Pages

vendredi 5 décembre 2025

Il n'y a rien - Épisode 16


 Dehors, il fait beau. Une lumière inonde un espace superbe, qui ressemble à un musée. Même dans mon rêve, je me dis que je ne sais pas où je suis. Ce souvenir est ancien et sans doute encore plus fugace que les précédents. C’est bien un musée. Et au mur, ce sont des photos. Des photos de ciels, de nuages, de soleil, de clartés et d’ombres. Ce sont mes photos. Du temps où j’aurais pu avoir une carrière de photographe. Une histoire de hasard et de circonstances. On m’avait dit, tu fais de belles photos. J’avais persisté un peu, ouvert un compte Instagram. En quelques mois, j’avais des milliers d’abonnés, j’étais repérée par quelques grands noms, je m’amusais beaucoup. Tout était possible, à l’époque. On m’a publié dans quelques revues, on m’a filé des cartes de visites, j’ai rencontré du beau monde, invitée à Paris à des vernissages. Et puis j’ai fait cette expo dans un musée d’art moderne, à Nice. Grande fierté de mes parents, articles de presse soigneusement découpés, affiche glissée dans une pochette plastique pour la conserver pour l’éternité. J’avais une carrière d’artiste qui commençait. Et puis…le vernissage. Un verre de champagne à la main, mais sans doute deux ou trois autres dans le sang, je n’ai pas prononcé du tout ce que j’avais prévu. J’ai dévié, j’ai glissé. Je ne m’en souviens même pas. Grand trou noir. J’avais 25 ans, j’étais révoltée autant que j’étais confuse. Je me souviens du grand silence qui a précédé les applaudissements gênés. Je ne me souviens de rien d’autres. Le trauma. Et je n’ai plus jamais refait de photographie. 

 Encore un souvenir d’avant. 

 Je me suis réveillée en sursaut, comme si les applaudissements avaient résonné en moi, à nouveau. Avec le recul, aujourd’hui, je me dis que je me suis peut-être trompée, que les applaudissements étaient peut-être véritablement admiratifs. A 25 ans, je n’avais pas du tout les codes de ce monde, je n’avais pas non plus la conscience claire pour interpréter les signaux envoyés par les autres êtres humains. Pareil, lorsque j’avais commencé ma thèse, à l’université. J’avais fait une présentation, lors d’un séminaire, devant un parterre de vieux professeurs émérites et d’étudiants endormis. J’avais sans doute parlé trop vite, j’avais voulu trop en dire sur mon sujet, sur les résonnances Flaubertiennes dans la littérature de Machado de Assis. Là aussi, j’avais eu l’impression que j’étais confuse et peu intéressante. Et toujours, à la fin de ma prestation, à laquelle moi-même, je n’avais rien compris, alors que je l’avais écrite, j’avais eu ce silence avant les applaudissements timides. J’étais rouge de honte, mais j’avais eu quelques questions de l’assistance, quelques félicitations et ma conviction s’était faite que j’avais été mauvaise, malgré les chuchotements admiratifs que je n’avais pas voulu entendre. J’ai toujours eu en moi cet étrange sentiment d’être la victime d’une gentillesse pleine de pitié pour l’être insuffisant que j’étais. 

 Je me suis rendormie.

Aucun commentaire: