On a dû se frayer un passage parmi les gens, pour rentrer dans notre quartier.
Tout était surprenant : les gens continuaient d'arriver, mais la circulation était empêchée par tant de monde. Et personne ne semblait trouver ça anormal. Pas d'altercation, pas de violence, pas de discussion vive. Rien qu'un grand silence, une respiration collective.
Et puis il m'est venu l'idée de scruter d'un peu plus près ces visages, ces figures. Je m'étais attardée sur les silhouettes et sur la sociologie du peuple rassemblé là. Je n'avais pas cherché à les reconnaître. Le premier doute que j'ai eu, ce fut à propos de ce hipster barbu qui s'était appuyé nonchalamment contre la façade du temple. Tout à coup, en y repensant, sa barbe un peu hirsute, ses habits militaires du surplus américain, ses cheveux dans le vent, et sa vapoteuse qui faisait comme un gros cigare...Dans le milieu de l'après-midi, quand le soleil cognait un peu plus fort, il avait même enfilé un béret...Il ressemblait quand même beaucoup au Che Guevara !
Mais non, je délirais ! Ce n'était pas possible ! Et puis dans le noir, comme ça, je n'étais sûre de rien.
Pourtant en revenant vers la place, je n'ai pas pu m'empêcher de continuer mon petit jeu des ressemblances. Ce gars, corpulent, en costume trois pièces, avec son collier de barbe blanche, semblant cultiver l'art d'être grand-père, c'est fou ce qu'il me faisait penser à...Victor Hugo ?
Mais enfin, c'est idiot ! Ils sont morts, ces deux là...A moins que ce soit un rassemblement de sosies ?
Et cette jeune femme voilée, tout en beige, au visage rayonnant, malgré sa cicatrice. On aurait juré Malala Yousafzai, la prix Nobel de la paix, militante pour le droit des femmes. Mais comment une telle personnalité (vivante, cette fois) aurait pu se retrouver là ? C'était invraisemblable, comme toute cette histoire.
D'autant plus que je me persuadais maintenant que la dame en rose assise à côté de la jeune femme voilée était Amanda Lear : même cheveux blonds peroxydés, même élégance excentrique...Et les trois garçons ! Malgré leur téléphone portable, leur allure d'éternel ado, surtout celui-là, avec ses cheveux filasses et son jean déchiré : c'est sûr, c'était le groupe Nirvana !
Plus il me semblait reconnaître toutes ces personnalités, vivantes ou mortes, plus je me disais que je nageais dans un univers parallèle. Je me demandais si je ne faisais pas une sorte de coma, si je ne manquais pas de sucre ou si je n'avais pas ingéré des psychotropes à l'insu de mon plein gré.
J'ai cherché mes clés et j'ai bousculé à nouveau la petite femme brune, nerveuse, qui se rongeait les ongles devant l'entrée de mon immeuble. J'ai failli lui demander si elle était bien Florence Foresti et puis je me suis ravisée. C'était trop bizarre, trop absurde. Je suis rentrée bien décidée à poursuivre autrement mon enquête.
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