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dimanche 5 mai 2013

Les Invisibles bien visibles et Thérèse Clerc

Je vous avais parlé de ce film avant même sa sortie, mais le film a eu le temps de sortir, de faire une belle carrière, d'obtenir le César du meilleur documentaire avant de passer dans une salle près de chez moi.

Les Invisibles. 

Hier soir, donc, dans le cadre du Festival Libres Regards, j'ai enfin pu voir ce beau film, avec, en prime, la présence de Thérèse Clerc.

Si le film est beau, c'est parce qu'il présente de belles personnes. Des personnalités fortes, optimistes, tournées vers la vie. Ces personnes sont homosexuelles, elles ont toutes environ 80 ans. Elles ont choisi d'assumer, de vivre leur sexualité différente, à une époque où l'on enfermait les homo dans des asiles psychiatriques. Elles ont parfois lutté pour plus de droits, elles se sont engagées, chacune à sa manière pour avoir le droit de vivre comme elles l'entendaient.

Leurs combats font notre monde d'aujourd'hui. Grâce à elles, les lois ont été changées et les homos ne sont plus considérés comme des malades. Grâce à elles, l'idée a fait son chemin : les homos sont des gens normaux. C'est d'ailleurs ce que montre le film : une vie normale, un quotidien ordinaire, un couple de petits vieux qui fait les courses et qui lave la salade...

C'est un film sensible qui évoque la sexualité, les émois, la découverte de soi, la confrontation de soi avec sa famille, son éducation, la société. Tous ces sujets qui me taraudent...

Et puis la rencontre avec Thérèse Clerc. 

C'est une femme de 86 ans, qui en paraît 10 ou 20 de moins. Elle est née après la première guerre. Sa mère lui avait raconté qu'elle avait eu de la chance de trouver un homme, après la Grande Guerre. Thérèse, jusqu'à 40 ans a fait ce qu'on attendait d'elle : elle s'est mariée, a eu 4 enfants. Et puis mai 68 fut une renaissance pour elle. Elle s'engage pour la cause des femmes, justement parce qu'elle connait trop bien le destin qu'on leur réserve : mariage, enfants, avortements à répétition et puis l'ennui jusqu'à la mort, en tenant la maison et en s'oubliant, en oubliant qu'on a un corps, qu'on peut être indépendante et libre. Elle divorce.

Elle organise une cellule d'avortements clandestins, elle milite, elle manifeste. Elle découvre son corps, la sensualité, le plaisir. Avec une femme. Et les droits changent, grâce à elle, grâce à elles. Les lois sur la contraception, sur l'IVG, puis la dépénalisation de l'homosexualité. Elle fait partie de la génération à qui l'on doit cela.

Aujourd'hui, elle est toujours dans l'engagement et dans l'action : elle a créé la maison des Babayagas. Elle croit que la vieillesse n'est pas une pathologie, que les vieux peuvent et doivent se prendre en main le plus tard possible. L'utopie, c'est bien. Surtout quand on essaye de la rendre concrète. 

Et puis, sans cesse, il faut parler du corps, du plaisir, du corps à tout âge, des désirs... Cela est tabou dans notre société où le carcan des hommes et de la religion veulent le contrôler à tout prix. Prendre son pied, c'est déjà être libre.

Les quelques questions qui ont suivi le film, dans une salle très jeune et un peu abasourdie par cette leçon d'histoire, laissaient apparaître un fossé entre la nouvelle génération et l'ancienne. Au regard du film, nos combats semblent futiles. Oui, je suis heureuse que le mariage pour tous soit accepté. Je suis heureuse que l'on parle de PMA, qu'on s'interroge sur l'adoption et que cela avance. Mais j'ai parfois l'impression que le bateau prend l'eau pendant qu'on décore la cabine du capitaine.

La situation économique du pays, le chômage grandissant, le retour en force des religions, le retour de flamme de l'homophobie, voilà ce qui m'inquiète : les élèves qui passent dans mes classes n'ont aucune conscience politique, les filles ont parfois la seule ambition de se marier, les préjugés sexistes sont ancrés comme jamais dans ces têtes-là.

Bref, ce qui ressort d'une soirée comme celle-là, c'est qu'il faut continuer le combat et qu'il n'est pas d'arrière-garde : il faut affirmer qu'on est féministe, même si aujourd'hui, on a l'impression que c'est un gros mot. Il faut continuer de défendre l'avortement, la contraception, la liberté des femmes à disposer de leur corps. On a complétement oublié qu'avant les années 70, les femmes étaient condamnées à pondre un enfant par an durant leur période de fertilité ou bien à avorter, encore et encore, de manière clandestine en mettant leur vie en danger.

Alors oui, il faut parler du genre, des codes sociaux que cela sous-entend, il faut expliquer encore et encore, génération après génération, qu'une fille doit avant tout être indépendante financièrement avant de rechercher un potentiel prince charmant...

Le film sera à l'affiche à Belfort, aux cinémas des Quais, à partir de mercredi. J'irais bien le revoir !

CC