Je vois la France, durant mes périodes ouvrées, au travers des tours moyennement hautes d'une banlieue dite sensible. Plus précisément, au travers des enfants vivants dans ces tours. C'est le panel de population le plus large que je fréquente.
Je vois donc de la pauvreté sociale et culturelle. Je vois aussi des enfants entre deux cultures, ayant du mal à assumer et tout simplement à comprendre leur identité. Des enfants un peu perdus, reflétant un vrai malaise.
J'ai parfois le malheur de généraliser. Je dis, en rentrant du travail : "Quelle misère ! J'ai des enfants qui n'ont pas autre chose à se mettre qu'un pauvre jogging alors qu'il commence à faire franchement frais le matin ! Sans compter que les trois quarts sont partis de chez eux sans prendre de petit-déjeuner...Si tu voyais l'état de leurs dents...Et 75% d'entre eux sont issus de la très grande pauvreté...Où va-t-on ?"
Je ne dramatise pas. Il y a dans ce quartier où je travaille une vraie misère. Malgré cela, il y a des aides, il y a l'école, il y a des élèves qui reviennent me voir pour me dire qu'ils ont réussi (j'ai fait ma 11e rentrée cette année). Il y a des élèves qui bénéficient des bourses, qui progressent, qui trouvent leur voie. Il y a aussi des gens qui roulent avec des voitures que je ne pourrais pas me payer, des gens qui travaillent en Suisse et qui gagnent bien leur vie, qui font grandir leurs enfants dans un environnement stimulant intellectuellement, profitant des structures culturelles riches du quartier et des villes voisines.
Bref, on peut décrire cette situation longtemps. On peut parler de communautarisme, on peut parler de religion, on peut évoquer le chômage dans l'industrie, les aides de la CAF, celles versées par l'Etat aux entreprises du CAC 40 sans contreparties, on peut se demander si le voile est une mode, si le halal est une menace pour les boucheries traditionnelles...
J'aurais tendance à répondre, un peu étroite d'esprit : "Dans mon quartier...mes élèves..."
Pendant les vacances, cependant, je change de point de vue, je m'expatrie.
Décor champêtre : petit village de moyenne montagne. Taux de chômage inférieur au taux de retraités et petites écoles qui ferment ou qui se jumellent entre elles. Economie du luxe florissante : 3 étoiles au Michelin avec vue sur la belle vallée vallonée du Rhône qui ne désemplit pas, gîtes trois épis avec piscine qui voient défiler les Mercedes...Retraités heureux qui sont toujours entre deux voyages, entre deux repas, entre deux activités récréatives. Pas de grandes richesses, hein, entendons nous. Des petits retraités, classe moyenne, classiques. Mais entre le jardin, la maison construite et payée depuis longtemps, le confort sans les crédits, la vie est douce. Mais il y a aussi une autre misère : il y a ces anciennes camarades de classe qu'on croise à la caisse de la supérette, côté caissière, divorcées, trois enfants, du mal à remplir le frigo et puis les petits vieux, vêtements râpés, vélos hors d'âge, vivant dans des masures infâmes...
On pourrait faire une thèse de sociologie, se demander pourquoi la consommation de produits bio est plus forte ici qu'ailleurs, ainsi que le vote FN, on pourrait analyser l'impact sur la dette de la Sécurité Sociale des check-up réguliers chez les cardiologues, les rhumatologues, les cancérologues, de cette population vieillissante...
Je ne sais pas vraiment où mène ce texte.
Peut-être n'est-il que le reflet de mes réflexions suite à la lecture de ce petit coup de gueule de l'artiste Joan Sfar :
"Cette idée saute aux yeux en ce moment : tous nos politiques, quel que soit leur camp, ont intérêt au communautarisme. L'objectif, quand on est journaliste et qu'on veut ratisser large, quand on se présente à une élection, quand on veut gouverner, l'objectif est le même: on voudrait des citoyens assez prévisibles, avec des "représentants de communautés" plutôt dociles. S'ils sont intégristes, s'ils terrorisent leur famille et leur quartier, ça n'a aucune importance. L'objectif est simple, vendre ses articles au plus grand nombre, faire des voix, régner. ca me saute aux yeux ce matin à la vue de la vidéo où Plenel a du mal à comprendre que certaines françaises de religion musulmane refusent de considérer le voile comme un outil émancipatoire. Je ne veux pas parler à la place des gens mais ça me frappe comme une évidence: aucun citoyen n'a intéret à ce découpage en communautés "prévisibles". je n'ai pas envie qu'on me raconte une France où chaque citoyen de religion musulmane sera a priori considéré comme croyant, pas plus que je n'accepte l'idée qu'un français de religion juive devrait être forcément inconditionnel de la politique israélienne. J'ai passé dix ans à expliquer que les gens qui parlaient au nom des musulmans, au nom des juifs, au nom de tel ou tel groupe, ne faisaient que créer des clans et empoisonnaient notre pays. pendant longtemps je me suis dit "il faut trouver des gens moins cons que les représentants actuels". Je vrille, en ce moment, j'en viens à refuser l'idée même de cette représentation. Dans la France dont je rêve chaque citoyen ne doit demander qu'une chose: qu'on le traite comme les autres et SANS A PRIORI. Les conseils représentatifs des différentes religions ne devraient se préoccuper de RIEN D AUTRE que des temples, du culte, et de ce qu'on y raconte, c'est TOUT. Les politiques devraient s'interdire absolument de spéculer sur la pratique ou l'idéologie de tel ou tel groupe. Il n'y a pas de "grands électeurs" en France et c'est tant mieux. Les gens qui parlent "au nom des musulmans" ou "au nom des juifs" vont finir par mettre ce pays à feu et à sang. Je ne sais pas quoi faire pour qu'en fin on apprenne à dire "les gens" et c'est tout."
CC
7 commentaires:
A mon sens c'est Johan Sfar qui a raison.
Et les politiques devraient arrêter de dire "le peuple français" alors qu'ils ne parlent qu'au nom de leurs électeurs. Au mieux !
+1000 à ce billet ! ce monsieur Sfar a raison , n'oublions pas que la révolution française à dit aux Juifs précédemment martyrisés puis victimes d'ostracisme qu'ils étaient désormais des citoyens à part entière de la nation. Soit tout le contraire du communautarisme actuels. Et toi aussi tu as raison, a force de mettre des liens et des étiquettes à tout, on ne comprend plus rien.. et du coup on incite les gamins à le faire, et donc à faire n'importe quoi.
Billet approuvé !
Certes, mais c'est le jeu de la démocratie : une fois élus, ils représentent le peuple français. Mais ils devraient avoir l'humilité de se souvenir qu'ils sont au service de ce peuple et qu'ils lui doivent leur place.
Oui...On simplifie tout et on perd le sens des choses.
Commentaire approuvé ! :)
Excellentes analyses ! J'approuve les deux textes.les politiques de tous bords appliquent une politique "politicienne", accéder, se maintenir au pouvoir tels sont leurs priorités, peu importe si pour y arriver, on prend Paul pour taper sur Jacques, mais à quoi donc servent les étiquettes, les catégories, les cases : juifs, musulmans, chrétiens ou toutes autres obédiences ou pensées philosophiques, si ce n'est, qu'au gré du vent, à justifier ou dénigrer la ligne, ou le programme de ses adversaires Politiques. D'où la célèbre formule " diviser pour mieux régner" ! Nous sommes le Peuple Francais et formons un seul TOUT , (avis personnel).
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