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samedi 16 août 2025

Épisode 16 : Étrangeté urbaine

 


Nous n'avions pas pu rencontrer Madame le maire. Nous apprîmes plus tard qu'elle avait eu un voyage aux Bahamas payé par You-TOP-iA pour le lancement de l'application. Il ne valait mieux pas qu'elle revienne. 

En sortant de la mairie vers 10h du matin, sans aucune garantie de rien, il nous restait 14h. La ville était toujours plongée dans le noir numérique. Le temps que les autorités compétentes s'en aperçoivent puis que des techniciens soient appelés à la rescousse, nous gagnions peut-être quelques heures supplémentaires. 

Quelqu'un fit alors une réflexion juste : si internet était déconnecté, la chape électrique qui empêchait de sortir de la ville était inactive. Nous pouvions nous échapper. C'était un message à faire passer au plus grand nombre.

Avec la voiture équipée d'un haut-parleur que la CGT possédait, nous fîmes le tour de la ville et nous en profitâmes pour faire passer d'autres messages : "Vous pouvez sortir d'Audincourt. Vous pouvez aussi nous rejoindre pour vous opposer à ce rachat de la ville qui bouleverse nos vies. Vous pouvez rejoindre le mouvement pour retrouver vos vies ! Les abonnements sont des rackets ! Avez-vous vraiment besoin de l'iA ?..." 

Nous avons rallié à notre cause quelques indécis que la chute des réseaux et la disparition de leur compagnon virtuel avait rendu sceptiques. Certains nous ont raconté s'être réveillé avec le sentiment d'avoir traversé une sorte d'aliénation, de coma étrange de 2 semaines. Comment avaient-ils pu se laisser endormir par ce gadget ?

Au cours de la matinée, la petite place du centre-ville s'est remplie. Les tracts et les banderoles confectionnées pendant la nuit, les slogans inventés que l'on chantait à tue-tête, les discussions qui s'amorçaient, entre les amis, les voisins, la famille, tout cela avait un caractère joyeux et vivant. 

Je me souvins soudain du jour funeste où la place s'était noircie d'une foule silencieuse et immobiles et cela m'apparut comme un vilain cauchemar, glaçant. Nous ne pouvions pas confier nos vies à des machines. Nous avions le devoir de lutter et de trouver une solution. 

Nous étions stupéfaits que les forces de l'ordre n'interviennent pas. Et puis nous avons réalisé que nous étions désormais dans un espace strictement privé, ce qui compliquait l'intervention des pouvoirs publics. Cela, pour l'instant, nous arrangeait.  

Vers 12h, nous eûmes la surprise de voir débarquer Mark Zuckermusk en hélicoptère. II se posa sur la place du Temple. Ce n'était pas son avatar, son hologramme. Il était là en personne. Il parlait américain et était accompagné par un interprète. Rien à voir avec son double virtuel. 

Il avait une liste précise des gens avec qui il voulait discuter. L'iA avait plutôt bien fait le travail : c'était les meneurs. En se posant avec l'hélico, il se rendit compte de l'étendue de la protestation. 

Il avait l'air déconcerté, pris d'une légère panique. Surtout que la presse était arrivée et que les gros camions bardés de satellites des rédactions de toutes les chaînes d'infos du pays cernaient la place. On a vite compris qu'on pouvait tout obtenir de la part du grand patron : il était multimilliardaire et tout puissant. Il pouvait effectivement offrir à chacun d'entre nous autant d'argent qu'il fallait pour changer nos vies à jamais. Mais, constitués en collectif, nous étions tenus par une solidarité qui nous rendit incorruptibles. Nous avions le devoir de ne pas céder et d'exiger la fin de sans condition du programme You-TOP-iA pour notre ville. 

Entre temps, on avait creusé le sujet, juridiquement : le droit de propriété, la légitimité du conseil municipal pour vendre une ville entière, espace public et privé compris, les failles du contrat, cela avait été examiné. C'était un cas en dehors de toute jurisprudence, puisque c'était une première. Mais les avocats que nous avions contactés, étaient formels : il existait des failles. 

Sous le poids de nos arguments, on sentait bien que le grand patron, après l'échec de ses voitures électriques et les premiers morts dans ses expéditions vers Mars, ne voulait pas d'un autre scandale. 

Il fit mine de passer des coups de fils important, il tourna en rond devant son hélico. Il nous sembla si seul au monde. 

Il revint au bout d'un petit quart d'heure en nous expliquant que les nouveaux venus étaient nombreux, que son programme était attractif, que la ville n'en connaîtrait que les avantages. Mais déjà dans son regard, on lisait la capitulation. Les télés du monde entier avaient les caméras braquées sur lui. On savait qu'on avait réussi notre coup. 

Hervée de Lafond l'interpela : "Alors, mon p'tit, on a des doutes ? Tu sais, dans la vie, il y a des réussites et des échecs ! Tu es jeune, tu t'en remettras ! Mais pour ton prochain projet, mise sur l'humanité, permets aux gens de réussir leur vie, plutôt que d'essayer de leur vendre des choses inutiles et de l'asservissement, de l'avilissement, de la bêtise ! Tu verras, ton karma s'en portera bien mieux !"

Et voilà comment tout redevint enfin paisible dans notre jolie cité. L'hélicoptère s'envola définitivement et nous n'entendîmes plus jamais parler de ce projet sinistre. 

Madame le Maire ne revint plus jamais des Bahamas et après la démission de beaucoup d'adjoints, honteux d'avoir vendu leur propre ville, de nouvelles élections furent organisées et l'ancien maire fit un retour triomphant et ravi de pouvoir faire revivre sa ville, de lui rendre ses belles valeurs de solidarité, de paix et de culture.  

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ouf /bon retour Martial

Cycee a dit…

Dis moi qui tu es, commentateur-trice anonyme ! 😉

Anonyme a dit…

Demande à l'IA 😉🤣
Tu m'as tenue en haleine jusqu'au bout. merci Céline
Natacha

Cycee a dit…

Tant mieux ! Merci pour tes commentaires ! Bisous