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vendredi 27 mars 2020

Journal de guerre contre un virus #10

Je n’ai pas de fièvre.

La nuit fut courte. La tête un peu lourde au réveil, trop tôt, j’avais eu du mal à m’endormir, après quelques crises d’angoisse, le sentiment de ne pas pouvoir respirer. Des crises d’angoisse que je connais, qui me permettent d’expulser quelque chose, sans doute. Qui angoissent plus Amandine que moi-même. La pauvre.

Elle travaille à distance, dans la pièce d’à côté. Des conférences téléphoniques à n’en plus finir. 

Moi, je squatte le salon. Je suis vautrée sur le canapé.

Cela se passe bien, entre nous. Je fais des petits plats, puisque on ne peut pas aller au restaurant, ce qui est d’ordinaire notre passe-temps préféré. Hier magret de canard sauce marchand de vin, accompagné de pâtes fraîches, aujourd’hui risotto façon blanquette de veau, avant-hier soir, steak du boucher, frites paysannes au four, maison...Et tout cela sans dépasser les 3000 pas par jour...Mais en faisant beaucoup fonctionner nos cerveaux, ce qui est extrêmement calorifique.

Cet après-midi, j’ai préparé un peu mon conseil de classe (virtuel) et j’ai tenté d’appeler les parents des élèves que je n’arrive pas à capter autrement. Quand on appelle sur un numéro de fixe en période de confinement, on devrait pouvoir tomber sur quelqu’un. Eh bien non, pas toujours. Peut-être que le téléphone est débranché. Peut-être qu’à 6 dans un T3, on coupe les sonneries. Peut-être qu’on ne les entend pas. Peut-être qu’on s’est entretué depuis longtemps et que personne n’est plus là pour répondre. On ne sait pas ce qui se passe chez les gens. En huis-clos. C’est assez flippant. Les femmes battues, les enfants violentés enfermés avec leur bourreau...Dans quel état retrouvera-t-on la société après cette période qui vient d’être prolongée. Jusqu’au 15 avril, donc. Pour l’instant. Parce que les nouvelles qui nous viennent du monde ne sont pas bonnes. Deuxième vague en Chine, des dizaines de milliers de morts partout dans le monde.

Comment essayer de relativiser, de positiver, d’éloigner le mauvais karma ?

En nous disant que seulement un petit pourcentage y passe, que la plupart de ceux qui l’attrapent passent un sale quart d’heure mais s'en tirent sans dommage ? Que le printemps est radieux, que les fleurs sont belles et qu’advienne que pourra ? Comment gérer la peur ?

Nous allons la vivre collectivement et nous allons la vivre de manière solidaire.

Aujourd’hui, dans ma ville, on a porté des paniers de courses aux bénéficiaires du Restos du Coeur, on a fait la liste de tout ce que font les structures d’éducation populaire pour aider les habitants : pour le soutien scolaire, pour le soutien psychologique, pour éditer des attestations, pour expliquer, pour accompagner. On a été remerciés chaleureusement, aussi, par la maison de retraite, pour les masques, pour les blouses, pour les gels hydro alcoolique qu’on se bat pour trouver depuis le début de la crise. 

On se serre les coudes, on prend des nouvelles, on fait signe aux voisins, de loin. On reste des êtres humains et on n’oubliera pas cela après. On se serrera dans nos bras, on fera la fête, on boira des coups - et on fera du sport pour perdre nos kilos.

On essaie de s’en convaincre, parce que l’avenir est incertain.

Mais comme l’écrivait Victor Hugo :

“L’écume est furieuse et n’est pas éternelle ; 
Le plus fauve aquilon demande à ployer l’aile ; 
Toute nuit mène à l’aube, et le soleil est sûr ; 
Tout orage finit par ce pardon, l’azur.”

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