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mardi 25 novembre 2025

Il n'y a rien - Épisode 6


 Pour effacer la vision, pour juguler la peur, cette fois-là, j’ai commencé à prier, machinalement. Je ne crois pas en Dieu. Du moins, je doute. Agnostique, c’est ce qu’on dit généralement en société, pour paraître plus malin que les autres. 

 Prier, quand on est nu comme un vers dans un paradis blanc, ou dans un purgatoire vide…pourquoi pas ? 

 J’ai commencé le Notre Père. Parce que j’ai eu une enfance catholique. Traditionnelle. Pas du tout extrémiste : baptisée au cas où, la messe de temps en temps, pour faire plaisir aux grands-mères. A l’église, on récitait comme on récite un poème de Maurice Carême devant le tableau noir de l’école primaire, un Notre Père ânonné auquel on ne comprend rien. 

 Notre Père qui es aux cieux… 

 On le tutoie et moi, déjà, je ne m’y suis jamais fait. Je souffre d’une trop bonne éducation : on ne tutoie pas quelqu’un qu’on ne connait pas. On ne tutoie pas quelqu’un de plus âgé que soi. Et Dieu, pour le coup, il est vachement vieux. Mais bon, il faut se noyer dans la masse, à la messe. Il faut bredouiller sa prière comme les autres. 

 Que ton nom soit sanctifié… 

 Pour tout le saint-frusquin, c’est par essence Dieu qui s’en occupe ! Alors évidemment que Dieu se sanctifie lui-même…Il y a des principes de base : on n’est jamais mieux servi que par soi-même et il vaut mieux s’adresser au bon dieu qu’à ses saints… 

 Que ton règne vienne… 

 On n’y est pas déjà ? Il faudrait savoir : soit on y croit, et nous sommes bel est bien dans le règne de Dieu…soit…ce n’est pas pour demain ! 

 Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel. 

 C’est là que ça se gâte. Quelle est sa volonté, à Dieu ? Qu’est-ce que j’en sais et comment puis-je le savoir ? Si ça se trouve, il ne veut pas ce que je veux. Je rentrais toujours dans des considérations complexes à ce moment-là de la prière. Si la prière marche, comme nous sommes des millions à la faire en même temps, alors, ce qui se passe en ce moment est réellement la volonté divine. Sur la terre, les guerres, les enfants qui meurent, les tornades, les volcans, les inondations et les feux de forêt, c’est la volonté de Dieu. A ce moment de la prière, je me souvenais des histoires du très Ancien Testament, dont on nous lisait les histoires comme si c’était des contes de fées, au catéchisme. De Noé, dont même les fils se noient, de Jonas, dévoré par une baleine, de Job, ruiné en un instant. De toutes ces colères noires de ce Yahvé au bras vengeur. Dès que quelque chose ne lui plaisait pas, il frappait. Adam et Ève jetés dehors du paradis, tout nus et tout piteux, la Tour de Babel, les hommes dispersés, désunis… 

 Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour… 

 Je suis sûre que nous étions nombreux, à ce point à avoir un gargouillis d’estomac monstrueux. Il était midi moins le quart et l’idée d’un morceaux de baguette du dimanche, bien croustillant, nous mettait en émoi. 

 Pardonne-nous nos offenses, Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. 

Au début de ma vie de chrétienne approximative, j’avoue que je ne comprenais pas du tout le verbe offenser. Mais plus tard, ce sont ces deux vers qui m’ont paru les plus importants. Les plus exigeants. Pas simple de pardonner à ceux qui nous ont offensé, mais c’est à ce prix que Dieu nous pardonnera…Les jours où je vivais vraiment ces paroles, celles-ci, je les murmurais, piteuse. 

 Mais le meilleur était pour la fin. Je me souviens qu’à cette époque bénie de la fin de l’enfance, j’oscillais entre une vocation totale pour Dieu mais que l’amour charnel n’était pas sans m’attirer. Me tenter... Alors le fameux « Ne nous soumet pas à la tentation mais délivre-nous du mal », c’était un peu difficile à assumer. Malgré mes prières, Dieu mettait sur mon chemin des Rémy aux beaux biceps ou des Julie aux belles dents. Comme une preuve irréfutable de l’absence totale de ce fameux Dieu dans les cieux. Et je ne voyais pas où était le mal. Quelques années plus tard, un pape a dû se rendre compte de la faille et a fait changer cette phrase pour « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». La nuance est de taille : ce n’est plus Dieu qui tente mais nous qui nous laissons tenter…Le libre arbitre vient tout changer. 

 Couchée sur le sol, dans ce vide sidéral, il faut que je m’ennuie ferme, pour faire l’exégèse du Notre Père. C’est un réflexe humain, paraît-il, que de se réciter des choses, quand on est en prison, en camp de concentration…ou là, dans cette salle d’attente sans journaux périmés. 

 En fermant les yeux, me sentant glisser dans le sommeil, j'ai peur, désormais des souvenirs qui surgiront. J’espère que cette prière va m’aider. Mais elle est encore là, dans mon crâne, dans mes yeux brûlants, la femme au voile ensanglanté, comme un flash violent, comme le rouge d’une toile de Nicolas de Staël, comme une persistance rétinienne douloureuse. 

 À nouveau, pourtant, je papillonne et me détends. Le sommeil me tombe dessus comme le fascisme sur nos vies, à cette époque-là.

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