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vendredi 14 février 2025

La couleur de mon âme


Si je publiais ce roman, ce serait un peu comme revenir aux origines. Repartir à zéro. 

Dans la vie, si la fin est inéluctable, les étapes et le temps qu’elle prendra sont facultatifs. Mais écrire, pour moi, ce n’est pas une option. C’est un besoin, une nécessité. Comme la respiration. 

En écrivant ces mots, c’est comme si je reprenais mon souffle. Un bol d’air la bouche grande ouverte, brutal. Comme si j’avais eu la tête sous l’eau trop longtemps. Comme si quelqu’un m’avait appuyé sur la tête, dans une baignoire de série noire, comme si un malfrat avait voulu me tuer. Mais ce malfrat, c’était moi. J’étais la victime et le bourreau. 

En écrivant ces lignes, je ne suis pas sûre d’être guérie, mais je crois que c’est un passage. Un passage difficile, douloureux. Il faut pourtant que je parvienne à poser des mots sur ce que j’ai traversé. Sur ce que je continue de traverser. 

Tout d’abord, il y a les voix. Les murmures. Ce ne sont jamais des cris. Ce sont des murmures qui répètent comme un mantra maudit, je ne suis rien, je ne suis personne. Je veux mourir. Et cela devient une musique, un refrain. J’ai écrit “tout d’abord”. Mais est-ce par-là que cela a commencé ? Non. Il y a eu la mort d’abord Il y a eu le sentiment de disparaître et d’en avoir fini avec la vie quand mes deux parents ont poussé leur dernier souffle. De n’avoir sur cette terre plus personne à qui prouver quoi que ce soit. C’était pour leur prouver à eux que j’étais digne de la vie qu’ils m’avaient donnée que je faisais les choses. Les romans, les sourires, la politique, les diplômes, les petites fiertés stupides, les articles dans les journaux. C’était pour leur dire que j’étais désolée de ne pas être à la hauteur. Pour qu’ils me pardonnent la déception : pour qu’ils pardonnent à la fillette trop maigre, trop malade, trop lente, trop mauvaise à l’école, en retard, trop rêveuse, trop distraite, pas assez sportive, pas assez active, trop lesbienne, pas assez mère. Je voulais qu’ils se disent qu’ils n’avaient pas tout loupé. Mais ce n’était jamais assez et ils ont disparu. Sans me dire qu’ils me pardonnaient. Ou n’ai-je pas voulu l’entendre ? Ou n’ai-je pas voulu le croire ? J’ai continué de penser que je n’étais pas assez. Jamais assez. 

Je ne suis rien, je ne suis personne. Je veux mourir. C’est venu là. Comme ça, comme si ces mots s’étaient infiltrés en moi. 

Je vais courir, parfois, dans les petits matins froids, le long de la rivière. Les éclaircies sont rares, les ciels sont gris, mon âme s’évade au rythme d’une musique lancinante. Dans le souffle frais qui remplit mes poumons, je sens alors la vie. J’oublie un peu les mots qui taillent les veines de mon cerveau et qui défient ma raison. 

Je continue de sourire pour les gens, je continue de dire ça va. Mais les mots sont là, rengaine assassine. Je n’en sors pas. Je suis enfermée dans ces mots. Quand je veux en faire part, quand je veux me confier, les autres ont peur. La violence des mots les effraie. Ils ne veulent pas m’aider et je m’efface un peu plus à chaque fois. Pourtant, je le dis sans crier. Je le dis avec un doux sourire, je veux mourir. Je veux mourir. Cela ne veut pas dire que je vais faire cela violemment. Cela veut dire qu’il faut que je m’arrête. Que mon cœur cesse doucement de battre, simplement, sans faire de bruit. Juste que je disparaisse. Alors puisque mon cœur ne s’arrête pas, je disparais. Je n’ai pas d’autres solutions. Je ne parais plus devant les gens. Je porte trop de mort en moi, je me rends compte que je leur fais du mal. Alors je passe comme un fantôme. Pour ne pas déranger. Je m’exfiltre. Je m’extirpe de la réalité. Cela ne suffit pas à calmer le murmure. En marchant dans la rue, il est là. En promenant le chien. Je ne suis rien. En me levant le matin, je ne suis rien. En faisant la vaisselle, en écrivant ces lignes. Je ne suis personne. Et je veux mourir. 

On m’a dit va voir un psy. Prends des cachets. C’est ce que je fais. On m’a dit fais de la méditation. Sors, regarde des films, écoute de la musique. Mais les voix sont là. Elles se glissent dans tous les interstices de ma vie. Quand je suis aux toilettes, je ne suis rien, je ne suis personne, quand je suis devant les élèves, je veux mourir. Mais il faut quand même sourire. 

En écrivant ces lignes, peut-être qu’elles sont un peu moins dans ma tête, ces phrases de malheur. Peut-être qu’en les voyant à l’écran, noires sur blanc, elles me paraissent plus insupportables que lorsque je les entends, susurrées à mon cervelet primitif, quand je les lis, soudain, j’en saisis toute la violence. Mais jusque-là, j’étais bloquée. L’écriture ne pouvait pas m’aider. 

Il y a eu le corps, ensuite, qui s’est mis à crier. Si les mots sont des murmures, les maux sont des hurlements. Ma gorge s’est serrée. C’est physiquement que j’ai perçu cet étouffement. Cette tête sous l’eau. Par mon larynx noué. Par cette boule que je n’arrive pas à sortir. Par ces mots qui murmurent que je n’arrive pas à hurler. 

Parce que dans le fond, c’est une colère qui sourd en moi. Oui, je joue avec les mots, je m’en amuse. Mais ce n’est pas drôle. C’est une colère qui s’exprime avec douleur. Les tendons d’Achille, aussi. Douloureux, bleus, parfois. Lourd de sens, les tendons d’Achille. Achille : le héros que sa mère a voulu sauver de la mort, mais qui l’a laissé avec cette colère, implacable colère, celle qui peut laisser en déroute une armée entière, qui peut tuer Hector, qui peut traîner un corps sous les remparts d’une ville et sous les yeux d’un père vaincu de tristesse. La colère est en moi et refuse de sortir. Pas une larme, jamais. Je m’efforce de sourire quand je les sens monter et je sers un peu plus les muscles de mon ventre. 

C’est irrationnel. 

Je ne sais pas les raisons de ma colère. Je ne sais pas si c’est contre mes parents ou contre moi que je tempête. Je ne sais pas pourquoi je me ravage. Je m’en veux de n’être jamais qu’une enfant. Je m’en veux de ne pas savoir profiter de ce que la vie me donne. Je m’en veux de n’avoir pas su montrer à mes parents…montrer quoi ? Je ne sais plus. À mon âge, je ne devrais plus avoir rien à prouver à personne. Même à moi ? Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas simplement me dire que ça va ? Pourquoi vouloir me faire du mal ? Pourquoi les voix ne se taisent pas ? Pourquoi la raison ne prend pas le contrôle, cette fois encore ? Pourquoi est-ce que ma gorge continue de me faire souffrir ? Pourquoi je ne parviens pas à sublimer cela, comme je l’ai fait par le passé, en écrivant, en chantant, en riant, en parlant, en échangeant ? Simplement en vivant. Je ne vis plus. Je suis retranchée, isolée. 

En écrivant ces lignes, peut-être que comme dans la chanson de Coldplay, il faut que je compte mes démons et qu’avec les bons, je chasse les mauvais. Et tout n’est pas perdu. Est-ce que je le veux ? Si je publie ce roman, c’est que je le veux. 

6 commentaires:

Gérard a dit…

Tes parents ne t'ont jamais dit qu'ils te pardonnaient, tout simplement parce qu'ils n'avaient rien à te pardonner !

Odile a dit…

Écrire pour se libérer ne vous fera que du bien, de plus’ vous avez une belle maîtrise des mots. Et une chose est sûre c’est que l’on est en rien responsable de ses parents, croyez moi en mon expérience. Continuez à publier vos photos… elles ont toujours une belle lumière ! Odile

Anonyme a dit…

La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille mais elle vaut quand même la peine d’être vécue - ce n’est pas facile tous les jours et je sais de quoi je parle mais tu es une belle personne et j’adore les photos que tu postes, allez petit soldat met un pied devant l’autre et continue d’avancer - courage et amitiés

Anonyme a dit…

Anonyme c’est Eliane

Marie therese GODON a dit…

J’ai le sentiment qu’il y a beaucoup de non-dits, qui au fil du temps ne cessent de t’encombrer l’esprit, pour extraire ces « murmures » écrit, décrit, couche sur papier ces mots qui obstruent le tunnel qui mène à la lumière et à la vie.il suffit parfois d’un minuscule point lumineux pour redonner de l’espoir et du sens à son existence. Écrit ce livre et libère toi de ces obstacles, comme on vide sa poubelle devenue nauséabonde de détritus, je te « murmure »: prête ? voilà le camion benne …

MHF a dit…

Moi qui ne te connais que par tes écrits, qui te vois à travers tes livres, je suis totalement surprise. J'espère que ce prochain livre, que j'attends, te soulagera de ces pensées parasites et que tu pourras vivre pleinement les bonheurs que tu mérites.