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mardi 6 août 2019

Bref, il est temps que je me remette au travail

Tout le monde est en vacances, loin. Les autres sont au travail. J'ai lu, beaucoup. J'ai regardé quelques films. J'ai essayé d'écrire et ces 40 premières pages me semblent laborieuses, vides et sans but.

L’été me conduit au-delà de l’ennui. Au bord du gouffre, au bord du vide. Et comme il suffit que je reste trois heures à l’écart du monde, sans rencontrer, sans téléphoner, sans textoter, pour que mon cœur s’emballe dans une course folle, pour que mon cœur se croit délaissé et triste, j’introspecte, je me morfonds, je déprime.

 Est-ce mon cœur ou mon cerveau ? Mon cerveau se couvre de nuages, comme un ciel d’été que l’orage envahit. Je vois soudain tout en noir : les autres me haïssent. Ils complotent dans mon dos, ils inventent des histoires. Puis, c’est pire. Ils m’oublient, ne me voient pas. Je suis invisible, je n’existe pas. Je n’existe plus.

lundi 29 juillet 2019

Jour du dépassement

Je me souviens de la longueur, de la lenteur, de la langueur des après-midis d'été, quand j'étais enfant. Je me souviens du Tour de France à la télé, dans le salon aux volets à demi clos, des verres de sirop de menthe, de la cueillette des groseilles à maquereaux dans le jardin, seulement en fin de journée, quand le soleil commençait à décliner, mais qu'il était encore assez puissant pour révéler les odeurs d'herbe coupée...

Je me souviens aussi de l'ennui imposé : "Prends donc un livre, il ne faut pas sortir quand il fait si chaud..." Ma grand-mère, mon grand-père aux mots croisés, les chamailleries avec mon frère, les parties de Monopoly avec les cousins du midi en vacances à la montagne. "On va au lac ?"

Je n'aimais pas les vacances. Je n'aimais pas grand-chose je crois. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir mille ans et je crois que je parle d'un temps lointain qui a disparu à tout jamais.

N’aimais-je vraiment rien ? Je crois plutôt que je goûtais la vie. Et comme lorsqu’on goûte un vin fort pour la première fois, on est surpris. Trop de goût, de saveurs, trop de nouveauté. Trop de plaisir en somme, pour un corps qui ne s’y attendait pas.

Aujourd’hui, je sais que j’ai aimé à la folie les picotements de l’eau s’évaporant sur ma peau dans la touffeur de la voiture, quand on revenait de la baignade au lac. Je sais que j’ai aimé comme on aime pour la première fois chaque sensation d’été : l’odeur des foins coupés le long des routes brûlantes, les chutes à vélo, les roulades dans les prés fauchés, les haricots à équeuter après les avoir ramassés dans le jardin matinal, les pieds mouillés de rosée, le dos cassé. Les mûres grappillées le long des chemins de forêt, refuge frais des fins d’après-midi, la bouche noire de ce parfum sucré.

Dans la touffeur caniculaire des étés de pollution, l’herbe est sèche avant d’être coupée. Les grandes forêts sont semées de hêtres secs et ne sont plus les gardiennes de la fraicheur du monde.

Ma nostalgie est insensée. Elle est grandissante et angoissante. Il n’y a pas d’alternative. Comme pour la mort. Il n’y a pas de réserves infinies de poissons pour les rivières, de guépard pour les savanes, d’insectes polinisateurs pour les arbres fruitiers. Il n’y a pas de réserve infinie d’oxygène pour le cœur de nos villes polluées. Il n’y a pas suffisamment d’eau potable pour arroser nos massifs floraux, pour tirer nos chasses d’eau et pour étancher nos soifs inextinguibles.

Ai-je accepté l’idée de ma propre mort ? Oui. Je l’ai intégrée, je suis adulte. Ai-je intégré que la mort de l’humanité était pour bientôt ? Je n’en suis pas sûre. Je ne suis pas sûre d’assumer les enfants qui naissent et les enfants à naître, à chaque fois que je prends ma voiture, à chaque fois je vote pour un gouvernement qui n’interdit pas les vols des avions, les pesticides sur ma salade, qui n’oblige pas les constructeurs automobiles à travailler sérieusement sur l’hydrogène.

Nous vivons, cet été encore l’été le plus chaud de tous les temps. Chaque été bat les records des précédents. Nous sommes dans la marmite. Ma mère me dit : « c’est l’été. Il fait chaud en été. C’est normal ». Nous sommes la grenouille dans la marmite. Nous ne sentons pas que la flamme est sous nos fesses.

Les relevés des météorologues sont formels : depuis qu’on fait des pointages scientifiques, jamais dès le mois de juin, nous eûmes auparavant des températures aussi élevées, des orages aussi violents, des températures positives jusqu’au sommet du Mont Blanc. Jamais les canicules ne se sont enchaînées avec autant de régularité. Les records, depuis 2003 se sont multipliés. Nos régions tempérées ont vu leur sol s’assécher et se craqueler. Nous n’avons pourtant pas cessé de planter du maïs et pour les faire pousser, nous avons continué de les arroser avec l’eau des rivières. Toujours plus d’eau jetée sur le maïs des plaines de France, en plein midi, en plein cagnard. Toujours plus d’eau s’évaporant avant même de toucher le sol. Toujours moins d’eau dans nos rivières.

A ceux qui avancent qu’il y eut une mini ère glaciaire au XVIIe siècle et que l’âge de fer fut très chaud et causa de nombreuses sècheresses en Asie Mineure – il faut toujours que certains étalent leur science ¬–, il convient de rappeler que les êtres humains n’ont jamais été si nombreux sur Terre. Nous étions 2,5 milliards en 1950 et nous sommes 7,55 milliards aujourd’hui et nous vivons beaucoup plus longtemps. C’est vertigineux. La Terre semblait sans doute immense à nos ancêtres : en plein siècle des Lumières, lorsque nous n’en avions pas découvert toutes les facettes et que nous étions quelques centaines de millions à la parcourir lentement, nous nous sentions sans doute au large.

Mais en moins de 50 ans, nous avons pollué plus que durant toute l’histoire de l’humanité. Les océans ressemblent à des poubelles, les poissons s’étouffent dans notre plastique. Même la glace de la banquise contient des microparticules de polyester, du polystyrène et du polyéthylène.

Les gouvernements le savent. Les grands de ce monde le savent. Et si nous réfléchissons, nous le savons aussi. Nous n’en avons plus pour très longtemps. A ce rythme, quelques dizaines d’années suffiront à notre extinction. Pas celle de la planète, cette boule de terre, de pierre, de fer et de feu, qui a vécu longtemps sans nous et qui survivra bien mieux sans nous. C’est la race humaine qui va disparaître. Nous n’aurons été qu’une parenthèse enchantée, une étrange absurdité. Un bug dans le système. Un tout petit cafard qui a réussi magnifiquement puis qui a causé sa propre perte.

En attendant la fin, cependant, il faut vivre.

samedi 15 juin 2019

Glissement

Ça m’est arrivé sans que je m’en rende compte et je crois que ça peut arriver à n’importe qui. Même des gens très bien. Quand je dis des gens très bien, je veux dire des gens sympathiques, des gens souriants, des gens qui aiment la vie, qui boivent des coups et qui ont eu une enfance heureuse.

Ça m’est arrivé progressivement, tout en douceur. Je n’en suis pas sûr, mais je crois que c’était un jour d’été. Il faisait beau et chaud et ma fenêtre était ouverte. J’habite en centre-ville. Jusqu’à ce jour, j’avais coutume de dire c’est pratique, de vivre en ville. Le matin, je vais acheter ma baguette, j’aime bien. Et puis ce jour-là, alors que j’étais affalé sur mon canapé, en train de regarder des gens acheter des appartements de 27,4 mètres carrés pour des sommes astronomiques à Paris, une moto passa sous ma fenêtre en pétaradant. Elle m’empêcha d’entendre la blague grivoise de Stéphane Plaza et cela me chiffonna fort.

A partir de ce jour, il me sembla qu’il y avait beaucoup plus de motos à explosions, de quads ronflants, de mobylettes hurlantes dans mon petit bourg, dans ma petite rue.

Il me sembla soudain que ce bruit était infernal et qu’il existait uniquement pour me nuire. Mais surtout, lorsque je jetais un œil derrière mon rideau, je fus effaré de voir que les jeunes qui déambulaient sur ces engins ne portaient pas de casque et qu’ils étaient habillés en jogging. Il me sembla soudains qu’ils étaient jeunes. Inconscients. Méchants. Intrépides. Infréquentables. Et qu’ils jetaient leurs papiers gras sur le sol.

Quand j’y repense, je n’y avais pas prêté attention auparavant.

Mais après ce jour funeste, tout cela me sauta aux yeux : les rues étaient sales, les gens étaient laids. Ils étaient suspects. Je portais toujours la main à ma poche pour vérifier mon portefeuille, quand je sortais. Je sortais moins. Je me mis à trouver le monde dangereux. Je suis allé à la mairie, me renseigner sur les caméras de vidéo surveillance. J’ai fait une lettre au maire pour réclamer plus d’agent de police, puis deux, puis trois : plus de rondes, plus de nettoyages sous mes fenêtres, plus d’arrestation de ces jeunes jouant au ballon sur mon trottoir. Le maire m’a répondu, une fois, deux fois, trois fois. En me détaillant les mesures prises, le prix du nettoyage des rues, les patrouilles de la police municipale, le manque d’effectif de la police nationale, l’assurance que le préfet était au courant.

Mais dans le fond, j’avais perdu confiance et j’en faisais une obsession. J’en voulais toujours plus, pour moi. J’alimentais ma peur en lisant les faits divers dans les journaux : un couple de vieillard a surpris des gamins en train de se baigner dans leur piscine. Une mamie s’est fait arracher son sac à main. Des faux gendarmes s’introduisent chez des personnes isolées pour les cambrioler. Des faux agents d’EDF vous font signer n’importe quoi. J’étais tellement effrayé que je n’ouvrais plus. Même au facteur. Même aux pompiers qui venaient me vendre un calendrier en décembre.

Les autres êtres humains me sont soudain apparus comme des prédateurs. On en voulait à mon argent et moi, je payais des impôts pour que la mairie investisse dans des centres sociaux afin de divertir des voyous au lieu de me protéger, au lieu d’arracher les mauvaises herbes devant ma maison, au lieu de changer l’arrêt de bus qui faisait tellement de bruit sous ma fenêtre, au lieu de me permettre de couper l’arbre qui me gênait pour sortir de chez moi en voiture.

Désormais, quand j’écrivais à la mairie, on ne me répondait plus systématiquement. Quand j’y allais, on m’expliquait avec une déférence qui se voulait gentille, que l’intérêt général n’était pas la somme des intérêts particuliers. Je clamais « Je paye des impôts » et « Vous le payerez aux prochaines élections. Vous êtes des incapables. ». Je ne votais pas pour eux avant, j’ai toujours été méfiant par rapport à la gauche. Ils ne perdraient pas ma voix. Mais ils n’étaient pas censés le savoir.

Un soir, alors que je comptais le nombre de fous de la route qui glissaient le stop devant chez moi, on sonna. Ma méfiance habituelle me fit coller l’œil au judas de ma porte. C’était Raymond : un visage familier, un visage ami. Un vieux copain d’enfance que je n’avais pas vu depuis des années.

Je le fis entrer après avoir déverrouillé les trois serrures de ma porte blindée.

Raymond était jovial et rieur et adorait m’appeler « Mon vieux poteau ! ».

"Je passais dans la région, me dit-il. Je ne pouvais pas faire autrement que passer te voir, mon vieux poteau !"

Il vivait maintenant près de sa fille, à Marseille. C’était un vrai moulin à paroles. Un bavard incorrigible. Il rentra, jeta un coup d’œil circulaire à ma cuisine, s’arrêta un instant sur le fauteuil posé derrière la fenêtre, sur le cahier de mot croisés et sur les lunettes.

"On a vieilli, hein ! On s’encroute, mon vieux ! Ah ! Ah ! C’est plus le temps de la jeunesse folle, hein ! Tu te souviens ? Le potin qu’on faisait avec nos mobylettes traficotées ! Tu te souviens comme ça plaisait aux filles ? Et les castagnes à la fin des bals ? Et les blagues qu’on faisait aux vieux, les boites à lettres qu’on démontait, le camembert qu’on avait mis sur le radiateur de la deux chevaux du curé ? Tu te souviens…"

mardi 19 février 2019

Grippe

J’ai passé mon après-midi à regarder des vidéos crétines sur internet : des recettes dégoulinantes de mozzarella, des chats qui tombent, des bonnes sœurs dansant dans un cloître.

J’ai somnolé devant une série islandaise, que je me suis évertuée à regarder en version originale sous-titrée. Quand la flemme m’a prise, je n’ai plus lu les sous-titres. J’ai été propulsée dans un univers de froid, de vodka, de crimes sous la neige auxquels je n’ai rien compris. La musique de la langue a fini par faire dans ma tête un joyeux concert de borborygmes. J’étais dans un état second sans avoir pris de drogue.

Ce n’est pas tout à fait vrai. Je n’avais pas pris de drogue illicite, mais le médecin m’avait prescrit des cachets de toutes sortes, des anti-inflammatoires, des analgésiques, des calmants pour la toux à base de corticoïdes. J’avais tout pris en une poignée avec un seul verre d’eau et j’avais rejoint avec peine mon canapé.

Je n’avais rien mangé depuis des heures et les petites molécules médicales me montèrent au cerveau comme le shoot d’un héroïnomane. Les borborygmes islandais, ainsi que la musique grave, pleine de violoncelles inquiétants n’étaient pas sans évoquer les grognements de mon estomac douloureux. Au bout de quelques heures, il a fallu que je me lève. En passant devant mon reflet, dans la porte du four, j’ai pris peur. J’avais des cernes violacés sous les yeux et un profil de zombie. La porte du frigo, une fois ouverte, m’offrit à son tour une certaine déception : une vieille carotte finissait de moisir dans le bac à légumes et un yaourt venait à lui seul garnir le vide de cette froide armoire. Il faudrait que je m’en contente.

Un thé plus tard, je retournais m’affaler dans le canapé. J’optais pour le sommeil. Ou plus précisément pour une semi-somnolence cotonneuse, comateuse…propice au délire fiévreux.

C’est alors qu’un islandais barbu est venu sonner à ma porte. Je ne sais plus comment je ne me suis levée, ni pourquoi j’ai ouvert, après avoir jeté un œil au judas : la barbe hirsute n’avait pourtant rien de rassurant. Il ne parlait pas français, mais je comprenais étrangement cette drôle de langue. Je me souviens m’être dit « Rien de tel que de regarder des séries pour apprendre une langue ».

Il cherchait un dénommé Vince. Il a regardé sous le canapé, dans le frigo. Cela m’a semblé tout à fait normal, mais Vince n’y était pas. Je savais, moi, qu’il était dans la salle de bains, planqué dans la baignoire, derrière le rideau de douche. Mais je n’aurais rien dit. Vince, même si je ne le connaissais pas, je l’aurais protégé comme s’il s’était agi de moi. C’était moi d’ailleurs. Mais motus.

Quelques minutes plus tard, l’islandais fichait le camp : un appel sur son portable, dont la sonnerie était un long vibrato de violoncelles, et il prenait la porte comme un voleur. Je me précipitai alors dans la salle de bains, je tirai violemment le rideau et éclatai de rire en claquant dans les mains de ce cher Vince qui, étrangement avait la tête d’un YouTubeur fameux. Il m’a montré une vidéo dans laquelle un chat montait sur le clavier d’un piano et qui, effrayé par les sons provoqués, avait les poils qui se hérissaient, comme dans un dessin animé. Avant de partir, il m’a expliqué qu’il n’y avait rien de plus chiant, en littérature, que la narration décousue d’un rêve.

Je me suis réveillée en grelotant : il était temps que je reprenne du paracétamol, ma fièvre était en train de grimper.