La femme au voile ensanglanté…Les pompiers sont venus. Ils ont désinfecté, pansé la plaie. Ils ont examiné le bébé qui n’avait rien d’autre que la peur et des sanglots déchirants. Et ils ont déclaré la mère apte à se remettre debout. Ils sont repartis. Pas la peine qu’elle aille moisir pendant des heures dans la salle d’attente puante des urgences bondées. Alors comme j’étais là, je l’ai prise sous mon aile. Elle ne voulait pas rentrer chez elle comme ça. La peur et la honte se mêlaient. Elle m’a raconté son histoire qui était l’histoire de toute l’humanité : la faim, le fusil, la famille qu’il faut protéger et la fuite, inévitable, pour la survie, pour l’espoir d’une vie meilleure. Laissez derrière soi les repères, les racines, tout ce qui faisait l’identité, pour repartir à zéro dans un pays où, quoi que l’on fasse, qui que l’on soit, on sera toujours vue comme une étrangère, une moins que rien.
Elle avait trois enfants, qu’elle bataillait à élever, avec un père qui s’engageait à la journée, tôt le matin, sur les parkings des zones commerciales, à l’arrière des camionnettes pourries des artisans qui faisaient du black. Il fallait qu’il sache tout faire : électricité, c’est OK, maçonnerie, oui, bien sûr, peinture, plâtre, marteau piqueur…Les mains aux engelures, le dos cassé…Et payé, souvent d’un pauvre billet de 20, sans avoir rien d’autre à dire que merci et à demain, peut-être.
Les gamins étaient nés dans la guerre, ils avaient été trimbalés, tout bébés, à travers un monde hostile, ils avaient grandi là, avec les traumatismes tus, avec le racisme ordinaire, avec l’éducation nationale impuissante. Leur mère me le dit simplement : « Les deux grands, ils n’ont pas 15 ans, mais ils ont déjà la haine. Et lui, le trésor de ma vie…Quel monde aura-t-il ? » Rien n’était fait pour eux ici. Tout concordait à leur frustration : la xénophobie, le rejet, la pauvreté, la société de consommation, la société de l’insatisfaction permanente, ce qu’on voudrait être, ce qu’on ne peut pas être…
Moi, je savais tout ça. J’avais été bénévole dans une association d’aide aux devoirs, avant que les subventions s’arrêtent et que la mairie ne vende nos locaux à un fast-food. C’était le parcours du migrant classique. Et aujourd’hui, la violence explosait, légitimée par les politiques et les médias.
Elle m’avait raconté son histoire lentement.
Pendant ce temps, le pansement sur son front avait rougi à nouveau et le sang coulait dans ses yeux. Elle avait besoin de points de suture. J’ai appelé une voisine de palier, infirmière. J’ai eu de la chance. Nous avons eu de la chance. Nous n’avons compté que sur nous-même.

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