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mercredi 30 juillet 2025

Conseil lecture : Jean Hegland, Dans la forêt et Le Temps d'après


Étrangeté de l'édition française, un livre qui me semble être un véritable chef d’œuvre littéraire, n'a été traduit et publié en France 21 ans après sa publication aux USA. Il s'agit de Dans la forêt de Jean Hegland. 

L'avantage de cette publication tardive est justement que l'on peut apprécier sa résistance au temps : plus de 20 ans après son écriture, ce roman est cruellement d'actualité. C'est pourtant un roman d'anticipation et parfois, cela ne tient pas tellement après la date de péremption. 

Mais l'auteur a su éviter quelques écueils : ne pas insister trop sur l'aspect technologique de la société, ce qui ne "date" pas le roman, ce qui ne le fige pas à une époque en particulier, et surtout, évoquer un désastre d'ordre politico-écolo-économo-sociologique, sans en dire beaucoup plus. L'essentiel n'est pas là, même si c'est le point de départ nécessaire pour découvrir la vie de deux jeunes femmes isolées au cœur d'une forêt à la fois hostile et protectrice. 

Ce texte est formidable. Mais je le découvre très tardivement. 

Heureusement, Jean Hegland a écrit une suite plus récemment. Le Temps d'après. Ce titre peut faire penser à ce monde d'après que nous espérions durant la période sombre du Covid. Il s'agit bien d'un monde qui a subi son lot de catastrophes, d'épidémies et de changements climatiques. Nous retrouvons les personnages du précédent roman : deux sœurs, Eva et Nell, qu'on avait laissé avec le petit Burl, né dans la forêt sans jamais avoir connu le monde d'avant. 

Il a grandi : il a 16 ans au début du Temps d'après. Le monde ne va pas mieux, mais Burl l'ignore puisqu'il vit dans un huis-clos heureux avec ses deux mères et la forêt. Evidemment, il y a un côté survivaliste là dedans, mais j'ai aimé les descriptions de la nature, très poétiques et la langue très inventive. J'aime beaucoup l'idée que la langue puisse continuer de vivre et d'inventer le monde, naître ou renaître et vivre. La langue, mais aussi la vie. Et on interroge à travers la fiction, à travers les contes de fée, la littérature, nos modes de vie en société. 

Je ne veux pas dévoiler ici l'intrigue et les ressorts de la narration. Je veux seulement souligner la beauté littéraire de cet ouvrage, même si je regrette de ne pas suffisamment maîtriser l'anglais pour le lire dans sa version originale, qui doit perdre un peu de sa force dans la traduction. Notamment le travail sur le genre qui est difficilement traduisible en français, pour des raisons purement grammaticales. Mais cela dit des choses sur notre façon de penser et c'est intéressant ! 

Découvrez Dans la forêt si vous ne l'avez pas encore fait ! Mais ne passez pas à côté de la suite : Le Temps d'après qui est un récit puissant aussi.  

jeudi 24 juillet 2025

Sur le bout de la jetée

Sur le bout de la jetée, sur le port, les cheveux rendus fous par le vent, je regarde le ferry quotidien s'éloigner. La mer est grosse, les vagues se brisent et les embruns me fouettent le visage. Je me sens vivante, je fais partie du monde et les éléments viennent prouver mon existence.

J'aurais dû prendre ce ferry...

J'aurais dû être sur le pont, balayé d'eau de mer, cherchant à reprendre mon souffle et à remettre mon estomac à l'endroit. J'aurais dû partir pour l'Angleterre et changer de vie. Fuir.

Je suis seule. Implacablement seule. Mes pas, le soir, chez moi, résonnent dans le vide. Mon esprit, à longueur de temps, raisonne dans le vide. Je n'ai personne à qui parler. Les hommes et les femmes que je rencontre, que je fréquente, que je côtoie, ont décidé de ne rien voir de moi. La famille, les amis, les collègues. Personne ne voit jamais que la femme transparente, souriante, sans importance. On a décidé pour moi. Et je n'ai pas la force de contredire, de m'imposer autrement. Je ne peux le faire que maladroitement. Je ne peux le faire qu'en brisant. Je suis prise au piège. 

Sur le bout de la jetée, sur le port, j'envisage de changer de vie, radicalement. Mais le piège se referme, encore et toujours. Je ne suis qu'une poussière insignifiante. Déjà quand j'étais enfant, mon père disait de moi que je ne valais rien, que j'étais bonne à rien, que j'étais trop maigre, trop nulle, trop molle. 

J'ai pourtant en moi quelques velléités, mais tout se referme toujours comme un piège. Quand je décide de donner, sans retenue, ce que j'ai, mes talents, mes qualités, ma gentillesse, on considère cela comme allant de soi. C'est un véritable effort, pourtant. Mais cela n'est que de très normal. C'est ainsi que je sais que je suis médiocre. 

Seule et médiocre. J'aurais dû fuir, mais je n'en ai même pas le courage. Je suis enfermée en moi-même sans personne à qui parler. L'angoisse étreint ma gorge, rend mes épaules douloureuses et m'empêche de reprendre mon souffle. Personne qui puisse vraiment me comprendre. 

Est-on jamais compris, dans la vie ? On écrit des livres, on essaye de s'expliquer, mais personne ne comprend vraiment. Personne ne lit. Et on explique mal et on reste collé à une image, assigné à une case précise. Impossible de s'en sortir. Même si, depuis le départ, c'est une erreur. 

J'écris cela, mais je ne sais pas ce que je suis, je ne sais pas ce que je voudrais être vraiment. J'aurais dû partir, mais si je reste, c'est parce que je ne sais pas où je dois aller. J'ai juste le sentiment que je ne suis pas à ma place ici et maintenant. Ou que je ne le suis plus. Je n'ai jamais su partir, je n'ai jamais su disposer de ma liberté. J'ai toujours privilégié les désirs des autres. Il est temps, désormais que je pense à moi. 

Qui voudrais-je être ? Je ne sais pas qui je suis. Est-ce une tare de ne pas savoir qui l'on est à mon âge ? Je pourrais être une femme libérée, sûre d'elle, maîtresse femme, autoritaire et intelligente ? Ce genre de femmes, depuis toujours, m'inspirent : ma grand-mère, ma prof d'histoire du collège et quelques autres qui se reconnaîtront. Mais c'est assez éloigné de ma personnalité discrète, dans le fond. Suis-je réellement une femme discrète ? 

Je pourrais être aussi une artiste, une intellectuelle, me réfugier dans la littérature. C'est une part de moi. Mais je ne me sens pas légitime. Je suis une imposture. Mes livres sont mauvais, mes compétences insuffisantes. Quand j'essaie, je sens mes limites, immédiatement. Et puis là aussi mes références sont trop grandes et m'écrasent. 

Je pourrais simplement disparaître. La tentation est immense. N'être plus rien, pour personne. Ne plus me battre contre moi-même. Plus de pression. 

Ce texte a commencé comme une nouvelle et puis cela va nulle part. C'est un peu comme la vie. On ne sait pas où cela nous mène. Mais le problème, avec les nouvelles, c'est qu'il faut une chute. C'est tout l'intérêt. 

Et là, sur cette jetée, fouettée par le vent, seule dans la tempête, contemplant à mes pieds les vagues déchaînées se briser sur les rochers, il se pourrait bien que la chute soit mortelle. Pourtant, sur ce bout de terre battue par les éléments, je me sens vivante...

mercredi 16 juillet 2025

Un abricot et la fin du monde

Une coupe de fruits était posée sur une table en fer forgé. Le vent envoyait une impression de fraîcheur et quelques senteurs marines. La vie était douce, sur cette terrasse derrière laquelle se dressait une grande villa blanche présentant ses magnifiques bow-windows à un paysage océanique. 

 Dans la coupe, l’abricot était parfait, bombé comme des petites fesses de bébé, d’un orange vif piqueté de rouge, mûr à point. On le devinait juteux et sucré et il provoqua immédiatement le désir de Jen. Elle tendit sa main délicate pour le cueillir comme on aurait recueilli un petit oisillon. 

 Elle le porta à sa bouche, paisiblement. Ce fut alors une nuée de sons électroniques qui s’abattirent sur elle : sa montre connectée vibra, son téléphone, de concert, évidemment, et la porte électronique du frigo émit un son chaleureux. Elle put donc savoir immédiatement qu’elle avait consommé 50 calories, que son apport journalier en glucides était atteint (avec le chocolat qu’elle avait mangé à midi) et qu’elle n’avait plus que 3 abricots en stock, seuil déclenchant l’inscription dudit fruit sur la liste de course connectée, ce qui lançait automatiquement le processus de commande en ligne, de paiement via l’application dédiée et de livraison dans l’heure. 

 Tout cela rompit un peu le charme de cette belle après-midi d’été dans la baie de Richardson. 

 Jen n’y prêta pourtant aucune attention. Tout cela était parfaitement normal. Elle travaillait d’ailleurs dans la Silicon Valley et était friande de tous ces gadgets parfaitement inutiles et néanmoins indispensables. 

 Cet après-midi là, elle avait décidé de ne rien faire d’autre que de se laisser aller à la douceur de la vie, sur sa terrasse. Sa vie, le reste du temps, était bien assez trépidante. Elle courait de réunions stratégiques en comités de direction, elle ne cessait d’avoir des décisions à prendre et elle avait sous ses ordres des dizaines de salariés à piloter, manager, materner, écouter, recadrer…Elle ne voulait pas y penser, en ce beau dimanche ensoleillé. 

 Elle croqua dans l’abricot et admira une fois de plus, derrière ses lunettes noires, les jeux du soleil sur les eaux de la baie. Sur son transat, elle laissa la lumière chauffer doucement ses jambes dorées et elle décida de remettre un peu de lait de protection. Aussitôt, un bip l’avertit qu’elle avait utilisé 70% du flacon et qu’il fallait le renouveler. Ce qui se fit immédiatement. Encore une chose qui lui serait livrée rapidement.

 C’était rassurant. C’était encore mieux que l’abondance : c’était l’assurance de ne jamais manquer de rien. 

 Un peu plus tard, dans la douce lumière du soir qui tombait et qui donnait à la baie des lueurs orangées, elle demanda à son robot ménager de lui proposer un petit repas accompagné d’un cocktail. 

 Mais le petit automate au sourire permanent ne répondit pas. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle n'entendit pas les petits bips rassurants de son garçon électronique de maison ! C’est fou comme ces clignotements sonores, ces doux avertisseurs, lui étaient devenus familiers. C’était un peu comme le ramage délicat des mésanges dans les arbres. Sauf qu’en 2050, dans la baie de Sausalito, les oiseaux ne chantaient plus guère. Les seuls qui avaient survécu s’étaient réfugiés dans la montagne, pour échapper tant bien que mal à la pollution grandissante. 

 Alors c’était un ramage électronique qui les avait remplacés. 

 Mais là, rien. 

 D’ailleurs, alors que le soleil s’était désormais couché au large et que l’obscurité gagnait progressivement, il semblait que les lumières électriques n’avaient pas pris le relais. D’ordinaire, toute la côte scintillait, parsemée d’une pluie d’or jusqu’à Oakland, jusqu’à San Francisco. Là…rien. Le noir s’installait et le silence des appareils n’en était que plus terrifiant. 

 Jen ne voyait que son petit confort, râlant après son robot (qu’elle surnommait Bob) et qu’elle promit de rendre à son constructeur, notamment, au milieu du chapelet d’insultes dont elle gratifia. 

 Exaspérée, elle décida de rentrer dans la villa. Machinalement, elle ordonna à l’intelligence domotique qui régissait son intérieur d’allumer les lumières, de baisser les volets et de mettre Fox News à la télé. 

 Rien de tout cela ne se produisit. Elle resta dans le noir, interdite. Elle fit un effort pour se souvenir de l’emplacement des interrupteurs et se dirigea à la lueur de son téléphone, entre la table basse et le canapé. Mais la lumière ne revint pas. Son téléphone était donc son seul salut. Elle pensait que c’était une panne qui la concernait et se dit qu’il fallait appeler un dépanneur. Elle ordonna donc à son téléphone de composer le numéro d’un bon dépanneur…Mais là encore, l’objet noir et lisse qu’on prenait pour notre ami depuis si longtemps n’eut pas l’ombre d’un frémissement. Il resta l’objet froid et dur qu’il était. Elle le secoua vivement, appuya sur les boutons, cliqua, hurla “Dis Siri” plusieurs fois, hystérique. Mais, bien que la batterie ne soit pas totalement déchargée, l’appareil ne se connectait à rien. Plus d’internet. Plus de réseau, plus de wifi, plus de bluetooth. Rien. 

 La panique vint beaucoup plus vite qu’elle n’aurait cru. Elle avait pourtant une bonne dose de sang froid, d’habitude : elle gérait. Dans son métier, dans sa vie, elle assurait. Mais seule, au milieu de son salon, dans le noir, sans réseau, sans électricité, sans tous ses systèmes de protection, de sécurité, elle se sentait nue, bien qu’en maillot de bain. 

 Soudain, elle entendit des explosions, un peu partout au dehors. Des chocs, des chutes, des collisions. Elle se précipita à nouveau sur sa terrasse, dans un mouvement réflexe, puis repensa aux nombreux drones qui livraient à toute heure du jour et de la nuit, les maisons des alentours. Elle rentra aussitôt dans son salon, de peur de se prendre un engin sur la tête. Elle eut raison : la livraison d’abricots s’écrasa lamentablement sur le carrelage, se mêlant à l’huile solaire, qui empruntait la même voie aérienne. 

 Que pouvait-il bien se passer ? Était-ce le grand black-out tant redouté qui arrivait ce soir ? 

 Non. 

 Soudain, tout se ralluma. Tout sembla revivre. La télé de Jen, réglée sur Fox News, se mit à brailler. On y voyait Elon Musk, écarlate, satisfait, rigolard, qui déclarait “C’est moi, c’est moi ! C’est moi le responsable de cette coupure mondiale de 10 minutes : plus d’électricité, plus d’internet, plus de réseaux, plus rien ! Vous n’êtes plus rien, si je le décide ! Ah ! Ah ! Ah !” 

 Les journalistes de Fox News, d’ordinaire affables avec le multi milliardaire semblaient effarés. Ils prenaient conscience, comme le reste de l’univers, qu’on avait laissé dans les mains d’un seul homme, le pouvoir de vie et de mort sur le monde entier.

mardi 8 juillet 2025

Le grand tableau


Un immense tableau trônait au dessus de l'autel. Son souvenir remontait aux longues messes de son enfance, quand sa grand-mère, chaque dimanche, l'obligeait à assister à l'office. L'ennui gagnait toujours, entre deux prières et entre deux chants, entre le sermon du curé, plus ou moins inspiré, et les moments de recueillement. L'ennui, ce n'est pas forcément le mot. C'était une sorte d'état méditatif qui le prenait. Il se mettait alors à observer le lieu, dans les moindres détails. Le carrelage en ciment, désuni, inégal, les peintures en trompe l'oeil, très réussies qui faisaient tout le charme de ce petit édifice de campagne, les quelques sculptures, les rares ornements dorés, le pied de la grande bougie pascale, le petit calice attendant son grand moment...

Une église offre au regard mille distractions. 

Et puis il y avait ce grand tableau. Si la messe durait une heure, cela laissait à chaque fois le temps d'inventer une nouvelle histoire pour ce tableau. 

On y voyait un homme d'un âge certain, avec une barbe blanche qui semblait faire "coucou" au corps d'un homme allongé sur le sol, face contre terre. Il était accompagné d'un ange, reconnaissable à ses ailes. 

Qui était cet homme : le père Noël, un saint, un pêcheur, Dieu lui-même ? Et pourquoi était-il accompagné de cet ange qui lui posait sur l'épaule une main amicale ? Cet homme à terre, était-il mort ? Qui l'avait tué ? Et pourquoi l'homme à la barbe blanche le saluait-il ? 

C'était un mystère. Une scène de crime à élucider. 

Il était un enfant. Il aimait les dessins animés : Inspecteur Gadget, Cats Eyes et les Monstroplantes. Il aimait les mystères, les enquêtes, la science fiction et l'humour. Alors cet ange, cet extraterrestre, ce crime à élucider, ce vieil homme qui faisait coucou, voilà qui éveillait sa curiosité et qui titillait son imagination. 

Il voyait l'homme au sol, avec des sandales et sur la tête, quelque chose qu'il prenait pour une gourde en métal argenté. L'éclat blanc, cela ne faisait aucun doute, c'était une gourde. C'était l'arme du crime : à cet homme en jupette, on avait fichu un grand coup de gourde sur la tête pour l'occire. Le vieil homme lui disait "Bien fait !" et lui faisait, narquois, un petit signe de la main. L'ange extraterrestre lui permettait de s'enfuir. 

Un autre dimanche, une autre histoire. L'homme était enlevé par l'ange. Elle l'avait drogué, c'est pourquoi il avait l'air tellement ahuri. Et l'homme à terre était un pauvre type passant par là par hasard, frappé du sort d'amnésie par la puissante magie de l'être céleste. 

Une autre fois, il imaginait une histoire digne d'un théâtre de boulevard : le mari, l'amant, la maîtresse, un coup sur la tête du mari, l'amant qui fait coucou ! Et l'ange, la femme, "Ô ! Ciel ! Mon mari"... Un peu tiré par les cheveux. On peut d'ailleurs changer la configuration : le jeune amant, à qui la dame a mis un sale coup sur la tête et le mari, que son épouse ramène au foyer, manu militari, qui fait signe à son mignon, comme pour lui dire merci pour les bons moments.

Les messes sont longues et l'imagination, fertile. 

Jamais alors, il aurait imaginé que Saint Pierre, emprisonné par Hérode, soupçonné d'être complice du séditieux Jésus de Nazareth, aurait passé la nuit enchaîné, lamentable, à prier Dieu, pour finalement être sauvé par un ange qui viendrait au matin le libérer pendant que le garde, avec son casque et sa jupette romaine, faisait un somme. 

Elle est belle pourtant cette histoire : pleine d'espoir. On peut avoir peur, si l'on a la foi, on peut quand même être sauvé.  Parce que c'est difficile de croire et d'aimer, parce que la vie est faite de circonstances et que les geôles d'Hérode n'étaient sûrement pas une partie de plaisir...

Cela fait écho, aussi, à l'autre rédemption de Pierre, quand il  aura renié Jésus trois fois avant que le coq ne chante : on peut être lâche, on peut mentir, on peut se tromper et être sauvé. Toute l'humanité est là.

Mais le grand tableau, à tout jamais, resterait mystérieux, pour lui. C'était une énigme. Cela avait sans doute un sens profond et intime. Il ne savait toujours pas lequel, même 40 ans plus tard. 



jeudi 3 juillet 2025

Cafard du soir, espoir


Juste un mot ou deux, trois fois rien. 

La fatigue et la chaleur anéantissent mes tentatives d'envisager les choses de manière positive. 

J'essaie de voir les choses en rose, promis. 

J'essaie de sentir l'air frais, de voir le soleil de juillet comme une bénédiction,  qui fait murir les abricots et qui annonce la douce torpeur des soirées d'été. 

J'essaie de me conduire en journal télé, j'essaie de préférer les sujets légers, les moyens de se rafraîchir, dans la forêt du Morvan ou dans les lacs du Jura, les tendances de l'été, les cocktails à la mode, l'insouciance et les suggestions de livres à lire à la plage. 

J'essaie de ne plus penser, de ne plus voir la canicule comme autre chose que comme une vague de chaleur annonçant les vacances.

                 Non, ce n'est pas le symptôme des décennies passées à consommer du pétrole. Non, ce n'est pas                     le symptôme d'une atmosphère pourrie par des années de destruction des forêts partout sur la                                 planète. 

Mais je n'y arrive pas. 

                    J'essaie de ne plus voir, aussi, que Gaza crève de faim sous les bombes, que des hommes                             croient ce que racontent les complotistes, les platistes, les masculinistes, les trumpistes. 

J'essaie de me raccrocher aux yeux des enfants. A mes élèves, à leur joie, hier soir au bal des promos des 3e, à leur immense amour de la vie, ce matin, quand ils se sont baignés dans la rivière, quand ils ont sillonnés les routes à vélo. J'essaie de me raccrocher à ce métier de prof, qui me permet de transmettre le savoir et la beauté du monde. 

                                            Mais comment croire encore, quand les repères s'effacent ?

Et est-ce que dans tout cela, j'ai un rôle à jouer ?