La première chose à faire, c'est d'essayer de trouver la civilisation. Si j’ai bien tout compris, tout semble s’être effondré en 2084. La voix a parlé de « Refondation ». Je n’ai aucune idée de ce que cela peut-être. Dans le dernier rêve, imposé par la machine, il y avait une ville détruite et des gens vivant dans une forêt : les « Féconds »…
Sur ma montagne, isolée du monde, entourée de brumes, il faut que je tente de rejoindre les premiers petits villages de la vallée. Les sentiers ne sont plus tracés : la nature a repris ses droits.
J’avance péniblement dans la forêt hivernale. Dans les premiers mètres, le soleil éclaire délicatement les arbres blanchis par le givre. Le paysage est paradisiaque. Plus je descends, plus la forêt est dense et plus l’ambiance s’obscurcit. J’entre dans le brouillard et dans les branchages emmêlés. Je n’ai pas de machette pour trancher les ronces qui barrent mon chemin. Les grands houx m’égratignent, les branches me frappent au visage.
Je tente de me souvenir : si j’arrive à redescendre au pied de ce massif forestier, si j’arrive à retrouver le grand chemin qui doit être encore un peu visible, parce qu’il était large et carrossable, et même goudronné, à certains endroits, je devrais trouver, à quatre ou cinq kilomètres, le premier village. Quelques maisons se réchauffant autour d’une église, plusieurs centaines d’âmes, dans les années fastes, jusqu’en 2030 : comme un paradis pour anciens citadins blasés. Mais si le village avait connu des embellies, il avait aussi subi des désertifications dramatiques. L’agriculture avait pris de la place puis avait reflué. Au moment des grandes crises de l’énergie, autour de 2050, il n’était plus possible d’y vivre correctement : trop éloigné de tout, trop isolé, il fallait une voiture, impérativement et ce n’était plus possible. Les belles villas étaient devenues des ruines, et quelques dizaines d’habitants cultivant leur jardin, vivant presque en autonomie et ne se rendant qu’exceptionnellement à la ville y habitaient encore.
Que trouverai-je aujourd’hui ? J’espérais un peu de compagnie, de chaleur, un toit et de la nourriture…
En avançant comme dans une jungle, je note le silence. Au cœur de l’hiver, pourtant, les oiseaux chantent encore, normalement. Ils sont les gardiens de la vie et de la joie…Mais là, juste un silence pesant. Un grand blanc, comme lorsque j’étais sur le sol, retenue par l’iA. Malgré la « Refondation », je commence à supposer que le monde a changé, profondément. Les grandes extinctions ont continué durant les 20 ans passés en conservation.
Au bout d’une heure de marche, j’arrive sur les traces de l’ancien grand chemin. Je me souviens des balades du dimanche, quand j’étais enfant, des cueillettes de champignons, de châtaignes, de ma mère qui disait, allez, viens marcher avec nous, ça te fera du bien, tu prendras l’air, plutôt que de rester devant ton écran d’ordinateur…Et moi, qui me résignait à suivre le reste de la famille…Ce sont des souvenirs, des odeurs, des plaisirs oubliés qui me reviennent dans ces grands bois sombres et brumeux. J’aime cela, aujourd’hui, alors que j’ai à nouveau 20 ans et que je suis seule, incertaine et ignorante de ce que le monde est devenu durant mon absence.







