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lundi 4 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #50

Je n’ai pas de fièvre.

Jour de reprise, donc. Battre le rappel des élèves. Pas envie de me confronter à ça. Ceux qui ne savent même pas quel jour on est et que l’école reprend. Ceux qui n’ont pas bossé pendant 15 jours et qui envoient un message stupide “J’ai pas compris, madame.”

Je n’ai plus du tout envie de continuer comme ça. Je ne me sens pas du tout à la hauteur, je ne sais pas faire mon métier dans ces conditions. Il faut que nous reprenions les choses normalement et il faut que nous cessions d’avoir peur de ce virus. D’avoir peur de la mort.

Je suis au bord du craquage complet, en fait.

Aahaaa !!!! Crions, exultons, allons boire des coups dans des bars. On ne peut pas. Tapons dans nos mains, chantons à tue tête, sautons en l’air, allons à un concert. Ah, non, on ne peut pas. Plongeons nous dans la fiction, échappons nous avec une grande histoire d’amour dans des paysages sublimes, avec des acteurs géniaux, allons au ciné. Putain, on ne peut pas. Une petite terrasse, un spritz et une assiette de pasta aux fruits de mer, faisons nous un petit resto sympa. Argh. Alors réfugions-nous auprès de ceux qu’on aime, la famille, les amis...et si on invitait tout le monde à la maison...Non ?

Et si je sortais et que je me mettais à rouler des pelles aux gens ? Hein ? Ah ah ! Attentat d’un nouveau genre ! Pire que l’attentat à la pudeur ! Pas pratique, les masques, cependant !

Je n’en peux plus. Voilà, je deviens folle, j’ai atteint le point de non retour, je vais me jeter du balcon, ça fera une tache sanglante en bas et personne ne pourra la nettoyer avant longtemps à cause du risque. Tout le monde se souviendra de moi comme de la folle qui a craqué au soir du 49e jour de confinement et puis la vie continuera, toute petite, sans importance et sans moi.

Ecrire me fait du bien. Je m’imagine déjà, enjambant la barrière du balcon. Ce n’est pas si haut, je crois que je pourrais me louper, gourde comme je suis. J’aurais l’air fine à terminer mon confinement comme le mec de Fenêtre sur cour, avec des béquilles et des jumelles, sans même pouvoir sortir de mon trois pièces.

Allez, voyons le bon côté des choses, puisque c’est la seule solution pour survivre encore un peu. Beaucoup d’élèves m’ont renvoyé leurs travaux de vacances. Beaucoup sont très sympa dans leur mail “J’espère que vous allez bien ?”...Et beaucoup, finalement ont pris contact. Allez ! Haut les coeurs ! Le chef d’établissement ne sait pas plus que toi et moi quand est-ce qu’on reprendra le chemin de l’école. Personne ne sait rien. Personne ne prend de décision. Je vais donc prendre l'initiative, toute seule, comme une grande, la ferme décision d’aller prendre l’apéro sur le balcon.

Bonsoir...et au fait, je vous aime.

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