Pages

jeudi 26 mars 2020

Journal de guerre contre un virus #9

Je n’ai pas de fièvre.

Hier, la porte-parole du gouvernement, Sibeth, a déclaré que j’étais aux fraises. Je ne le prends pas personnellement. Elle est Sibeth et je sais ce que je fais pour la #nationapprenante. Il est 8h15 du matin et avant de vous écrire, j’ai déjà répondu à une dizaine de mails de mes élèves, corrigé autant de travaux, j’ai envoyé les devoirs donnés pour la semaine par tous mes collègues à mon chef d’établissement (qui tout à coup s’intéresse au pédagogique, ce qui ne cesse de m’étonner…) et j’ai vérifié les différents canaux de conversation ouverts à mes élèves.

Une bourde ? Y croyez-vous ? A ce niveau-là, c’est de l’art, c’est du grand art ! Car s’il n’y avait pas l’intention manifeste de dresser les Français les uns contre les autres, à l’heure où il faudrait être unis, plus que jamais, comment expliquer que la porte-parole du gouvernement, celle qui s’occupe de la communication, qui devrait par essence tout savoir de ce qui s’est mis en place depuis le début de cette crise, qui devrait connaître les principales mesures de tous les ministères, comment expliquer qu’une des choses qui été la plus médiatisée, les profs, les Espaces Numériques de Travail (ENT), les devoirs à la maison pour les parents, la fameuse Nation Apprenante de Blanquer, lui ait échappé ? Elle l’a fait exprès, il n’y a pas d’autre explication. Les profs sont des feignasses, il faut que ce mythe perdure, même pendant la crise, pour qu’on puisse ensuite continuer la destruction, tranquille, de l’éducation nationale, quand tout redeviendra normal, qu’on reprendra les affaires, qu’on continuera de faire du fric sur le dos des services publics. Pour
l’hôpital, le virus se charge de prouver que le système ne fonctionne pas. Vous verrez qu’ils retourneront l’argument, une fois les morts enterrés. Ils diront : nous aurions mieux géré avec des hôpitaux privés.

Ce n’est pas une bourde, c’est une stratégie.

Ou alors, une incompétence crasse qui fait peur. Mais vraiment peur.

Comme toute la communication de ce gouvernement indigne, si peu à la hauteur de la situation. 

Comment entendre dans la bouche du président de la République que des masques sont distribués quand on constate chaque jour que c’est faux, que sur le terrain, les soignants, les pompiers, les ambulanciers, les aides à domiciles manquent de toutes les protections nécessaires. Quand on sait que cela fait des mois que les hôpitaux sont en grève pour réclamer des conditions de travail décentes, du personnel et du matériel...Tout ce qui fait défaut aujourd’hui.

Comment peut-on avoir l’hypocrisie de venir les remercier aujourd’hui, ces héros qui se sacrifient pour que notre société survive à cette catastrophe sanitaire ?

Comment ne pas imaginer, en plus, que sitôt la crise passée, on continuera de plus belle à tirer sur l’ambulance ? A tout donner à la startup nation et au CAC40, sans contrepartie plutôt que de s’occuper de l’économie réelle, sans renforcer les services publics…

Le comportement ambigu adopté tout au long de la crise en est la preuve : Pénicaud qui demande aux BTP de continuer de travailler, Amazon qui se remplit les poches, les usines qui reprennent bien vite du service, la volonté de continuer à faire du pognon plutôt que de réellement juguler la crise…

Cet après-midi, sous ma fenêtre, c’est un lâcher de fous, de psychotiques, de détraqués. Hurlements, discussions enflammées, solitaires ou dans un téléphone imaginaire...L’état de la prise en charge des patients relevant de l’hôpital psychiatrique, problème connexe à celui de l’hôpital public tout court, il faudra aussi qu’on en reparle. Après la crise.

Sinon, j’ai appelé ma mère au téléphone. Depuis le début, elle ne comprend pas exactement la situation. Elle prend conscience de la gravité des choses au fil du temps qui passe. Au début, elle voulait continuer sa vie comme avant. Elle allait à la chorale, le lieu confiné par excellence où 40 vieillards cacochymes passent deux heures à se postillonner sur les épaules. Puis nous lui avons interdit (mais elle n’en fait qu’à sa tête). Ensuite, elle voulait aller faire ses courses comme d’habitude. “Oh, à la boulangerie, je n’ai presque vu personne...La boulangère et Mme Machin, qui avait l’air bien enrhumée, quand même…” Et puis il y a l’épisode de l’attestation de déplacement dérogatoire. “Mais tout de même, pour marcher à pied, dans le village ?”. Oui et sinon, tu peux avoir une amende. “Je ne la payerai pas !” Ma mère, cette rebelle de 70 ans…

Aujourd’hui, elle semblait plus réceptive. Elle a compris, pour l’autorisation. Il y en a une par jour dans le journal. Ouf ! Ensuite, on lui fait ses courses, tout va bien. Mais quand même…”Hier, j’y serais bien allée.” Oui, mais non : elle a des problèmes pulmonaires, elle reste à la maison. Elle ne manque de rien, elle a un congélateur plein, des conserves, elle est à la campagne, elle a de quoi tenir un siège. Et puis elle a la télé (“J’ai vu Macron, il a dit que c’était la guerre !”), le Dauphiné Libéré, une bibliothèque pleine de livres. Avec la ferme à côté, elle voit un peu de vie : les vaches ont retrouvé les prés, la campagne verdoie. Tout va bien.

Même si je suis loin et inquiète pour elle...Et qu’à chaque fois que je l’appelle, c’est presque toujours pour la sermonner.

J’essaie de me rassurer. Tout ira bien.

2 commentaires:

MHF a dit…

J'ai un peu la même mère ;)
Bon courage et merci pour tes jolis textes...

noelle grimme a dit…

moi je suis ce genre de mère à qui mes enfants prônent le confinement moi aussi je me suis faire engu...; pour avoir été accesseurs aux bureaux de vote mais je les écoute heureusement ma fille me fais les courses 1 fois par semaine et mes enfants petits enfants sont très présents par internet
bon mais comme le temps semble long je ne prends + les infos qu'une fois par jour sinon tu te flingue en entendant les commentaires en continu !!
alors on lit heureusement que j'ai un stock de livres
biz