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samedi 31 octobre 2020

Tout ça finira par mal tourner


J’ai passé la journée la tête entre deux dossiers ouverts. Je me suis débattue entre deux sujets qui m’ont empoisonnée. Et comme je suis généreuse, je vous en fais bénéficier... 

Le collège, d’abord. 

L’inquiétude de mes collègues pour cette reprise anxiogène, les questions nombreuses tant sur la pandémie que sur le contexte sécuritaire. Minute de silence, texte de Jaurès à lire à des collégiens. Je n’y serai pas puisque je ne travaille pas le matin. Et peut-être bien que je ferai grève l’après-midi. Cette impréparation, ce mépris pour mon métier qui transpire de chaque décision, de chaque non-décision prise (ou pas) par mon ministre, c’est inadmissible. Un professeur a été tué le vendredi avant les vacances. On ne nous accorde même pas une heure pour nous retrouver entre professeurs pour préparer une rentrée commune, une attitude commune à tenir face aux classes. On voudrait attiser les feux des désaccords - pour le moindre mal - et des haines qui sont pourtant à l’origine de ce tragique attentat, on ne ferait pas mieux. L’unité de la République est une vraie question dont l’Etat a décidé de se dessaisir en n’étant pas clair sur la façon de parler de ce drame aux élèves. Car nous ne sommes pas tous d’accord et pas tous très au clair avec les notions de liberté d’expression, de laïcité, de terrorisme, même, au sein des milliers de salles des profs de notre pays. Il y règne en fait la même cacophonie que sur n’importe quel réseau social. Il y a des complotistes, des gens qui trouvent que les caricatures de Mahomet devraient être interdites. Il y a des racistes, des cons, presqu’autant qu’ailleurs. Il y a aussi des gens éclairés, intelligents, raisonnables, mais qui ne se sentent pas capables de trouver les mots pour parler de ces sujets-là à des collégiens. Et on les comprend. Entre gens éclairés, éduqués, cultivés, il n’y a pas de débat sur cette caricature du prophète de la religion musulmane représenté nu, à quatre pattes avec une étoile plantée sur son séant. On peut la trouver graveleuse, on peut en débattre ouvertement, on peut parler d'agnosticisme, on peut, philosophe, sortir la phrase qui fait mouche dans les dîners en ville “Être athée, mon vieux, c’est être croyant, mais oui, mon bon ! Et comment ! C’est CROIRE que Dieu n’existe pas !”, on peut évoquer les débats sanglants entre les catho et les laïcards en 1905, on peut glousser entre sachants, évoquer le caractère, tout de même un peu homophobe du dessin, c’est un comble, on peut faire tout cela, en restant poli, parce qu’on la culture et les mots, qu’on est adultes. Mais nous devrons en parler à des enfants. On peut choisir d’éviter le sujet. On peut montrer la couverture de Charlie “C’est dur d’être aimé par des cons”. Parce qu’elle est compréhensible par tous, parce qu’elle n’est pas aussi vulgaire, parce qu’elle sous-entend qu’un dieu existe et qu’il est doux. Mais on évite le sujet : les enfants ne sont pas dupes. Ils comprennent que ce n’est pas pour cette caricature que quelqu’un peut décapiter un homme. Les enfants ne sont pas idiots. Si l’on veut vraiment aborder le sujet, on ne peut guère s’éviter les caricatures vraiment trashes de Charlie Hebdo. Mais là, forcément, il faut assumer d’être Charlie, et il faut être drôlement aguerri pédagogiquement. Et franchement, je ne suis pas sûre de l’être. Ni même d’être suffisamment considérée et payée pour risquer ma tête. Déjà que je prends des pincettes incroyables pour éviter les nus dans les tableaux classiques que j’étudie en classe, qu’il me faut beaucoup de tact et de circonvolutions pour évoquer les amours d’Achille et Patrocle, comme il me faut, de manière générale être très prudente et précise dans les termes utilisés pour présenter les textes fondateurs : la Torah, la Bible et le Coran, notamment, dans l’ordre chronologique, avec un scrupuleux respect de l’égalité de traitement. 

La crise sanitaire, ensuite. 

Le confinement va mal se passer, cette fois-ci. La première fois, la relative docilité des gens était une sorte de miracle. Mais si l’on peut confiner une fois mille personnes, on ne peut pas confiner deux fois mille personnes. Enfin, vous m’avez comprise. L’inquiétude, la peur n’est pas la même pour tous : certains sont réellement pris par la terreur du virus. Ceux qui ont eu des deuils, ceux qui sont fragiles ou qui ont autour d’eux des gens qui le sont, ceux qui ont réellement conscience des limites de notre système de santé, ceux qui savent qu’entre eux et un plus jeune, on fera un choix, dans la salle des urgences, quand les salles de réa arriveront à saturation. Ceux qui aiment la vie et qui veulent vivre encore. D’autres en ont tout simplement marre. Le masque, les restrictions, les absurdités des mesures prises, les petits commerces qui ont fait tant d’efforts pour des mesures sanitaires dignes d’un bloc opératoire, les plexiglass achetés au prix de l’or massif au moment de la pénurie mondiale de plexiglass, pour les restaurants, les masques qui avaient vu leur prix multiplié par dix au sortir du confinement, pour les coiffeurs, les fleuristes, les libraires, les jauges réduites, les vêtements mis en quarantaine, le gel poisseux qu’on se passe sur les mains à longueur de temps depuis des mois, tous ces efforts réduits à néant, puisqu’il faut à nouveau fermer, alors que tous les autres travaillent, puisque les écoles sont ouvertes, puisque les hypermarchés sont ouverts, puisqu’on peut se rassembler pour faire tourner l’économie qui a des actions dans les bourses internationales alors qu’on ne peut pas faire tourner les petites boutiques de quartier. On ne peut pas comprendre qu’on fait prendre des risques à des ouvriers pour produire dans des usines, si c’est pour fermer la boutique qui aurait pu vendre le produit en bout de chaîne. On ne peut pas comprendre qu’on mette trente élèves dans des salles de classes aux fenêtres oscillo-battantes, des salles mal aérées, avec des enfants qui ne supportent pas le masque, qui glisse sous le menton, et qui se font des câlins aux récrés parce que ce sont des ados et que les ados se font des câlins entre eux, puis ensuite rentrent en faire à leurs papys mamys en prenant le goûter. On ne peut pas comprendre ce deux poids deux mesures. Et on ne peut pas accepter ce qu’on ne comprend pas. Ce confinement va mal se passer et tout ça finira par tourner vinaigre. 

Mais on garde le moral, hein ! Et...je n'ai pas de fièvre.

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