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mercredi 4 octobre 2017

Carte Mère - Chapitre 7

VII 

Plus calme que je ne l’aurais cru, je remontais par l’escalier quand je tombai encore sur la jeunette, mademoiselle Lekan. Elle avait déposé sa poubelle. Pourtant, sur le palier, ça ne sentait pas très bon. Elle était encore et toujours souriante. Elle m’a dit bonjour et m’a demandé si je voulais prendre un thé chez elle. Pourquoi pas.

J’entrais donc après elle dans cet appartement que j’imaginais tellement mal. Pas de portrait du Che punaisé ou de déco vaguement japonisante. Juste un appartement très sobre, aux murs blancs, avec des meubles très fonctionnels et modernes. Pas de bric à brac de brocante. Elle m’invita à m’asseoir sur le canapé noir et me demanda si je préférais un café. Non, un thé, c’est très bien. Elle mit chauffer de l’eau, elle en reversa un peu, elle fit tomber une tasse, maladroite, émue, que sais-je...Elle s’excusa, bafouilla je ne sais quoi...Elle m’agaçait, cette petite. Mais quand elle déposa le thé devant moi et qu’elle s’installa sur le crapaud en face de moi, elle parut soudain déterminée. Elle me regarda droit dans les yeux.

« - Je n’aime pas ce que vous écrivez dans le journal. »

C’est tombé comme un couperet. Mais sans se départir de son sourire. C’est moi qui suis devenue bafouillante et maladroite, subitement.

« - Mais qui êtes-vous pour... ? Je...C’est mon métier...et... »

Elle gardait son sourire devant mes vaines tentatives pour me défendre. Suis-je défendable ?

« - Je comprends votre métier, je sais bien que vous devez vendre du papier, mais je doute de la sincérité de votre engagement de journaliste. Mais pas seulement vous, hein, ce n’est pas une attaque personnelle. Au travail, j’ai l’occasion de lire de temps en temps le journal et franchement...Comment peut-on dévoyer autant la noble profession de journaliste ? Ce n’est pas une question rhétorique. La recherche de la vérité, de l’objectivité, la défense de la liberté d’expression...Vous voyez ? On est loin du prix Albert Londres, dans la PQR...On est plus proche de la presse à scandale, non ? »

Bien loin de la petite fille sans cerveau. J'étais éberluée. Elle avait raison, en plus. Elle me mettait juste devant les contradictions que je traînais depuis des siècles. Je ne pouvais que baisser la garde et botter en touche.

 « - Oui. Il faut bien manger. Je travaillerais bien pour Arte ou pour Le Monde. Mais quand on vit ici, ce n’est pas simple. »

Elle a acquiescé. Elle est passé à autre chose. Etonnante, cette petite.

« - Nous en reparlerons à l’occasion. Vous avez des nouvelles de Monsieur Ninne ? Je ne l’ai pas vu depuis longtemps.
- Monsieur Ninne ? Non. Je ne le vois presque jamais. Toujours très désagréable...
- Et oui, toujours. Pas simple pour tout le monde d’avoir le sourire, hein !? »

Et vache, avec ça. J’ai ramassé mes dents encore une fois. Faut-il vraiment s’intéresser aux gens ? Soudain, j’ai repensé à la tirade du politicien, le matin même. J’étais peut-être pire. Les gens vous jugent, ils vous examinent de la tête aux pieds, ils vous regardent du haut de leur mépris et ils n’ont aucune pitié. A quoi bon les aimer ? Comment les aimer ?

« - Je vais vous laisser. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps. »

Et je suis rentrée chez moi. J’ai pleuré. Gontrand avait raison. Trop d’émotions. Il y a des moments où l’armure qu’on se fabrique craque. Aujourd’hui, donc, j’avais peut-être ruiné la carrière d’un politique. J’avais beau me dire que ce type l’avait bien cherché, que ce qu’il avait dit était clair et que cela était enregistré, incontestable et parfaitement odieux, j’avais beau me chercher des excuses, je ne pouvais pas penser autre chose que « je suis une salope ». Je déteste tout le monde, à commencer par moi, je délaisse ma mère dans une maison de retraite, même ma voisine remarque que je suis une vieille peau. Je vis seule, à 45 ans, j’ai fait le deuil d’un mariage et des enfants qui auraient pu suivre. J’ai peu d’amis, sauf sur Facebook. Mais là, c’est avec un pseudo. Je n’ai même pas de chat. Qui suis-je pour mettre en une la misanthropie de quelqu’un d’autre ? Alors c’est vrai, 13 il y a des métiers pour lesquels on espère un peu de compassion et d’humanité. On espère qu’un médecin exerce par amour pour ses semblables et pas seulement pour les revenus intéressants que de longues études peuvent apporter en retour. On peut espérer que le patron de bistrot aime les gens, pour leur servir des verres toute la journée. Mais est-ce seulement un travail pour vivre, comme le mien ?

On espère que les politiques aiment les gens. Ceux qu’on élit, peut-être pas parce qu’on les aime, mais au moins parce qu’on les préfère, on voudrait qu’ils soient sincères quand ils serrent des mains, quand ils font des discours plein de fraternité. On voudrait que dans leurs yeux brillent l’amour et le partage. On n’est pas tout neuf, pourtant, on sait bien que le désintérêt est rare. Qu’il y a forcément des motivations différentes. Le pouvoir et l’argent.

Il n’y a que les jeunes filles qui peuvent jouer les chevaliers blancs.

Au bout de quelques minutes d’auto persuasion, j’étais retombée dans mes travers habituels de cynisme et de déni.

J’ai bu une vodka glacée et je suis allée me coucher : je devais me lever très tôt le lendemain matin.

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