Pages

dimanche 13 avril 2025

Des avis sur Déracinés


Les premiers avis sur mon livre reviennent à moi et ils sont plutôt positifs. Cela me surprend. Et me ravit, aussi, évidemment.

Il faut que je vous avoue que j'ai écrit ce roman, Déracinés, il y a quelques années déjà. Je ne l'avais pas publié parce que je l'avais fait relire à une amie qui ne l'avait pas aimé. 

Je sais combien j'ai tort de me fier à ce point à l'avis de quelqu'un d'autre. Ce n'est que le reflet de mon manque de confiance en moi. J'avais aussi d'autres doutes sur ce roman. Avant de le publier, je l'ai relu, je l'ai remanié et je l'ai fait relire à une autre amie. 

J'ai corrigé des incohérences, des maladresses. Mais globalement, c'est tout de même le roman que j'avais écrit il y a quelques années en arrière. Je l'ai relu avec l'impression que j'étais toujours prisonnière des mêmes démons, des mêmes obsessions qu'aujourd'hui, d'ailleurs. Publier cette histoire n'est donc pas anodin. Cela me permet de poser ces choses là, de les tenir à distance. 

Noëlle, une de mes fidèles lectrices m'a dit que c'était son préféré après La Graine. C'est un sacré compliment. Mais elle m'a dit aussi que ce livre là, comme tous les autres, était empreint de noirceur. 

Elle me l'avait déjà dit les fois précédentes et j'avais eu du mal à le comprendre et même à l'accepter. Mais cette fois, je comprends mieux ce qu'elle veut dire. Oui, il y a la mort, la solitude, les tourments de la vie, dans mes histoires. Mais je crois que c'est partie intégrante de notre existence et que nous devons composer avec, même si entre vie et trépas, nous espérons, nous avançons, nous créons, nous donnons la vie, nous aimons...

Publier un roman, c'est s'exposer, c'est donner à voir beaucoup de soi. Cela ne fait rien pour calmer mes angoisses existentielles, mais cela me permet quand même d'avancer...

 



dimanche 6 avril 2025

Le sonnet du sac


Il y avait sur la place, après le marché, 

Un sac en plastique tourmenté par le vent

Et le ciel était pur tout autour du clocher.

Le vent dans le nez et marchant le nez au vent, 


Nous allions doucement, comme un dimanche soir, 

Le sac volait, tournait, comme les pensées noires,

La place ressemblait à un soir de débâcle,

Les balayeuses chorégraphes offraient spectacle.


La poésie du sac volant dans le ciel bleu

Mettait en mon coeur un peu de baume et de joie,

La lumière semblait légère, l'air plus froid.


Le sac s'accrocha à un arbre, tableau fâcheux :

Sur fond de soleil couchant, le plastique échoit, 

Pollution triviale, qui me laisse sans voix. 

samedi 5 avril 2025

Malgré la tristesse


Aujourd'hui, malgré la tristesse insondable qui m'assaille souvent, j'ai aimé le soleil presque estival se reflétant sur le Doubs presque immobile. La longue balade matinale, avec mon amour et le chien. 

J'ai aimé la ville animée, le marché sous les arbres bourgeonnant. 

J'ai aimé le romarin sur le poisson et le gratin de chou-fleur. J'ai aimé le chocolat de Pâques, même si ce n'est pas encore Pâques. 

J'ai aimé penser que demain, nous aurons Noémie et Sébastien. 

J'ai aimé m'asseoir devant mon ordinateur pour écrire, même si les mots ne viennent pas, même si je me sens vide comme un tube de dentifrice qu'on aurait roulé jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il exprime absolument toute sa substance. 

J'ai aimé les deux vernissages de ce jour, les talents divers des peintres amateurs, les sourires fiers de ceux qui présentaient leurs oeuvres. Devant les aquarelles, j'ai pensé à ma mère.

J'ai été très émue par la poésie étrange des photos de Sophie Patry

J'ai aimé qu'on me parle de mon dernier roman, même si souvent je ne sais pas quoi faire des compliments et que j'en reste stupide. 

J'ai aimé la clarté et les nuances du ciel du soir. 

J'ai aimé la poignée de la porte du restaurant chinois où l'on avait commandé un rouleau de printemps, une soupe vietnamienne, du riz cantonnais, des brochettes de boeuf aux cinq saveurs. Et deux bières thaï. La poignée de la porte de cet établissement est légère et sensible et la porte bondit qu'on l'effleure. 

J'ai aimé la dernière promenade du soir, avec le chien, dans la ville encore animée, les terrasses, les passants, le sourire de ce garçon qui a failli se prendre les pieds dans la laisse de Soské. 


vendredi 14 février 2025

La couleur de mon âme


Si je publiais ce roman, ce serait un peu comme revenir aux origines. Repartir à zéro. 

Dans la vie, si la fin est inéluctable, les étapes et le temps qu’elle prendra sont facultatifs. Mais écrire, pour moi, ce n’est pas une option. C’est un besoin, une nécessité. Comme la respiration. 

En écrivant ces mots, c’est comme si je reprenais mon souffle. Un bol d’air la bouche grande ouverte, brutal. Comme si j’avais eu la tête sous l’eau trop longtemps. Comme si quelqu’un m’avait appuyé sur la tête, dans une baignoire de série noire, comme si un malfrat avait voulu me tuer. Mais ce malfrat, c’était moi. J’étais la victime et le bourreau. 

En écrivant ces lignes, je ne suis pas sûre d’être guérie, mais je crois que c’est un passage. Un passage difficile, douloureux. Il faut pourtant que je parvienne à poser des mots sur ce que j’ai traversé. Sur ce que je continue de traverser. 

Tout d’abord, il y a les voix. Les murmures. Ce ne sont jamais des cris. Ce sont des murmures qui répètent comme un mantra maudit, je ne suis rien, je ne suis personne. Je veux mourir. Et cela devient une musique, un refrain. J’ai écrit “tout d’abord”. Mais est-ce par-là que cela a commencé ? Non. Il y a eu la mort d’abord Il y a eu le sentiment de disparaître et d’en avoir fini avec la vie quand mes deux parents ont poussé leur dernier souffle. De n’avoir sur cette terre plus personne à qui prouver quoi que ce soit. C’était pour leur prouver à eux que j’étais digne de la vie qu’ils m’avaient donnée que je faisais les choses. Les romans, les sourires, la politique, les diplômes, les petites fiertés stupides, les articles dans les journaux. C’était pour leur dire que j’étais désolée de ne pas être à la hauteur. Pour qu’ils me pardonnent la déception : pour qu’ils pardonnent à la fillette trop maigre, trop malade, trop lente, trop mauvaise à l’école, en retard, trop rêveuse, trop distraite, pas assez sportive, pas assez active, trop lesbienne, pas assez mère. Je voulais qu’ils se disent qu’ils n’avaient pas tout loupé. Mais ce n’était jamais assez et ils ont disparu. Sans me dire qu’ils me pardonnaient. Ou n’ai-je pas voulu l’entendre ? Ou n’ai-je pas voulu le croire ? J’ai continué de penser que je n’étais pas assez. Jamais assez. 

Je ne suis rien, je ne suis personne. Je veux mourir. C’est venu là. Comme ça, comme si ces mots s’étaient infiltrés en moi. 

Je vais courir, parfois, dans les petits matins froids, le long de la rivière. Les éclaircies sont rares, les ciels sont gris, mon âme s’évade au rythme d’une musique lancinante. Dans le souffle frais qui remplit mes poumons, je sens alors la vie. J’oublie un peu les mots qui taillent les veines de mon cerveau et qui défient ma raison. 

Je continue de sourire pour les gens, je continue de dire ça va. Mais les mots sont là, rengaine assassine. Je n’en sors pas. Je suis enfermée dans ces mots. Quand je veux en faire part, quand je veux me confier, les autres ont peur. La violence des mots les effraie. Ils ne veulent pas m’aider et je m’efface un peu plus à chaque fois. Pourtant, je le dis sans crier. Je le dis avec un doux sourire, je veux mourir. Je veux mourir. Cela ne veut pas dire que je vais faire cela violemment. Cela veut dire qu’il faut que je m’arrête. Que mon cœur cesse doucement de battre, simplement, sans faire de bruit. Juste que je disparaisse. Alors puisque mon cœur ne s’arrête pas, je disparais. Je n’ai pas d’autres solutions. Je ne parais plus devant les gens. Je porte trop de mort en moi, je me rends compte que je leur fais du mal. Alors je passe comme un fantôme. Pour ne pas déranger. Je m’exfiltre. Je m’extirpe de la réalité. Cela ne suffit pas à calmer le murmure. En marchant dans la rue, il est là. En promenant le chien. Je ne suis rien. En me levant le matin, je ne suis rien. En faisant la vaisselle, en écrivant ces lignes. Je ne suis personne. Et je veux mourir. 

On m’a dit va voir un psy. Prends des cachets. C’est ce que je fais. On m’a dit fais de la méditation. Sors, regarde des films, écoute de la musique. Mais les voix sont là. Elles se glissent dans tous les interstices de ma vie. Quand je suis aux toilettes, je ne suis rien, je ne suis personne, quand je suis devant les élèves, je veux mourir. Mais il faut quand même sourire. 

En écrivant ces lignes, peut-être qu’elles sont un peu moins dans ma tête, ces phrases de malheur. Peut-être qu’en les voyant à l’écran, noires sur blanc, elles me paraissent plus insupportables que lorsque je les entends, susurrées à mon cervelet primitif, quand je les lis, soudain, j’en saisis toute la violence. Mais jusque-là, j’étais bloquée. L’écriture ne pouvait pas m’aider. 

Il y a eu le corps, ensuite, qui s’est mis à crier. Si les mots sont des murmures, les maux sont des hurlements. Ma gorge s’est serrée. C’est physiquement que j’ai perçu cet étouffement. Cette tête sous l’eau. Par mon larynx noué. Par cette boule que je n’arrive pas à sortir. Par ces mots qui murmurent que je n’arrive pas à hurler. 

Parce que dans le fond, c’est une colère qui sourd en moi. Oui, je joue avec les mots, je m’en amuse. Mais ce n’est pas drôle. C’est une colère qui s’exprime avec douleur. Les tendons d’Achille, aussi. Douloureux, bleus, parfois. Lourd de sens, les tendons d’Achille. Achille : le héros que sa mère a voulu sauver de la mort, mais qui l’a laissé avec cette colère, implacable colère, celle qui peut laisser en déroute une armée entière, qui peut tuer Hector, qui peut traîner un corps sous les remparts d’une ville et sous les yeux d’un père vaincu de tristesse. La colère est en moi et refuse de sortir. Pas une larme, jamais. Je m’efforce de sourire quand je les sens monter et je sers un peu plus les muscles de mon ventre. 

C’est irrationnel. 

Je ne sais pas les raisons de ma colère. Je ne sais pas si c’est contre mes parents ou contre moi que je tempête. Je ne sais pas pourquoi je me ravage. Je m’en veux de n’être jamais qu’une enfant. Je m’en veux de ne pas savoir profiter de ce que la vie me donne. Je m’en veux de n’avoir pas su montrer à mes parents…montrer quoi ? Je ne sais plus. À mon âge, je ne devrais plus avoir rien à prouver à personne. Même à moi ? Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas simplement me dire que ça va ? Pourquoi vouloir me faire du mal ? Pourquoi les voix ne se taisent pas ? Pourquoi la raison ne prend pas le contrôle, cette fois encore ? Pourquoi est-ce que ma gorge continue de me faire souffrir ? Pourquoi je ne parviens pas à sublimer cela, comme je l’ai fait par le passé, en écrivant, en chantant, en riant, en parlant, en échangeant ? Simplement en vivant. Je ne vis plus. Je suis retranchée, isolée. 

En écrivant ces lignes, peut-être que comme dans la chanson de Coldplay, il faut que je compte mes démons et qu’avec les bons, je chasse les mauvais. Et tout n’est pas perdu. Est-ce que je le veux ? Si je publie ce roman, c’est que je le veux.