J’ai passé mon après-midi à regarder des vidéos crétines sur internet : des recettes dégoulinantes de mozzarella, des chats qui tombent, des bonnes sœurs dansant dans un cloître.
J’ai somnolé devant une série islandaise, que je me suis évertuée à regarder en version originale sous-titrée. Quand la flemme m’a prise, je n’ai plus lu les sous-titres. J’ai été propulsée dans un univers de froid, de vodka, de crimes sous la neige auxquels je n’ai rien compris. La musique de la langue a fini par faire dans ma tête un joyeux concert de borborygmes. J’étais dans un état second sans avoir pris de drogue.
Ce n’est pas tout à fait vrai. Je n’avais pas pris de drogue illicite, mais le médecin m’avait prescrit des cachets de toutes sortes, des anti-inflammatoires, des analgésiques, des calmants pour la toux à base de corticoïdes. J’avais tout pris en une poignée avec un seul verre d’eau et j’avais rejoint avec peine mon canapé.
Je n’avais rien mangé depuis des heures et les petites molécules médicales me montèrent au cerveau comme le shoot d’un héroïnomane. Les borborygmes islandais, ainsi que la musique grave, pleine de violoncelles inquiétants n’étaient pas sans évoquer les grognements de mon estomac douloureux. Au bout de quelques heures, il a fallu que je me lève. En passant devant mon reflet, dans la porte du four, j’ai pris peur. J’avais des cernes violacés sous les yeux et un profil de zombie. La porte du frigo, une fois ouverte, m’offrit à son tour une certaine déception : une vieille carotte finissait de moisir dans le bac à légumes et un yaourt venait à lui seul garnir le vide de cette froide armoire. Il faudrait que je m’en contente.
Un thé plus tard, je retournais m’affaler dans le canapé. J’optais pour le sommeil. Ou plus précisément pour une semi-somnolence cotonneuse, comateuse…propice au délire fiévreux.
C’est alors qu’un islandais barbu est venu sonner à ma porte. Je ne sais plus comment je ne me suis levée, ni pourquoi j’ai ouvert, après avoir jeté un œil au judas : la barbe hirsute n’avait pourtant rien de rassurant. Il ne parlait pas français, mais je comprenais étrangement cette drôle de langue. Je me souviens m’être dit « Rien de tel que de regarder des séries pour apprendre une langue ».
Il cherchait un dénommé Vince. Il a regardé sous le canapé, dans le frigo. Cela m’a semblé tout à fait normal, mais Vince n’y était pas. Je savais, moi, qu’il était dans la salle de bains, planqué dans la baignoire, derrière le rideau de douche. Mais je n’aurais rien dit. Vince, même si je ne le connaissais pas, je l’aurais protégé comme s’il s’était agi de moi. C’était moi d’ailleurs. Mais motus.
Quelques minutes plus tard, l’islandais fichait le camp : un appel sur son portable, dont la sonnerie était un long vibrato de violoncelles, et il prenait la porte comme un voleur. Je me précipitai alors dans la salle de bains, je tirai violemment le rideau et éclatai de rire en claquant dans les mains de ce cher Vince qui, étrangement avait la tête d’un YouTubeur fameux. Il m’a montré une vidéo dans laquelle un chat montait sur le clavier d’un piano et qui, effrayé par les sons provoqués, avait les poils qui se hérissaient, comme dans un dessin animé. Avant de partir, il m’a expliqué qu’il n’y avait rien de plus chiant, en littérature, que la narration décousue d’un rêve.
Je me suis réveillée en grelotant : il était temps que je reprenne du paracétamol, ma fièvre était en train de grimper.
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