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samedi 22 novembre 2025

Il n'y a rien - Épisode 3

 

Je suis une fois de plus repartie dans un sommeil profond. Je me suis retrouvée au lycée, cette fois. La puissance du souvenir. Les lectures de la pièce, en classe, ce personnage de lesbienne austère qui avait fait marrer les garçons. Dans mon sommeil, le titre m’est revenu. Huis Clos. C’était cela. Je me sens enfermée dans mon corps. Lockdown syndrome, dans une sorte de paradis blanc. Et puis non, cela revient à penser que je suis dans le coma et ce n’est pas cela. Cette fois-ci, délibérément, je n’ai pas rouvert les yeux. Je me suis complu dans mes souvenirs. Le lycée si lointain. Tout semblait possible, à 18 ans. Le corps ne me lâchait jamais, je me sentais infaillible et je pensais que cela durerait toujours. J’avais appris que j’étais belle dans le regard de certains garçons et j’en faisais une fierté, un étendard, un droit de passage. Même si j’avais aussi appris le mépris dans le regard de beaucoup d’autres. 


 Que j’étais bête, quand j’y pense, mais comme j’avais eu raison d’en profiter. C’était un autre temps. On pouvait séduire, on pouvait profiter. 

 C’était avant. 

 J’ai glissé à nouveau. 

 Le rêve m’a conduit soudain sur les rives d’un bonheur perdu. Soirée disco, milieu des années 80. That’s the river of Babylon. La mélopée des voix puis le rythme qui m’emporte. J’ai 15 ans, soudain. Fin de 3e. J’ai les mains moites et j’ai mis mon plus beau jean. Celui qui me fait un cul d’enfer et une taille de guêpe. Celui qui faisaient du corps des filles comme un triangle posé sur le sol, la taille haute et fine, les pattes d’eph’ en bas, et puis un petit débardeur et des couettes, je ne sais plus, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai des seins et que ça fait rougir les gars. La scène se passe dans le garage de la maison des parents d’un copain. On a caché l’établi avec des grands draps, on a décoré avec des ballons, on a trouvé deux ou trois spots colorés et on a emprunté la chaîne hifi du tonton pour passer des cassettes et des disques. Sur l’invitation, on était convié à amener tout ce qu’on avait en musique cool. Les filles avaient fait un cercle avec des chaises de jardin et discutaient entre elles, riaient fort, se moquaient sans doute un peu des garçons, en les regardant en coin. Les garçons tâchaient d’occuper l’espace, se donnant une constance, un verre de Coca à la main, en parlant foot ou formule 1, mais en reluquant surtout les nanas. Deux petits mondes distincts qui attendaient patiemment que la musique se fasse plus douce pour s’apprivoiser. L’intro de la chanson de Boney M est parfaite pour ça. Premier contact. On se regarde dans les yeux et on éclate de rire, un peu gêné, puis la musique dissipe la gêne, on bouge en rythme, on se laisse emporter. C’est ce jour-là que Rémi, le musclé, le beau gars, celui qui était déjà passé au lycée, le frère de Caro, la best friend de toujours, Rémi, celui qui faisait tourner les têtes de toutes les filles, qui avait son prénom entouré de petits cœurs roses dans tous les agendas et qui aurait défendu sa petite sœur à coups de poings s’il avait fallu, Rémi…Le souvenir s’effiloche puis les images se rassemblent, la lumière, l’ambiance, le goût du Coca et du gâteau au yaourt, nappage au chocolat avec des Smarties pour faire la déco, Rémi, comment était-il habillé, un jean, sûrement, mais contrairement aux autres qui avaient mis une chemisette pour l’occasion, lui, mettait en valeur ses bras de boxeur avec un tee-shirt aux manches roulées. Un peu bad boy. Aux premières notes de la chanson, il est venu vers moi, sans sourire, très sûr de lui, le regard ténébreux. Il m’a pris par la main et je l’ai collé un peu en me trémoussant. Il m’a murmuré « Toi, t’es ma préférée de toutes les copines de ma sœur ! Tu vas faire des ravages au lycée, t’es carrément belle ! » Ils avaient eu le temps d’esquisser quelques pas d’une sorte de slow et puis la musique avait démarré et l’étreinte s’étaient desserrée. 

 C’est furtif, c’est léger un souvenir d’avant et ça vous revient sans prévenir. C’est doux comme un premier baiser. On ne voudrait plus se réveiller, ensuite.

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