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lundi 9 octobre 2017

Carte Mère - Chapitre 12

XII 

 « - Vous vous êtes blessé ?
 - Je suis blessé, oui, me répondit-il du tac-au-tac. Deux fois aujourd’hui. Et c’est vous qui m’avez porté la première estocade, Madame. Petit coup de blues ? Pas de remord, tout de même ? »

 Son sourire était ironique, ses mots se voulaient vengeurs. Mais je le voyais soudain étonnant. J’étais restée prostrée dans cette salle d’attente durant une demi-heure sans que personne ne se préoccupe de moi et celui que j’avais accusé publiquement d’être misanthrope était le seul à s’en être inquiété. Mes neurones ont été piqués au vif, je suis sortie d’un coup de cette atmosphère cotonneuse où je m’étais pelotonnée. J’ai répliquée : et vous, vous courez les hôpitaux pour redorer votre blason au chevet des malades, à l’approche de Noël ? Opération de com’ ?

Il a tourné les talons. Il a fait mine de s’intéresser vaguement aux revues posées sur la table basse…Il a tourné en rond…Ses yeux ont cherché comment s’échapper. Mais il est finalement revenu s’asseoir à côté de moi.

 « - C’est dégueulasse, ce que vous avez fait. Méprisable. Et puis vous avez fui : personne pour répondre au téléphone après cette lâcheté. C’est bas. Vous risquez de ruiner ma carrière, vous n’avez aucun scrupule et vous n’assumez même pas. Lamentable.
 - Je sais tout ça…
 - Vous savez et quoi ? Vous…vous…ah ! ça m’énerve. J’ai passé la pire journée de ma vie. Mon téléphone n’a pas arrêté de sonner, j’ai passé des heures avec mon avocate, il a fallu que je négocie avec ce salaud, là, votre patron…Et tout ça pour quoi ? Je vous le demande ! Vous savez bien mieux que moi que tous les démentis du monde ne changeront rien à l’horrible préjudice qui entache désormais mon engagement…
- Comme si je ne le savais pas. J’ai des remords, oui, sincères. Je n’ai écrit que l’article en pages Région, vous savez. C’est le patron, ce salaud, comme vous dites qui a écrit le reste. Il a insisté pour le publier…
- Et ce n’est pas vous qui avez fourni l’enregistrement, par hasard ????
- Je sais…Toutes mes excuses. Je ne pensais pas que ça irait aussi loin.
- Trop facile. Je ne suis pas près de vous pardonner. »

Il souffla. Il se tut. La tête dans ses mains. Le petit vieux toussait toujours en face de nous. Une petite toux sèche et incessante, très agaçante. Les deux femmes s’étaient tues. Elles avaient l’air de somnoler. Mais peut-être qu’elles n’avaient rien perdu de notre altercation. Sur la table basse, d’ailleurs, il y avait le journal du jour avec la photo de Rasier, grimaçant. J’aurais voulu me terrer, disparaître. J’aurais voulu qu’il me pardonne, ce grand dadais de Rasier. Qu’il me comprenne. J’aurais voulu qu’il ne pense pas de moi que j’étais la même conne que tous ses électeurs.

J’ai osé :
« - Et votre bras ? Un accident ? »

Il a tourné la tête lentement vers moi. Il a fait une tête encore plus désagréable que sur sa photo en une.

« - Ah ça ! Encore une chose que vous pourrez ajouter à votre mauvaise conscience. J’ai pris un appel de mon avocate alors que je conduisais. Elle m’annonçait que l’enregistrement était déjà entièrement en ligne et circulait sur les réseaux sociaux. Abasourdi par la nouvelle, j’ai cessé de regarder la route et j’ai percuté la voiture que je suivais. Heureusement, j’étais en ville et je n’allais pas trop vite. Mais le choc, avec mon téléphone à l’oreille, m’a tordu le bras et je me suis luxé l’épaule. »

Je n’ai même pas eu la présence d’esprit de lui faire les politesse d’usage pour lui souhaiter un prompt rétablissement. L’enregistrement, entièrement en ligne ? Ce n’était pas la volonté du chef ! Il voulait feuilletonner. Que s’était-il passé ? Et puis cet enregistrement…mais non !

« - Mais c’est impossible ! »

Je crois bien que j’ai crié. Je me suis levée, je me suis rassise. Je me suis levée à nouveau. J’ai attrapé mon téléphone. Mon téléphone ! Mais enfin, comment était-ce possible : mon téléphone ne m’avait pas quittée et l’enregistrement était dessus…

J’ai immédiatement essayé de téléphoner à Gontrand. Peine perdue à presque 4h du matin. L’homme sans scrupule dormait sur ses deux oreilles. J’avais la nausée et pas seulement à cause du manque de sommeil. J’ai regardé Samuel Rasier dans les yeux. Il avait vu ma colère, il ne savait pas trop quoi en penser. J’ai esquissé une sorte de demi sourire tremblant : « Tout ceci me dépasse largement…je ne dis pas ça pour me dédouaner. Gérard Gontrand est un salaud, je suis d’accord avec vous. »

J’ai quitté la salle. J’ai même oublié pourquoi j’étais là et je ne suis pas repassée au bureau des infirmières pour demander où en était ma mère. J’ai filé comme une fille indigne.

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