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jeudi 5 octobre 2017

Carte Mère - Chapitre 8

VIII 

A 5h, mon radio réveil se mit en route. Les infos distillaient déjà leurs nouvelles macabres. Il était déjà question de la Syrie, de Daesh, de Mossoul qu’il fallait reprendre, d’Alep qui était détruite. Je ne sais plus qui était mort, ce matin-là et quelle nouvelle un peu absurde ferma le flash d’informations. Avez-vous remarqué que les bulletins se terminent toujours par une nouvelle moins morose, une petite nouvelle sans importance, un fait divers amusant ou saugrenu : la doyenne de l’humanité soufflant ses bougies, les Rolling Stones se reformant pour un ultime album avant le prochain, une lettre qui trouve son destinataire 50 ans après avoir été envoyée, un homme retrouvé momifié dans son appartement 2 ans après sa mort que personne n'avait remarquée.

Je ne me suis pas souvenue tout de suite pourquoi j’avais mis mon réveil si tôt. Puis tout m’est revenu : il fallait que je consulte l’édition en ligne du journal. Que je voie l’ampleur des dégâts. Et je ne fus pas déçue.

Haro sur le conseiller qui haïssait le peuple ! La une, mon article en Région et un édito sur deux colonnes dans les premières pages locales. J’avais été la plus tendre. L’édito du patron était dégueulasse, il n’y a pas d’autre mot.

Le politique qui n’aimait pas les gens. 

Voilà le genre de nouvelle qui ne surprendra pas les électeurs qui ne se font plus beaucoup d’illusions sur notre classe politique. Tous pourris ? D'aucuns vous diront que c'est du populisme d’affirmer que nos politiques ne sont là que pour prendre les bonnes places et le pognon. Mais on peut quand même s’interroger sur les motivations profondes d’un élu qui déclare qu’il n’aime pas les gens. C’est en tout cas ce que nous a affirmé Samuel Rasier le conseiller régional fraîchement élu. Il a dit à notre journaliste culturelle, Sandrine Quépié. (NDLR : voir billet en page Région, p.6) que les électeurs étaient « (…) versatiles, égoïstes, bêtes et méchants. » Il a ajouté, rageur : « Je les déteste ! » 

N’allez pas croire que c’est un délire de journaliste. Nous avons l’enregistrement de cette conversation et nous le publierons bientôt sur notre site internet. Voilà qui ne fera pas remonter la cote de nos politiques. Pas de tous, en tout cas, car il y en a certainement de plus humanistes, et pas toujours dans les partis qu’on croit. 
G.G 

Billet assassin. Froid dans le dos. La dernière phrase ne laissait pas beaucoup de doute sur les affinités politiques du chef. Là, ma loyauté atteignait peut-être ses limites. Je ne le savais pas vraiment, pas encore. Mais je crois qu’à ce moment-là, quelque chose s’est brisé.

Le titre en une avec une photo à charge, grise, prise sur un piquet de grève, avec des drapeaux flottant derrière un Samuel Rasier grimaçant, reprenait les propos du politique : Rasier trouve les électeurs « versatiles, égoïstes, bêtes et méchants. » 

On jouait en fait à qui est le plus populiste. Et le journal gagnait haut la main. La tentation était grande et je commençais à le comprendre : sur Facebook, on n’avait du succès qu’avec les feux de voitures dans les banlieues, qu’avec les meurtres glauques dans les quartiers difficiles, les règlements de comptes pour les affaires de drogue… Des déferlantes de commentaires suant la haine. Des tas de profils bleu blanc rouge qui commentaient sur le thème de « tous les mêmes, il faut les pendre, et les politiques ne font rien… ». La xénophobie sans frein. Il fallait trouver des boucs émissaires plus pauvres et moins blancs et ces hordes de patriotes qui se découvraient n’avaient plus peur d’affirmer leur fascination pour le fascisme, leur dégoût du prétendu système et la méfiance envers la presse. C’était ce qui aurait dû permettre au rédacteur de notre journal de ne pas sombrer : peut-on se faire aimer par ces cons contre leur gré ? Achèteront-ils le journal si nous faisons dans la démagogie consistant à dire ce qu’ils attendent que l’on dise ? Il suffisait de cliquer sur quelques uns de ces profils pour se rendre compte que l’inculture y côtoyait le mauvais goût et le massacre de l’orthographe. La misère était surtout intellectuelle, parce qu’on se vantait de ses vacances, de sa voiture, de ses fringues de marques, de tout ce fatras tape-à-l’œil qu’impose la société de consommation. Tout cela était à vous faire désespérer du genre humain.

Café fort, en perfusion.

Pouvais-je rester plus longtemps dans cette rédaction, sous l’autorité de ce chef qui virait facho ? Je n’avais pas signé pour ça. Le journalisme est d’abord une vocation, une idée un peu romantique qu’on attrape en regardant des séries à la télé. On veut dire la vérité, mettre au jour des affaires, faire le justicier. Si la réalité n’est pas celle-ci, on garde quand même un peu de dignité. Mais j’avais été celle qui avait fourni les armes pour le peloton d’exécution d’un type qui s’était un peu emporté, qui avait déclaré clairement que ses propos étaient off et qui faisait son travail. Ni plus, ni moins. L’amour doit-il faire partie du travail d’un politique ? Je vacillais à nouveau, les propos de la jeune fille d’en face me revenaient et je ne savais plus quoi faire. La machine était lancée. Les articles étaient publiés. L’impression des affichettes pour les vitrines des boulangeries et des points presse était même faite.

Je suis restée deux heures à zoner vaguement sur internet à lire les commentaires qui s’accumulaient déjà sous l’article en ligne. Des commentaires allant du « Tous pourris » aux menaces de mort. Et pas de modération bien sûr.

Je me sentais seule et déprimée. Sept heures du matin triste, café froid. Je me suis mise à ressasser des idées mortifères : j’ai fait le vide autour de moi à cause de ce métier. J’ai toujours craint d’avoir à écrire des articles blessants sur des proches, j’ai préféré m’éloigner. J’ai toujours évité les conflits, mais les conflits font pourtant partie de la vie. Et il est important d’avoir des conflits avec des amis, parfois. Peut-être que j’ai surtout fait preuve de manque d’honnêteté et de courage. Il n’empêche que ce matin-là, j’étais seule. J’étais glacée et le froid venait de moi, de mon cœur et de tous mes organes. Un vertige infini me prenait soudain devant la vacuité de ma vie. Pas d’enfants, une mère déjà morte avant que la grande faucheuse n’ait fait son œuvre, pas d’amis, pas d’amour, une voisine qui me détestait et un rédacteur en chef qui m’utilisait pour distiller sa haine. Des centaines d’amis Facebook qui ne connaissaient même pas mon nom. Bilan terrifiant pour une femme de 45 ans. Je n’espérais plus grand chose de l’existence. Je me sentais déjà vieille sans avoir eu la joie d’être une jeune fille. J’avais toujours fait ce qu’on attendait de moi : les études, le travail, l’indépendance. Et je n’avais surtout pas pris de risque.

J’avais envie de me pendre. J’avais envie de ne pas laisser de trace. De ne plus déranger. Parce que pour le dérangement, j’avais fait fort. D’une petite interview sans conséquence, j’avais fait un scandale local.

Et puis évidemment, le téléphone s’est mis à sonner. Rasier. J’ai laissé sonner. Le message est arrivé sur le répondeur. Il était bien sûr furieux. Une colère froide et maîtrisée. Sûrement déjà dictée par un avocat. Ce type semblait intelligent, soudain, il savait qu’un message d’insultes sur un répondeur n’arrangerait pas les choses.

J’ai laissé passer. Surtout ne pas rappeler. Il aura sans doute contacté la rédaction. Sans doute même la direction régionale. Mon déni me reprenait : je ne suis pas responsable. Je n’ai signé que l'article sur le clown. Le reste m’échappe.

Le téléphone a sonné à nouveau. Le patron. J’ai décroché. Je sentais son rictus malsain et sa babine haineuse : pas besoin d’un visiophone. Il m’a félicitée, encore. Il a parlé des ventes qui explosaient déjà, des retweets en masse. De la reprise du scoop par tous les médias locaux. Il jubilait. Il m’a dit : « Attends, double appel, je te reprends… » Puis quelques minutes plus tard, il m’a annoncé que la nouvelle était reprise par Europe 1 et RTL.

Il m’a dit : « Tu es une championne. Il faut qu’on généralise le coup du Dictaphone. Il faut qu’on en parle aux correspondants locaux. Ils discutent encore plus facilement que nous avec les élus locaux… » Et puis il a terminé en me disant qu’on se voyait au comité de rédaction à 10h.

J’avais la nausée. Je n’avais rien pu dire au téléphone. Ma lâcheté ne m’avait pas lâchée.

Quand je suis arrivée au journal, il y avait une ambiance de fête. On ne sabrait pas le champagne parce qu’il était un peu tôt, mais le café montait presque à la tête : on nous avait demandé de réimprimer, le journal était en rupture sur les villes de la circonscription. Cela n’était pas arrivé depuis des siècles.

En réunion, on a décidé de la suite à donner à l’affaire.

Dans toutes les rédactions de la presse quotidienne régionale, la PQR, pour les intimes, on peut croire qu’il y a un type préposé aux métaphores marines éculées. Dans son bureau, on trouve les tourmentes, les tempêtes, les gros vents et les naufrages. L’intensité dramatique qui va du coup de vent à l’ouragan et ne se limite pas aux Dernières nouvelles de Brest. Ne croyez pas que l’on soit épargné si l’on vit loin de la mer. La Dépêche de Nancy et Le Progrès de Lyon n’y coupent pas : le moindre fait divers comporte, selon l’histoire, un insubmersible ou une épave échouée, c’est toujours peu ou prou la même histoire de voyage au long court, de grain en haute mer ou de départ en solitaire et sans escale. La mer, la mer toujours recommencée. Il faut que ça claque comme une marée haute sur l’île d’Ouessant, il faut qu’on sente les embruns du scandale. Dans toutes les rédactions de province, on pense à l’affichette qui fera mouche dans la vitrine des tabac-presse le lendemain matin. On sait bien ce qui fera vendre du papier. Alors on ne lésine pas sur l’hyperbole. Le moindre souci de voisinage se transforme en tir de bordée et si les commerçants rencontrent le maire pour se plaindre, ils montent à l’abordage de la mairie, rien de moins.

Dans cette rédaction, il n'y avait que ça, des scribouilleurs hyperboliques inspirés par les embruns ou par les huîtres de Noël, je ne sais pas. Alors, pour la suite à donner aux événements, on hésitait entre « Tempête dans le bocal local » et « Naufrage d'un conseiller régional ». J'avais le mal de mer et j’ai osé le dire. Je me suis surprise moi-même.

« Je sais que je suis à l'origine de ce…tsunami…Je sais que c’est bien que nos ventes soient à marée haute…Mais permettez-moi d’émettre quelques doutes sur nos manières de pirates. Doit-on vraiment lever le pavillon fièrement ? »

 Il y a eu un moment de silence gêné. Puis tout le monde a pris la parole en même temps. On se serait soudain cru au café du commerce. Au bar de la marine. Le sucre des pains au chocolat était passé dans le sang des journaleux, l’excitation mettait du rouge aux joues de tout le monde. Tu plaisantes : c’est un politique, c’est un pourri, c’est bien mérité. Il l’a dit, ou pas ? Le métier de journaliste, c’est de rapporter des faits. Et c’est un fait. Il l’a dit. C’est dégueulasse. Il faut que les lecteurs sachent pour qui ils sont électeurs…

Sardonique, Gontrand coupa court à l’agitation.

« - On a eu déjà deux fois Rasier au téléphone. Et son avocate aussi. Ils sont furax, évidemment. Ils demandent à ce qu’on ne publie pas le son de l’interview, ils exigent un droit de réponse, ils menacent d’un procès. Mais ils savent bien qu’ils n’ont pas la main. Je vous propose que Seb qui gère le site, mette en ligne rapidement l’extrait du son que j’ai cité dans les papiers d’aujourd’hui. Uniquement ce qui est déjà publié. Pour le reste…On va faire un feuilleton, non ? »

On était interloqués : pas de débat, donc, sur le fond, à propos de l’éthique du métier. Par contre, on pensait déjà aux futurs scoops et on balayait d’un mot ce que notre victime pouvait dire pour sa défense ou ce qu’elle pensait. Aucune référence à ce qu’elle pouvait ressentir, ce serait bien trop humain.

J’ai profité de cet instant de silence pour glisser, presque à voix basse, mais très déterminée :

« - Je me suis mal fait comprendre : je veux qu’on parle du fond de l’affaire. De la morale qu’on peut y mettre ou de celle qu'on pourrait en tirer. Et en tant que propriétaire de l’enregistrement, je refuse qu'on le publie. C’est clair !? »

C’était un coup de bluff, je ne savais pas réellement si je pouvais prétendre que cet enregistrement était ma propriété. J’ai contemplé, une seconde, la mine déçue du rédacteur. J’ai vite vu naître un sentiment bien plus mauvais dans ses yeux. Tout le monde s'est tu. Je me suis levée pour partir.

J’ai cru que mes tympans allaient exploser :

« - Maintenant, c'est trop tard, a hurlé le chef ! Tu assumes ! »

Je suis sortie et il m'a suivie.

Je ne peux pas dire que je n’ai pas eu peur. Même s’il y avait derrière la porte toute la rédaction aux aguets, même si on pouvait presque entendre leur haleine, l’oreille collée derrière l’huis pour ne rien perdre d’un échange qui s’annonçait houleux, je n’étais pas rassurée. J’avais perçu, ces derniers temps qu’il pouvait être violent. Qu’il aurait pu déraper. Sur les nerfs. Et puis les sous-entendus de l’article du jour montrait un personnage à la haine affirmée.

Alors j’ai calmé le jeu. Le genre de truc qu’on apprend dans les formations en management : parler bas, dans les graves, sourire de manière affable, prendre toutes les précautions oratoires possibles. La communication positive : se mettre à la place de l’autre, expliquer ses propres sentiments, poser des questions sur les sentiments de l’autre.

Quand on apprend ce genre de choses en stage, on n’y croit guère, on se dit que ça ne nous servira jamais. Et surtout qu’on ne saura pas le refaire en situation. En fait, quand c’est une situation de survie, on le fait très naturellement !

Alors, voilà, Joe — il s’appelait Gérard, mais voulait qu’on l’appelle Joe, il trouvait ça plus…journalistique — j’ai très mal vécu toute cette histoire. Cela m’a attristée, m’a choquée, m’a blessée. Je me sens mal depuis que les articles sont parus. Quand on analyse la situation, je trouve que ce type n’a rien dit de fou. Il a un peu dérapé et puis il a précisé que c’était off. Il était à bout, fatigué. Je me demande, sincèrement, si on a le droit de foutre en l’air la carrière de quelqu’un pour une connerie qu’il a dite, une fois, comme ça.

Et toi, qu’en penses-tu ?

Il était un peu désarmé. Toujours un peu sur la défensive, malgré tout, il a tenté de dire que ce qui était dit, était dit. Qu’il n’y avait pas à revenir là-dessus et que le travail d’un journaliste était de rapporter des faits.

J’ai ajouté : j’ai un peu de mal à me regarder dans la glace, depuis ce matin.

Les autres, derrière la porte du bureau ne pouvaient rien entendre tant j’avais fait baisser le volume de la conversation. J’avais un peu moins peur. J’ai eu tort de relâcher ma garde. Il m’a regardée avec mépris soudain. Il a haussé le ton et m’a vouvoyée, étrangement :

« - Vous n’avez pas les épaules, vous n’êtes pas faite pour ce métier. Si on se met à avoir des états d’âme, on ne fait plus rien. Vous savez ce que c’est, la PQR ? Ce n’est pas du journalisme : c’est un quart de chiens écrasés, un quart d’avis de décès, un quart de compte-rendu d’AG d’associations dont tout le monde se fout sauf les membres qui sont fiers comme Artaban de passer dans le journal et un quart de balivernes piochées dans les dépêches AFP, mal réécrites, mal fichues, avec des tas d’erreurs à tous les niveaux. Vous le savez très bien : vous bossez là depuis assez longtemps. C’est quand vous lisez un article sur un sujet que vous connaissez à fond que vous vous en rendez compte. La vérité vous saute aux yeux : c’est bourré d’approximations, de conneries en tout genre. On se plante sur l’orthographe des noms, sur les légendes des photos, sur les dates et les chiffres, on mélange tout. C’est comme ça à longueur de colonnes. Et vous voudriez qu’on ait des états d’âmes ? Qu’on se soucie de ce que pense vraiment le conseiller régional ? Vous plaisantez. On s’en fiche. Et les lecteurs s’en fichent : les plus malins savent qu’on raconte n’importe quoi. Les plus cons prennent tout ça pour argent comptant et ne vont pas vérifier. On s’en fout. Et même si on dit parfois des choses justes, on n’est pas pris au sérieux par les gens intelligents. Et maintenant, on est suspecté aussi par les gros beaufs fachos. Ils sont prêts à gober les bassesses du premier populiste qui passe, mais ils pensent que les médias sont manipulés, qu’on est l’instrument du complot, des complots... Qu’on est aux mains des juifs ou des francs maçons, selon les jours. Alors à quoi bon ? »

La tirade n’était pas improvisée, c’était comme s’il plaidait sa cause devant un tribunal. L’homme ruminait ça depuis des années sans doute. Il oscillait entre le besoin de se justifier et une sincérité sur l’insignifiance de son métier. Une aigreur. Un petit jet de bile. Mais aussi une déception si grande…

 Je me suis levée. Je n’étais pas si loin d’en penser autant et je ne voulais pas encore tout à fait l’admettre. Pas facile de renoncer à un idéal. Je restais persuadée qu’on pouvait faire bien ce travail. Qu’on était humain et que l’erreur est humaine, bien sûr, mais bon sang ! On peut aussi montrer les belles choses ou faire exploser la vérité. On peut faire avancer la justice. On peut mettre en avant les actions humaines.

Je suis sortie. Les autres se sont écartés. Ils étaient aussi blêmes que moi. Je n’ai salué personne. Il fallait que je prenne la voiture et que je roule, j’avais besoin de faire le point.

Le brouillard de la matinée promettait de ne pas se dissiper de la journée. Tout était gris et on ne distinguait que les contours cotonneux des choses. En ville, les gens prenaient cet air frigorifié qui leur fait courber et trembler l’échine. Pliés en deux contre le vent, marchant vite, évitant les regards, mais avec cette attitude presque héroïque de celui qui est sorti malgré le froid. Les rares passants avaient l’air de marcher sur un port balayé par des bourrasques venues du large, près d’une mer imaginaire. Et puis je me suis éloignée de la vie et des êtres humains – et des métaphores marines.

J’ai parcouru les quelques kilomètres de zones grises où les villas sont entourées pour l’hiver d’une herbe rase et pâle, où les arbres se dressent lugubres et défeuillés. Puis la campagne abandonnée m’a offert ses grands prés vides aux clôtures couvertes de givre. Les animaux n’étaient plus là, il ne restait que les abreuvoirs dont l’eau gelée stagnait au fond. Les arbres étaient blancs et immobiles dans le silence de la nature endormie. J’ai pris un chemin forestier. Je me suis arrêtée au bout de quelques centaines de mètres. Le moteur coupé, j’ai pu profiter de cette quiétude. Soudain, un vol de corbeaux est venu me surprendre. Ils se battaient pour quelques noix à deux pas de moi. Leurs croassements étaient inquiétants. La bande son d’un film d’épouvante. Ma grand-mère pensait que les chouettes près des maisons et les grands corbeaux noirs aux becs énormes n’étaient pas de bons présages. Qu’ils portaient la mort et la désolation.

Mes idées noires collaient au paysage. J’ai hésité à sortir de la voiture, pour chasser ces oiseaux de malheur. Mais j’ai préféré redémarrer le moteur. Dans un grand bruissement d’ailes, ils sont repartis.

J’ai fait marche arrière et j’ai repris la route vers nulle part. J’ai rencontré un village ou deux et j’ai essayé de me dire, devant quelques décors de Noël que le monde et les hommes n’étaient pas forcément aussi laids qu’ils en avaient l’air. Mon téléphone n’avait pas cessé de vibrer, mais je n’avais pas répondu. Hors de question d’écouter mes messages. Les problèmes devaient rester à distance pendant quelque temps encore. Sinon, j’allais perdre pied. Je ne saurais pas répondre aux accusations du politique, je ne saurais pas mieux répondre aux tentatives vaines de demandes de pardon du chef.

A moins qu’il veuille me virer.

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