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samedi 21 mars 2020

Journal de guerre contre un virus #4

Photo de la très belle photo de Franck Lestuaire.
Je n’ai pas de fièvre.

J’ai pris beaucoup de risques depuis le début de l’épidémie. Sans le savoir ou plutôt sans en avoir la conscience tout à fait claire. Après les vacances d’hiver, j’ai repris le chemin du collège sans vraiment comprendre ce qui se passait. Une de mes élèves de 6e, avant ces vacances avait déjà mis un masque pour venir en classe. Je m’en souviens, maintenant, j’avais trouvé cela un peu excessif, amusant, une provocation d’ado, une solidarité avec la Chine. Elle était dans le vrai. En attendant, je suis restée enfermée avec 700 élèves dans un établissement scolaire où il n’y avait même pas une pompe de gel hydroalcoolique. Nous avons eu un rapide point “gestes barrières” avec la CPE, un matin. Nous leur avons dit de ne plus cracher partout. Ils adorent cracher, les collégiens. Peut-être pour faire comme les joueurs de foot, je ne sais pas. Ils ont continué de cracher.

J’ai fait la campagne électorale, aussi. J’ai fait la bise à un nombre incalculable de papis et de mamies. J’adore faire la bise à des papis et des mamies.

Quand je fais le lien entre les crachats de mes élèves et les bises aux papis et mamies, je me dis que je suis une serial killer en puissance.

Les élections ont été maintenues. Une ministre de la santé candidate à la mairie de Paris a dit depuis qu’elle était au courant de la gravité du virus, des risques de pandémie et de la tragédie sanitaire qui nous pendait au nez. Le président a voulu les annuler, à deux jours du scrutin. C’était trop tard. Mais 15 jours ou trois semaines avant, tout le monde aurait compris et accepté.

Le dimanche matin, en ouvrant mon bureau de vote, malgré les règles d’hygiène, j’avais clairement l’impression d’être une criminelle suicidaire.

Si j’échappe à cette maladie, ce sera un miracle. Mais pour l’instant, je n’ai pas de fièvre.

Vous avez entendu l’histoire de cette commerçante qui revendait sous son comptoir des masques chirurgicaux tombés du camion à 10€ pièce ? Aujourd’hui, un camion de masques qui livrait les pharmacies du coin s’est fait braquer. En 1940, on revendait du jambon sous le manteau. Les temps changent, mais les êtres humains restent les mêmes. Je fais de la veille pour la page Facebook de la ville et depuis le début du confinement, c’est devenu la page défouloir pour les délateurs en puissance que nous sommes sans doute un peu tous : “C’est normal, tous ces gens qui se baladent sous mes fenêtres alors que je dois supporter mes enfants dans mon T3 ?”. C’est un message qui est revenu dix fois par jour, quand il faisait beau. “Je suis sorti et j’ai trouvé qu’il y avait quand même beaucoup de monde dehors”, c’est aussi un leitmotiv. Accompagné par “que fait la police ?” et par “ce sont toujours les mêmes !”, réflexions mâtinées d’un petit racisme latent.

Marché noir et délation, c’est reparti comme en 40. Il faudrait que nous dépassions nos peurs.

Mais passons aux ondes positives. Il va falloir tenir. On ne va pas se lamenter pendant tout ce temps. 

Alors merci ! Merci pour tous les gentils messages que vous avez déposés sur Facebook à la suite de la publication de mon dernier texte. Même si je suis toujours un peu effrayée par ce qu’on lit de moi à travers mes textes, ces commentaires me touchent. Il y a les inquiets, il y a les concernés et les émus. Vous êtes tous bienveillants. Je vais bien, c’est un préalable. Sur mon blog, j’ai l’habitude, depuis très longtemps de sortir de moi les sentiments négatifs pour aller mieux. C’est un mode de fonctionnement. Je vais bien, donc. L’écriture est juste le moyen de mettre à distance ce qui pollue parfois mes pensées. De les regarder de loin, de les disséquer, avant de ne plus y penser et d’avancer. “Le pessimisme de la connaissance n’empêche pas l’optimisme de la volonté”, comme l’écrivait Gramsci.

Ensuite, à travers tous vos messages, il y a l’espoir. L’espoir que tout ira bien. L’espoir qu’après cette épreuve, on tirera des leçons, qu’on sera plus intelligent, collectivement. Qu’on saura garder cette gentillesse, cette bienveillance, cette solidarité que nous développons naturellement en temps de crise. Même Macron remonte dans les sondages : on se met à aimer notre prochain, c’est fou ! C’était improbable, il y a quelques semaines encore.

On se remet à croire en l’humanité. On n’a pas tellement le choix. On remercie le personnel soignant, on glorifie les caissiers, les boulangers...Tous ceux qui permettent à la société de continuer. On est tout de même encore Français, alors râle, aussi. On refait le match : la crise a été mal gérée. Relire le début de mon billet. Mais après tout, ce qui est fait est fait. Les échecs n’en sont pas s’ils nous permettent d’apprendre. Ça, c’est une maxime de prof de REP+.

Alors si cette crise nous permettait de changer de paradigme, de redevenir un peu plus sage, de relocaliser les productions, de croire en son voisin, de retrouver le goût de l’amour et de la fraternité, quand les loups seront sortis de nos vies, alors nous aurions tous gagné.

Ce soir, j’ai un peu mal à la gorge, mais je crois que c’est parce que j’ai trop chanté...

3 commentaires:

MHF a dit…

Merci pour ces mots réconfortants....

Unknown a dit…

Toujours très heureuse de lire ton billet qui me procure interrogation et stupéfaction, et donne à réfléchir sur le futur. Merci Céline

Cycee a dit…

@MHF : merci de ta fidélité ! Il nous en faut du réconfort, en ce moment !

@Unknow, je ne sais pas qui tu es, mais je veux le savoir ! Et merci pour ce commentaire !

Bisous !