Elle s’en va.
Elle quitte cette ville et ces lumières, ces trottoirs usés et ces passants indifférents.
Elle
a pourtant été de ceux-là, flânant devant les boutiques et participant à
l’expansion du domaine du grand capital. Elle a consommé plus que de
raison, tout ce qui est consommable, tout ce qui est jetable, tout ce
qui est à la mode un jour et qui ne l’est plus le lendemain. Mais
aujourd’hui, elle a fait le choix de ne prendre qu’une petite valise.
Elle a dû choisir et jeter. Elle a dû trier et prioriser.
Prioriser.
Ce mot moche était très utilisé dans la grande boîte qui l’employait.
C’était la classe : elle a bossé comme simple assistante dans une des
tours de la Défense, une des plus hautes, dans tous les sens du terme.
Elle a profité du standing que ça impose...
Pourtant, sans avoir gagné au loto, elle a été heureuse de dire au revoir, président.
Elle a tout quitté.
Elle ne sait pas vraiment où ses pas la mènent. Vers une gare, n’importe laquelle, vers un train, peu importe lequel.
Elle
montera dedans comme si elle montait enfin dans sa vie, après avoir
longtemps marché à côté. Elle a suivi les conventions et les
obligations, elle a servi de maître étalon : femme parfaite à tous
égard, au foyer comme au lit, au bureau comme en famille.
La dernière fois qu’elle a dit non, c’était au printemps dernier :
« - Un sucre dans ton café ?
Non.»
Régime.
La ligne à suivre. Mais elle tire un trait. Aujourd’hui, elle a décidé
de ne plus aller droit : sa ligne de conduite sera courbe. Une véritable
arabesque. Et elle s’y tiendra.
Gare de Lyon. Le sud lui tend donc les bras. La misère sera moins dure au soleil.
Car seule, femme, plus tout à fait jeune, presque sans qualification, c’est bien la misère qui l’attend.
Dans
un coin de sa tête, évidemment, il y a Disney et ses ravages qui lui
dictent des rêves prêts à porter : «Dans le train, il y aura un homme,
grand, brun et poivre et sel, une sorte de Clooney, au bar du TGV...Il
te proposera un café...Et quoi d’autre ? La grande aventure, tu vois, un
prince charmant...»
Ils sont tenaces, ces rêves de gosses.
Chewing-gum à la fraise de l’âme...Mais quand on se retrouve seule à cet
âge, ce sont de bons compagnons, ces putains de contes de fées...
«Un aller simple pour Montpellier, s’il vous plait. Côté fenêtre et dans le sens de la marche.»
Surtout ne pas regarder en arrière.
Le
guichetier s’en fout. Il essaie de lui vendre une place en première,
une carte privilège, une location de voiture et une chambre d’hôtel.
Mais la belle est rétive. Aller simple, en seconde. Voiture fumeur ?
Non, madame, ça n’existe plus. Tant pis.
Premier jour du reste de sa vie.
13 mars 2010.
CC
PS. : ceci était un tag très sympa de Gaël. Merci à lui !
1 commentaire:
très bonne idée de republier ce texte
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