Réunion à minuit sur la place du marché : permettre à 500 personnes de s'exprimer et de s'entendre, de manière totalement improvisée, ce n'est pas une mince affaire.
Ceux qui veulent parler montent à tour de rôle sur une grosse poubelle qu'on a placé au centre d'un cercle compact d'habitants en colère.
J'ai commencé en expliquant que pour les propriétaires comme pour les locataires, tout cela était inadmissible. Qu'il était hors de question de partir et que nous allions résister. Pour cela, il faudrait nous organiser et réfléchir à des idées pour retarder l'échéance, tout d'abord. Pour faire valoir nos droits, il faudrait faire preuve de persévérance : la bataille contre une multinationale de cet acabit ne serait pas une partie de plaisir.
Les idées fusèrent : déjà, il fallait couper internet...La fibre, les antennes relais...Débat : si les réseaux ne marchaient plus, nous non plus nous ne pourrions pas communiquer...Or, il fallait bien qu'on avertisse les médias, qu'on fasse du bruit...Surtout si on voulait que les 11 autres villes appartenant à You-TOP-iA nous rejoignent...Débat vite clos : on savait communiquer avant internet. On reprendrait les vieilles méthodes : presse écrite, réseaux téléphonique filaire, manifs...
Ensuite, il fallait aller demander des comptes aux élus qui avaient accepté que la ville soit vendue.
Et puis, il fallait convaincre encore plus de monde. Il fallait organiser des sit-in, des manifs, des piquets de grève, partout dans la ville, il fallait convaincre, expliquer, faire valoir notre cause. Des tracts, des banderoles. Tous ensemble. Avec nos moyens : on a encore accès à nos logements, avec nos imprimantes, nos stylos, notre papier, de vieux draps, on va vite fabriquer tout ça. On a avec nous le collectif des retraités de la CGT, ils sont maîtres en la matière. D'ailleurs, au milieu de la réunion, ils débarquèrent avec une sono. C'était déjà mieux.
On eut aussi la troupe du théâtre de l'Unité. Ils étaient très forts pour les improvisations, pour les interventions dans les lieux publics, pour les coups d'éclat choc ! Jacques Livchine avait son petit livre rouge, qu'il brandissait comme un bréviaire.
Ce qui nous inquiétait, c'est qu'on avait une armée de drones qui nous tournaient autour. C'est sûr que nos idées ne resteraient pas confidentielles longtemps.
Pour contrer ça, on finit la réunion très vite en braillant "Ah ça ira, ça ira, ça ira, l'iA on n'en veut pas !" avec pour cheffe de chœur, Hérvée de Lafond. On a cassé les oreilles aux drones...
On s'est éparpillés, plein d'espoir, gonflé à bloc pour faire la peau au système.
Un petit comité qui avait quelques connaissances des points d'accès de la fibre s'est tout de suite chargé d'aller déconnecter tout.
Dans la foulée, les armoires à fibre furent ouvertes, les fils arrachés. Les antennes, dans les clochers et sur les châteaux d'eau, détruites.
Dans le silence de la nuit, on a entendu les hurlements des plus accros à l'iA hurler, comme des loups blessés, parce qu'ils avaient perdu leur hologramme préféré, parce qu'ils se retrouvaient désespérément seuls. Avec la sono de la CGT, on est passé dans les rues en incitant les gens à nous rejoindre.
Dans un premier temps, les autorités, étrangement, furent prises de court. La police municipale, évidemment, à cette heure-là, n'était pas opérationnelle. Mais surtout, les responsables de You-TOP-iA avaient misé sur l'addiction provoquée par leur joujou pour contrôler les gens. Et ils n'avaient pas du tout prévu de système de sécurité.
Cependant, nous savions bien que cela ne durerait pas.
1 commentaire:
C’est marrant - je voulais justement te demander ce que faisais Martial 🤣
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