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lundi 11 mai 2020

Alors, ce jour d'après ?

Est-ce comme un jour d'avant ? Avant quoi ? Avant le gel hydroalcoolique, avant les masques, avant les fucking gestes barrières, avant le plexi dans les bureaux, avant la boulangère avec un casque de jardinage ? Non, ce n'est pas du tout comme le jour d'avant le COVID. Peut-être bien que nous ne retrouverons jamais le monde d'avant.

Je suis trop jeune pour mourir socialement. Je n'ai pas assez vécu pour me passer à jamais de contacts humains. Je veux encore tripoter de la chair tendre, je veux encore caresser de la peau douce, je veux encore frissonner en frôlant la main d'une inconnue dans un bus (je dis n'importe quoi, je ne prends jamais le bus), je veux encore me trémousser collés-serrés sur des pistes de danses bondées, je veux encore du contact, du câlin, du bisou baveux.

Je veux encore du vrai contact humain. Comment faire cours en audio, avec des élèves qui peinent à se connecter ? Comment savoir s'ils ont compris, sans voir leurs yeux ? Et même en visio : leurs yeux ne rencontrent pas les miens, les réactions sont désynchronisées, les gestes sont saccadés à cause de la wifi chancelante et les réactions des enfants sont incontrôlables. Une élève m'a dit tout à l'heure, "Oui madame, ça fait du bruit, vous êtes dans ma trousse." J'étais dans sa trousse, elle était dans mon salon. Je n'avais pas du tout envie qu'elle soit dans mon salon, je suis trop vieille pour que les élèves envahissent mon salon.

Je suis trop vieille pour ces contacts de robots déshumanisés, je suis trop vieille pour vivre dans un film de science-fiction.

Si l'on ne retrouve jamais le jour d'avant, il va pourtant falloir que ma mère se mette à WhatsApp et je ne la reverrai plus qu'ainsi, tout comme mon petit neveu, que je verrai faire ses premiers pas, sa première rentrée à l'école à la maison, son premier anniversaire avec des copains par écrans interposés.

Je suis trop jeune et trop vieille pour ce monde d'après le COVID, si c'est pour toujours. Alors il serait temps que le monde médical fasse preuve d'un peu de talent pour terrasser cette petite bête, qu'on puisse recommencer à se rouler des pelles et qu'on abandonne à tout jamais WhatsApp, Skype, Zoom, Teams, GoToMeeting, Meet.jit.si, Messenger et toutes ces autres saloperies dévoreuses de vie privée.

Il y a tout de même des choses qui sont redevenues comme avant : j'ai failli me faire écraser par des voitures à chaque passage piéton, les coiffeurs vont bien dormir ce soir et il pleut. Mais il pleut vraiment, pas seulement trois petites gouttes. Et c'est la seule vraie bonne nouvelle de la journée.


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