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dimanche 5 juillet 2020

D'où l'on vient, où l'on vit


Je viens d’un lieu extraordinaire. Je crois que je n’en ai vraiment pris conscience qu’en le quittant, qu’en vivant très loin de lui. Je l’ai quitté il y a longtemps déjà. Pour des lieux très beaux, parfois. Chambéry, Tours. Et puis maintenant, pour un lieu tellement différent, tellement banal, tellement industrieux, gris, sans noblesse. 

J’ai quitté la belle Tourangelle chargée d’histoire, traversée par la Loire majestueuse, j’ai quitté la Savoie jolie, j’ai quitté le village qui recèle sur les rives du plus beau lac de France, la nécropole des rois d’Italie, l’abbaye d’Hautecombe, le joyau de l’art néo-gothique, le petit bijou dans son écrin naturel d’eau et de forêt. Cette abbaye que j’aime tant, qui cache une riche statuaire, une pietà digne de celle de Michel-Ange, un clocher donjon qui en fait toute la grâce, qui se dresse comme un phare au bord du lac. Cette abbaye où des générations de mes ancêtres ont travaillé. C’est mon coeur et mon ADN, ce sont des racines puissantes. Et depuis que je suis partie, je prends conscience de la richesse que j’ai quittée. Mais avant, il me semblait que je quittais le trou du cul du monde, un lieu insignifiant et étroit. D’une certaine manière, c’est un peu vrai. Je suis chaque fois sidérée par le manque d’ouverture d’esprit des gens de mon village natal : dernier exemple en date avec le restaurant qui est boudé par les habitants parce qu’il est tenu par un Noir. Et pourtant, on y mange très bien. Mais cette attitude, malheureusement, se confirme à chaque élection. 

Aujourd’hui, je vis dans le pays de Montbéliard. Dans une ville agréable, au bord de la rivière, ce qui
compte beaucoup : il faut de l’eau, toujours. Mais cette terre d’accueil n’a pas de charme particulier. Je suis lente à saisir le contour des choses. J’ai mis du temps à essayer de comprendre ce qui faisait que je me sentais bien ici, tout de même : pas de paysage grandiose, une architecture austère, une histoire faite de labeur et de misère, une gastronomie de pommes de terre et de tarte à la crème banale. Je ne suis pas malheureuse, pour autant. J’ai coutume de penser que l’on est bien quelque part tant que l’on est bien dans son coeur et dans sa tête - et une faculté assez grande à voir de la beauté partout. 

Ce que j’ai compris assez vite, cependant, c’est l’immense richesse du lieu : ce sont les gens qui y vivent. C’est une terre d’accueil, une terre de mélanges, de partage, de cultures diverses qui se sont mêlées depuis des générations. Les Italiens, les Polonais, les Espagnols, les Portugais, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Turcs...Et bien d’autres nationalités encore, qui sont venues au cours de l’histoire pour travailler dans les usines. Melting pot qui enseigne la tolérance et l’ouverture à l’autre, dès l’école. Une fois, je crois, nous avions essayé de compter, au collège et nous avions trouvé une trentaine de nationalités différentes parmi nos élèves. Je ne dis pas qu’il n’y a pas des communautarismes, qu’il n’y a pas aussi des imbéciles, ici. Mais ils ont des amis différents et ils sont sans doute un peu moins racistes que dans les vallées encaissées de ma Savoie natale. Ici, l’acceptation de mon homosexualité a été facile et même si cela reste une singularité, je n’ai pas rencontré trop de réactions hostiles. On peut être différents et c’est important, c’est ce qui fait la beauté de ces contrées. Les gens possèdent une richesse dont ils n’ont pas vraiment conscience.

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