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lundi 8 décembre 2025

Il n'y a rien - Épisode 19


 Un train. 

 C’était l’époque intermédiaire  : on avait tenté quelque chose. Les voitures avaient été interdites. Évidemment, cela n’avait pas été simple : l’industrie, les emplois, les défenseurs de la liberté à tout prix, les lobbys du pétrole, les climatosceptiques, les « haters » de tous poils, crièrent évidemment à la dictature woke, au grand complot contre l’humain, au retour en arrière à l’âge de pierre... 

 La Terre ? L’eau ? l’air ? On s’en fout, on nous raconte n’importe quoi, on a toujours roulé en bagnole, ça n’a jamais fait de mal à personne… 

 On a entendu n’importe quoi, mais les écolos qui avaient réussi à se faire élire un peu par hasard aux alentours de 2050 avaient réussi à imposer l’idée. Il faut dire que la température avait déjà trop augmenté et que les désastres s’enchaînaient. A Paris, on avait souvent l’impression d’être sous les tropiques, la mer en moins. On enchaînait les périodes de mousson et les périodes de chaleur sèche intense et on avait dû pousser les murs des chambres de bonne (et les piliers des ponts) pour accueillir les réfugiés climatiques, qui pouvaient venir aussi bien du Bangladesh, où la chaleur pouvait vous tuer debout, que de la Bretagne toute proche, où la montée de l’océan avait rayé de la carte des îles et des côtes entières. 

 On avait tenté quelque chose. La décroissance forcée n’était pas rigolote, mais il y avait eu encore une courte majorité pour se rendre compte qu’on n’avait pas tellement le choix. 

 Dans ce train, tout le monde était gris. Terne. Les visages, les vêtements, la vie toute entière avait la couleur de la tristesse. On avait interdit les textiles synthétiques, les colorants artificiels, les arômes chimiques. On était en train de devenir des pommes de terre, des panais et des topinambours bio. 

 Dans mon rêve, mon attention est attirée par un point plus lumineux. Un bleu indigo. C’était une couleur autorisée, puisqu’on pouvait l’obtenir de manière naturelle, grâce à l’indigotier. Mais autant vous dire que ce n’était pas courant. C’était rare et donc, c’était cher. Souvent, c’était le privilège des religieux. 

 Encore un rêve inutile, pensais-je, avant de zapper vers autre chose. Tout à coup, je tombe, je glisse, je plonge dans un vertige propre au songe. Et je me retrouve dans un musée. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mes yeux accrochent au mur des grands tableaux de l’histoire des arts : Le Cri de Munch, Le Déjeuner sur l’herbe de Manet, Les Ménines de Vélasquez puis celles de Picasso, Sainte Anne, la Vierge et l’enfant de Léonard de Vinci… 

 Le Louvre, le musée d’Orsay, le Rijksmuseum à Amsterdam, le musée d’art moderne de Chicago, le petit musée Picasso de Céret… 

 Il me semblait encore une fois qu’on me scannait le cerveau pour y recueillir tout ce que j’avais vu durant mon existence. 

 Épuisant. Mais exaltant. Tant de belles choses, tant d’émotions, de chefs d’œuvre, tant d’amour, d’histoire, d’humanité…Tout ce que j’ai aimé dans cette vie. L’art, la culture, ce que les Hommes avaient de meilleur… 

 Je m’éveille avec les yeux plein encore de la sensation de beau, de noble, de spirituel et d’intelligence.  

 Sans doute ai-je touché encore à quelque chose d’important : une lumière indigo s’allume…

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