XIV
Deux policiers sont venus le matin du 30 décembre pour nous avertir, Mlle Lekan et moi, que l’enterrement de M. Ninne aurait lieu le jour suivant à l’église du quartier.
Nous nous sommes concertées et nous avons choisi ensemble une plaque sur laquelle nous avons fait visser « A notre voisin, pensées ». Nous ne l’avons pas commandée sur Facebook, finalement, nous avons fait marcher le commerce local et réel, même si celui des pompes funèbres ne souffrait pas de la crise. Nous nous sommes rendues dans la grande église sombre et austère. Nous étions les seules à suivre l’office. Le prêtre a expédié les sacrements et les prières, il a bredouillé quelques mots banals sur le défunt qu’il n’avait jamais vu. La police n’avait rien dit quant au suicide : elle redoutait que l’église fasse des difficultés. Mensonge par omission. Et une occasion de plus pour constater que personne ne lisait plus le journal : même le curé !
Si nous avions su prier, nous aurions demandé pardon. Devant la petite concession qui contenait déjà le cercueil d’Augustine Ninne, nous nous sommes recueillies quelques minutes pendant que les fossoyeurs jetaient les premières pelletées de terre sur la boîte.
Je pensais alors que l’incinération était plus efficace et plus discrète. Le bruit de la terre et des cailloux résonnant sur le cercueil me fit froid dans le dos. Cela devait faire un vacarme à réveiller les morts.
Nous sommes allées boire un verre, avec Jennifer, dans le café le plus proche de l’église. Le Café de la Poste. Je n’ai pas eu le cœur à faire une plaisanterie sur le fait que tout cela s’était passé comme une lettre à la poste…C’était trop triste, ces funérailles sans ami, sans famille, sans âme. Je repensais à la cérémonie pour ma mère. J’avais fait bien piètre figure, moi aussi. Les croque-morts avaient raison : je culpabilisais maintenant de n’avoir rien fait de plus.
Jennifer m’a dit qu’il n’était pas trop tard pour faire quelque chose, pour écrire un texte, pour transformer tout cela. Je ne savais pas vraiment ce qu’elle voulait dire. J’ai dit oui, poliment. J’ai fait le lien avec mon eczéma : j’avais passé un cap. J’en souffrais depuis mon adolescence, depuis que j’avais lu la tristesse inscrite dans le regard de ma mère. Et à sa mort, voilà que j’en étais libéré.
« Psychosomatique », a glissé Jennifer.
Elle avait raison. Mais j’avais trop envie de lui raconter le début de mon aventure avec Suzy. Nous avons passé un moment au café, comme deux vieilles copines à nous raconter nos vies.
En cette période fin d’année, Jennifer était pleine de bonnes résolutions : elle préparait la nouvelle année, elle préparait son avenir. Elle avait abandonné l’idée de s’inscrire sur un site de rencontres. Elle cultivait un faible pour un collègue de maths (pas celui avec la petite mallette) : elle voulait compter sur son charme. Je ne pouvais que l’encourager !
Et nous sommes rentrées, bras dessus, bras dessous.
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