Dans cette chambre d’un autre temps, je prends un peu de répit. Mais je ne peux pas rester là trop longtemps. Cette maison est ouverte à tous les vents. Je trouve un sac à dos au fond d’un placard et je le remplis des quelques boîtes de conserves que je trouve…Le maquereau ne se périme jamais vraiment, n’est-ce pas ?
Je trouve aussi un vieux bonnet et des gants au fond d’une penderie. De la laine, comme nous en avions en l’an 2000…
Il est temps de retourner dans le grand tout.
Comment être sûre que le drone n’est pas hostile ? Sera-t-il encore là quand je sortirai ? Il faut affronter cette réalité.
Le soleil a lentement dissipé les brumes. Je suis presque éblouie en reprenant la route vers le village. Il ne me semble plus entendre le drone et je ne vois rien. Il me semble à nouveau que je suis seule au monde.
Plus qu’un kilomètre ou deux et je serai au pied de l’église, au centre du village.
Mon cœur s’accélère en approchant des maisons. J’ai peur de trouver des masures, des ruines désertées par les hommes. Comment les hommes vivent-ils maintenant ? Ont-ils tous abandonné ce morceau de campagne ? Quel désastre, quel malheur a bien pu s’abattre là pour que les premières maisons paraissent ainsi abandonnées subitement ?
J’arrive au pied de l’église. Le soleil froid s’engouffre par la porte entr’ouverte de l’édifice.
J’ai des souvenirs d’enfance qui ressurgissent : les messes de Noël avec ma grand-mère, les œufs de Pâques qu’on achetait sur le parvis, l’ennui durant les sermons incompréhensibles du curé, les fous rire avec mon frère…Je me souviens des dimanches qui semblaient s’éterniser sous le plafond en trompe l’œil, la faim qui arrivait sournoisement avant midi, de la contemplation infinie des rosaces peintes sur les murs, pour essayer d’oublier les gargouillis de l’estomac…
L’espace d’un instant, j’ai fermé les yeux et j’ai revu tout ça. Et puis j’ai imaginé le pire : l’église délabrée, les peintures s’écaillant derrière les toiles d’araignées, le plafond de la coupole effondré…Je me suis surprise à prier pour que tout soit intact…
Soudain, derrière moi, un drone ronronne. Je suis sur la dernière marche d’escalier et j’ai la main sur la poignée de la grande porte en bois. Une voix s’élève : « Vous allez pénétrer dans une église du XIXe siècle. Elle a été classée « monument historique » en 1986. Elle bénéficie donc d’une protection spéciale. Des drones et des robots l’entretiennent régulièrement pour la conserver dans son état d'origine. Nous vous prions donc de respecter ces lieux. »
C’est un concierge d’un nouveau genre…Mais cela me rassure. L’intérieur est effectivement intact et une immense nostalgie s’empare de moi. Je demande au drone, toujours derrière moi, s’il y a encore âme qui vive dans ce village ou si les derniers habitants sont ceux du cimetière.
L’iA me répond, mécanique, « Ce village a été déserté en 2076. Seul un habitant est resté. Il a aujourd’hui 109 ans et il vit seul dans une petite maison du hameau de Crène. Il a été conservé, lui aussi, mais moins longtemps que vous, du fait de son grand âge. Nous l’avons rajeuni et nous vous invitons à faire sa connaissance. Dernière information : comme vous l'avez noté grâce à la crèche devant l'autel, nous sommes aujourd'hui le 25 décembre 2089. Joyeux Noël ! »
Le drone s’envole dans un chuintement électrique et me laisse perplexe dans l’église, vestige d’une autre époque…


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