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mardi 24 mars 2020

Journal de guerre contre un virus #7

Je n’ai pas de fièvre.

Les jours se suivent et se ressemblent. Cellule de crise, entre angoisse, mauvaises nouvelles et solidarité, vaille que vaille. Des masques, toujours des masques : il faut se protéger et protéger ceux qui travaillent. Il faut trouver des solutions pour les commerçants, pour l’après, pour qu’on puisse se relever quand tout sera fini, pour ne pas que tout s’arrête complètement : comment ferions-nous si le marché couvert s’arrête, seuls commerces alimentaires du centre ville, seuls accès facile pour les personnes à pied. Si cela dure des semaines - et cela durera des semaines -, il faudra bien continuer de manger.

Cours pour mes élèves. Trouver au moins une bonne idée par jour, pour qu’ils se cultivent, pour qu’ils apprennent, pour qu’ils ne s’ennuient pas intellectuellement, pour qu’il ne régressent pas. Aujourd’hui, pour les troisièmes, leur faire découvrir le musée du Louvre, par le biais du clip de Jay-Z et Beyoncé et le site de visite virtuelle. Succès mitigé. Une élève a reconnu la Joconde. Et puis la proposition d’un journal du confinement, en commun, sur un padlet, en parallèle de la lecture du Journal d’Anne Frank. On verra ce que ça donne. Les faire écrire, les faire lire, les faire s’évader grâce à la culture.

Pour les 6e, L’Odyssée, les voyages d’Ulysse, les monstres, le cyclope, à dessiner, un monstre à créer aussi avec le site de la BNF. Et puis faire le portrait de sa création en une quinzaine de lignes. L’imaginaire pour oublier le réel déprimant.

Je l’imagine, leur réel. Des petits appartements, toute la famille, un seul ordinateur, une connexion chancelante, pas de livre. Pas de balcon, pas de jardin. Je ne sais pas comment ils ressortiront de tout cela. Je veux croire à la résilience de la jeunesse, je veux croire qu’ils en sortiront plus forts. Qu’ils aimeront l’école ensuite, qu’ils aimeront la vie, qu’ils voudront rattraper le temps perdu.

Et puis la maison. Je suis une privilégiée : j’ai tout ce qu’il me faut et je ne suis pas seule. J’ai de la ressource intellectuelle. J’ai de la lecture pour la vie entière et au-delà. J’ai un balcon, je joue de la musique, je chante et j’écris. J’ai une belle lumière, l’après-midi, qui baigne agréablement mon espace de travail : mon canapé. J’ai de la musique dans les oreilles, autant que je veux, tout ce que je veux. Conseil de lecture : la collection Tracts de crise de Gallimard. Des textes nouveaux chaque jours, pour penser ce moment avec des intellectuels. Et mes collègues blogueurs de toujours qui ont repris du service : Elodie, Nicolas, Seb. Je ne m'ennuie pas. C’est une prison dorée.

On n’est pas égaux devant le confinement. Comme toujours. Comment ne pas penser aux SDF. Comment ne pas penser aux réfugiés. Comment ne pas penser gens seuls. A ceux qui passent sous mes fenêtres en errant, ceux que les hôpitaux psychiatriques ne prennent pas en charge…

L’humanité nue. Je suis obligée de rester chez moi, ce qui ne doit pas vouloir dire que je suis obligée de ne pas aider mon prochain. Notre société cultive, depuis bien trop longtemps, l’individualisme. Nous devons pourtant réapprendre à vivre en société, malgré l’isolement.

C’est une leçon bien paradoxale que nous inflige ce virus.

5 commentaires:

Unknown a dit…

On n’est pas tous égaux devant le confinement... Céline, c'est tellement vrai parce qu'on a toutes et tous un capital matériel (type d'appart, balcon ou pas, maison avec jardin ou pas et tout ce qu'il y a dedans) et culturel différent.Parce que, seulE ou pas, on n'a pas tous le même soutien affectif.Ton journal de confinement n'est pas celui d'une prof, petite bourgeoise qui se lamente... Tu parles de toi, mais aussi dse autres.Ca m’intéresse
, je te lis.Prends soin de toi.Véro

Cycee a dit…

Merci, Véro.
Prends soin de toi aussi. Difficile, ce moment, pour les êtres sociaux que nous sommes. Au plaisir de te croiser au marché ou ailleurs.

Jean-Marc a dit…

Céline,
Quelle énergie et quel courage mets tu à ta vie d'enseignante. Oui le journal d'Anne Frank qui a été pour moi un des livres qui a le plus compté dans ma vie... livre auquel je fais référence face à la situation actuelle. Et oui nous ne sommes pas tous égaux face au confinement : j'observais tout à l'heure un vieux Monsieur visiblement fatigué, "pauvre" il remontait à petits pas vers son appartement ou visiblement il doit être seul, je l'ai salué, il m'a souri... mon journal à moi il avance, et j'espère qu'il te surprendra ! Bises à vous deux
Jean-Marc

Jean-Marc a dit…

Céline,
Quelle énergie tu mets à ton travail d'enseignante : bravo.
Le journal d'Anne Frank je faisais référence à lui il y a quelques jours dans la situation actuelle. Il a été mon livre de chevet d'enfance : Anne je pense à toi souvent!
Non égaux face au confinement nous ne le sommes pas. Tout à l'heure un vieux Monsieur remontait avec quelques courses la côte de la chiffogne, il s'est assis sur le muret de notre maison pour se reposer. Nous avons partagé un sourir...Il ne devait pas rouler sur l'or, mais lui sourir m'a fait du bien et à lui aussi j'espère. J'imagine qu'il vit seul, isolé à 2 pas de chez moi.
Mon journal, oui il avance, et j'espère que tu auras un peu de temps à lui consacrer.
Bises à vous 2
Jean-Marc

jean-jacques a dit…

Ce soir musique pour le quartier. La "Boum" des: tous à la fenêtre.
Demain, mon vélo et zou... retour chez "mes" ados confinés dans un foyer de l'enfance.

Portez-vous bien
No pasaran
Jean-Jacques