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lundi 19 août 2013

Si loin, si proche

Partir dans le but de se dépayser, c'est presque un leurre : on part en fait pour trouver ce qui nous ressemble et pour chercher ce qui va résonner en nous comme une part d'humanité profonde. L'autre est là pour nous rassurer sur nous-même.



Mon émotion était grande, devant les paysans dans les rizières, sans doute parce que j'ai reconnu là le travail et l'amour de la terre qui animaient mes ancêtres, mon père, mon frère. La fierté de faire pousser, de produire quelque chose de noble et de beau, sans économiser la sueur, en bravant les éléments, en faisant fi de la chaleur ou de la pluie, ou plutôt, en faisant avec. Voilà ce qui a résonné en moi. Ici, on travaille la vigne, le blé et le maïs. Là-bas, on fait pousser le riz, on le vanne, on travaille à la main, on n'a pas toutes les grosses machines qu'on a ici. Un peu comme si on revenait quelques dizaines d'années en arrière. Mais les gestes se ressemblent.



Il est idiot de vouloir comparer des paysages ou des coutumes, lorsqu'on voyage, mais on se retrouve malgré tout.

CC

mardi 13 août 2013

Un couple...


Une petite fiction, peut-être pas très loin d'une certaine réalité, inspirée par mon voyage en Thaïlande...

Au milieu de la foule de touristes, dans cette station balnéaire de Thaïlande, c'est à peine si un œil attentif peut les repérer : elle marche trois ou quatre pas derrière lui, mais elle ne cesse de le suivre même s'ils font comme s'ils ne se connaissaient pas.

Lui, c'est un homme qui approche les 70ans avec un peu de peine, de l'arthrite et une calvitie mal assumée. Ses cheveux longs à l'arrière, emmêlés par le vent de la mer, viennent se rabattre sur un crâne cramé par le soleil qui tape ici toute l'année.

Elle, on ne lui donne pas vraiment d'âge, comme souvent pour les filles d'ici : elle est jeune...35 ans, peut-être 40. Elle marche nonchalamment, regardant sans les voir les devantures des magasins, et les petites échoppes des rues où elle n'a plus besoin de travailler depuis qu'elle est avec lui.
 
Dans un petit moment, ils referont le trajet dans l'autre sens, à pas lents, mais elle passera devant, toujours comme s'ils étaient deux inconnus.

Cela ne trompe personne, évidemment : ceux qui connaissaient la fille avant savent bien qu'elle ne vend plus des babioles sur la plage, emmitouflée dans des vêtements trop chauds pour protéger sa peau. C'est là pourtant qu'elle l'a rencontré : "Eh ! Papa ! Cheap ! Cheap ! Beautiful, for your wife!" Il avait répondu "I've got no wife !" Et puis "Viens t'asseoir un peu à l'ombre de mon parasol, tu feras une pause...vends moi un de tes bracelets qui portent bonheur, je cherche l'amour..." Elle n'avait pas dit non, pour la pause, pour l'ombre, parce qu'elle était épuisée, parce qu'elle pensait qu'elle lui vendrait plus qu'un bracelet, parce qu'elle avait son fils de 13 ans à habiller pour l'école...pour tout ça...

Ceux qui voyait le vieil homme suivi de cette jeune femme avaient des réactions contrastées : les touristes occidentaux, en famille, jetaient souvent des regards outrés et plein de dégoût. Certains, plus âgés, étaient presque envieux : ne valait-il mieux pas se réveiller chaque matin ici, dans ce paradis, avec une jolie jeune fille plutôt que dans un mouroir pour séniles en Europe ? 

Et puis que sait-on, au juste de ce petit vieux ? N'avait-il pas trimé toute sa vie ? N'avait-il pas perdu sa femme ? N'était-il pas brouillé avec ses enfants ? N'avait-il pas légitiment le droit de repartir à zéro pour le temps qu'il lui restait ? Toutes ces questions, les touristes témoins de la scène ne se les posaient pas : ils ne voyaient qu'un vieux pervers abusant de sa position de riche pour se taper une gamine d'un pays pauvre.

Et était-elle malheureuse, elle ? À ses parents inquiets, elle répondait qu'il était gentil avec elle et elle leur apportait des cadeaux. Aux amis moqueurs, elle montrait ses nouveaux bijoux, elle faisait visiter sa maison. À sa meilleure amie seulement, elle confiait en faisant mine d'en rire que les séances intimes n'étaient pas très marrantes, mais qu'elles ne duraient jamais bien longtemps, heureusement. Avant de le rencontrer, elle n'avait jamais fait l'amour autrement que par désir. Il fallait maintenant qu'elle se plie aux désirs d'un autre. Alors non, ce n'était pas marrant d'attendre les pauvres érections de ce vieux corps flasque, ce n'était pas drôle de mimer les gestes qui lui feraient plaisir. Il fallait penser très fort au jardinier qui venait tailler les haies, au lave vaisselle dans la cuisine, aux restaurants luxueux qu'ils s'offraient souvent. Et puis aussi, aux histoires qu'il lui racontait, quand il lui parlait de Paris, avec un peu de nostalgie. Un jour, il l'emmènerait là-bas, lui disait-il. Il lui montrerait la Tour Eiffel, les Alpes et Saint-Tropez. Le rêve n'a pas de prix et même s'il mourrait avant le voyage, elle aurait eu de bons moments...Il la faisait rire aussi, même si elle ne comprenait pas tout ce qu'il baragouinait...

Le secret de chaque relation nous échappe et ce n'est pas en regardant un couple marcher dans la rue qu'on peut percer les mystères de son intimité.

CC