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lundi 1 juin 2020

Demain...

J’ai arrêté d’écrire sans prévenir, sans donner d’explication. Sans doute parce qu’il me semblait que nous étions au bout d’un processus et que je n’avais plus grand chose à ajouter, que je ne risquais que la répétition et l’enlisement.

Le déconfinement progressif suit son cours, et demain, je reprends le chemin du collège, en mode “dégradé”, comme on dit en informatique, c’est à dire avec très peu d’élèves, des élèves que je ne connais pas forcément et en plus, dans des matières improbables comme les mathématiques.

Les mathématiques, j’ai moi-même arrêté en 4e. Les quatre opérations et la règle de trois me semblaient bien suffisantes pour gérer les affaires courantes, ne pas me faire arnaquer trop dans les magasins et gérer mes rentes. En quatrième, mes rentes n’étaient pas bien grosses, d’ailleurs. Je vais sans doute leur dire, à mes sixièmes : les maths, c’est très important pour compter vos sous.

Non, je ne leur dirais rien de tel. Je tenterai juste de les accompagner dans leurs devoirs. A vrai dire, l’objectif de cette reprise est moins pédagogique qu’organisationnel : il s’agit de mettre en place les conditions sanitaires, de repérer les problèmes d’organisation et de rectifier le tir avant septembre. Nous aurons sans doute à reprendre dans ces conditions étranges en septembre, un mixte de distanciel, de présentiel, de distance physique, de masques, de gel hydroalcoolique, de classes de 15 élèves, avec des tables attribuées, avec des étiquettes, avec les portes ouvertes, avec des lavages de main à n’en plus finir, avant les toilettes, après, à chaque fois qu’on se déplace…

Mes élèves sont indisciplinés, ils sont sales et bruyants, ils crachent, ils jettent leur mouchoir, leur bâton de sucette, partout, dans la cour, dans les couloirs, dans les salles de classe, ils collent leur chewing gum sous les tables. Ils n’ont pas leurs affaires, ils se servent dans la trousse de leur voisin, ils perdent leurs stylos et se les mettent dans le nez, ils oublient leurs feuilles. Dans la cour, quand ils se retrouvent après deux mois de vacances, ils se font des câlins, des bisous, ils s’attrappent, se courent après et se cherchent comme de jeunes chiots. Ils sont fougueux et joueurs, physiques.

Ce sont des enfants, ils sont ce que nous fûmes sans doute un peu tous, insouciants, malpolis, mal éduqués, ou du moins, en cours d’éducation. C’est normal. Demain, ils devront respecter les distanciations physiques, les gestes barrières, ils auront une table assignée, leurs affaires et tant pis s’ils les ont oubliées.

Comment vivront-ils cela ? Comment vivront-ils un retour après plus de deux mois enfermés devant des écrans, dans des familles plus ou moins nombreuses, dans des appartements plus ou moins grands, avec des jardins ou pas, des balcons ou pas ? Comment vivront-ils le retour à la vie, le retour au collège ? Comme des papillons de nuit soudain effrayés par la lumière du jour ?

Les reconnaîtrai-je ? Auront-ils pris du poids ? Ils auront grandi, on grandit vite à cet âge. Auront-ils mûris ? Auront-ils perdu leur insouciance ? Auront-ils désappris ? Auront-ils perdu l’usage de la langue de l’école ? Auront-ils perdu l’usage du stylo et de la graphie ?

Il est temps que j’arrête de me poser des questions. Il est temps que je dorme pour être en forme demain matin, pour les accueillir avec bienveillance. Si j’ai un rôle à tenir, c’est celui de l’adulte rassurant. La vie est belle et je suis heureuse de les revoir. Même s’ils ne seront que 4.