Surveiller l'épreuve du brevet des collèges est toujours un moment très particulier pour moi. Je regarde ces êtres à peine sortis de l'enfance se pencher sur leur copie et je contemple ces vies qui commencent, sans même qu'elles en aient conscience.
Certains, je les connais déjà depuis 4 ans.
Je les ai vus au premier jour, minots, dans la cour brûlante d'un mois de septembre, avec leurs parents, intimidés, minuscules, curieux, inquiets, excités. Je les retrouve aujourd'hui, au dernier jour, sérieux, concentrés ou distraits, selon les motivations qu'ils mettent dans cette épreuve rituelle mais un peu obsolète, nécessaire et inutile à la fois, dans ce rite de passage auquel personne n'attache réellement d'importance.
Savez-vous qu'il faut avoir le Diplôme National du Brevet pour être facteur ?
Il n'est pas nécessaire pour passer le bac, par contre.
Mais qu'ils sont émouvants, ces troisièmes.
Les garçons ont poussé comme des tiges. Parfois, un duvet s'invite au dessus de leurs lèvres tandis qu'ils ont encore des jambes de faon et la peau fine et translucide des bébés, le regard clair et naïf d'avant l'adolescence.
Les filles sont graves, les sourcils froncés. Certaines sont déjà des femmes, les cheveux lissés consciencieusement, pour l'occasion de ce brevet. Comme certains garçons ont mis une chemisette pour l'événement, les filles ont pris le temps, ce matin, de faire le brushing, de mettre un gloss discret et élégant, ont choisi d'assortir la barrette rose qui attache leur chevelure aux boucles d'oreilles et à leur plus beau tee-shirt.
Si on ne s'endimanche plus guère, de nos jours, pour le brevet, on fait un effort.
Le texte de l'épreuve, cette année, est de Simone de Beauvoir. Facile. Clair. Lumineux. C'est sa découverte de Marseille, sa vie qui commence.
Les questions sont simples aussi.
Pourtant, il y a cet élève dont le regard se perd au plafond, aux fenêtres et aux murs ornés de dessins de la salle d'arts plastiques où je surveille. Il n'a pas écrit un mot. Je suis passée près de lui, l'encourageant discrètement à essayer. C'est trop dur, m'a-t-il répondu. Il a écrit 1) a) et puis il a continué de mâchonner son stylo en faisant courir ses yeux de l'horloge à la porte, en baillant aux corneilles. Il fera le bonheur d'un correcteur, à ses dépends.
Dans la salle, sinon, l'ambiance est rythmée par les bruits de stylo, par les souris de typex qu'on repose sur la table, par les bracelets des minettes qui heurtent les pupitres. C'est studieux. On sent l'application jusque dans les écritures serrées qui courent sur les copies. Jusque dans les coups de surligneur qu'on passe sur le texte, appliquant consciencieusement les consignes des profs de français et leurs leçons de méthodologie de secrétaire zélée.
Parfois, un regard croise le mien. Je ne sais pas si cela est un appel au secours, une recherche d'inspiration... Je leur offre ma bienveillance.
Je me souviens à peine de mon brevet à moi. Je crois que j'en étais sortie satisfaite, avec la sensation pour la première fois de ma vie de n'avoir pas fait de faute dans la dictée. Il me semble que le texte était de Zola, auteur que j'adorais et dont j'avais dévoré les romans depuis la 5e. J'avais dû y voir comme un signe du destin. Et puis je misais tout sur la rédaction, de toute façon, mon point fort depuis toujours. Cela rattraperait ma médiocrité en maths.
On fait des calculs comme ceux là, en troisième. On compte et recompte les points du contrôle continu, on espère avoir la moyenne, on se dit que l'oral nous sauvera les fesses. On se permet alors de lâcher un peu sur les questions de grammaire. Cela va passer.
Et on fera le bonheur de nos parents, de nos grands-parents, pour ce premier examen de grands.
Le brevet, ça ne sert à rien. Mais quand même, c'est très important.
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