Je ne peux pas faire autrement : je suis percutée de plein fouet par cette actualité terrible. Un gamin de 3e a poignardé une assistante d'éducation à l'entrée de son collège. Je travaille dans un collège, j'ai des troisièmes et j'ai plein de collègues assistants d'éducation.
J'ouvre le journal, dont la une est sur ce meurtre affreux. Dans les pages régionales, les enseignants d'un collège similaire au mien exercent leur droit de retrait suite à des menaces, des tirs de mortiers et l'intrusion d'armes blanches dans leur établissement.
Quelques pages plus loin, dans un lycée, un élève est arrêté, suite à des menaces de mort.
Ce matin, j'avais des élèves de 6e qui n'ont pas l'air de savoir vraiment ce que c'est que la politesse, la bienséance et le respect. Ni entre eux, ni avec les adultes. Des sales mioches comme il y en a toujours eu.
Je ne compare pas vraiment. Mais l'actualité percute forcément mon expérience.
Ce matin, j'ai eu mes troisièmes. Des grands dadais mollassons. Pas méchants pour un sou. Mais Quentin, (c'est le prénom du tueur de Nogent), avait 14 ans, était un peu turbulent en classe et en même temps, "ambassadeur anti-harcèlement". Le comble, non ? Il était donc formé sur le harcèlement scolaire, pour prévenir les violences scolaires. J'imagine que ses profs devaient se dire aussi qu'il n'était pas méchant pour un sou.
Je ne suis pas sûre qu'il faille, avec les chaînes de télé d'info en continu et avec tous les politiques opportunistes qui se succèdent sur leurs plateaux, en faire un cas d'école. Je ne suis pas sûre qu'il faille en faire un phénomène de société. Je ne suis pas sûre, malgré la multiplication des faits divers, malgré tout ce qu'on peut raconter sur le drames des mères seules (Quentin vit avec ses parents qui travaillent tous les deux), malgré la fascination pour les écrans qui prennent de plus en plus de place dans les vies de tous.
Tout le monde, même mes 6e malpolis, est d'accord pour dire que ce qui s'est passé hier est une abomination et que cela n'a rien de banal, de normal.
Alors quand j'entends des politiques parler d'ensauvagement et glisser sans aucune honnêteté intellectuelle vers des généralisations stupides, je ne peux m'empêcher de penser qu'il s'agit là d'irresponsabilité. D'inconséquence.
Les ados sont des ados. Des petits hommes pas encore finis. On a beau dire tout ce qu'on veut sur l'époque, les ados sont et ont toujours été influençables, manipulables, fragiles. Potentiellement.
Si on oublie cela quand on est éducateur, on passe à côté de notre mission.
Si les politiques oublient cela, alors ils font du populisme. Ils se servent d'un fait divers pour faire monter la peur : la jeunesse est folle, les réseaux sociaux sont des lieux de perversion, il faut interdire la vente des couteaux en supermarché, obliger à mettre un cadenas sur le tiroir des couverts dans toutes les cuisines de France et...évidemment, c'est de la faute l'immigration. Et pour unique solution : la répression, la sévérité, ficher les délinquants dès la maternelle, mettre en prison les gamins de 14 ans, des peines incompressibles pour leur apprendre la vie en les en privant.
Et si on essayait plutôt l'éducation ? Est-ce que les écoles coûtent plus cher que des prisons ? Est-ce que payer plus les surveillants des collèges coûtent plus cher que de payer des surveillants pénitentiaires ? Est-ce qu'une police de proximité coûte plus cher que la BAC ?
Bref, aujourd'hui, j'ai navigué entre plusieurs sentiments : j'ai observé mes 6e et mes 3e un peu différemment. Est-ce qu'ils pourraient, eux aussi, après un moment de colère, passer à l'acte sauvagement ? Ou est-ce qu'ils sont capables, comme n'importe qui, d'empathie, d'humanité ? J'ai eu encore plus envie de leur apprendre des choses, mais j'ai mesuré que parfois, mes quelques heures par semaine de cours (et celles de mes collègues) pesaient peu par rapport au temps passé en famille et tous leurs moments seuls, avec leurs amis ou face à des écrans. Beaucoup d'enfants sont équilibrés et bien éduqués dans leur famille et cela dans tous les milieux sociaux. Mais la violence est une constante de l'humanité : comment s'exprime t-elle ?
Je n'ai pas de réponse. Mais pitié, n'instrumentalisons pas un drame affreux.
Et toutes mes pensées aux proches, à la famille, au collègues, à tous les élèves qui aimaient sans doute beaucoup la jeune femme qui est morte hier.