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vendredi 20 mars 2020

Journal de guerre contre un virus #3

Je n’ai pas de fièvre.

Ce matin, je me suis levée en pleine forme. Plus d’irritation de la gorge, le corps alerte. Une belle nuit de sommeil. La journée d’hier, pourtant, m’est vite revenue en mémoire. Drôle de journée. Une des dernières, peut-être, durant laquelle j’aurais vu du monde. Avant un confinement plus total. Le conseil municipal de ce soir a été annulé. J’ai une pensée pour Christine, qui vit seule, qui habite dans une école qui est vide depuis une semaine. Elle se réjouissait de voir du monde ce vendredi soir. 

C’est un quotidien de solitude qui nous tuera.

J’ai joué de la guitare. Pas longtemps, parce qu’Amandine est venue fermer la porte : elle était en vidéoconférence dans la pièce d’à côté. Notre vie a changé d’un seul coup. Il faut juste nous laisser le temps de l’adaptation.

Et puis je suis allée à la mairie, pour la cellule de crise. Du monde dans la rue. Il y en avait moins cet après-midi. Les contrôles de police se sont accentués, les gens ont entendu dire que tel ou tel s’était fait verbaliser...ou alors, nous commençons à comprendre.

Cet après-midi, j’ai travaillé pour mes élèves. J’ai dû me résoudre à aller sur SnapChat pour les retrouver. Comme pour tout, ce seront les élèves les plus en difficulté qui souffriront le plus de la situation. J’ai une classe de 6e adorable, mais dont les élèves sont très fragiles. Des problèmes de compréhension, de lecture, d’écriture. Ils sont plein de bonne volonté. Mais pour l’instant, ils n’ont pas compris un mot de ce que nous attendions d’eux pendant cette période. J’ai fait l’erreur de communiquer avec eux par écrit. Par le logiciel proposé par mon collège : le logiciel qui sert pour les devoirs. Tout à coup, on se rend compte qu’un message de 10 lignes, même rédigé avec des mots simples, c’est trop pour eux. En fait, c’est pire : il y a eu seulement 8 élèves sur 20 qui sont venus dans l’application pour vérifier s’il y avait des devoirs. Et ces 8 là n’ont pas compris ce qu’on attendait d’eux. Les autres étaient sur WhatsApp ou sur SnapChat. Essentiellement sur cette application qui sert qu’à faire des selfies idiots. Alors je me suis résolue à aller les retrouver là où ils étaient. Quand je leur ai expliqué qu’il fallait qu’ils aillent sur Pronote (le logiciel du collège), une élève m’a demandé pourquoi. Ils ne comprennent pas vraiment ce qui se passe et ces élèves-là n’ont pas des parents qui peuvent leur expliquer vraiment. A ce jour, des devoirs que j’ai donnés dès lundi, je n’ai eu qu'un seul retour pour cette classe.

J’ai une autre classe de 6e (parfaitement insupportable dans la vraie vie), le niveau est beaucoup plus conforme à ce qu’on attend en 6e. C’est la classe bilingue allemand anglais. Les parents sont très présents. J’ai des retours beaucoup plus importants dans cette classe. Surtout les très bons élèves, pour dire vrai. Nous perdrons de toute façon les autres. Nous allons creuser des écarts qui existent déjà.

Aujourd’hui, j’ai regardé les postes au mouvement intra académique, dans l’espoir de demander une mutation. Il n’y a pas de poste intéressant qui se libère. Mais je m’interroge de plus en plus sur la pertinence de ce métier : je ne sers pas à grand chose avec les élèves les plus en difficulté et je ne sers à rien avec les bons. On peut toujours essayer de se convaincre du contraire…

Et puis ce soir, au moment même où j’écris cela, je reçois un message d’une de mes 6e “faibles” qui ne comprend rien de ce que je lui demande de faire, mais qui y met beaucoup de bonne volonté. Elle m’écrit : “Madame, c’est dur, quand on n’est pas à l’école”. Et j’ai les larmes aux yeux. Nous sommes des êtres sociaux.

Le coronavirus nous attaque dans l’essence même de ce que nous sommes…

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