encore et toujours et qu’Alep était pilonnée pour la centième fois, une jeune fille découvrait l’amour, et il lui semblait que le monde était neuf comme un œuf du jour. Les fleurs étaient plus belles que la veille, l’herbe était plus brillante de rosée, les passants semblaient esquisser des pas de danse pour éviter les flaques et la lumière qui baignait la ville n’était rien moins que de l’or. Pour chacun d’entre nous, l’amour réinvente le monde, c’est une banalité et un événement intime extraordinaire, tout à la fois.

Alors que le monde courait à sa perte, un vieil homme décidait de prendre une balle dans son tiroir, un revolver dans son armoire, une corde dans son grenier. Un vieil homme décidait qu’il avait assez vécu, assez vu de sang, de misère et de bêtise, assez de vice et de guerre pour sa pauvre vie. C’est le lot de chacun, peut-être, mais que dieu - ou la boisson - nous en préserve, de désespérer du monde et des hommes lorsqu’on vieillit. Ce n’est pas que le monde change ou que les hommes sont pires. C’est juste que l’on vieillit. C’est que l’on en a trop vu, qu’on a perdu la naïveté qui nous tenait chaud, qui était un vernis fragile, mais assez beau qui nous empêchait de voir les craquelures du tableau. C’est aussi que l’on prend du ventre et de l’arthrose, que ce qui nous paraissait simple - monter trois marches, changer une ampoule, manger une choucroute - devient un enfer, une épreuve insurmontable. Alors on accuse les choses : ce n’est pas moi qui ai changé, c’est le monde qui se ligue contre moi.

 Les deux scènes se déroulaient en simultané, sur le même palier, dans le même immeuble. La jeune fille était sur son lit rose, elle relisait des textos plein de smileys souriants et de petits cœurs, elle rêvassait, elle se pensait unique au monde. De l’autre côté, le vieil homme avait le doigt sur la gâchette. Il ressassait des vieilles aigreurs.

Lorsque le coup de feu retentit, je me précipitai sur le palier, en chaussettes. Il y avait trois portes : la mienne, ouverte sur mon appartement en désordre et deux autres fermées. Celle de Mlle Lekan et celle de M. Ninne. Je les croisais parfois. Bonjour, bonsoir. Rien de plus. La gamine était timide et gauche, le vieux était bougon et mal rasé. Je n’en savais pas beaucoup plus. Pour le reste, certains matins, je l’avoue, quand j’entendais les clés dans une des serrures, j’attendais derrière ma porte avant de sortir. Parfois même, je prenais les escaliers pour ne pas me retrouver dans l’ascenseur avec l’un d’eux. C’est notre société qui veut ça, on est individualiste. On n’a pas envie de se retrouver dans une promiscuité non désirée. On a besoin de son espace vital. On n’a pas besoin d’imposer aux autres ses miasmes et ses odeurs corporelles. Ou son eczéma, dont je souffrais de manière chronique.

J’étais donc sur le palier, en chaussettes et en cheveux. Je tournai la tête successivement vers les deux portes. Rien. Le silence s’était à nouveau installé. Aucune des portes ne s’est ouverte. Je me suis dit que c’était sans doute le bruit d’une canalisation. Un pot d’échappement dans la rue. Un avion ayant passé le mur du son au-dessus de nos têtes.

Je suis rentrée, j’ai refermé ma porte, je suis retournée dans mon canapé, j’ai repris mon ordinateur sur mes genoux, j’ai continué ma conversation avec mes amis lointains sur twitter en alternance avec Candy Crush et une émission de divertissement à la télé. Le calme de cet immeuble était tout de même très appréciable.

La jeune demoiselle amoureuse, elle, n’avait rien entendu. Elle avait sa fenêtre ouverte, elle écoutait de la musique, elle avait l’esprit ailleurs. Son téléphone avait sonné juste après : c’était lui, elle avait décroché, euphorique, elle écoutait sa voix comme on boit un doux nectar. Elle n’avait plus sa tête.

Monsieur Ninne ne s'était pas loupé. Il n'avait plus sa tête non plus.

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