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lundi 2 octobre 2017

Carte Mère - Chapitre 5


Direction la rédaction : il fallait que je partage ça, que j’aie un avis. Je savais bien que si j’en parlais à Gontrand, il voudrait qu’on en fasse la une : c'était un charognard. Si j’en parlais à un autre journaliste, pas sûre que ce soit mieux. Si je commençais à devenir méchante, moi qui ne couvrais « que » la culture et l’éducation, imaginez ceux qui baignaient dans le fait divers, la justice et la politique, à longueur d’année. Une aigreur fielleuse les guidait : plus aucune croyance en la bonté supposée de l’humanité.

J’ai écrit mon article sur le festival. J’ai parlé des coupes budgétaires, j’ai fait quelques phrases ironiques sur la langue de bois du conseiller, sur la fameuse phrase « faire mieux avec moins » qui sonnait tellement faux...J’ai titré « Un clown triste pour la littérature ». J’ai envoyé l’article au patron.

Dans la demi-heure, il me convoquait dans son bureau. « - C’est une blague, ton article. Tu ne tacles même pas le politique, là. Il faut y aller. Tu cognes sur eux : ils se foutent de la gueule du monde, quand même. Ne fais pas dans l’ironie subtile. »

J’ai réécrit.

Sortie de piste pour Littéracœur : la région fait son cirque ! 

La 12e édition du Festival Littéracœur aura lieu en janvier. Comme toujours, la ville organisatrice a sollicité des subventions du département et de la région, au titre de la promotion de l’éducation et de la culture. Si le département semble avoir joué le jeu, la nouvelle majorité régionale n’a pas reconduit sa participation à la hauteur des années précédentes. Il a été voté une subvention fléchée de 1000 Euros, pour « offrir à la manifestation la présence d’un clown qui sillonnera le site à vélo pour donner des ballons aux enfants. » Le rapport avec la littérature nous échappe. Nous avons rencontré le conseiller régional, Samuel Rasier, qui nous a donné quelques explications. 

Interview ou récitation d’arguments auxquels personne ne croit ? 

Il nous a affirmé que la littérature était une activité noble, mais qu’elle n’avait pas besoin d’argent, que c’était déjà une activité accessible à tous et que les organisateurs du Festival devraient faire preuve d’imagination pour faire mieux avec moins. 

Nous lui avons bien sûr demandé si cela n’allait pas mettre la manifestation en péril et nous avons rappelé que la présence d’auteurs intéressants était coûteuse : il fallait les faire venir, les loger et les rémunérer...Et que sans ces auteurs, la manifestation perdrait de son intérêt pour le public. C’est alors qu’il nous a expliqué que le public serait sans doute ravi d’apprécier la présence d’un clown sur la manifestation, entièrement payée par la Région. (NDLR : à hauteur de 1000 Euros comme le précise la délibération du conseil régional). 

Les amateurs de littérature apprécieront, en effet. On peut vraiment se demander le rapport entre un clown à vélo et l’amour des livres. Mais si la politique est un cirque, on est toujours surpris par les tours que les élus nous sortent de leur chapeau. 

Sandrine QUÉPIÉ 

Allez, hop ! 1800 caractères pas très gentils.

Gontrand n’a pas mis un quart d’heure à me rappeler.

« - Me fais pas croire que tu as passé une demi-heure avec lui et que tu n’en as rien tiré d’autre ! C’est plat, ça ne va pas plus loin que le communiqué de presse ! Bon, je te concède que c’est pas trop mal écrit, j’aime ton style, ma chérie, tu sais, mais quand même... »

Se doutait-il que je lui cachais quelque chose ? Il fallait que je lui parle franchement.

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