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samedi 6 décembre 2025

Il n'y a rien - Épisode 17


 Je me retrouve encore propulsée dans un rêve déglingué. Tout déréglé. Tout mélangé. Un corps tatoué d’un christ ensanglanté apparaît. C’est une photo accrochée à un mur. Le mot cimaise se détache du néant puis je tombe, nue, sur un plateau de théâtre. Il n’y a rien de logique, rien de narratif. Je délire. J’ai l’impression que c’est un abécédaire absurde. Surgissent tour à tour : 

  •  Un arbre mort dans un parc de la ville, un arbre qu’on a dû couper… 
  •  Un biberon qui réchauffe dans un micro-onde, dans une grande maison remplie de joie, 
  •  Une cimaise dans l’unique expo photo de ma vie, 
  •  Une décalcomanie représentant Lucky Luke, sur mon bras au CM2, 
  •  Une émission de radio, 2000 ans d’histoire que j’écoutais quand j’étais étudiante, 
  •  Un far breton aux pruneaux, sa recette sur une carte postale, 
  •  Une gastroentérite, pendant un voyage scolaire en Espagne, 
  •  Un hélicoptère au-dessus du Mont Blanc, cadeau de mes neveux pour mes 50 ans, 
  •  Un iguane, pendant un voyage à La Réunion, 
  •  Une jupe cigarette rouge que j’avais mise pour le réveillon de l’an 2000, 
  •  Un kayak qui tourne sur lui-même, parce que je rame à gauche, tout le temps, 
  •  Une langue de chat, ce petit biscuit que je trempais dans le thé, chez ma grand-mère, quand j’étais petite, 
  •  Un mulet, celui qui est sur une vielle photo de mes grands-parents, en noir et blanc. Un vrai mulet qui ne voulait pas avancer. 
  •  Une nappe dorée et noire, avec des éléphants. Un beau tissu, un cadeau, je crois. 
  •  Une otite dont la douleur me revient, aigüe, violente. Toute mon année de 6ème dans cette oreille. 
  • Un papier peint à fleur, dans la maison de mes parents. 
  • Une quenelle de brochet sauce Nantua, dans un restaurant des Dombes, 
  •  Une randonnée dans les Alpes du Sud, avec ma mère, mon oncle et ma tante, juste après la mort de mon père. 
  • Une sardine, pas le poisson, non, le piquet de la tente des vacances de mon enfance, 
  •  Un trombinoscope, avec la tête de tous mes collègues, du temps que j’étais employée de banque,
  •  Une union de la gauche qui ne s’est pas faite, 
  •  Un ventilateur de plafond tournant à fond dans l’air chaud d’un soir de canicule, 
  •  La Chevauchée des Walkyries, en guerrière, pour aller courir dans le froid, 
  •  Un atelier de sensibilisation contre la xénophobie, devant des 4e, dans un collège, avec une association où j’étais bénévole, 
  •  Un déodorant parfumé à l’ylang-ylang, qui me faisait des plaques rouges sous les bras, 
  •  Un géranium zonal blanc, sur la fenêtre, devant moi, quand mon arrière-grand-mère s’était envolée.  

J’avais l’impression que mon cerveau était scanné, essoré, examiné. Une impression d’intrusion. Comme si une mini caméra explorait les recoins de mon cortex. 

 Chaque vision se développait comme un long métrage. 

 G, comme gastroentérite pendant un voyage scolaire en Espagne : la galère pour trouver des toilettes, les gargouillis grotesques de mon ventre douloureux, les sarcasmes des gamins dans le bus et les petits gaspachos que je tolérais à peine. 

 M, comme mulet. Je me souviens aussi de la coupe mulet à la mode dans les années 80, du mulot de Chirac, des mules confortables que j’ai adopté ces dernières années, de l’expression « tête de mule » que mon père utilisait souvent à mon égard. 

 U, comme union de la gauche. Utopie ultime pour une uchronie. Désir d’universalisme collant des ulcères à tous les rêveurs d’Internationale… 

 Ce rêve dura plus longtemps que les autres, mais mon esprit se posa à nouveau sur le corps nu au tatouage chrétien. 

 En rouvrant les yeux, je ne sais plus quoi penser, et je m’exclame, « Mais où me mènent tous ces mots ? »

 Et une lumière mauve s’alluma.

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