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lundi 9 novembre 2020

Cultiver les petits bonheurs du jour


Ma peau a pâli déjà, l’été est si loin. Nous n’avons pas vu le temps passer. Point commun avec le premier confinement : il fait beau. Différence : le confinement ? Quel confinement ? Des voitures partout, tout le temps, des passants qui passent, tout semble continuer. 

Je le sens bien, moi, depuis jeudi dernier, le confinement, puisque je suis cas contact. J’ai été testée ce matin, j’attends les résultats avec successivement tous les symptômes de la parfaite hypocondriaque stupide que je suis : léger mal de tête qui s’estompe aussitôt que je n’y pense plus, impression d’oppression dans la poitrine, sensation d’étouffement, impossibilité de reprendre mon souffle, gorge qui soudain s’irrite. Petite panique en ayant l’impression que je n’ai plus de goût. Soudaine envie de vomir. Troubles intestinaux...mais j’en ai tout le temps. 

J’ai tenté le travail à distance avec mes élèves : deux classes de 25 sixièmes, des devoirs envoyés à chacun d’eux, une seule réponse. Sentiment d’échec. En même temps, une prof absente, c’est toujours du bonheur pour les élèves. Je me souviens de la joie que nous avions quand dans le couloir, devant la salle de classe, nous apprenions que Mme Machin, prof de maths était absente. C’était des cris de joie ! Le surveillant (qu’on appelait alors “pion”, ce petit surnom a complètement disparu, c’est un mystère de la langue française) calmait alors nos ardeurs “C’est pas sympa pour Mme Machin ! Elle est malade !” Et nous prenions un air un peu contrit et tout à fait hypocrite pour plaindre gentiment Mme Machin, parce que dans le fond, nous étions bien élevés. Mis à part le défunt mot “pion”, rien n’a vraiment changé : les élèves sont toujours ravis de l’absence d’un prof, même s’ils l’aiment bien. C’est bien naturel. Et je suis heureuse de leur faire cette joie. 

Si tout va bien, j’aurai les résultats demain, ils seront négatifs et je retournerai au collège en fin de semaine. 

En attendant, les nouvelles de Savoie sont très mauvaises. C’est le département le plus touché par l’épidémie, cette fois-ci. Ma mère a l’air d’être plus sage qu'au printemps. Mais les grands-parents d’Amandine nous inquiètent vivement. 

L’ambiance épouvantable du moment, entre menace terroriste et pandémie, nous pousse à nous centrer sur les petits bonheurs du jour, à les cultiver, à les partager, autant que possible. C’est une condition de survie.  

Partager ses lectures - moi, j’ai bien aimé Yoga d’Emmanuel Carrère et je suis en train de relire 1984, dans la nouvelle traduction. C’est bien, mais ça, je ne le conseille pas vraiment pour se remonter le moral. Pour rire un peu, préférez plutôt le dernier Fabrice Caro, Broadway. La première moitié du livre vous offre un fou rire par page, si vous êtes bon public.

Partager ses petits plats - à midi, j’ai fait un wok de boeuf au chou et aux nouilles sautées, c’était pas mal. Ce soir, j’ai fait une tarte au saumon, avec un peu d’aneth et des baies roses. C’était bon. 

Partager de la musique - la musique est idéale, pour ne pas penser. Tenter de comprendre les paroles quand elles sont en anglais. Des chansons d’amour, des chansons douces. To chill, en anglais. S’accrocher au timbre d’une voix, à son grain, à sa profondeur ou à sa fragilité. A la voix familière des chanteurs que j’aime. Les voix réconfortantes, enrobantes, thérapeutiques d’Elvis, d’Alain Souchon, de Chet Baker, de Damien Rice, de John Mayer... Ne pas se laisser atteindre par les mauvaises nouvelles. Être dans une bulle. 

Partager avec ceux qui sont loin - rester en contact permanent avec Florence qui nous envoie des vidéos du petit Rémy qui parle presque, maintenant, et qui a des tas de choses à raconter. Tellement adorable. J’ai eu ma mère, aussi, comme chaque jour. Si loin, si triste, mais quand j’arrive à l’aider pour ses mots croisés, comme si j’étais à côté d’elle, alors je suis contente. Escargot, en deux mots ? Petit gris. Et puis ce soir, Florence, ma chère Flo tellement loin de moi, tellement proche aussi : une amie avec qui on renoue le fil de la conversation comme si on s’était quittées hier, ce qui est sans doute le signe des grandes amitiés. 

La vie continue, faisons la douce.

 

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