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mardi 8 juillet 2025

Le grand tableau


Un immense tableau trônait au dessus de l'autel. Son souvenir remontait aux longues messes de son enfance, quand sa grand-mère, chaque dimanche, l'obligeait à assister à l'office. L'ennui gagnait toujours, entre deux prières et entre deux chants, entre le sermon du curé, plus ou moins inspiré, et les moments de recueillement. L'ennui, ce n'est pas forcément le mot. C'était une sorte d'état méditatif qui le prenait. Il se mettait alors à observer le lieu, dans les moindres détails. Le carrelage en ciment, désuni, inégal, les peintures en trompe l'oeil, très réussies qui faisaient tout le charme de ce petit édifice de campagne, les quelques sculptures, les rares ornements dorés, le pied de la grande bougie pascale, le petit calice attendant son grand moment...

Une église offre au regard mille distractions. 

Et puis il y avait ce grand tableau. Si la messe durait une heure, cela laissait à chaque fois le temps d'inventer une nouvelle histoire pour ce tableau. 

On y voyait un homme d'un âge certain, avec une barbe blanche qui semblait faire "coucou" au corps d'un homme allongé sur le sol, face contre terre. Il était accompagné d'un ange, reconnaissable à ses ailes. 

Qui était cet homme : le père Noël, un saint, un pêcheur, Dieu lui-même ? Et pourquoi était-il accompagné de cet ange qui lui posait sur l'épaule une main amicale ? Cet homme à terre, était-il mort ? Qui l'avait tué ? Et pourquoi l'homme à la barbe blanche le saluait-il ? 

C'était un mystère. Une scène de crime à élucider. 

Il était un enfant. Il aimait les dessins animés : Inspecteur Gadget, Cats Eyes et les Monstroplantes. Il aimait les mystères, les enquêtes, la science fiction et l'humour. Alors cet ange, cet extraterrestre, ce crime à élucider, ce vieil homme qui faisait coucou, voilà qui éveillait sa curiosité et qui titillait son imagination. 

Il voyait l'homme au sol, avec des sandales et sur la tête, quelque chose qu'il prenait pour une gourde en métal argenté. L'éclat blanc, cela ne faisait aucun doute, c'était une gourde. C'était l'arme du crime : à cet homme en jupette, on avait fichu un grand coup de gourde sur la tête pour l'occire. Le vieil homme lui disait "Bien fait !" et lui faisait, narquois, un petit signe de la main. L'ange extraterrestre lui permettait de s'enfuir. 

Un autre dimanche, une autre histoire. L'homme était enlevé par l'ange. Elle l'avait drogué, c'est pourquoi il avait l'air tellement ahuri. Et l'homme à terre était un pauvre type passant par là par hasard, frappé du sort d'amnésie par la puissante magie de l'être céleste. 

Une autre fois, il imaginait une histoire digne d'un théâtre de boulevard : le mari, l'amant, la maîtresse, un coup sur la tête du mari, l'amant qui fait coucou ! Et l'ange, la femme, "Ô ! Ciel ! Mon mari"... Un peu tiré par les cheveux. On peut d'ailleurs changer la configuration : le jeune amant, à qui la dame a mis un sale coup sur la tête et le mari, que son épouse ramène au foyer, manu militari, qui fait signe à son mignon, comme pour lui dire merci pour les bons moments.

Les messes sont longues et l'imagination, fertile. 

Jamais alors, il aurait imaginé que Saint Pierre, emprisonné par Hérode, soupçonné d'être complice du séditieux Jésus de Nazareth, aurait passé la nuit enchaîné, lamentable, à prier Dieu, pour finalement être sauvé par un ange qui viendrait au matin le libérer pendant que le garde, avec son casque et sa jupette romaine, faisait un somme. 

Elle est belle pourtant cette histoire : pleine d'espoir. On peut avoir peur, si l'on a la foi, on peut quand même être sauvé.  Parce que c'est difficile de croire et d'aimer, parce que la vie est faite de circonstances et que les geôles d'Hérode n'étaient sûrement pas une partie de plaisir...

Cela fait écho, aussi, à l'autre rédemption de Pierre, quand il  aura renié Jésus trois fois avant que le coq ne chante : on peut être lâche, on peut mentir, on peut se tromper et être sauvé. Toute l'humanité est là.

Mais le grand tableau, à tout jamais, resterait mystérieux, pour lui. C'était une énigme. Cela avait sans doute un sens profond et intime. Il ne savait toujours pas lequel, même 40 ans plus tard. 



jeudi 3 juillet 2025

Cafard du soir, espoir


Juste un mot ou deux, trois fois rien. 

La fatigue et la chaleur anéantissent mes tentatives d'envisager les choses de manière positive. 

J'essaie de voir les choses en rose, promis. 

J'essaie de sentir l'air frais, de voir le soleil de juillet comme une bénédiction,  qui fait murir les abricots et qui annonce la douce torpeur des soirées d'été. 

J'essaie de me conduire en journal télé, j'essaie de préférer les sujets légers, les moyens de se rafraîchir, dans la forêt du Morvan ou dans les lacs du Jura, les tendances de l'été, les cocktails à la mode, l'insouciance et les suggestions de livres à lire à la plage. 

J'essaie de ne plus penser, de ne plus voir la canicule comme autre chose que comme une vague de chaleur annonçant les vacances.

                 Non, ce n'est pas le symptôme des décennies passées à consommer du pétrole. Non, ce n'est pas                     le symptôme d'une atmosphère pourrie par des années de destruction des forêts partout sur la                                 planète. 

Mais je n'y arrive pas. 

                    J'essaie de ne plus voir, aussi, que Gaza crève de faim sous les bombes, que des hommes                             croient ce que racontent les complotistes, les platistes, les masculinistes, les trumpistes. 

J'essaie de me raccrocher aux yeux des enfants. A mes élèves, à leur joie, hier soir au bal des promos des 3e, à leur immense amour de la vie, ce matin, quand ils se sont baignés dans la rivière, quand ils ont sillonnés les routes à vélo. J'essaie de me raccrocher à ce métier de prof, qui me permet de transmettre le savoir et la beauté du monde. 

                                            Mais comment croire encore, quand les repères s'effacent ?

Et est-ce que dans tout cela, j'ai un rôle à jouer ?

jeudi 26 juin 2025

C'est le brevet !


Surveiller l'épreuve du brevet des collèges est toujours un moment très particulier pour moi. Je regarde ces êtres à peine sortis de l'enfance se pencher sur leur copie et je contemple ces vies qui commencent, sans même qu'elles en aient conscience. 

Certains, je les connais déjà depuis 4 ans. 

Je les ai vus au premier jour, minots, dans la cour brûlante d'un mois de septembre, avec leurs parents, intimidés, minuscules, curieux, inquiets, excités. Je les retrouve aujourd'hui, au dernier jour, sérieux, concentrés ou distraits, selon les motivations qu'ils mettent dans cette épreuve rituelle mais un peu obsolète, nécessaire et inutile à la fois, dans ce rite de passage auquel personne n'attache réellement d'importance. 

Savez-vous qu'il faut avoir le Diplôme National du Brevet pour être facteur ? 

Il n'est pas nécessaire pour passer le bac, par contre. 

Mais qu'ils sont émouvants, ces troisièmes. 

Les garçons ont poussé comme des tiges. Parfois, un duvet s'invite au dessus de leurs lèvres tandis qu'ils ont encore des jambes de faon et la peau fine et translucide des bébés, le regard clair et naïf d'avant l'adolescence. 

Les filles sont graves, les sourcils froncés. Certaines sont déjà des femmes, les cheveux lissés consciencieusement, pour l'occasion de ce brevet. Comme certains garçons ont mis une chemisette pour l'événement, les filles ont pris le temps, ce matin, de faire le brushing, de mettre un gloss discret et élégant, ont choisi d'assortir la barrette rose qui attache leur chevelure aux boucles d'oreilles et à leur plus beau tee-shirt. 

Si on ne s'endimanche plus guère, de nos jours, pour le brevet, on fait un effort. 

Le texte de l'épreuve, cette année, est de Simone de Beauvoir. Facile. Clair. Lumineux. C'est sa découverte de Marseille, sa vie qui commence. 

Les questions sont simples aussi. 

Pourtant, il y a cet élève dont le regard se perd au plafond, aux fenêtres et aux murs ornés de dessins de la salle d'arts plastiques où je surveille. Il n'a pas écrit un mot. Je suis passée près de lui, l'encourageant discrètement à essayer. C'est trop dur, m'a-t-il répondu. Il a écrit 1) a) et puis il a continué de mâchonner son stylo en faisant courir ses yeux de l'horloge à la porte, en baillant aux corneilles. Il fera le bonheur d'un correcteur, à ses dépends.

Dans la salle, sinon, l'ambiance est rythmée par les bruits de stylo, par les souris de typex qu'on repose sur la table, par les bracelets des minettes qui heurtent les pupitres. C'est studieux. On sent l'application jusque dans les écritures serrées qui courent sur les copies. Jusque dans les coups de surligneur qu'on passe sur le texte, appliquant consciencieusement les consignes des profs de français et leurs leçons de méthodologie de secrétaire zélée. 

Parfois, un regard croise le mien. Je ne sais pas si cela est un appel au secours, une recherche d'inspiration... Je leur offre ma bienveillance. 

Je me souviens à peine de mon brevet à moi. Je crois que j'en étais sortie satisfaite, avec la sensation pour la première fois de ma vie de n'avoir pas fait de faute dans la dictée. Il me semble que le texte était de Zola, auteur que j'adorais et dont j'avais dévoré les romans depuis la 5e. J'avais dû y voir comme un signe du destin. Et puis je misais tout sur la rédaction, de toute façon, mon point fort depuis toujours. Cela rattraperait ma médiocrité en maths. 

On fait des calculs comme ceux là, en troisième. On compte et recompte les points du contrôle continu, on espère avoir la moyenne, on se dit que l'oral nous sauvera les fesses. On se permet alors de lâcher un peu sur les questions de grammaire. Cela va passer. 

Et on fera le bonheur de nos parents, de nos grands-parents, pour ce premier examen de grands. 

Le brevet, ça ne sert à rien. Mais quand même, c'est très important.



mercredi 11 juin 2025

Réalité poignante


Je ne peux pas faire autrement : je suis percutée de plein fouet par cette actualité terrible. Un gamin de 3e  a poignardé une assistante d'éducation à l'entrée de son collège. Je travaille dans un collège, j'ai des troisièmes et j'ai plein de collègues assistants d'éducation. 

J'ouvre le journal, dont la une est sur ce meurtre affreux. Dans les pages régionales, les enseignants d'un collège similaire au mien exercent leur droit de retrait suite à des menaces, des tirs de mortiers et l'intrusion d'armes blanches dans leur établissement. 

Quelques pages plus loin, dans un lycée, un élève est arrêté, suite à des menaces de mort. 

Ce matin, j'avais des élèves de 6e qui n'ont pas l'air de savoir vraiment ce que c'est que la politesse, la bienséance et le respect. Ni entre eux, ni avec les adultes. Des sales mioches comme il y en a toujours eu. 

Je ne compare pas vraiment. Mais l'actualité percute forcément mon expérience. 

Ce matin, j'ai eu mes troisièmes. Des grands dadais mollassons. Pas méchants pour un sou. Mais Quentin, (c'est le prénom du tueur de Nogent), avait 14 ans, était un peu turbulent en classe et en même temps, "ambassadeur anti-harcèlement". Le comble, non ? Il était donc formé sur le harcèlement scolaire, pour prévenir les violences scolaires. J'imagine que ses profs devaient se dire aussi qu'il n'était pas méchant pour un sou. 

Je ne suis pas sûre qu'il faille, avec les chaînes de télé d'info en continu et avec tous les politiques opportunistes qui se succèdent sur leurs plateaux, en faire un cas d'école. Je ne suis pas sûre qu'il faille en faire un phénomène de société. Je ne suis pas sûre, malgré la multiplication des faits divers, malgré tout ce qu'on peut raconter sur le drames des mères seules (Quentin vit avec ses parents qui travaillent tous les deux), malgré la fascination pour les écrans qui prennent de plus en plus de place dans les vies de tous. 

Tout le monde, même mes 6e malpolis, est d'accord pour dire que ce qui s'est passé hier est une abomination et que cela n'a rien de banal, de normal. 

Alors quand j'entends des politiques parler d'ensauvagement et glisser sans aucune honnêteté intellectuelle vers des généralisations stupides, je ne peux m'empêcher de penser qu'il s'agit là d'irresponsabilité. D'inconséquence. 

Les ados sont des ados. Des petits hommes pas encore finis. On a beau dire tout ce qu'on veut sur l'époque, les ados sont et ont toujours été influençables, manipulables, fragiles. Potentiellement. 

Si on oublie cela quand on est éducateur, on passe à côté de notre mission. 

Si les politiques oublient cela, alors ils font du populisme. Ils se servent d'un fait divers pour faire monter la peur : la jeunesse est folle, les réseaux sociaux sont des lieux de perversion, il faut interdire la vente des couteaux en supermarché, obliger à mettre un cadenas sur le tiroir des couverts dans toutes les cuisines de France et...évidemment, c'est de la faute l'immigration. Et pour unique solution : la répression, la sévérité, ficher les délinquants dès la maternelle, mettre en prison les gamins de 14 ans, des peines incompressibles pour leur apprendre la vie en les en privant. 

Et si on essayait plutôt l'éducation ? Est-ce que les écoles coûtent plus cher que des prisons ? Est-ce que payer plus les surveillants des collèges coûtent plus cher que de payer des surveillants pénitentiaires ? Est-ce qu'une police de proximité coûte plus cher que la BAC ? 

Bref, aujourd'hui, j'ai navigué entre plusieurs sentiments : j'ai observé mes 6e et mes 3e un peu différemment. Est-ce qu'ils pourraient, eux aussi, après un moment de colère, passer à l'acte sauvagement ? Ou est-ce qu'ils sont capables, comme n'importe qui, d'empathie, d'humanité ? J'ai eu encore plus envie de leur apprendre des choses, mais j'ai mesuré que parfois, mes quelques heures par semaine de cours (et celles de mes collègues) pesaient peu par rapport au temps passé en famille et tous leurs moments seuls, avec leurs amis ou face à des écrans. Beaucoup d'enfants sont équilibrés et bien éduqués dans leur famille et cela dans tous les milieux sociaux. Mais la violence est une constante de l'humanité : comment s'exprime t-elle ? 

Je n'ai pas de réponse. Mais pitié, n'instrumentalisons pas un drame affreux. 

Et toutes mes pensées aux proches, à la famille, au collègues, à tous les élèves qui aimaient sans doute beaucoup la jeune femme qui est morte hier. 


mercredi 4 juin 2025

La musique des mots


Ecrire, c'est souvent être obsédé par une musique, par un rythme et par une mélodie. On a dans la tête des ritournelles sans parole, d'abord. Des alexandrins pompeux ou de petits octosyllabes si vifs qu'on a presque envie de danser. 

Les mots viennent parfois comme une évidence sur ces petites rengaines. Selon ce qu'on veut écrire, on sait si la musique sera lente et solennelle, ou enjouée, nerveuse, sautillante. On sait si ce sera une valse ou un blues, une symphonie ou un tango. Et les mots s'invitent. Ils se glissent sous les doigts, comme sur les touches d'un piano. 

Je ne sais pas encore quelle sera la tonalité du prochain roman que je veux écrire. Il sera plus sombre, je crois, mais il y a toujours plusieurs mouvements dans une symphonie. 

J'ai quelques pages, un début. Je crois que ça commence un peu comme la Gnossienne n°1 de Satie. Ou comme Pyramid Song de Radio Head. C'est mystérieux et surréaliste. Des accords mineurs. On ne sait pas où on est, ni avec qui. La réalité se dévoile lentement, mais on accroche à la mélodie, on a envie de l'entendre encore. De la chantonner. 

Je voudrais que la suite se développe avec le soutien d'un orchestre à mille cordes. J'aimerais que ce texte prenne son envol et me dépasse, me déborde. J'ai envie d'écrire quelque chose d'épique et de plus grand que moi. Et quelque chose qui ressemble à une chanson pop.

Je ne sais pas encore ce que ce sera. Au début, il n'y aura rien. Rien que quelques notes de piano, entêtantes. Et puis cela grandira. Et au bout, il y aura du bleu, l'immensité du ciel. 





dimanche 1 juin 2025

Poème en ique et en oudre


Je me suis promis, aujourd'hui, d'écrire quelque chose de poétique. 

Parce qu'il fait beau, même si l'orage menace,  dérèglement climatique,

Parce que le printemps bat son plein, même s'il a foutu le camp, le temps des lilas, 

Parce que la vie est belle, même si des gamins meurent de faim, sous des bombes, ici ou là-bas. 

Même si j'ai le coeur lourd, même si j'ai du mal à croire, aussi bien en Dieu qu'en l'homme. 


Je recommence. Ce que j'écris, pour l'instant, n'est pas poétique, en somme. 


Pourtant, je me suis promis, aujourd'hui, d'écrire quelque chose de poétique. 

Le ciel s'ennuage lentement et l'atmosphère est lourde. 

Aujourd'hui, j'ai décidé, comme une mesure de salut public, 

Qu'au monde entier, je resterai sourde.


Le ciel pourra bien trembler, la terre s'ouvrir sous les coups répétés de la foudre,

La pluie pourra bien fendre la nuit, déchiqueter les feuilles dans un tourment électrique, 

La grêle pourra bien crever les carrosseries et réduire les récoltes en poudre, 

Je ne changerai rien : absolument hermétique à toute critique. 


Les fleurs pourront faner, les saisons s'enchaîner dans leur inéluctable rythme spiralique, 

L'herbe pourra sécher, la terre se craqueler et trembler, terreur sismique, 

La fin du monde pourra bien arriver, moment crucial qui nous verra tous absoudre, 

Je ne bougerai plus, je ne croirai plus, à l'espoir, rien ne pourra me résoudre. 


Les tempêtes du temps, les guerres et les misères, les affres des hommes iniques, 

Les bombes, les drones, les Kalashnikov et tous les flingues, les canons et la poudre, 

Les hommes et leurs désirs de conquêtes, la science et ses explosions atomiques, 

Rien ne me fera vaciller : ma colère et ma peur, mon désarroi, je passerai outre.


Je me suis promis, aujourd'hui, d'écrire quelque chose de poétique.

L'orage est passé, il est temps de mettre fin à ce poème en yaourt, 

Qui jamais vraiment ne respecta le vers et la rythmique, 

Parions, cher lecteur, que de tout cela, vous n'avez rien à foutre. 



jeudi 22 mai 2025

Je ne parviens pas à écrire


Je n'ai pas le temps d'écrire, en ce moment. Non...Ce n'est pas vraiment un histoire de temps. C'est une histoire d'énergie. De volonté...

Mais je sais que ça reviendra, comme par jaillissement, par étonnement, par fulgurances. C'est toujours revenu. J'ai des phrases qui tournent dans ma tête. J'ai les 17 pages d'un début de nouveau roman, qui attendent, sagement dans la guangue froide et blanche d'un fichier Word. J'ai des fourmillements. 

J'ai écrit une rédaction, ce matin, en modèle, avec mes élèves de troisième. Pour leur montrer comment faire. Je ne sais pas si la pédagogie par le modèle est validée par l'académie. Mais ça, c'est de l'écrit qui ne compte pas. De l'écrit vain. De l'écrit utilitaire et matériel. Je ne sais pas bien à quoi ça sert, tout ce que j'écris, tout le temps : je suis une scriptomane comme d'autres sont nymphomanes. 

Pourtant...pourtant...depuis ce matin, trois personnes m'ont parlé de mon dernier roman, m'ont dit qu'ils l'avaient lu, qu'ils avaient aimé, qu'ils avaient passé un bon moment. J'ai toujours du mal à recevoir les compliments, je me dissocie, je dis merci, merci...Mais je ne sais pas si c'est vraiment à moi qu'on adresse ces laudes. 

Ma tristesse m'envoie des phrases, des phrases sombres et glauques et dans le fond, je crois que c'est pour cela que je ne parviens pas à écrire. 

Un texte revient souvent. Il trotte dans mon cerveau comme un petit cheval obsessionnel. C'est quelque chose comme ça :  "Du haut de mon balcon, souvent, je fixe le bout de trottoir, là, juste en bas. Puis je m'imagine, montant sur une chaise, d'abord, puis sur la barrière. Je sens le poids du comique de la situation, perchée sur ce mince rebord. Aurais-je l'équilibre ? Vacillerais-je ? J'aimerais alors avoir la grâce d'une plongeuse olympique et me jeter, bras et jambes tendus, la tête la première sur ce bout de trottoir, là, juste en bas. Mais peut-être que je chancellerais. Peut-être que je manquerais de tonicité et que je tomberais, comme un paquet de linge, molle et flasque. Peut-être même que je tomberais quelques mètres plus loin, dans la pelouse. Peut-être que j'aurais l'air ridicule, j'aurais l'air d'un bras cassé. Ou d'une côte cassée...Quoi qu'il en soit, je laisserais au moins une trace...sur le trottoir, là, juste en bas. " 

Ce sont ces histoires-là qui m'attirent comme le vide attire celui qui a le vertige. Je sais que je n'ai pas le droit même de penser cela et je n'ai personne à qui le dire. Alors l'écrire, non. Je ne peux pas. 

Même si, comme à chaque fois, poser les mots sur les choses permet d'en rendre la réalité plus supportable. Les sortir hors de moi, les extirper de mon crâne. Parce que je n'arrive pas à le faire autrement.