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samedi 28 mars 2020

Journal de guerre contre un virus #11

Je n’ai pas de fièvre.

Depuis le début de cette crise sanitaire, j’ai lu. Pas de roman. Enfin, c’est à peine si j’ai terminé le dernier Fabrice Humbert, commencé depuis belle lurette et qui affirmait sur la couverture que “Le Monde n’existe pas”. Ce que cette crise mondiale vient infirmer de manière assez flagrante.

J’ai lu, mais j’ai du mal à fixer mon attention longuement, alors j’ai lu des articles, j’ai lu presque tous les Tracts de crise de Gallimard, j’ai cherché la réflexion, le recul. C’est toujours comme cela que je fonctionne. En 2015, lors des attentats, j’avais déjà fait une cure boulimique d’analyses d’experts, d’essais philosophico-politico-socio-économico-agitateur de neurones (branlage de nouille). Tout n’est pas bon à prendre, mais tout permet de penser. Essayons d’avoir un point de vue “métadiscursif”. Essayons de prendre de la hauteur.

Il y a plusieurs tendances.

Tout d’abord, il y a massivement le constat que c’est une crise de la mondialisation à outrance. Ou comment un pangolin à Wuhan, ville dont personne n’avait jamais entendu parlé avant, au fin fond de la Chine archaïque, la Chine des marchés crados, des traditions vaseuses, des aphrodisiaques à base de chauve-souris - mais bon sang ! le viagra, ça marche bien mieux -, peut bouleverser le monde moderne jusqu’à Paris, jusqu’à New York, jusqu’à Mulhouse.

Les avions, les bateaux, les conneries inutiles qu’on achète sur Amazon, tout à coup, nous permettent de nous émerveiller et de nous effrayer, tout à la fois, de notre monde devenu si petit. Et deux tendances en sortent : le monde changera, se promet-on, après cette crise. Nous consommerons local, la main sur le coeur, nous le jurons, nous irons faire des bisous aux agriculteurs de nos contrées et nous acheterons des chaussettes bleu blanc rouge, garantie sans polyester chinois. Deuxième tendance, le repli sur soi. Vaut mieux une bonne scarlatine locale, qu’un virus qu’on ne connaît pas et qui a les yeux bridés. A la Trump, sans complexe.

Ensuite, il y a le constat que ce virus nous fait prendre conscience que la nature est plus forte. Qu’elle reprend ses droits, même si l’on pensait la maîtriser, la dominer. Même si on pensait qu’elle ne comptait pas. Preuve : les foyers du virus sont les lieux les plus industriels et les lieux les plus pollués du globe. La Divine Nature nous envoie un message : “Vous avez joué au plus malin, vous avez pillé, sali, tué, vous avez détruit, gaspillé, dilapidé, aujourd’hui, vous le payez.” La nature se venge : on craignait les lions, on les a tués, mais c’est une bestiole invisible à l’oeil nu qui aura notre peau. Bien fait. Juste retour des choses. Nous sommes de trop sur cette planète, le bug du système, c’est nous. Mais depuis cette crise, les oiseaux chantent de nouveaux, les avions ont arrêté leur course folle et ne balancent plus leurs particules de kérosène sur nos champs de pommes de terre, nous apprécions le silence retrouvé de nos villes et de nos campagnes, sans voiture, et si les couchers de soleil ont moins de relief sans le CO2, nous avons presque l’impression de nous racheter une bonne conscience, de permettre à la planète de respirer à nouveau. Là encore, nous nous promettons d’arrêter, de changer, dès que tout cela sera terminé. Promesse d’alcoolique en plein sevrage.

Enfin, il y a les blasés. Ceux qui ne peuvent pas s’empêcher de ressortir La Peste de Camus, Le Hussard sur le toit de Giono, la grippe espagnole de 1919 et les grandes épidémies du Moyen Âge, Le Masque de la Mort Rouge de Poe, les références intellectuelles qui nous permettent de comprendre la situation actuelle à l’aune du passé de l’Humanité, l’Histoire comme un éternel recommencement, tout en fustigeant la mémoire courte de l’inculte moyen qui a l’impression de vivre un moment inédit.

Rien de surprenant, lisez donc des livres, les épidémies font partie de notre destin : elles arrivent, elles nous terrifient, elles nous font prendre conscience de notre finitude, elles ravivent les croyances, les grigris, les superstitions. Elles font les choux gras des vendeurs d’espoir qui profitent de la crédulité des plus faibles.

Face à ce constat, deux réactions possibles : c’était donc prévisible et l’Etat ne l’a pas anticipé. L’Etat n’a pas prévu. D’ailleurs, le virus de 2003 était le grand frère de celui-ci et nous n’avons pas travaillé pour trouver un vaccin. Nous n’avons pas mis l’argent qu’il fallait pour la recherche. Et nous n’avons même pas cherché à faire des stocks de masques, de gel hydroalcoolique et de protections pour les soignants. Embarqués dans notre course folle pour gagner de l’argent, nous avons même progressivement affaibli notre système de santé qui a aujourd’hui du mal à faire face.

Deuxième point de vue : l’Etat, faute d’anticipation, a réagi. L’Etat a pris les dispositions qu’il pouvait prendre, les épidémies étant par nature imprévisibles. On sait qu’elles peuvent arriver, mais on ne sait pas quand et personne n’aurait pu réagir autrement, entre stupeur et mesures de confinement. Voyez comment l’Angleterre a tergiversé, voyez le désastre en Italie, voyez les réactions insensées de Trump. Et vous, bande d’imbéciles sur votre canapé, vous commentez cela comme un match de foot sans avoir la moindre idée de ce que vous auriez fait si vous aviez été aux affaires.

Les intellectuels ne nous apprennent pas grand chose. A peine s’ils nous ouvrent les yeux sur la misère de notre condition.

Mais l’analyse de la situation, c’est tenter le présent. C’est penser à ce qui se passe ici et maintenant. Cependant, on est toujours coincé entre ce qui se passa, sur le conditionnel passé, cet irréel, cette machine à remords : nous aurions dû, si nous avions su, nous aurions pu éviter tout cela...et le futur, l’espoir qu’il faut maintenir, cet horizon qui nous permet de tenir durant l’épreuve. Demain, nous changerons, notre société renaîtra de ses cendres, nous saurons tirer les leçons de la catastrophe qui nous afflige.

Bonne journée !

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