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lundi 23 octobre 2017

Carte Mère - Deuxième partie - Chapitre 13

XIII 

Je ne savais même pas pour qui j’achèterais des cadeaux. Pour ma mère, alors qu’elle était à peine consciente ? Pour ma voisine, alors qu’elle était avec moi ? Même pas le moyen de lui faire une surprise…Pour moi ? Le comble de l’égoïsme…

C’était lamentable. A pleurer. J’ai accompagné Jennifer, j’ai fait mine de prendre des idées, de m’intéresser, je l’ai aidée à trouver ses présents : elle a une famille, elle a des amis, elle a un amoureux. Elle a une vie. Je suis vide et seule et je n’ai rien à offrir à personne.

J’ai tout de même profité d’un moment d’attente aux caisses pour la petite voisine pour chercher quelque chose pour elle dans un autre magasin. Mais le temps m’a manqué et je n’ai rien trouvé. L’échec total. Ma générosité était en panne. Je me résignai à trouver quelque chose sur internet. Puis je me souvins que nous faisions « un Noël en avance » le soir même. Comment faire ? Les idées noires étaient encore là, je me sentais encore une fois pas à la hauteur de la situation. Je n’étais même pas capable de trouver un cadeau pour ma voisine. Bonne à rien.

J’ai finalement acheté des fleurs. Et puis j’ai demandé à Jennifer si elle avait déjà prévu le repas, si elle avait des préférences pour notre petit dîner festif. J’ai pris l’initiative de payer le repas et cela m’a fait du bien.

On a mangé du foie gras, du saumon et j’ai même pris le temps de faire une bûche maison. Cela m’a rappelé mon enfance. Le plaisir réside essentiellement dans les décors que l’on y met, dans l’imitation de l’écorce que l’on exécute avec une fourchette, en mêlant le chocolat et le sucre glace imitant la neige. J’ai retrouvé des petits rennes en plastiques et de fausses feuilles de houx que j’avais mis de côté. C’était charmant. Jennifer m’a même demandé ma recette : rien de plus simple, il faut juste faire un gâteau roulé. Trois œufs dont on sépare les blancs et les jaunes. On mélange les jaunes avec cent grammes de sucre, on mélange bien, jusqu’à ce que la préparation blanchisse, disait ma grand-mère ! Avec les œufs de la ferme, c’était mission impossible, ils étaient plus jaunes que le soleil. Mais on y mettait du cœur. Et puis on monte les blancs en neige, bien durs. C’est là que c’est délicat : il faut incorporer la moitié des blancs, sans les casser, avec une cuillère en bois. Puis il faut ajouter la moitié de la farine, quarante grammes, tout doucement, puis à nouveau, les blancs et on termine par le reste de la farine. Le tout doit être à la fois lisse et très volumineux, mousseux.

On étale l’appareil sur une plaque beurrée, on enfourne, à 200°C, et on surveille cela comme le lait sur le feu. Dix, douze minutes, tout au plus. Et quand on sort du four, on démoule la génoise sur un torchon humide, pour le rouler immédiatement.

J’avais décidé de fourrer ma bûche à la crème de marrons parce que c’est quand même plus léger que la crème au beurre. Avec une ganache au chocolat. Ce n’était donc pas léger du tout.

La bûche était trop copieuse, trop lourde et nous y avons à peine touché. On a fini la bouteille de champagne, en se persuadant mutuellement que les bulles permettent de digérer.

Nous avons terminé la soirée en très légère ébriété, me permettant à peine d’oublier mon cafard. Mais cela m’a quand même réconciliée un peu avec la vie. J’ai offert le bouquet à Jennifer, qui a eu l’air un peu déçue, mais qui a été très polie, comme toujours. Elle m’a offert un très beau cahier, trouvé à la librairie, ainsi qu’un stylo plume. Elle m’a dit qu’il ne fallait pas que j’arrête d’écrire, parce que c’était la base de mon métier, que c’était ce que j’aimais faire. Comment pouvait-elle dire tout ça ? Elle me connaissait à peine. Elle m’a dit des choses gentilles. Elle n’était pas obligée de le faire, elle le faisait gratuitement. Cette petite avait vraiment l’esprit de Noël et c’était une belle personne. Elle m’a fait promettre de me mettre à chercher un travail aussi vite que possible, de ne plus rester enfermée comme je l’avais fait ces derniers jours. De m’occuper de la tutelle de ma mère et surtout de reprendre contact avec cette Suzy qui me mettait dans tous mes états.

J’ai promis.

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