C’est à ce moment précis que je rouvre les yeux, toujours étalée sur le sol blanc, dans la chambre blanche, dans la lumière blanche. Rien ne semble avoir bougé lors de mon absence. Le sang baigne ma mémoire. Mais je suis tranquillement allongée. La femme au voile ensanglanté a continué sa vie en cherchant de minuscules perles d’espoir pour ses enfants, au milieu d’un monde gris. J’ai perdu sa trace. C’était il y a plus de 25 ans. Il s’est passé tellement de choses, depuis.
Et moi, je suis là, dans ce paradis blanc. Comment faisait-elle, déjà, cette vieille chanson ? « J’irai dormir dans le paradis blanc où les nuits sont si longues qu’on oublie le temps… » Je fais un immense effort de mémoire, mais je ne me souviens de rien…Juste ce vers et quelques notes de la mélodie. Je fredonne…Mais le reste m’échappe. Je me souviens qu’il s’agissait peut-être de l’évocation de la cocaïne. Peut-être. Mais cela me semblait tellement correspondre à ma situation actuelle.
La drogue. Elle avait envahi nos vies, aussi, à cette époque. Palliatif au manque de soleil, de joie, d’espoir. Le besoin d’évasion, de raison de vivre.
La grande époque du narcotrafic roi, avec son lot de règlements de comptes, d’overdoses, de forces de l’ordre débordées.
Stop ! Il ne faut plus penser. Il faut que je me pose des limites. Si je pense, là étendue sur le sol, seule, alors je vais attirer les idées noires, les cauchemars. La folie, peut-être. C’était bien, au début, les souvenirs de maillot de bain et de boom du lycée. Comment revenir à plus de légèreté ? Ma vie n'a pas toujours été influencée par le monde.
Mais les idées noires sont souvent les plus fortes. Elles envahissent le cerveau comme le goudron sur les tableaux des musée. Et là, après la prière, après la réflexion, après les questionnements, je me suis souvenue de ma dépression. J’ai eu une période sombre. Un marasme qui me sembla insurmontable. Vieux traumas, incapacité à me faire comprendre, remise en cause de tous mes choix, professionnels, personnels…Bref, une bête crise de la quarantaine, banale.
Quand on est dans cet état, beaucoup de gens vous tournent le dos, parce que vous n’êtes plus rigolote. Mais il y a aussi des amis psychologisants qui vous conseillent tout et n'importe quoi : des tisanes, des bains de pieds, la méditation ou la pensée positive. Ce sont un peu des pansements sur une jambe de bois, car il faut que la crise se fasse, dans le fond, il faut qu’on y survive ou qu’on en meurt, il n’y a rien à faire, c’est comme une bonne grippe, il faut y passer et prendre son mal en patience.
Malgré tout, la pensée positive, là tout de suite, ça ne me semble pas une mauvaise idée, pour effacer les souvenirs de violence, de tristesse et de désespoir, pour tenter de croire que la femme au voile ensanglanté a trouvé le bonheur.
Allez…on inspire par le nez, profondément, on se détend. On souffle par la bouche et on relâche toutes les tensions.
Et on se le dit et on y croit : peut-être qu’une vie réussie, ce n’est que la succession de choses minuscules.
Le sourire d’un enfant,
Les cerises de la fin du printemps,
Le rayon de soleil sur le carrelage,
Le bruit des saletés qu’on aspire dans le tuyau de l’aspirateur,
Les premières notes d’une chanson qu’on adore,
Sing, sing a song,
Sing it loud, sing it strong
Sing a good thing, not bad,
Sing of happy, not sad,
Sing, sing a song,
Make it simple to last your whole life long
Don’t worry that’s not good enough
For anyone else to hear,
Just sing, sing a song.*
Les variations de couleur des feuilles en automne,
Le fou rire inexpliqué qui éclate et fait battre le cœur,
L’amour, le plaisir, la chaleur d’une main sur la peau,
L’ivresse légère, la danse, les soirs d’été,
La douceur de l’eau quand on se baigne dans un lac, la première fois de l'année,
Les poèmes : les vers de Victor Hugo, un peu pompeux parfois, ceux de Verlaine, simples et doux,
Les romans qu’on aimerait ne jamais voir se finir et qu’on referme sans les quitter vraiment. Ceux qu’on aurait aimé écrire…
La verve des bons orateurs,
Les pâtisseries du dimanche midi,
Le moment où l’on bascule dans le sommeil…
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* Chante, chante une chanson,
Chante à tue-tête, hurle-la,
Chante positif, pas la haine,
Chante le bonheur, pas la tristesse,
Chante, chante une chanson,
Trouve en une facile,
Pour la chanter toute ta vie,
Ne t’occupe pas de savoir
Si elle ne plait pas aux autres,


1 commentaire:
Les volutes du feu dans la cheminée et leurs flocons de neige derrière la baie vitrée.
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